Centre d’arbitrage et de médiation de l’OMPI
DÉCISION DE LA COMMISSION ADMINISTRATIVE
Crédit Agricole S.A. contre Olivier Merey et “Maurictte” Merey
Litige No. D2016-1200
1. Les parties
Le Requérant est Crédit Agricole S.A. de Montrouge, France, représenté par Nameshield, France.
Le Défendeur est Olivier Merey et “Maurictte” Merey de Manduel, France.
2. Noms de domaine et unité d’enregistrement
Les noms de domaine litigieux <credit-agricoe.com> et <credt-agricole.com> sont enregistrés auprès de Vodien Internet Solutions Pte Ltd (ci-après désigné “l’Unité d’enregistrement”).
3. Rappel de la procédure
Une plainte en français a été déposée par Crédit Agricole S.A. auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) en date du 14 juin 2016. Le 14 juin 2016, le Centre a adressé une requête à l’Unité d’enregistrement aux fins de vérification des éléments du litige, tels que communiqués par le Requérant. Le 16 juin 2016, l’Unité d’enregistrement a transmis sa vérification au Centre confirmant l’ensemble des données du litige et notant que l’anglais était la langue du contrat d’enregistrement des noms de domaine litigieux. Le 17 juin 2016, le Centre a envoyé un avis aux parties, invitant le Requérant soit à fournir la preuve d’un accord, entre le Requérant et le Défendeur, prévoyant que la procédure se déroule en français, soit à déposer une plainte traduite en anglais, soit à déposer une demande afin que le français soit la langue de la procédure. Le Défendeur a également été invité à fournir des arguments à cet égard. Le même jour, le Requérant a déposé une demande afin que la procédure administrative se déroule en français. Le Défendeur n’a fourni aucun argument à cet égard.
Le Centre a vérifié que la plainte répondait bien aux Principes directeurs régissant le Règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine (ci-après dénommés “Principes directeurs”), aux Règles d’application des Principes directeurs (ci-après dénommées les “Règles d’application”), et aux Règles supplémentaires de l’OMPI (ci-après dénommées les “Règles supplémentaires”) pour l’application des Principes directeurs précités.
Conformément aux paragraphes 2 et 4 des Règles d’application, une notification de la plainte en français et en anglais valant ouverture de la présente procédure administrative a été adressée au Défendeur le 23 juin 2016. Conformément au paragraphe 5 des Règles d’application, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 13 juillet 2016. Le Défendeur n’a fait parvenir aucune réponse. Le 14 juillet 2016, le Centre notifiait le défaut du Défendeur.
En date du 8 juillet 2016, le Centre nommait William Lobelson comme expert dans le présent litige. La Commission administrative constate qu’elle a été constituée conformément aux Principes directeurs et aux Règles d’application. La Commission administrative a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément au paragraphe 7 des Règles d’application.
4. Les faits
Le Requérant est une banque française, active en France et à l’international dans la domaine de la banque et les métiers associés: gestion de l’assurance, crédit-bail d’actifs, affacturage, crédit à la consommation, financement et investissement.
Le Requérant est titulaire de plusieurs marques de l’Union européenne et internationales portant sur le nom “Crédit Agricole” parmi lesquelles:
- marque internationale CREDIT AGRICOLE enregistrée le 1er avril 2011 sous le numéro 1064647;
- marque internationale CA CREDIT AGRICOLE enregistrée le 13 juillet 1988 sous le numéro 1525634;
- marque internationale CA CREDIT AGRICOLE enregistrée le 25 octobre 1978 sous le numéro 441714;
- marque de l’Union européenne CA CREDIT AGRICOLE enregistrée le 20 décembre 2007 sous le numéro 005505995.
Le Requérant est également titulaire de nombreux noms de domaines, forgées à partir du nom “Crédit Agricole”:
- <credit-agricole.fr> crée le 7 juillet 1995;
- <creditagricole.fr> crée le 22 septembre 2000;
- <credit-agricole.com> crée le 31 décembre 1999;
- <creditagricole.com> crée le 11 juin 2001;
- <creditagricole.org> crée le 11 mars 1999;
- <creditagricole.biz> crée le 7 novembre 2001;
- <creditagricole.net> crée le 7 janvier 2002;
- <creditagricole.info> crée le 28 avril 2004.
Les noms de domaine litigieux <credit-agricoe.com> et <credt-agricole.com> ont été enregistrés par le Défendeur en date du 5 juin 2016. Les sites Internet aux noms de domaine litigieux sont inactifs.
Estimant qu’il était porté atteinte à ses droits sur ses marques et noms de domaine, le Requérant a engagé la présente procédure, dans l’objectif d’obtenir le transfert des noms de domaine litigieux.
5. Argumentation des parties
A. Requérant
Le Requérant demande que le français soit la langue de la procédure. Il justifie sa requête en faisant valoir que les parties à la présente procédure sont établies en France.
Le Requérant soutient en premier lieu que les noms de domaine litigieux, à savoir <credit-agricoe.com> et <credt-agricole.com>, sont semblables au point de prêter à confusion avec ses marques de renommée CREDIT AGRICOLE et noms de domaine dont il est titulaire.
Le Requérant rappelle que la suppression d’une lettre dans les noms de domaine litigieux, à savoir la lettre “I” dans <credt-agricole.com> et la lettre “L” dans <credit-agricoe.com>, n’est pas de nature à écarter la confusion qui sévie entre les noms de domaine litigieux et les marques du Requérant.
De même, il indique que l’utilisation de l’extension générique de premier niveau (“gTLD”) “.com” n’est pas un élément qui saurait exclure la similitude des noms de domaine litigieux avec ses marques.
Dans un second temps, le Requérant affirme que le Défendeur n’a aucun droit ni intérêt légitime sur les noms de domaine litigieux, qu’il n’existe aucune relation entre les parties et qu’aucune licence ni autorisation n’a été accordée au Défendeur pour faire usage des marques CREDIT AGRICOLE. Enfin, le Requérant affirme que c’est en pleine connaissance de ses marques que le Défendeur a enregistré les noms de domaines litigieux, ce dernier étant domicilié en France et ne pouvant ignorer la réputation dont jouit la société Requérante. Il en conclut que le Défendeur a enregistré et utilise les noms de domaine litigieux de mauvaise foi.
Compte tenu de ces éléments, le Requérant sollicite le transfert des noms de domaine litigieux <credit-agricoe.com> et <credt-agricole.com> à son profit.
B. Défendeur
Le Défendeur n’a adressé aucune réponse au Centre et est en conséquence en défaut.
6. Discussion et conclusions
6.1. Langue de la procédure
A titre préliminaire, la Commission administrative doit trancher la demande du Requérant concernant la langue de la procédure.
Conformément au paragraphe 11 des Règles d’application, la langue de la procédure administrative est la langue du contrat d’enregistrement des noms de domaine litigieux. En l’espèce, il s’agit de la langue anglaise, telle que confirmée par l’Unité d’enregistrement des noms de domaine <credit-agricoe.com> et <credt-agricole.com>.
Toutefois, le paragraphe 11(a) in fine des Règles d’application précise qu’il relève de l’autorité de la Commission administrative de déterminer si la langue de la procédure peut être une autre langue, compte tenu des circonstances.
En conséquence, il appartient à la Commission administrative d’apprécier les éléments du litige afin de déterminer si la langue française peut régir la procédure dans le présent cas.
Au regard des éléments de fait, il apparaît que le Requérant est une société française, qui exerce à titre principal sur le territoire français. Les pièces produites à la présente procédure indiquent également que le Défendeur, dont le patronyme est de consonance francophone est domicilié en France, à une adresse à laquelle la plainte lui a été dûment notifiée.
Les facteurs de rattachement du cas d’espèce se rapportent donc à la France, de sorte que la Commission administrative juge équitable de conduire la présente procédure en langue française. SWX Swiss Exchange c. SWX Financial LTD, Litige OMPI No. D2008-0400; Zappos.com, Inc. c. Zufu aka Huahaotrade, Litige OMPI No. D2008-1191.
6.2. Consolidation du Défendeur
La Commission administrative note que la plainte est déposée contre deux Défendeurs distincts, néanmoins, la Commission administrative estime que la consolidation de la plainte est justifiée dans les circonstances du présent litige, notamment le fait que les noms de domaine litigieux ont été enregistrés le même jour auprès de la même unité d’enregistrement, les informations WhoIs pour les noms de domaine litigieux sont semblables, et les sites Internet aux noms de domaine litigieux sont inactifs, voir paragraphe 4.16 de la Synthèse jurisprudentielle des avis des commissions administratives de l’OMPI sur certaines questions relatives aux Principes UDRP, 2.0 (“Synthèse, version 2.0”).
6.3. Sur le fond
La Commission administrative statue sur la requête au regard de la plainte soumise par le Requérant, de l’absence de réponse du Défendeur, des Principes directeurs, des Règles d’application, des Règles supplémentaires en application du paragraphe 15(a) des Règles d’application.
Le paragraphe 4(a) des Principes directeurs prévoit que “le défendeur est tenu de se soumettre à une procédure administrative obligatoire au cas où un tiers (le requérant) fait valoir auprès de l’institution de règlement compétente que:
(i) le nom de domaine est identique ou semblable au point de prêter à confusion, à une marque de produits ou de services sur laquelle le requérant a des droits;
(ii) le défendeur n’a aucun droit sur le nom de domaine ni aucun intérêt légitime qui s’y attache;
(iii) et que le nom de domaine a été enregistré et est utilisé de mauvaise foi.”
A. Identité ou similitude prêtant à confusion
Le Requérant invoque à l’appui de la présente procédure des enregistrements de marques portant sur le nom “Credit Agricole”.
Les noms de domaine litigieux sont <credit-agricoe.com> et <credt-agricole.com>.
Les noms de domaine litigieux reprennent de façon quasi identique la marque du Requérant, en omettant seulement une lettre, à savoir la lettre “I” dans le nom de domaine litigieux <credt-agricole.com> et de la lettre “L” dans <credit-agricoe.com>.
Ces différences imperceptibles ne sauraient suffire à supplanter les ressemblances visuelles, phonétiques et conceptuelles entre les signes.
Il est également rappelé que la présence du suffixe gTLD “.com” doit être jugée inopérante, puisque dictée par un impératif technique, et ne rentre généralement pas en ligne de compte lors de la comparaison des signes.
La Commission administrative conclut donc à l’existence d’un risque de confusion du fait de l’étroite similarité entre la marque antérieure invoquée par le Requérant et les noms de domaine litigieux.
En conséquence, la condition du paragraphe 4(a)(i) des Principes directeurs est remplie.
B. Droits ou intérêts légitimes
Si la charge de la preuve de l’absence de droits ou intérêts légitimes du Défendeur incombe au Requérant, les commissions administratives selon les Principes directeurs considèrent qu’il est difficile de prouver un fait négatif. Il est donc généralement admis que le requérant doit établir prima facie que le défendeur n’a pas de droits ni d’intérêts légitimes sur le nom de domaine litigieux. Il incombe ensuite au défendeur d’établir le contraire. S’il n’y parvient pas, les affirmations du requérant sont réputées exactes. Croatia Airlines d.d. c. Modern Empire Internet Ltd., Litige OMPI No. D2003-0455; Belupo d.d. c. WACHEM d.o.o., Litige OMPI No. D2004-0110.
Le Requérant affirme qu’il n’existe aucune relation entre le Défendeur et le Requérant et qu’il n’a jamais autorisé le Défendeur à enregistrer et utiliser les noms de domaine litigieux. Il fait aussi valoir que les noms de domaine litigieux ne sont pas exploités en liaison avec une offre de bonne foi de biens ou services.
La Commission administrative relève que le Défendeur n’a pas contesté les allégations du Requérant, ni fourni d’explications ou de justifications de nature à prouver un droit ou un intérêt légitime sur les noms de domaine litigieux. Le Défendeur n’a pas non plus démontré qu’il comptait utiliser les noms de domaine litigieux en relation avec une offre de bonne foi de produits ou de services.
En conséquence, la Commission administrative estime, en se limitant aux prétentions du Requérant et aux circonstances du présent litige, que le Défendeur n’a aucun droit ni intérêt légitime dans les noms de domaine litigieux <credit-agricoe.com> et <credt-agricole.com> et que la condition du paragraphe 4(a)(ii) des Principes directeurs est donc remplie.
C. Enregistrement et usage de mauvaise foi
Selon le paragraphe 4(b) des Principes directeurs, la réalisation de l’une des circonstances suivantes est susceptible d’établir que les noms de domaine litigieux ont été enregistrés et sont utilisés de mauvaise foi:
(i) les faits montrent que le Défendeur a enregistré ou acquis les noms de domaine essentiellement aux fins de vendre, de louer ou de céder d’une autre manière l’enregistrement de ces noms de domaine au Requérant qui est le propriétaire de la marque de produits ou de services, ou à un concurrent de celui-ci, à titre onéreux et pour un prix excédant le montant des frais qu’il peut prouver avoir déboursé en rapport direct avec ces noms de domaine;
(ii) le Défendeur a enregistré les noms de domaine en vue d’empêcher le propriétaire de la marque de produits ou de services de reprendre sa marque sous forme de nom de domaine, et est coutumier d’une telle pratique;
(iii) le Défendeur a enregistré les noms de domaine essentiellement en vue de perturber les opérations commerciales d’un concurrent; ou
(iv) en utilisant ces noms de domaine, le Défendeur a sciemment tenté d’attirer, à des fins lucratives, les utilisateurs de l’Internet sur un espace Web ou autre site en ligne lui appartenant, en créant une probabilité de confusion avec la marque du Requérant en ce qui concerne la source, le commanditaire, l’affiliation ou l’approbation de son espace ou espace Web ou d’un produit ou service qui y est proposé.
Au vu des arguments, pièces et décisions UDRP antérieures produites par (et impliquant) le Requérant, la Commission administrative peut raisonnablement suivre ce dernier dans son affirmation selon laquelle la marque CREDIT AGRICOLE, exploitée de longue date et de manière notoire en France et à l’étranger en relation avec des services bancaires est, à ce titre, largement connue.
Partant, il est difficilement concevable que le Défendeur a pu ignorer les droits du Requérant dans la marque CREDIT AGRICOLE et n’a pas eu cette dernière à l’esprit au moment de l’enregistrement des noms de domaine litigieux, voir Lego Juris A/S c. Reiner Stotte, Litige OMPI No. D2010-0494.
La Commission administrative observe encore que les noms de domaine litigieux reproduisent la marque CREDIT AGRICOLE du Requérant en y intégrant des erreurs d’orthographes, des lettres ayant été omises:
<credit-agricoe.com>
<credt-agricole.com>
Il ne fait aucun doute pour la Commission administrative que ces erreurs sont volontaires et procèdent de la technique éprouvée dite “typosquatting” par laquelle un tiers mal intentionné spécule sur les fautes de frappes des internautes pour les détourner de la page Internet à laquelle ils pensaient accéder, voir Edmunds.com, Inc c. Yingkun Guo, Litige OMPI No. D2006-0694; Disney Enterprises, Inc. c. John Zuccarini, Cupcake City and Cupcake Patrol, Litige OMPI No. D2001-0489.
La Commission administrative relève enfin que le Défendeur, bien qu’ayant été dûment notifié de la plainte (un bordereau de livraison, consultable au dossier, a bien été réceptionné et signé par le Défendeur), a donc été informé des droits et prétentions du Requérant, mais a néanmoins choisi de ne pas se manifester, et n’a pas non plus spontanément proposé de restituer les noms de domaine litigieux au Requérant.
Le Défendeur se livre donc à une rétention injustifiée des noms de domaine litigieux, préjudiciable aux intérêts du Requérant et ce faisant, se rend coupable de détention passive de mauvaise foi des noms de domaine litigieux, voir Telstra Corporation Limited c. Nuclear Marshmallows, Litige OMPI No. D2000-0003.
Pour toutes ces raisons, la Commission administrative est en mesure de conclure que les noms de domaine litigieux ont été enregistrés et sont utilisés de mauvaise foi par le Défendeur au sens du paragraphe 4(a)(iii) des Principes directeurs.
7. Décision
Pour les raisons exposées ci-dessus, conformément aux paragraphes 4(a) des Principes directeurs et 15 des Règles d’application, la Commission administrative ordonne que les noms de domaine litigieux <credit-agricoe.com> et <credt-agricole.com> soient transférés au Requérant.
William Lobelson
Expert
Le 4 août 2016