Centre d’arbitrage et de médiation de l’OMPI
DÉCISION DE LA COMMISSION ADMINISTRATIVE
Delphine Crech’Riou, Jennifer Collinet, Société Hipanema SARL contre Whoisguard Protected, Whoisguard Inc. / Huan Wang
Litige n° D2014-1245
1. Les parties
Le Requérant est Delphine Crech’Riou, Jennifer Collinet, Société Hipanema SARL de Paris, France, représenté par Myriam Witukiewicz Sebban, France.
Le Défendeur est Whoisguard Protected, Whoisguard Inc. de Panama / Huan Wang de Hefei, Anhui, Chine.
2. Noms de domaine et unité d’enregistrement
Le litige concerne les noms de domaine <hipanemabeaubracelets.com>, <hipanemabraceletboutique.com>, <hipanema-bracelet.com>, <hipanemabraceletfrance.com> et <hipanemabraceletsoldes.com>.
L’unité d’enregistrement auprès de laquelle les noms de domaine sont enregistrés est eNom.
3. Rappel de la procédure
Une plainte a été déposée par Delphine Crech’Riou, Jennifer Collinet, Société Hipanema SARL auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) en date du 21 juillet 2014.
En date du 21 juillet 2014, le Centre a adressé une requête à l’unité d’enregistrement des noms de domaine litigieux, eNom, aux fins de vérification des éléments du litige, tels que communiqués par le Requérant. Le 22 juillet 2014, l’unité d’enregistrement a transmis sa vérification au Centre révélant l’identité du titulaire des noms de domaine concernés et ses coordonnées, différentes du nom du Défendeur et des coordonnées désignés dans la plainte. Le 23 juillet 2014, le Centre a envoyé un courrier électronique au Requérant avec les données relatives au titulaire des noms de domaine concernés telles que communiquées par l’unité d’enregistrement et invitant le Requérant à soumettre une plainte amendée. Le Requérant a déposé un amendement à la plainte le 23 juillet 2014, et le 28 juillet 2014.
Aux termes du paragraphe 11(a) des Principes directeurs, “sauf convention contraire entre les parties ou stipulation contraire du contrat d’enregistrement, la langue de la procédure est la langue du contrat d’enregistrement; toutefois, la commission peut décider qu’il en sera autrement, compte tenu des circonstances de la procédure administrative”.
En l’espèce, le Requérant a démontré que le Défendeur comprend le français, les sites web liés aux noms de domaine litigieux étant rédigés en français. De plus, les noms de domaine litigieux comportent des mots en français. D’ailleurs, la Commission administrative relève que le Défendeur, qui a pourtant eu l’opportunité de répliquer sur la question de la langue de la procédure, n’a pas contesté les arguments avancés par le Requérant. La Commission administrative considère que le Défendeur était donc suffisamment informé de l’objet de la procédure administrative, tant par l’acceptation des conditions du contrat d’enregistrement que par les communications du Centre. En l’absence de contestation ou de demande dérogatoire émanant des parties, la Commission administrative estime qu’il n’est pas inéquitable que la langue de la présente procédure administrative soit le français (Voir Crédit du Nord c. Laurent Deltort, Litige OMPI No. D2012-2532; INTS IT IS NOT THE SAME, GmbH dba DESIGUAL c. Two B Seller, Estelle Belouzard, Litige OMPI No. D2011-1978).
La Commission administrative considère que dans ces circonstances, le Défendeur ne s’oppose donc pas à l’utilisation du français comme langue de la procédure et qu’il est préférable que la langue de la présente procédure administrative soit le français.
Le Centre a vérifié que la plainte répond bien aux Principes directeurs régissant le Règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine (ci-après dénommés “Principes directeurs”), aux Règles d’application des Principes directeurs (ci-après dénommées les “Règles d’application”), et aux Règles supplémentaires de l’OMPI (ci-après dénommées les “Règles supplémentaires”) pour l’application des Principes directeurs précités.
Conformément aux paragraphes 2(a) et 4(a) des Règles d’application, le 31 juillet 2014, une notification de la plainte valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au Défendeur. Conformément au paragraphe 5(a) des Règles d’application, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 20 août 2014. Le Défendeur n’a fait parvenir aucune réponse. En date du 25 août 2014, le Centre notifiait le défaut du Défendeur.
En date du 8 septembre 2014, le Centre nommait dans le présent litige comme expert-unique Flip Jan Claude Petillion. La Commission administrative constate qu’elle a été constituée conformément aux Principes directeurs et aux Règles d’application. La Commission administrative a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément au paragraphe 7 des Règles d’application.
4. Les faits
Mesdames Delphine Crech’Riou et Jennifer Collinet sont toutes deux gérantes de la société de droit français Hipanema SARL qui crée, fabrique et commercialise des produits de mode, dont des bracelets. Ces personnes physiques et morales seront également conjointement désignées comme “le Requérant”.
Mesdames Delphine Crech’Riou et Jennifer Collinet sont co-titulaires des marques suivantes :
- marque française HIPANEMA du 9 février 2012, enregistrée sous le n° 3895735 visant les produits de la classe 14 (bijouterie, pierres précieuses; boîtiers, bracelets, chaînes, ressorts ou verres de montre);
- marque internationale semi-figurative HIPANEMA du 7 janvier 2013, enregistrée sous le n° 1154586 visant les produits de la classe 14 (joaillerie).
Les noms de domaine litigieux ont été enregistrés par le Défendeur aux dates suivantes :
- <hipanema-bracelet.com>: le 5 juin 2014;
- <hipanemabraceletboutique.com>: le 12 juin 2014;
- <hipanemabraceletfrance.com>: le 24 juin 2014;
- <hipanemabraceletsoldes.com>: le 27 juin 2014;
- <hipanemabeaubracelets.com>: le 15 juillet 2014.
5. Argumentation des parties
A. Requérant
Le Requérant soutient que les noms de domaine litigieux sont semblables, au point de prêter à confusion, à certaines marques de produits ou de services sur lesquelles le Requérant prétend avoir des droits. Le Requérant soutient également que le Défendeur n’a aucun droit sur les noms de domaine litigieux, ni aucun intérêt légitime. Le Requérant soutient que le Défendeur n’utilise pas les noms de domaine d’une façon légitime ou équitable, mais qu’il renvoie l’utilisateur à des sites web copiant le site web du Requérant. Enfin, le Requérant soutient que le Défendeur a enregistré et utilisé les noms de domaine litigieux de mauvaise foi.
B. Défendeur
Le Défendeur n’a pas répondu à la plainte.
6. Discussion et conclusions
A. Quant au fond
Le paragraphe 15 des Règles d’application prévoit que la Commission administrative statue sur la plainte au vu des écritures et des pièces qui lui ont été soumises et conformément aux Principes directeurs, aux Règles d’application et à tout principe ou règle de droit qu’elle juge applicable.
La charge de la preuve se situe auprès du Requérant et il résulte aussi bien de la terminologie des Principes directeurs que de décisions préalables de d’autres commissions administratives, que le Requérant doit prouver tous les trois éléments mentionnés au paragraphe 4(a) des Principes directeurs pour pouvoir établir que les noms de domaine litigieux peuvent être transférés.
Dès lors, le Requérant, pour réussir, doit prouver conformément au paragraphe 4(a) des Principes directeurs et selon la balance des probabilités que:
(i) les noms de domaine litigieux sont identiques ou semblables au point de prêter à confusion, à une marque de produits ou de services sur laquelle le Requérant a des droits; et
(ii) le Défendeur n’a aucun droit sur les noms de domaine litigieux ni aucun intérêt légitime qui s’y attache; et
(iii) les noms de domaine litigieux ont été enregistrés et est utilisés de mauvaise foi.
Par conséquent, la Commission administrative examinera ces critères séparément.
B.1. Identité ou similitude prêtant à confusion
En premier lieu, le Requérant doit établir qu’il a des droits de marques dont il est titulaire. Le Requérant est notamment titulaire d’une marque verbale française HIPANEMA ainsi que d’une marque internationale semi-figurative constituée du mot HIPANEMA stylisé, protégée dans différents pays dont la Chine, pays de résidence du Défendeur. Par conséquent, le Requérant a établi qu’il existe des droits de marques dont il est titulaire. Ceci n’est pas contesté par le Défendeur. Dès lors, la Commission administrative constate, même si cela n’est pas décisif sous le premier élément de l’UDRP, que les droits de marque du Requérant sont antérieurs à l’enregistrement des noms de domaine litigieux.
La Commission administrative considère que les noms de domaine litigieux sont semblables aux marques antérieures du Requérant en ce que les noms de domaine reproduisent l’élément distinctif et dominant des marques invoquées, à savoir HIPANEMA, auquel sont simplement ajoutés les termes génériques en langue française “bracelets”, “beau”, “France”, “soldes”, ou “boutique”. Ces termes concernent soit des termes communément utilisés dans le domaine de la vente de vêtements et de bijouterie, soit renvoient au type de produits, à leurs caractéristiques, ou encore à leur provenance (Voir Karen Millen Fashions Limited c. Akili Heidi, Litige OMPI No. D2012-1395).
Puisque les noms de domaine litigieux sont semblables aux marques dont le Requérant est le titulaire, la similitude entre les noms de domaine litigieux et les marques antérieures du Requérant peut prêter à confusion. Dès lors, le Requérant a établi que le premier critère du paragraphe 4(a) des Principes directeurs est rempli.
B.2. Droits ou légitimes intérêts
Conformément au paragraphe 4(a)(ii) des Principes directeurs, le Requérant a la charge de la preuve pour établir que le Défendeur n’a ni droits ni intérêts légitimes vis-à-vis des noms de domaine.
Il est de jurisprudence constante qu’il suffit pour le Requérant de démontrer qu’à première vue (“prima facie”) le Défendeur n’a ni droits ni intérêts légitimes vis-à-vis du nom de domaine pour qu’il incombe au Défendeur de démontrer le contraire (Voir Champion Innovations, Ltd. c. Udo Dussling (45FHH), Litige OMPI No. D2005-1094; Croatia Airlines d.d. c. Modern Empire Internet Ltd., Litige OMPI No. D2003-0455; Belupo d.d. c. WACHEM d.o.o., Litige OMPI No. D2004-0110).
Il ressort du paragraphe 4(c) des Principes directeurs qu’il y a lieu de reconnaître un intérêt légitime ou droit sur les noms de domaine litigieux, notamment lorsque le Défendeur apporte la preuve de ses droits sur les noms de domaine litigieux ou son intérêt légitime qui s’y attache, cette preuve pouvant être constituée par l’une des circonstances ci-après:
(i) Avant d’avoir eu connaissance du litige, le Défendeur a utilisé les noms de domaine litigieux ou un nom correspondant aux noms de domaine litigieux en relation avec une offre de bonne foi de produits ou de services, ou fait des préparatifs sérieux à cet effet;
(ii) Le Défendeur est connu sous les noms de domaine litigieux, même sans avoir acquis de droits sur une marque de produits ou de services; ou
(iii) Le Défendeur fait un usage noncommercial légitime ou un usage loyal des noms de domaine litigieux sans intention de détourner à des fins lucratives les consommateurs en créant une confusion ni de ternir la marque de produits ou de services en cause.
Le Requérant apporte la preuve de l’enregistrement de marques comprenant HIPANEMA, et déclare que le Défendeur n’est pas connu sous les noms de domaine litigieux. La Commission administrative relève que le Défendeur n’est pas titulaire de marques reprenant les termes composant les noms de domaine litigieux et n’est pas connu sous ces noms de domaine. De plus, la Commission administrative constate que les 5 noms de domaine renvoient vers des sites web copiant en grande partie le site web du Requérant, et offrant à la vente des produits identiques ou similaires à ceux fabriqués et commercialisés par le Requérant. Les noms de domaine litigieux ne sont donc manifestement pas utilisés d’une manière qui justifierait d’un intérêt légitime sur ceux-ci.
En outre, le Défendeur ne démontre pas avoir un quelconque droit ou un intérêt légitime sur les noms de domaine litigieux.
Dès lors, la Commission administrative considère que le Requérant a démontré que le Défendeur n’a ni droits ni intérêts légitimes vis-à-vis du nom de domaine. Le critère repris au paragraphe 4(a)(ii) des Principes directeurs est donc rempli.
B.3. Enregistrement et usage de mauvaise foi
Le Requérant doit apporter la preuve sur la balance des probabilités que les noms de domaine ont été enregistrés et sont utilisés de mauvaise foi (Voir Telstra Corporation Limited c. Nuclear Marshmallow, Litige OMPI No. D2000-0003; Control Techniques Limited c. Lektronix Ltd, Litige OMPI No. D2006-1052).
Le paragraphe 4(b) des Principes directeurs prévoit une liste non-exhaustive de circonstances qui peuvent constituer la preuve que les noms de domaine ont été enregistrés et sont utilisés de mauvaise foi. Cette liste comprend le cas où en utilisant le nom de domaine, le défendeur a essayé intentionnellement d’attirer, à des fins commerciales, des utilisateurs d’Internet sur son site web ou toute autre destination en ligne en créant un risque de confusion avec la marque du requérant quant à la source, au parrainage, à l’affiliation ou à l’approbation de son site web ou destination en ligne ou d’un produit ou service offert sur celui-ci.
La Commission administrative remarque que le paragraphe 2 des Principes directeurs impose implicitement au futur titulaire d’un nom de domaine d’éviter d’enregistrer et d’utiliser des noms de domaine qui porteraient atteinte aux droits d’un tiers (Voir Aspen Holdings Inc. c. Rick Natsch, Potrero Media Corporation, Litige OMPI No. D2009-0776).
La Commission administrative constate que la marque internationale HIPANEMA invoquée par le Requérant a été enregistrée le 7 janvier 2013, soit avant l’enregistrement des noms de domaine litigieux.
Par ailleurs, le Requérant démontre que les 5 noms de domaine renvoient vers des sites web copiant en grande partie le site web du Requérant, et offrant à la vente des produits identiques ou similaires à ceux fabriqués et commercialisés par le Requérant.
Au vu de ce qui précède, la Commission administrative estime que le Défendeur devait être au courant de l’existence de droits de marques du Requérant au moment de l’enregistrement des noms de domaine litigieux.
Ensuite, sans aucune autorisation de la part du Requérant, le Défendeur utilise les noms de domaine litigieux pour mettre en vente des produits identiques ou similaires à ceux commercialisés par le Requérant, et qui sont probablement des contrefaçons. La Commission administrative considère que ceci démontre sur la balance de probabilités que les noms de domaine litigieux ont été réservés par le Défendeur dans le but d’attirer, à des fins lucratives, les internautes sur ses sites web, en créant une probabilité de confusion avec les marques du Requérant en ce qui concerne l’origine des produits.
La Commission administrative déduit des faits et circonstances susmentionnés que les noms de domaine litigieux ont été enregistrés et utilisés de mauvaise foi. Par conséquent, la Commission administrative considère que le Requérant a satisfait le critère énoncé au paragraphe 4(a)(iii) des Principes directeurs.
7. Décision
Pour toutes les raisons susmentionnées, et conformément aux paragraphes 4(i) des Principes directeurs et 15 des Règles d’application, la Commission administrative décide que les 5 noms de domaine litigieux, soit <hipanemabeaubracelets.com>, <hipanemabraceletboutique.com>, <hipanema-bracelet.com>, <hipanemabraceletfrance.com> et <hipanemabraceletsoldes.com>, doivent être transférés au Requérant.
Flip Jan Claude Petillion
Expert Unique
Le 22 septembre 2014