Les riches traditions culturelles de l’Inde ont donné naissance à de nombreuses formes de musique et d’instruments de musique. Traditionnellement sculpté dans un seul morceau de bois du jacquier, le luth Bobbili veena est un grand instrument à cordes fabriqué pour la première fois au XVIIe siècle dans la ville de Bobbili, dans le sud de l’Inde.
En 2012, le Gouvernement indien a délivré un certificat d’indication géographique pour le Bobbili veena. Ces certificats sont utilisés pour les produits, notamment agricoles, provenant d’une aire géographique déterminée et qui possèdent des qualités, une renommée ou d’autres caractéristiques liées au lieu où ils sont fabriqués. Pensez au fromage italien Grana Padano, à la tequila mexicaine et au thé Darjeeling.
Les objets fabriqués à la main à partir de ressources naturelles selon des traditions des communautés locales peuvent également bénéficier d’une indication géographique.
En ce qui concerne le Bobbili veena, l’indication géographique protège la culture des artisans locaux qui le fabriquent, augmentant ainsi sa valeur marchande. L’économie régionale est ainsi stimulée.
L’art du Bobbili veena
En Inde, la musique est bien plus qu’un simple divertissement. Il s’agit d’atteindre l’éveil spirituel. Les sons émis par les instruments traditionnels du pays le permettent.
Il existe de nombreux types de veena, terme générique qui désigne les nombreux instruments à cordes du sous-continent indien. Le Bobbili veena trouve ses origines dans le mécénat royal de Bobbili, dans l’État moderne d’Andhra Pradesh. Le royaume de Bobbili a été fondé par le roi Pedarayudu au XVIIe siècle. Le roi adorait la musique et ordonna que des veenas soient fabriqués et joués à sa cour. Les ancêtres des artisans actuels ont émigré de Vizianagaram et se sont installés à Bobbili. Leurs compétences ont été transmises de génération en génération dans le village voisin de Gollapalli.
Mode de fabrication du veena
La matière première essentielle utilisée pour la fabrication du Bobbili veena est le bois du jacquier, un arbre originaire d’Inde. L’instrument est sculpté dans un seul morceau de bois du jacquier. Tout d’abord, il y a le kunda, ou corps, qui est creusé puis recouvert d’une plaque en bois. Puis le dandi, ou manche, qui mesure généralement 130 cm de long et qui est sculpté dans le même morceau de bois. Sept cordes sont fixées avant l’application du décor incrusté. Le processus nécessite habileté et patience; il faut jusqu’à 25 jours pour fabriquer un Bobbili veena.
Gollapalli est un petit village avec peu d’infrastructures, un faible taux d’alphabétisation et de rares opportunités économiques. Le Bobbili veena fait partie intégrante de la musique carnatique, une forme de musique classique indienne associée au sud de l’Inde. Cependant, avec l’essor de la musique contemporaine, la demande d’instruments de musique traditionnels, dont le Bobbili veena, a baissé. La chute de la demande pour ce magnifique instrument a poussé de nombreux artisans à abandonner leur métier pour se tourner vers d’autres activités. Beaucoup ont même quitté la région.
Pour faire revivre cet artisanat, les artisans les plus expérimentés sensibilisent la population à l’importance de perpétuer les traditions familiales afin de préserver le patrimoine culturel et de favoriser la prospérité économique. Après avoir créé la coopérative Sarada Veena Workers Cottage Industrial Cooperative Society dans les années 1950, les artisans ont commencé à fabriquer des veenas miniatures comme articles souvenirs. Également fabriquées en bois du jacquier, ces miniatures ont suscité une demande propre.
Délivrance d’un certificat d’indication géographique en Inde
Alors qu’elle se battait dans les années 1990 pour protéger des produits comme le riz basmati à l’échelle internationale, l’Inde a adopté la loi sur les indications géographiques des produits (enregistrement et protection) en 1999. La loi est conforme à l’Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (Accord sur les ADPIC) de l’Organisation mondiale du commerce, qui contient une section sur les indications géographiques.
En Inde, le Bureau du contrôleur général des brevets, des dessins et modèles et des marques supervise le service d’enregistrement des indications géographiques. La procédure d’enregistrement est rigoureuse et exige, par exemple, que l’origine du produit proposé soit prouvée et étayée par des données historiques, ainsi que par une unité et une coordination au niveau local.
Les associations d’artisans et les autorités publiques aident souvent les communautés locales à faire enregistrer les indications géographiques. En ce qui concerne le Bobbili veena, la demande initiale a été déposée par l’intermédiaire de l’Andhra Pradesh Handicrafts Development Corporation (APHDC), qui a estimé que cet instrument était un produit de l’État pouvant bénéficier d’une indication géographique. Plus tard, l’APHDC et l’Andhra Pradesh Technology Development & Promotion Centre ont créé un centre de développement de l’artisanat dans le village et aidé les artisans à commercialiser leurs produits. En 2012, une indication géographique a été accordée au Bobbili veena dans la catégorie des instruments de musique et aux veenas miniatures dans la catégorie de l’artisanat.
L’indication géographique a relancé la réputation de cet instrument, en particulier auprès des jeunes générations. L’Inde a également lancé des initiatives pour mieux en tirer profit : des artisans ont été récompensés pour leur savoir-faire, des jacquiers ont été plantés afin d’améliorer l’approvisionnement en bois de qualité et le Bobbili veena a été ajouté à la liste des produits de l’initiative “un village, un produit”.
Cependant, le succès ne dépend pas uniquement des artisans et des politiques : le public a également un rôle à jouer, en prenant conscience de l’importance des instruments artisanaux durables et en créant une demande à leur égard.
À propos de l’autrice
Neelima Bogadhi est titulaire d’un doctorat de l’Université d’Andhra (Inde), où elle a soutenu une thèse sur le droit indien et les indications géographiques. Elle est rédactrice adjointe du Journal of the Academy of Juridical Studies et du magazine en ligne Bonafide Voices, et membre du corps professoral de la Damodaram Sanjivayya National Law University dans l’État d’Andhra Pradesh. Neelima a remporté la deuxième place du Concours vidéo pour les jeunes de l’OMPI 2023.
Cet article est paru initialement dans l’édition spéciale sur la musique du Magazine de l’OMPI . Le magazine complet peut être téléchargé gratuitement au format PDF.