L’archipel indonésien, qui selon Faune et flore international compte plus de 17 000 îles, est l’un des pays du monde les plus riches en biodiversité. Avec plus de 260 millions d’habitants, l’Indonésie est le quatrième pays le plus peuplé du monde (Worldometers) et l’un des plus grands exportateurs de matières premières telles que le charbon vapeur et l’or (OECD, 2015). Le pays dispose notamment de riches ressources agricoles parmi lesquelles figurent le riz, le café et le cacao (Kopernik, 2016). L’Indonésie comprend plus de 55 millions d’hectares de terres agricoles qui font travailler plus de 40 millions de personnes et fournissent des produits agricoles de base destinés tant à la consommation intérieure qu’à l’exportation (Banque asiatique de développement (ADB), 2015).
Malgré ces ressources, la productivité dans le secteur agricole demeure faible (OECD, 2015), principalement parce que celui-ci est dominé par les petits exploitants agricoles qui assurent plus de 90% des cultures indonésiennes (McKinsey & Company, 2012). Ces agriculteurs font également partie des personnes les plus pauvres du pays : trois Indonésiens sur cinq pratiquent une agriculture de subsistance et ont deux fois plus de chances que les actifs des autres secteurs de vivre sous le seuil de pauvreté (IFAD, 2015). Accroître la productivité des petits exploitants agricoles pourrait les aider à donner de la valeur ajoutée à leurs produits, et ainsi à passer d’une agriculture de subsistance à une agriculture commerciale, ce qui pourrait améliorer leurs conditions de vie (ADB, 2015).
Le manque d’accès aux technologies, aux engrais et à la formation (Jakarta Post, 2017), ainsi que la déforestation (The Economist, 2016) et les problèmes logistiques liés à la topographie du pays (McKinsey & Company, 2012), expliquent pourquoi les petits exploitants agricoles ne sont pas parvenus à échapper à la pauvreté. Une entrepreneuse, Helianti Hilman, a créé une société visant à les aider à tirer parti du système de la propriété intellectuelle pour surmonter ces difficultés.
Des études ont montré que bon nombre de petits exploitants agricoles indonésiens abandonnaient les cultures traditionnelles telles que les céréales et les épices au profit de cultures plus rentables comme l’huile de palme et le caoutchouc (Mongabay, 2016). Selon Mme Hilman, ce changement de paradigme est non seulement néfaste pour l’environnement, car il est l’une des causes de la déforestation, mais il entraîne aussi la disparition de nombreux produits de l’agriculture indonésienne traditionnelle.
Quand, en 2009, Mme Hilman a fondé Javara, une PME établie à Jakarta, elle était bien décidée à diriger une société rentable et à atteindre deux objectifs : tout d’abord, trouver de nouveaux marchés pour les produits de l’agriculture indonésienne traditionnelle comme le riz, l’huile de coco, les sels et épices artisanaux afin de prévenir leur disparition; puis, accroître le revenu des petits exploitants agricoles pour qu’ils puissent faire face à leurs problèmes. “Si nous avons choisi le nom Javara, qui signifie défenseur, c’est parce que nous voulons défendre les produits traditionnels en Indonésie et les petits exploitants agricoles en les aidant à maintenir voire à améliorer leur niveau de vie”, a fait savoir Mme Hilman au cours d’une entrevue avec l’OMPI.
Les partenariats que Javara a noués avec des petits exploitants agricoles indonésiens sont au cœur de son modèle économique. “Nous travaillons avec plus de 50 000 agriculteurs à travers toute l’Indonésie”, a expliqué Mme Hilman. “Ils contribuent à préserver la biodiversité alimentaire de l’Indonésie tandis que Javara contribue au maintien et à l’amélioration de leurs conditions de vie”. D’après Javara, outre un pourcentage sur les ventes négocié avec les agriculteurs et confidentiel, ces derniers bénéficient de certains avantages au titre de leur partenariat avec l’entreprise, au nombre desquels figurent la vente de leurs produits sous une marque reconnue (Javara); une formation aux techniques de l’agriculture durable, ainsi que le nouvel équipement nécessaire pour les mettre en application; et l’utilisation du réseau logistique de Javara, qui les aide à trouver de nouveaux marchés.
La traçabilité des produits est l’un des autres avantages du partenariat. “La force de Javara, c’est de connaître l’origine de ses produits. C’est pour cette raison que nous faisons figurer l’histoire de nos agriculteurs et de nos produits sur les emballages”, a indiqué Mme Hilman. La traçabilité aide certains agriculteurs à créer leur propre marque, en particulier ceux qui possèdent un savoir-faire traditionnel, comme les saliniers des villages de pêcheurs d’Amed à Bali ou les producteurs de noix de cajou de l’île de Florès dans la partie orientale de l’Indonésie. “Beaucoup de nos produits sont commercialisés sous deux marques, ce qui aide les agriculteurs à devenir des entrepreneurs de l’agroalimentaire”, souligne Mme Hilman.
Selon elle, grâce à l’action de Javara, ses partenaires agricoles sont de plus en plus jeunes, ce qui aide à freiner la disparition des agriculteurs et des produits de l’agriculture indonésienne traditionnelle. “Quand j’ai fondé l’entreprise, la majorité de nos partenaires avaient plus de 65 ans. Aujourd’hui, bon nombre d’entre eux ont la vingtaine”, a-t-elle indiqué.
Selon Mme Hilman, les marques et la stratégie de marque jouent un rôle crucial dans la réussite de Javara. “Toute entreprise, qu’elle produise des biens ou fournisse des services, a besoin d’une marque. Cette marque incarne tout à la fois la philosophie de l’entreprise, la qualité de ses produits et son image, ce qui permet aux clients de se reconnaître dans cette marque. C’est pour cela qu’il faut la faire enregistrer”.
Elle est convaincue que, sans marque et sans stratégie de marque, une entreprise aura des difficultés à gagner des parts de marché. “Au début, on vendait tous nos produits en gros à d’autres sociétés qui les commercialisaient ensuite sous leur propre marque. On avait un produit, mais pas de marque, si bien que nos clients ne savaient pas que la qualité et la valeur ajoutée venaient de nous”, a-t-elle expliqué.
À la suite de cette première tentative de production en gros, Javara a revu sa stratégie avec succès et a choisi d’utiliser le nom de l’entreprise comme marque ombrelle pour les produits de ses petits partenaires agricoles. “Sans stratégie de marque et sans marque enregistrée, il est impossible de donner une plus-value aux produits ou d’être compétitif”, souligne Mme Hilman.
Dès 2017, Javara avait deux marques enregistrées en Indonésie : l’une pour company’s name et l’autre pour Javara logo. Comme la plupart des produits Javara sont exportés, l’entreprise espère pouvoir utiliser à plus ou moins longue échéance le système de Madrid. “Je pense que le système de Madrid est très avantageux, car il simplifie les différents processus d’enregistrement d’une marque pour tous les États membres du système de Madrid. Pour une PME comme la nôtre, c’est très pratique, car cela simplifie grandement le processus international d’enregistrement d’une marque.”
Au début, Javara ciblait le marché intérieur avec toute une gamme de produits de l’agriculture indonésienne traditionnelle vendus en gros, allant du sel marin artisanal aux nouilles. Cependant, l’entreprise peinait à devenir rentable en raison de la faiblesse de la demande. “Vendre nos produits en Indonésie était difficile et nos partenaires agricoles commençaient à s’impatienter, parce qu’ils ne voyaient pas de gains pécuniaires”, indique Mme Hilman.
Dès qu’en 2011 Javara a cessé de vendre en gros et a entrepris de développer sa propre marque, de faire enregistrer ses marques et de se concentrer sur l’exportation, l’entreprise a tout de suite constaté une amélioration car la demande est plus forte à l’exportation. “Aujourd’hui, environ 80% de nos produits sont destinés à l’exportation, principalement vers l’Union européenne (UE) et les États-Unis d’Amérique, mais aussi vers le Japon, l’Australie et l’Amérique du Sud”, a déclaré Mme Hilman. En 2016, l’entreprise proposait à la vente plus de 740 références, produites par ses partenaires agricoles, parmi lesquelles plus de 200 bénéficiaient d’une certification bio aux États-Unis d’Amérique, dans l’UE et au Japon.
Se concentrer sur la construction de la marque et cibler les marchés d’exportation a été crucial dans la réussite commerciale de Javara. “Il est incroyable de voir comment les marchés étrangers ont accueilli notre marque”, a déclaré Mme Hilman. “Depuis que nous nous sommes tournés vers l’exportation en 2011, nous avons connu une croissance considérable avec un chiffre d’affaires qui a presque doublé. Cela a également dopé notre croissance en Indonésie où nous avons enregistré un taux de croissance annuel allant jusqu’à 25%”, a-t-elle précisé.
La réussite de Javara est également synonyme de réussite pour ses partenaires agricoles. Au cours d’une entrevue avec l’OMPI, M. Paysan, un partenaire de Javara, a fait part de son expérience. “Javara m’a enseigné de nouvelles techniques agricoles biologiques qui m’ont permis de cultiver des produits à grande valeur ajoutée”, a-t-il expliqué. “Je peux vendre mes produits en sachant que la marque Javara est la garante d’une qualité de haut niveau et qu’elle pénétrera les marchés étrangers. Mes revenus et ceux des autres partenaires agricoles de Javara ont ainsi beaucoup augmenté avec l’amélioration de nos moyens d’existence”, a-t-il indiqué.
L’Indonésie connaît une croissance rapide et devrait, d’après certaines estimations, devenir la septième plus grande économie d’ici à 2030. Le secteur agricole joue un rôle important dans l’économie du pays et n’a de cesse d’évoluer, sa croissance s’accompagnant de nouveaux obstacles à surmonter pour les petits exploitants. Javara est une entreprise qui tient à participer à la préservation des produits agricoles traditionnels et à aider les petits exploitants agricoles à sortir de l’agriculture de subsistance et à relever les nouveaux défis à l’aide de nouveaux outils, notamment du système de la propriété intellectuelle.
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