Jim Parker, Coordonnateur du Réseau international du droit de prêt public (PLR International Network)
Le droit de prêt public (DPP) permet aux auteurs et autres titulaires de droits de toucher une somme versée par l’État en compensation du prêt à titre gratuit de leurs livres par les bibliothèques notamment publiques.
Maureen Duffy, écrivaine et figurant parmi les auteurs qui ont milité pendant 20 ans en faveur de la reconnaissance de ce droit, adopté au Royaume-Uni en 1979, résume le DPP comme suit :
“Avant toute chose, le DPP défend le principe ‘Pas d’utilisation sans rémunération’. C’est le fondement même du concept de “rémunération équitable” qui s’étend également à la photocopie et aux utilisations numériques. Le DPP est fondé sur la Déclaration universelle des droits de l’homme en vertu de laquelle chacun a droit à une rémunération pour l’exploitation de son travail. À ceux qui prétendent que ce droit empiète sur un autre droit universel, l’accès à la connaissance et à la culture, nous répondons que le DPP soutient la création, et d’ailleurs personne ne demande aux enseignants de travailler pour rien!”
À ce jour, 33 pays se sont dotés de systèmes de DPP. Le droit de prêt est reconnu dans le droit européen depuis 1992 et 29 des 33 pays dotés de systèmes de DPP sont en Europe.
Le Danemark a été le premier pays à établir un système de DPP en 1946, avant la Norvège en 1947 et la Suède en 1954. En revanche, l’idée d’un droit de prêt public date en fait de 1919, année où l’Association des auteurs nordiques a adopté une résolution par laquelle elle enjoignait les gouvernements à verser une contrepartie aux auteurs pour le prêt de leurs livres par les bibliothèques.
En dehors de l’Europe, c’est la Nouvelle-Zélande qui a été le premier pays à établir un système de DPP en 1973, devant l’Australie en 1974 et le Canada et Israël en 1986.
Quelque 26 autres pays reconnaissent aux auteurs le droit d’autoriser sous licence le prêt de leurs œuvres, sans toutefois avoir mis en place des systèmes permettant aux auteurs de percevoir une rémunération au titre du DPP. C’est souvent le cas dans les pays où aucune organisation de gestion collective n’est en place pour administrer un système de DPP ou dans lesquels la législation a exonéré le prêt de livres par les bibliothèques publiques – composante essentielle de la plupart des systèmes de droit de prêt public – de toute obligation en la matière.
La Pologne est le dernier pays en date où le système de DPP est entré en vigueur. Une première rémunération a été versée aux auteurs pour le prêt de leurs livres par les bibliothèques publiques en 2016.
C’est en Europe que se trouvent la plupart des systèmes de DPP car la Directive relative au droit de prêt (Directive 2006/115/CE) contraint les États membres de l’Union européenne à octroyer aux auteurs un droit exclusif sur le prêt de leurs ouvrages ou au moins à leur verser une rémunération pour le prêt de leurs ouvrages.
La Directive (adoptée pour la première fois en 1992 et refondue en 2006) octroie aux auteurs et autres titulaires de droits le droit exclusif d’autoriser ou d’interdire le prêt de leurs ouvrages par les bibliothèques. Toutefois, les États membres peuvent déroger au droit exclusif à condition que les titulaires de droits obtiennent une rémunération au titre du prêt de leurs ouvrages. Les États membres doivent inclure les bibliothèques publiques dans leurs systèmes de DPP, mais peuvent exempter certaines catégories de bibliothèques du droit de prêt; ils peuvent également donner la priorité à leurs objectifs culturels nationaux lorsqu’ils établissent des systèmes de DPP.
Mais partout ailleurs, le droit de prêt n’est pas une exigence prévue par la législation internationale sur le droit d’auteur et rien n’oblige les gouvernements à établir des systèmes de DPP. Par conséquent, la couverture géographique du DPP est inégale. Par exemple, il n’existe toujours pas de systèmes de DPP en Afrique, en Amérique du Sud ou en Asie. Les seuls pays en dehors de l’Europe dotés de systèmes de DPP sont l’Australie, le Canada, Israël et la Nouvelle-Zélande.
Mais les choses sont en train de changer. Le Malawi et la Grèce ont récemment introduit une législation relative au DPP et se préparent à mettre en place un système; le Gouvernement de la Région administrative spéciale de Hong Kong est convenu en principe d’introduire le DPP; et le projet de législation relative au droit d’auteur en Turquie prévoyant le DPP attend le feu vert ministériel avant d’être soumis au parlement.
Et enfin, le DPP peut aussi être intégré à une structure de soutien à la promotion de la culture et de la langue nationales. Dans plusieurs pays européens (par exemple au Danemark, en Norvège et en Suède), le DPP est versé uniquement aux auteurs écrivant dans la ou les langues nationales. De même, les systèmes de DPP en Australie et au Canada visent à soutenir les auteurs qui sont ressortissants de ces pays.
En règle générale, le DPP est financé par les collectivités régionales ou par l’État et n’est pas payé directement par les bibliothèques. Dans les rares cas où les bibliothèques financent le DPP sur leur propre budget, par exemple aux Pays-Bas où les bibliothèques publiques fonctionnent comme des entités indépendantes, le DPP est considéré par les bibliothécaires comme une charge légitime car il apporte aux auteurs une rémunération équitable pour l’utilisation gratuite de leurs œuvres par le public.
Il existe deux approches principales. Dans le premier cas, le DPP est géré par une organisation de gestion collective, à l’instar d’autres droits concédés sous licence comme la photocopie. C’est le cas dans des pays tels que l’Allemagne, les Pays-Bas, la Lituanie, la Slovaquie et l’Espagne. Dans le second cas, le DPP est un droit à rémunération régi par une législation spécifique et est administré par l’État, par exemple au Royaume-Uni où le droit est administré par la British Library. Des systèmes de rémunération peuvent aussi être mis en place directement par l’État sans qu’il n’existe aucun fondement juridique, par exemple au Canada, en Israël et à Malte, mais ce dispositif peut les rendre vulnérables.
La plupart du temps, la rémunération au titre du DPP est versée aux auteurs en fonction du nombre d’emprunts de leurs œuvres auprès des bibliothèques. Cette approche fondée sur la rémunération au prêt est appliquée en Allemagne, en Finlande, à Malte, aux Pays-Bas et au Royaume-Uni.
Sinon, un montant peut être versé aux auteurs en fonction du nombre d’exemplaires de leurs livres détenus par les bibliothèques. Cette méthode de comptabilisation est appliquée en Australie, au Canada et au Danemark.
D’autres approches existent, par exemple la rémunération liée aux achats de livres. C’est le système appliqué en France où une partie des fonds du DPP provient du versement d’une somme modique par les éditeurs pour tout ouvrage vendu à une bibliothèque. Pour la partie restante, le financement est assuré par l’État qui reverse une redevance modique par abonné.
Plusieurs pays dotés de systèmes de DPP combinent différentes approches. Par exemple, en Slovénie, les auteurs perçoivent une rémunération pour le prêt de leurs livres, mais les fonds du DPP servent aussi à financer des bourses d’études.
Outre les écrivains, les illustrateurs, les traducteurs, les éditeurs et les photographes (qui peuvent être selon le cas considérés comme auteurs dans différents pays) contribuent à la production d’une œuvre publiée et, à ce titre, remplissent généralement les conditions pour percevoir une rémunération au titre du DPP, et, dans certains pays, la rémunération est partagée entre les éditeurs et les auteurs.
Dans de nombreux pays, le DPP s’applique aussi bien aux livres imprimés qu’à divers supports audiovisuels, y compris les livres audio prêtés par les bibliothèques. Dans ces pays, un groupe élargi de créateurs remplit les conditions pour percevoir une rémunération, notamment les compositeurs, les producteurs et les narrateurs de livres audio.
Partout dans le monde, le prêt de livres numérique représente une part croissante de l’activité des bibliothèques publiques. À la suite d’un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne en 2016 dans l’affaire C-174/15 (Vereniging Openbare Bibiotheken v Stichting Leenrecht), la directive sur le droit de prêt est censée s’appliquer au prêt de livres numériques à raison d’un exemplaire par utilisateur, l’exemplaire ne pouvant être de nouveau prêté que lorsque l’emprunteur précédent n’a plus la possibilité d’avoir accès au livre numérique. Le Royaume-Uni a maintenant étendu son système de DPP au prêt de livres numériques ouvrant droit à rémunération au profit de l’auteur, tout en permettant aux éditeurs de proposer toutes sortes d’options en matière de licences. Un système de rémunération pour les prêts de livres numériques sera aussi mis en place au Danemark cette année. En dehors de l’Europe, le Canada a inclus les prêts de livres numériques dans son système de DPP en 2017.
La rémunération au titre du DPP joue un rôle décisif dans la vie des auteurs.
À un moment où les revenus provenant de l’édition sont partout en baisse, le DPP apporte aux auteurs un soutien financier vital. Par exemple, au Royaume-Uni, 24 000 écrivains, illustrateurs et traducteurs touchent une somme pouvant aller jusqu’à 6600 GBP par an. Pour un grand nombre d’entre eux, en particulier pour les écrivains qui ne figurent pas parmi les auteurs à succès, cela représente leur principale source de revenus.
Avant toute chose, le DPP défend le principe ‘Pas d’utilisation sans rémunération.
Maureen Duffy, romancière et auteur d’œuvres documentaires
Le DPP peut être salvateur pour des écrivains à la réputation établie et retraités ayant publié de très nombreuses œuvres qui continuent d’être prêtées dans les bibliothèques publiques, même quand leurs œuvres sont épuisées.
Les fonds du DPP permettent de rémunérer les auteurs pour le prêt de leurs œuvres par les bibliothèques et sont aussi utilisés pour financer la retraite des auteurs ou des bourses de voyage et d’études. Dans certains pays, la rémunération peut aussi être versée à la famille de l’auteur, à titre posthume, pendant 70 ans maximum.
Le DPP ne se limite pas au prêt d’ouvrages d’auteurs par les bibliothèques publiques. En Australie, par exemple, l’Educational Lending Right (droit de prêt éducatif) prévoit le versement d’un montant aux auteurs pour les prêts de livres par les bibliothèques scolaires, et ce dispositif est très apprécié par les auteurs pour enfants. En Allemagne, les bibliothèques des établissements d’enseignement supérieur sont incluses dans le DPP.
Le DPP a d’autres retombées pour les auteurs. Par exemple, au Royaume-Uni, les auteurs considèrent que les données sur les prêts de leurs ouvrages en bibliothèque, lesquelles leur sont transmises par le Bureau du DPP, sont un réel facteur de motivation, en particulier quand les prêts concernent des livres plus anciens qui ne sont plus disponibles en librairie. “Le DPP représente plus que de l’argent, même si bien sûr celui-ci est le bienvenu. Recevoir mon chèque tous les ans me rappelle que des personnes veulent lire mes livres plutôt que simplement les posséder”, note l’auteur Tracy Chevalier.
Le Réseau international du DPP regroupe des pays ayant mis en place un système de DPP afin de faciliter l’échange de bonnes pratiques et d’offrir conseils et assistance technique aux pays désireux d’établir leurs propres systèmes de DPP.
Un guide d’introduction au DPP, des lignes directrices sur les meilleures pratiques en matière de DPP et sur la façon dont le DPP est géré dans chaque pays sont disponibles sur le site Web du PLR International Network à l’adresse suivante : www.plrinternational.com.
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