Eco-Patent Commons : pour un partage de brevets écoresponsables
par Jo Bowman
Bien que cela puisse sembler paradoxal, de grandes entreprises partagent avec des concurrents leurs technologies respectueuses de l’environnement afin de démontrer leur conscience environnementale. La journaliste Jo Bowman examine ici de plus près la plateforme Eco-Patent Commons évoquée dans l’article d’Antony Taubman paru dans le numéro spécial 2/2009 du Magazine de l’OMPI sous le titre “Partager les technologies pour relever un défi commun”.
S’inspirer d’un exemple plus que centenaire pour écologiser la production moderne… il y a là de quoi surprendre. C’est pourtant sur un système de partage de brevets similaire à celui qui permit de libérer l’industrie de la machine à coudre dans les années 1850 qu’est aujourd’hui fondée l’écologisation de la production moderne.
Un groupe d’entreprises comptant parmi les plus importantes de la planète - IBM, Nokia, Sony et Pitney Bowes - a en effet créé sous le nom de Eco-Patent Commons une plateforme qui permet un partage de connaissances avantageux à la fois pour les membres et pour la société. L’idée repose sur la mise en commun de brevets potentiellement bénéfiques pour l’environnement, auxquels toutes les entreprises participantes ont accès gratuitement, de même que les sociétés extérieures et le public. Les technologies concernées, qui peuvent être axées, par exemple, sur l’économie d’énergie, la prévention de la pollution, le recyclage ou la conservation de l’eau, peuvent ainsi faire l’objet d’une application plus large.
Conduite par le Conseil économique mondial pour le développement durable, dont le siège est à Genève, cette initiative est née d’une idée d’IBM, la société qui détient le plus grand nombre de brevets au monde.
Plus comme avant
Wayne Balta, vice-président chargé des affaires environnementales et de la sécurité des produits chez IBM, explique qu’au terme d’une étude interne d’un an consacrée aux questions d’énergie et d’innovation, la société a découvert que de nombreuses entreprises sont titulaires, parfois sans même s’en rendre compte - et, à plus forte raison, sans que personne d’autre s’en rende compte - de droits de propriété intellectuelle sur des technologies qui pourraient non seulement être utiles à d’autres sociétés, mais aussi contribuer au développement de l’innovation. IBM a donc cherché d’autres entreprises ayant également un programme d’action environnementale ainsi qu’un esprit ouvert en matière de propriété intellectuelle et soumis avec elles au WBCSD l’idée d’une plateforme de partage de brevets écologiques. En janvier 2008, le projet voyait le jour, avec une dotation initiale de 31 brevets.
Si le don de technologies mises au point à grands frais peut sembler contraire à l’esprit de compétition qui anime toute entreprise, la décision de contribuer à cette plateforme, dit M. Balta, n’est pas exclusivement philanthropique. “Elle fait partie de ces choses qui sont si différentes qu’on ne sait pas très bien, quand on les crée, si elles vont amener un avantage commercial spécifique et quantifiable.”
“Nous pourrions simplement continuer à être titulaires de ces brevets, et tout resterait comme avant, explique M. Balta. Mais nous pouvons aussi examiner notre portefeuille de brevets et en isoler quelques-uns que nous aurons beau défendre par les méthodes traditionnelles, ils ne seront pas particulièrement rentables. Si nous les divulguons, quelqu’un pourrait avoir une idée à laquelle personne n’a jamais pensé. Certains de ces brevets, par exemple, portent sur l’accélération du nettoyage des contaminants de l’environnement; il y a d’autres entreprises à qui cela pourrait servir.”
“Nous savons que si nous ne le faisons pas, tout restera comme avant, mais nous savons aussi que quand les choses restent comme avant, il ne se passe rien.”
Facilité d’accès
Les participants de l’Eco-Patent Commons sont notamment la compagnie chimique DuPont, Ricoh, la société de génie et de construction Tasei Corporation, Xerox et Bosch. Près de 100 brevets ont été fournis jusqu’à présent à la communauté, dans des domaines tels que l’élimination des contaminants liquides de la nappe phréatique ou le recyclage des disques optiques.
Donal O’Connell représente au sein du groupe la société Nokia, qui a apporté un brevet pour un système de recyclage de téléphones mobiles. Selon lui, la participation à cette initiative comporte aussi d’autres avantages, plus subtils que celui de pouvoir s’inspirer directement de la technologie d’autrui. Elle a mené à des échanges entre des personnes et des entreprises qui ont la même manière de penser, explique-t-il, et ainsi à la création d’un réseau d’experts dont les précieuses compétences permettent de donner une meilleure visibilité et une plus grande priorité aux questions environnementales. Les ingénieurs en téléphonie de Nokia étudient par exemple les brevets de Bosch dans le domaine de l’automobile afin de déterminer s’ils comportent des avantages environnementaux susceptibles d’avoir des applications plus larges.
Comme le précise M. O’Connell, l’une des considérations essentielles, lors de la création de la plateforme, était d’assurer un accès facile aux brevets qui y sont rassemblés. Il en résulte qu’aucune inscription n’est nécessaire pour les utiliser, que l’on soit une entreprise ou un particulier. “Nous voulions quelque chose qui s’administre aisément et qui permette aux utilisateurs de voir facilement ce qui est disponible. Le plus important pour nous, ajoute-t-il, c’était de simplifier le plus possible de la tâche aux utilisateurs.”
Tout le monde ensemble
La pratique du partage de technologies brevetées ne constitue pas en elle-même un phénomène nouveau, pas plus d’ailleurs que les systèmes communs de concession de licences. L’un des premiers exemples date du début des années 1850. Un certain nombre de fabricants de machines à coudre se poursuivaient alors mutuellement en contrefaçon depuis des années. Pour sortir de l’impasse, quatre des principaux producteurs, dont la société Singer, décidèrent de fonder la Sewing Machine Combination et d’y mettre leurs brevets en commun. Les fabricants extérieurs à cet accord durent alors prendre une licence et payer une redevance pour chaque machine à coudre qu’ils produisaient et dans laquelle entrait un élément de la technologie ainsi brevetée.
La première partie du XXe siècle vit aussi la formation d’une communauté de brevets à laquelle participait la quasi-totalité des constructeurs américains d’avions. Cet accord mettait fin, à l’approche de la guerre, à une situation qui limitait la production, les brevets les plus importants dans ce domaine étant alors concentrés entre les mains de deux titulaires. La coopération entre sociétés de technologie est un fait courant. Les fabricants de postes de radio se sont mis d’accord, par exemple, dans les années 1920, pour standardiser les pièces de leurs appareils, les fréquences d’émission et les normes de télédiffusion. Les compagnies d’électronique ont également passé un accord de partage de redevances aux termes duquel elles utilisent une même technologie de compression afin d’assurer la normalisation des disques compacts et DVD.
M’accorderez-vous cette danse?
Selon Maria Mendiluce, directrice de l’énergie du WBCSD, la plateforme Eco-Patent Commons est la seule dans le monde à rassembler des entreprises de secteurs très divers autour d’un objectif purement environnemental. Elle fournit à ces dernières un forum où celles qui ont déjà eu à répondre à certains défis dans ce domaine peuvent faire bénéficier les autres de leur expérience.
Mme Mendiluce précise toutefois qu’il faut s’attendre à ce que les résultats de cette initiative se manifestent sur le long terme plutôt que par une révolution soudaine dans l’industrie - et cela malgré un démarrage fulgurant, puisque à la parution du présent article, les 31 brevets initialement rassemblés étaient passés à 95. “Il ne faut pas penser que la technologie va changer radicalement le monde à cause de cette initiative, dit-elle, mais il y a beaucoup de place pour le partage d’informations et de connaissances dans des secteurs utiles en matière de changement climatique”.
“Un grand nombre de sociétés ne sont pas du tout ouvertes pour l’instant à cet égard, mais nous pensons que les droits de propriété intellectuelle ne sont pas un obstacle à l’innovation et peuvent, en fait, la favoriser. La question du changement climatique est suffisamment importante pour que nous y concentrions toute notre attention”.
Ce n’est probablement pas un hasard que les premiers participants à la plateforme soient pour la plupart des entreprises de technologie, note M. Balta. “ Nous avons appris entre autres que la recherche de brevets comme source d’innovation n’est pas exactement une pratique courante dans l’industrie, dit-il. Je pense que le secteur technologique a été beaucoup plus adroit, entreprenant même, que les autres en ce qui concerne les droits de brevets. Alors nous trouvons des sociétés axées sur l’innovation, qui partagent la même optique, et nous dansons avec de nouvelles partenaires.”
Conseil économique mondial pour le développement durable (WBCSD) |
---|
|
Le Magazine de l’OMPI vise à faciliter la compréhension de la propriété intellectuelle et de l’action de l’OMPI parmi le grand public et n’est pas un document officiel de l’OMPI. Les désignations employées et la présentation des données qui figurent dans cette publication n’impliquent de la part de l’OMPI aucune prise de position quant au statut juridique des pays, territoires ou zones concernés ou de leurs autorités, ni quant au tracé de leurs frontières ou limites territoriales. Les opinions exprimées dans cette publication ne reflètent pas nécessairement celles des États membres ou du Secrétariat de l’OMPI. La mention d’entreprises particulières ou de produits de certains fabricants n’implique pas que l’OMPI les approuve ou les recommande de préférence à d’autres entreprises ou produits analogues qui ne sont pas mentionnés.