Les prestations des acteurs, des chanteurs, des musiciens et des danseurs font partie intégrante du processus créatif de représentation publique. Depuis les tout premiers enregistrements sonores et visuels de ces prestations, il est admis que les artistes devraient jouir de certains droits sur ces enregistrements et être associés au partage des recettes découlant de leur exploitation commerciale.
Néanmoins, la première reconnaissance internationale de ces droits dits “voisins” (connexes au droit d’auteur) n’est intervenue qu’avec l’adoption de la Convention de Rome, en 1961. Ce traité conférait aux artistes interprètes et exécutants d’œuvres audiovisuelles telles que films, vidéos et créations télévisuelles, des droits contre la diffusion ou l’enregistrement non autorisé de leurs interprétations et exécutions. Mais, contrairement aux artistes dont les prestations étaient fixées dans des enregistrements exclusivement sonores (CD, fichiers MP3, etc.), dès lors que les artistes interprètes ou exécutants de l’audiovisuel avaient consenti à l’enregistrement initial de leur prestation, ils ne jouissaient d’aucun droit sur son utilisation.
Depuis que le premier acteur a retiré son masque … les acteurs qui lui ont succédé n’ont plus été considérés comme de simples instruments ou des marionnettes et sont entrés dans le temple de Thalie en tant que créateurs à part entière.
Javier Bardem, acteur (Espagne), parlant à l’OMPI en juillet 2011
Avec l’avènement de l’Internet et des technologies numériques sophistiquées, les possibilités de copie et de manipulation numérique, autorisées ou non, se sont considérablement élargies, et l’industrie a acquis une envergure mondiale. Hollywood tire désormais la moitié de ses recettes de l’étranger et Bollywood, un cinquième. En 1996, l’OMPI a adopté un nouveau traité sur le droit d’auteur adapté à l’ère de l’Internet (Traité de l’OMPI sur le droit d’auteur, WCT), ainsi qu’un traité sur les interprétations et exécutions musicales et les enregistrements sonores (Traité de l’OMPI sur les interprétations et exécutions et les phonogrammes, WPPT). Mais les membres de l’OMPI ne sont pas parvenus à s’entendre à l’époque sur un traité similaire pour les artistes interprètes ou exécutants de l’audiovisuel, et une deuxième tentative en 2000 s’est également soldée par un échec.
Si un certain nombre de pays sont dotés d’une législation nationale octroyant certains droits aux artistes interprètes et exécutants sur les œuvres audiovisuelles, y compris un droit à rémunération lorsque ces œuvres sont copiées, distribuées ou diffusées, il n’existe pas de traité international leur conférant un droit de regard sur les modalités d’utilisation de leurs prestations à l’étranger, ni de droit à rémunération.
En conséquence :
- Un musicien qui enregistre un CD contenant uniquement des œuvres sonores peut percevoir une rémunération dès lors que ce CD est vendu ou diffusé dans un pays qui est partie au Traité de l’OMPI sur les phonogrammes, alors que la même interprétation incorporée dans une vidéo musicale ne donne pas droit à cette rémunération.
- Un acteur jouant dans un film ou une série télévisée vendu à l’étranger n’a aucun droit à rémunération pour les diffusions ou les ventes de DVD à l’étranger. Toute redevance d’utilisation du film ou de la série télévisée susceptible d’être acquittée en vertu de la législation nationale revient souvent intégralement au producteur.
- Dès lors que l’autorisation de filmer une interprétation ou exécution a été donnée, les acteurs n’ont, dans la plupart des pays, aucune maîtrise sur les modalités d’utilisation de cette interprétation. En particulier, ils ne pourront pas faire valoir le “droit moral” en vertu duquel il doivent être mentionnés en tant qu’interprètes et l’intégrité de leur interprétation doit être préservée. Les technologies numériques facilitent la manipulation d’images vidéo de manières qui peuvent parfois nuire à la réputation d’un acteur. Les acteurs qui exécutent les “gestes” des personnages créés par ordinateur au moyen des technologies de capture de mouvements (qui sont utilisées, par exemple, dans Les aventures de Tintin (2011) de Steven Spielberg) n’ont aussi généralement aucun droit de regard sur l’utilisation de leur travail.
En 1996 et en 2000, les négociations avaient achoppé sur une opposition entre les États Unis d’Amérique et l’Union européenne concernant la cession des droits. Dans les productions audiovisuelles, la cession des droits des artistes aux producteurs est essentielle afin que ces derniers puissent négocier des contrats avec des chaînes de cinémas, des radiodiffuseurs, des vendeurs de DVD, etc., sans avoir à obtenir individuellement l’autorisation de chaque interprète ou exécutant. Une œuvre cinématographique, par exemple, peut faire appel à des dizaines d’acteurs, outre des scénaristes et des photographes qui jouissent aussi de droits sur leur contribution. Bien que la nécessité de céder les droits ne soit pas contestée, les systèmes varient selon les pays. Aux États Unis d’Amérique, les droits des artistes interprètes et exécutants sont cédés automatiquement aux producteurs, alors que la rémunération des acteurs est négociée par un puissant syndicat, la Screen Actors Guild. En Europe, la pratique varie. Dans certains pays européens, la cession est automatique, alors que dans d’autres elle est réputée être tacite sauf accord contraire. Dans d’autres pays comme le Royaume Uni, ces questions ne sont pas régies par la législation mais réglées par contrat entre l’artiste et le producteur. En outre, même après cession des droits d’autorisation, les artistes interprètes et exécutants conservent dans certains pays le droit moral d’être mentionnés en tant que tels et de s’opposer à toute déformation ou toute autre atteinte à leurs interprétations ou exécutions.
Bien que 19 des 20 articles du projet de traité audiovisuel aient fait l’objet d’un accord provisoire en 2000, l’article 12 sur la cession des droits n’a pas pu être adopté parce que les États Unis d’Amérique souhaitaient préserver le fonctionnement de leur système automatique dans le droit international, alors que l’Union européenne était opposée à cette automaticité. Toutefois, en juin 2011, les négociations au sein du Comité permanent du droit d’auteur et des droits connexes de l’OMPI ont abouti à un texte de compromis permettant aux pays de conserver leur propre système de cession des droits. Le nouveau projet d’article leur donne la faculté d’exiger le transfert des droits d’autorisation aux producteurs sauf contrat stipulant le contraire; il permet également l’existence d’autres arrangements conférant aux artistes interprètes ou exécutants un droit à rémunération sur leurs prestations. Cette disposition permettrait aux producteurs percevant des redevances pour l’exploitation d’œuvres audiovisuelles à l’étranger de les partager avec les artistes interprètes ou exécutants conformément aux arrangements prévus par la législation nationale applicable.
En septembre 2011, l’Assemblée générale de l’OMPI a décidé de convoquer en 2012 une conférence diplomatique pour adopter le projet de traité sur la protection des interprétations et exécutions audiovisuelles. S’il est adopté, ce traité étendra les droits des artistes interprètes et exécutants contre l’utilisation non autorisée de leurs prestations audiovisuelles aux films et aux vidéos accessibles sur l’Internet, sur le modèle du WPPT de 1996. Conformément à l’Accord sur les droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (Accord sur les ADPIC) de l’Organisation mondiale du commerce, il portera la durée minimale de la protection à 50 ans, contre 20 comme le prévoit actuellement la Convention de Rome. Et dès lors qu’un DVD sera reproduit, vendu, loué ou diffusé dans un autre pays, le traité fera en sorte qu’une partie des recettes correspondantes revienne au pays d’origine, où elles pourront être partagées avec les artistes interprètes et exécutants. Le traité conférera également aux artistes le droit moral d’exiger que leur nom soit mentionné ou de s’opposer à toute déformation de leur interprétation ou exécution.
Le traité renforcera les droits patrimoniaux et assurera à de nombreux acteurs et autres artistes interprètes ou exécutants, notamment dans les pays en développement, une précieuse source de revenus supplémentaires. La part qui leur reviendra dépendra de la manière dont le traité est transposé dans la législation nationale et mis en œuvre dans la pratique. Mais il existera pour la première fois une obligation juridique pour les pays partie au nouveau traité de verser une redevance pour l’utilisation des interprétations et exécutions audiovisuelles étrangères et une présomption selon laquelle une partie ou la totalité de ces recettes reviendra aux artistes interprètes ou exécutants qui, dans leur grande majorité, gagnent très peu.
Liens
- Javier Bardem sur les droits des acteurs Vidéo | Déclaration