D’un modèle linéaire à un modèle circulaire
En 2023, l’industrie de la mode
La production de vêtements et de textiles implique de nombreux processus de transformation des matières premières en produits finis, qui sont à l’origine d’une part importante de la pollution industrielle et des dommages environnementaux (Niinimäki et al., 2020). La fabrication de textiles et de vêtements représente :
environ 2% (plus d’un milliard de tonnes métriques) des émissions mondiales de carbone (Sadowski et al., 2021);
20% de toute la pollution industrielle de l’eau (Fondation Ellen MacArthur, 2017);
près de 5% des pesticides mondiaux et 10% des insecticides utilisés pour la culture du coton (Comité consultatif international du coton, 2019);
jusqu’à 35% (entre 200 000 et 500 000 tonnes) des microplastiques qui se retrouvent chaque année dans les milieux marins (Agence européenne pour l’environnement, 2021);
l’utilisation d’environ 79 000 milliards de litres d’eau;
plus de 92 millions de tonnes de déchets textiles par an (Niinimäki et al., 2020).
On estime que d’ici à 2050, l’industrie de la mode pourrait représenter plus d’un quart du budget carbone mondial (Fondation Ellen MacArthur, 2018)
Un enjeu crucial du secteur de la mode est la trajectoire de croissance de l’industrie, qui se caractérise par la prolifération et la domination de la mode éphémère. Ce terme désigne la fabrication bon marché d’articles tendance à prix modique qui encouragent les consommateurs à acheter fréquemment de nouveaux articles. La mode éphémère aggrave l’impact environnemental du secteur en raison de l’augmentation du volume de production et de la durée d’utilisation plus courte des articles produits avant leur mise au rebut. En outre, les articles de mode éphémère contiennent souvent un mélange de matériaux synthétiques, le plus souvent du polyester, qui contribuent à la consommation de combustibles fossiles, à la pollution de l’environnement et aux déchets textiles, en plus d’être plus difficiles à recycler (Changing Markets Foundation, 2021). En réalité, très peu de vêtements sont recyclés, ce qui démontre clairement que la chaîne d’approvisionnement de la mode est linéaire et non circulaire. En 2016, un rapport produit par McKinsey estimait que la production mondiale avait dépassé les 100 milliards de vêtements par an en 2014, mais aucune statistique vérifiable n’a été publiée depuis. Cependant, comme la production mondiale de fibres a doublé entre 2000 et 2022, passant de 58 millions à 116 millions de tonnes (Textile Exchange, 2023), dont la plupart sont destinées à l’habillement (Niinimäki et al., 2020), on peut en déduire que le nombre annuel de vêtements produits a depuis dépassé les 100 milliards. La nécessité de ralentir la production tout en utilisant plus efficacement les matériaux et les produits existants constitue un changement fondamental dans le système de la mode. Ces questions montrent bien qu’il est impératif que les décideurs légifèrent pour rendre l’industrie de la mode plus durable, et que cette dernière prenne ses responsabilités environnementales et évolue vers un modèle économique plus circulaire et durable.
Objet
Cette publication se concentre sur des points essentiels de la chaîne de valeur, à savoir l’agriculture/l’extraction, la fabrication de textiles et de vêtements, le transport et la fin de vie et n’est en aucun cas un recueil exhaustif de toutes les technologies durables du secteur de la mode disponibles. Contrairement à une évaluation du cycle de vie, elle ne s’intéresse pas à la phase d’utilisation par le consommateur. Si le terme de “durabilité” s’entend généralement de divers aspects sociaux, environnementaux et économiques, les technologies présentées dans ce rapport répondent principalement aux défis environnementaux. Si le présent rapport ne porte pas sur la responsabilité sociale ou sur les technologies qui ont essentiellement des répercussions sur les travailleurs et les moyens de subsistance, la réduction de la pollution et des émissions de carbone ou le soutien apporté à la préservation des ressources et à la biodiversité présentent des avantages connexes pour les travailleurs et les communautés, tels que la santé, la résistance aux maladies, la sécurité alimentaire et nutritionnelle.
Méthodologie
Le présent rapport examine diverses technologies durables conçues pour réduire l’impact environnemental de la mode. Dans un premier temps, il est procédé à l’identification des principaux domaines ayant un impact environnemental dans la chaîne d’approvisionnement de la mode en ce qui concerne l’utilisation de l’eau, les apports en produits chimiques, la consommation d’énergie et la production de déchets. Vient ensuite une description de certaines des technologies en cours de mise au point ou déjà déployées, susceptibles d’atténuer les divers effets environnementaux de la chaîne de valeur de la mode depuis la culture ou l’extraction des fibres jusqu’à la fin de vie des produits. Le rapport met également en lumière, le cas échéant, le rôle que joue la propriété intellectuelle dans la création d’innovation en matière de technologies vertes. Il souligne en tout état de cause l’importance fondamentale de la propriété intellectuelle dans la mise au point des technologies vertes.
Il a été procédé à un examen systématique des publications sur l’industrie de la mode et les technologies vertes, de la littérature universitaire et des prix et concours en matière de technologies liées à la mode et à la mode durable de 2014 à 2023. Ce rapport a pour objet d’aider les parties prenantes à comprendre le paysage et l’état de la technique dans le domaine des technologies durables liées à la mode, d’analyser les tendances et les défis et de recenser les possibilités au sein des domaines à plus fort impact pour les technologies et l’innovation.
La littérature universitaire a fourni un aperçu des domaines thématiques et des orientations en matière de recherches, mais peu de technologies identifiables qui pourraient être ou qui sont actuellement déployées dans le secteur de la mode. En conséquence, c’est l’attention particulière accordée aux jeunes entreprises et à l’activité entrepreneuriale dans les publications du secteur, aux concours, aux accélérateurs et aux salons commerciaux qui ont permis l’identification de la plupart des technologies présentées dans cet échantillon. Bien qu’elles ne soient pas exhaustives, ces sources offrent un vaste et riche aperçu de l’étendue des solutions actuelles et potentielles.
Les critères de sélection des technologies qui font partie de cette recherche étaient les suivants :
pertinence pour une mode durable et pour l’industrie du textile;
impact environnemental réduit;
durabilité et recyclabilité;
biodégradabilité;
efficience en termes de matériaux et d’énergie.
Plus de 200 technologies pour une mode durable ont été recensées et cartographiées pour cinq étapes clés de la production décrites dans le tableau ci-après. Dans le présent rapport, le lecteur trouvera une sélection de 34 technologies et pratiques innovantes. La liste complète des 200 technologies identifiées comme pertinentes pour des textiles durables figure dans une collection dédiée de la base de données WIPO GREEN. Ces technologies vont des substituts au polyester à base d’algues à l’utilisation de la technologie de la chaîne de blocs pour informer sur la durabilité environnementale. La plupart des technologies sont axées sur l’innovation dans le domaine des matières premières et des procédés de production textile, où l’impact environnemental est le plus important. Les données relatives à l’augmentation des niveaux d’investissement des grandes enseignes mondiales, des investisseurs à impact et des détaillants dans les jeunes entreprises innovantes durables sont encourageantes pour le déploiement à grande échelle de ces technologies.
Cette étude vise principalement à mettre en lumière les technologies innovantes qui offrent des solutions plus durables que le statu quo décrit dans l’introduction et qui présentent un potentiel de déploiement à grande échelle et de commercialisation. Les technologies de pointe jouent un rôle clé, mais le fait de miser uniquement sur la commercialisation et l’adoption généralisée des nouvelles technologies pourrait faire passer à côté d’opportunités. Dans de nombreuses régions du monde, nombre de technologies sont inabordables et difficiles d’accès. Par conséquent, des techniques et des pratiques durables fondées sur des savoirs traditionnels, des solutions basées sur la nature et l’adaptation créative de solutions existantes pour relever les défis uniques que rencontrent divers secteurs et régions sont nécessaires afin de faciliter l’adoption de ces technologies (OMPI, 2023) et d’éviter de passer à côté d’opportunités. Les sections suivantes décrivent les types de technologies qui ont émergé dans les étapes clés de la production, accompagnés d’exemples de technologies prometteuses qui visent à répondre aux défis suivants :
les émissions de gaz à effet de serre;
la demande de matières premières et les déchets textiles;
la consommation d’eau;
la consommation d’énergie;
les dangers liés aux produits chimiques;
les émissions de gaz liées au transport dans les chaînes d’approvisionnement.
Le terme “innovation” – utilisé dans les sections intitulées “Exemple d’innovation” – couvre toute créativité intellectuelle susceptible d’aboutir à une solution. La technologie s’entend de toute entité physique ou technique, accompagnée ou non de matériel supplémentaire, déployée pour résoudre un défi particulier (OMPI, 2023).
Bien que la figure 1 distingue les étapes de la culture agricole ou de l’extraction des fibres et de la fabrication textile, les technologies identifiées dans ces domaines concernent souvent ces deux étapes. Les innovations dans les étapes de la culture agricole/l’extraction des fibres et de la fabrication textile portent essentiellement sur des matériaux novateurs. Il existe donc un chevauchement entre les technologies qui proposent des solutions de rechange aux pratiques actuelles d’extraction des fibres synthétiques et de culture du coton et celles qui se concentrent sur la fabrication textile. Certaines entreprises travaillent à la fois dans la production de fibres et dans la fabrication de fils ou de textiles. Il existe également un certain chevauchement entre la culture agricole/l’extraction des fibres/la fabrication textile et la fin de vie, où les technologies offrent des solutions à l’utilisation de ressources vierges en régénérant les déchets textiles pré ou post-consommation en nouvelles fibres ou matériaux. Dans un souci de clarté dans la structure de ce rapport, l’examen des technologies relevant des étapes de la culture et de l’extraction sera combiné, et les possibilités de transformation de textile à textile seront présentées dans l’étape de fin de vie.