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Au fil des ans, certains personnages griffonnés à l’origine au coin d’un carnet sont devenus des héros adulés de générations entières. Les Avengers, Captain America, la Veuve noire et Hulk se sont même développés en dehors du monde de la bande dessinée et sont devenus des franchises très populaires déclinées dans des films et jeux vidéo générant des recettes colossales.
Si ces personnages, de même que leurs histoires, sont protégés par le droit d’auteur pour préserver le travail de leurs créateurs, bien souvent, ils sont aussi protégés par une marque dans le cadre d’une stratégie commerciale et publicitaire. Dans ce cas, on peut considérer que les droits de propriété intellectuelle "se chevauchent".
Nos travaux de recherche mettent en lumière la manière dont le chevauchement des droits influe sur l’adaptation créative des personnages de bande dessinée ainsi que ses incidences sur la génération de recettes.
L’octroi de droits de marque supplémentaires favorise-t-il ou limite-t-il le franchisage de personnages de bande dessinée sur d’autres supports? Quels effets le chevauchement des droits a-t-il sur les recettes pouvant être tirées de la concession de de franchises? Qu’est-ce que cela signifie du point de vue des politiques juridiques?
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Comme le droit d’auteur et le droit des marques diffèrent tant pour ce qui est de leur objet que de leur fonction, nous pourrions imaginer deux cas de figure dans lesquels les droits sur les personnages de bande dessinée se chevauchent, avec des effets opposés.
D’un côté, la nécessité de négocier de nombreux droits et de nombreuses licences sur les personnages d’un ou de plusieurs titulaires de droits entraîne une augmentation des coûts pour les producteurs de films et de jeux vidéo. Le coût de ces opérations pourrait constituer un obstacle et les personnages protégés par une marque pourraient de ce fait être moins souvent franchisés que les personnages protégés uniquement par le droit d’auteur.
D’un autre côté, il est possible grâce aux marques de créer une forte image de marque autour d’un personnage de bande dessinée, d’accroître la valeur commerciale de ce personnage et d’aider les consommateurs à s’assurer de l’authenticité des produits. Dans la mesure où l’enregistrement d’une marque permet aux titulaires de promouvoir leurs personnages et d’obtenir un meilleur retour sur leurs investissements liés à la publicité, il peut aussi les encourager à concéder davantage de franchises médiatiques.
Dans la pratique, de quelle manière le chevauchement des droits influe-t-il sur l’utilisation de personnages de bande dessinée dans le cadre de franchises médiatiques? Les personnages protégés par une marque sont-ils franchisés plus ou moins souvent?
Pour répondre à cette question, il convient de prendre en considération à la fois le nombre de franchises médiatiques concédées et les recettes totales que ces franchises génèrent. Même si un personnage de bande dessinée apparaît dans un nombre de films ou de jeux vidéo moins important, il se peut que ces franchises génèrent de plus fortes ventes. Ce pourrait être le cas, par exemple, si les producteurs de franchises décidaient de fixer des prix plus élevés lorsque les spectateurs et les joueurs ont moins de choix pour trouver leurs personnages préférés.
Dans quelle mesure ces franchises médiatiques sont-elles rentables en salle et ailleurs? Les personnages de bande dessinée protégés par certains droits génèrent-ils habituellement des recettes plus élevées?
À partir des nombreuses informations issues des bases de données collaboratives Grand Comics et TM Link, nous avons passé en revue près de 2000 personnages de bande dessinée protégés par le droit d’auteur au cours des 40 dernières années. Nous avons cherché à savoir si l’enregistrement de droits de marque supplémentaires sur ces personnages aux États-Unis d’Amérique favorisait ou entravait la concession de franchises médiatiques.
Nous avons constaté que les effets de l’enregistrement d’une marque en plus de la protection par le droit d’auteur diffèrent selon le type de franchise. En effet, si le nombre de franchises cinématographiques augmente après l’enregistrement d’une marque, ce n’est pas le cas pour les franchises de jeux vidéo.
L’enregistrement d’une marque entraîne une augmentation du nombre de franchises cinématographiques pour le même personnage pouvant aller jusqu’à 15% par an.
Cette augmentation tient probablement au fait que la protection de la marque permet une meilleure valorisation de l’image de marque et des produits dérivés, en plus d’un accroissement de la popularité des personnages des franchises. Ces droits supplémentaires peuvent également ouvrir de nouvelles possibilités de financement, car ils peuvent parfois être utilisés pour appuyer les investissements dans de nouvelles franchises cinématographiques.
Dans le cas des jeux vidéo, cependant, le chevauchement des droits freine le franchisage de certains personnages de bande dessinée et réduit la diversité des personnages qui apparaissent dans les jeux vidéo. Cela pourrait être dû à l’augmentation des coûts de licence et de transaction, notamment si la concession de licences de droit d’auteur ou de marque constitue une part plus importante du coût total de production par rapport aux films.
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Batman
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Dracula
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Spider Man
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Darth Vader
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Mickey
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Médusa
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Donald
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Superman
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#9
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Fauve
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Iron Man
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Léonard
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Bob l’éponge
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Thor
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Dingo
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Cyclope
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Angel
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#17
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Captain America
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#18
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Veuve noire
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#19
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Wolverine
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#20
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Luke Skywalker
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#21
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Arès
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#22
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Daffy
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#23
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Loki
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#24
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Boba Fett
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Han Solo
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#26
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Obi Wan Kenobi
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Bugs Bunny
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Minnie
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Aquaman
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Léviathan
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Magnéto
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Yoda
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Aladdin
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Chewbacca
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Taz
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Panthère noire
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Hulk Hogan
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#38
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Wonder Woman
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Garfield
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Colossus
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Nos recherches montrent que, si l’enregistrement d’une marque se traduit par un accroissement du nombre de franchises dans l’industrie du film, il entraîne une augmentation des ventes et de la notoriété de la marque dans l’industrie des jeux vidéo.
D’après nos projections, les recettes augmentent en moyenne de 75% à la suite de l’enregistrement de la marque sur un personnage dans l’industrie des jeux vidéo.
En se basant sur cette projection, si l’on considère qu’une franchise de jeu vidéo génère des ventes d’environ 2,45 millions de dollars É.-U. sur les marchés d’Amérique du Nord, l’enregistrement d’une marque pourrait faire grimper ce chiffre à environ 4,31 millions de dollars É.-U.
Bien que cette corrélation entre l’enregistrement d’une marque et l’augmentation des ventes soit réelle, on pourrait faire valoir que seuls les personnages les plus populaires et qui génèrent le plus de recettes sont protégés par une marque. Nous avons tenu compte de cette possibilité et avons pu confirmer que les franchises de jeux vidéo génèrent plus de recettes lorsqu’elles sont enregistrées en tant que marque, que le personnage soit connu ou non.
Sous l’angle du droit d’auteur et des marques, le chevauchement des droits peut présenter des avantages économiques concrets pour certains types de franchises créées autour de personnages de bande dessinée.
Le droit d’auteur permet de protéger les intérêts économiques des créateurs et des éditeurs, tandis que le droit des marques permet d’une part aux consommateurs de s’assurer de l’authenticité des produits, et d’autre part aux franchises de créer une image de marque populaire autour de leurs créations originales. De ce point de vue économique, l’accès à ces deux types de droits peut être propice au bon fonctionnement des marchés.
D’un point de vue juridique, toutefois, il se peut que des "conflits" surgissent entre des ensembles de règles manquant de cohérence et d’harmonisation découlant des systèmes du droit d’auteur et du droit des marques, et que ce chevauchement de droits se traduise par une surprotection.
Notre étude met également en évidence certaines questions relatives aux droits consécutifs : de nombreux personnages de bande dessinée sur lesquels nos recherches ont porté ne seront bientôt plus protégés par le droit d’auteur, mais pourraient encore l’être par le droit des marques.
Les questions juridiques relatives au domaine public et les frontières floues entre les systèmes de droits peuvent avoir des conséquences économiques qui appellent des recherches plus approfondies.
Selon certaines parties prenantes du secteur, il existe trop peu d’occasions de négocier et de céder des droits sur ces personnages lors de salons internationaux réunissant différents médias. Comme les franchises font intervenir différentes industries et se déploient sur différents territoires, il se peut que la prochaine génération de personnages ne soit pas suffisamment mise en valeur dans les réseaux commerciaux et, par conséquent, qu’elle ne touche pas certaines personnes qui pourraient être intéressées par le contenu et les droits qui leur sont attachés.
Nos travaux de recherche confirment cette intuition. Ils suggèrent que des marchés de droits dynamiques et transparents peuvent favoriser la concession de nouvelles franchises ainsi qu’une plus grande convergence des médias.
Ils mettent également en évidence le risque que l’incertitude juridique autour des droits sur ces marchés entrave de manière concrète l’utilisation de personnages dans le cadre de franchises.
Comme nos recherches l’ont montré, du fait du chevauchement du droit d’auteur et du droit des marques, certains personnages risquent de ne pas apparaître dans des franchises de jeux vidéo, alors que, parallèlement, les franchises créées autour d’un nombre de personnages moins important génèrent de plus fortes ventes.
Si la concurrence entre les nouvelles franchises est limitée, les ventes et les droits risquent d’être de plus en plus monopolisés. Certains titulaires de droits pourraient choisir de manière stratégique de ne pas concéder de licences exclusives sur leurs personnages et, de ce fait, les vendeurs pourraient exercer un contrôle excessif sur les prix de leurs produits franchisés.
Les politiques en matière de droit d’auteur et de marques qui donnent la priorité à la diversité des contenus pourraient favoriser une plus grande concurrence.
On pourrait également envisager la possibilité de renoncer aux exigences relatives à la concession de licences dans les systèmes juridiques du droit d’auteur ou du droit des marques lorsque les personnages sont franchisés pour la première fois. Cela pourrait diminuer les obstacles qui entravent le franchisage de certains personnages pendant leur période de protection par le droit d’auteur tout en préservant les avantages économiques liés au chevauchement des droits lors de l’enregistrement d’une marque supplémentaire.
Quatre points de vue et considérations à l’intention des décideurs