Rapport sur la propriété intellectuelle dans le monde en 2024

3 L’importance des capacités locales pour la spécialisation dans les technologies agricoles

L’agriculture joue un rôle vital pour la société dans la mesure où la population mondiale dépend de ce secteur pour son alimentation et sa nutrition et où elle intervient dans la solutions aux problèmes de durabilité. Dans l’agriculture, l’innovation varie selon la situation du pays, notamment ses conditions agroécologiques. Le présent chapitre met en évidence le rôle du secteur public dans le développement de capacités innovantes dans l’agriculture et montre comment le Brésil, le Kenya et les États-Unis ont réussi à se spécialiser dans des domaines spécifiques des technologies agricoles.

Introduction

Chaque économie possède un secteur agricole. (1)Le présent chapitre s’appuie sur Hamdan-Livramento, I., G.D. Graff et A. Daly (2024). Innovation Complexity in AgTech: The Case of Brazil, Kenya and the United States. Document de recherche économique de l’OMPI n° 82. Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle. Il est vital d’assurer la sécurité alimentaire et l’alimentation d’une population en expansion.

Le paysage agricole actuel a considérablement évolué par rapport aux techniques agricoles traditionnelles millénaires. Les avancées scientifiques et les progrès technologiques ont abouti à des rendements agricoles plus élevés, obtenus grâce à l’utilisation de meilleurs intrants agricoles, tels que de nouvelles variétés végétales, des engrais et des pesticides améliorés. Ces progrès ont également réduit la nécessité du dur travail manuel traditionnellement associé à l’agriculture, grâce à l’utilisation de machines à vapeur, dans un premier temps, et à moteurs à combustion, par la suite.

La chaîne de valeur agricole actuelle gagne en complexité en termes de segments de valeur, d’agents économiques et de produits intermédiaires et finals, qui se distinguent verticalement et horizontalement. Elle comprend plus de 200 sous-secteurs et va des intrants agricoles, tels que les engrais, les semences, les terres arables, l’irrigation et la main-d’œuvre, en passant par la transformation, la fabrication et le conditionnement, pour arriver au point de vente final de produits et de services aux consommateurs. L’innovation survient en de nombreux points tout au long de la chaîne de valeur et s’appuie souvent sur des progrès technologiques issus d’autres secteurs de l’économie, comme la biologie moléculaire, l’informatique, l’imagerie par satellite ou la science des matériaux.

La figure 3.1 représente une chaîne de valeur agricole prenant pour exemple la canne à sucre brésilienne. Elle montre que chaque segment de la chaîne de valeur peut inclure différents agents économiques possédant le potentiel pour innover et transformer le secteur. L’utilisation finale des produits à base de canne à sucre s’est diversifiée au fil du temps. Traditionnellement, la canne à sucre servait essentiellement à l’industrie de l’alimentation et des boissons, tandis que ses déchets servaient d’aliments pour animaux et d’engrais. Aujourd’hui, la canne à sucre peut finir en source d’énergie renouvelable. Chaque segment de valeur de la canne à sucre nécessite des compétences et des spécialités différentes et chaque catégorie finale est régie par des normes, des règles et des réglementations distinctes.

La chaîne de valeur agricole a des connexions internes solides et un changement dans un segment de valeur peut en affecter un autre situé plus loin dans la chaîne. Dans le cas de la canne à sucre, le programme gouvernemental de production d’éthanol a entraîné une hausse de la demande de canne à sucre brute et incité de nombreuses raffineries de sucre à installer des usines d’éthanol. L’innovation et les évolutions de ces segments contribuent à développer les capacités d’innovation locales de l’écosystème d’innovation et peuvent transformer sa trajectoire d’innovation en matière de technologies agricoles.

L’innovation peut survenir à différents endroits de la chaîne de valeurFigure 3.1 La diversification de l’industrie traditionnelle de la canne à sucre au BrésilSource : Adapté de Machado et Abreu (2024) et de Neves et al. (2010).

La plupart des améliorations de la productivité intervenues dans le secteur agricole trouvent leur source dans des connaissances extérieures au secteur. (2)Voir Clancy, M., P. Heisey, Y. Ji et G. Moschini (2020). The Roots of Agricultural Innovation: Patent Evidence of Knowledge Spillovers, In P. Moser (éd.) Economics of Research and Innovation in Agriculture. University of Chicago Press, 21-75. Disponible à l’adresse https://www.nber.org/books-and-chapters/economics-research-and-innovation-agriculture/roots-agricultural-innovation-patent-evidence-knowledge-spillovers. Les découvertes scientifiques et technologiques dans les domaines de la chimie, de la biologie et de la biotechnologie ont abouti à de meilleurs intrants agricoles, tels que des engrais, des pesticides et des variétés végétales, ainsi qu’à une amélioration de la génétique des bovins, des médicaments, des vaccins et des soins vétérinaires pour la santé animale. Les innovations mécaniques, comme le moteur à vapeur et le moteur à combustion interne, qui ont entraîné des économies considérables de main-d’œuvre dans l’agriculture, ont été adaptées de technologies introduites dans d’autres secteurs. Les avancées de l’ingénierie, telles que l’irrigation, le chemin de fer, l’infrastructure des données et les nouvelles technologies numériques, comme le système de géolocalisation mondiale (GPS), l’agriculture et les technologies de précision fournissant un accès en temps réel aux informations météorologiques, à l’utilisation de l’eau et à la surveillance, transforment également le secteur. Même les progrès en matière d’emballage, de stockage et de fabrication des produits agricoles contribuent aux améliorations générales de la productivité du secteur.

Outre sa présence globale dans chaque économie du monde, la complexité et la diversité croissantes du secteur agricole en font une étude de cas utile pour comprendre comment les capacités locales peuvent influencer la trajectoire technologique d’un pays.

Le présent chapitre retrace l’évolution de trois pôles d’innovation dans le domaine des technologies agricoles, à savoir São Paulo au Brésil, Nairobi au Kenya et Denver, Colorado, aux États-Unis. Il nous apporte des enseignements utiles sur l’importance des capacités locales pour l’orientation des spécialisations dans les technologies agricoles. Ce chapitre montre également comment ces trois pôles ont réussi à cesser d’être des producteurs agricoles traditionnels pour devenir un producteur d’éthanol de premier plan (Brésil), un producteur majeur de variétés de maïs en Afrique (Kenya) et un exportateur mondial de variétés de cultures issues de la biotechnologie ainsi que d’autres technologies agricoles (États-Unis).

Trois points importants sont à retenir de ce chapitre. Premièrement, l’innovation dans l’agriculture dépend du contexte. Cela implique que, pour être bénéfiques à différents pays, les technologies agricoles doivent être adaptées aux conditions agroécologiques spécifiques en termes de sol, de relief et de caractéristiques climatiques de la région de culture, ainsi qu’aux autres facteurs culturels, politiques et commerciaux qui façonnent les systèmes agricoles régionaux. Deuxièmement, le secteur public est l’un des principaux moteurs de la spécialisation des technologies agricoles. Et troisièmement, les conditions d’appropriation, les débouchés commerciaux et les capacités d’innovation générales d’un écosystème d’innovation expliquent comment les pays peuvent réorienter leur trajectoire d’innovation en matière de technologies agricoles. L’écosystème d’innovation est un concept qui relie différentes parties prenantes de l’innovation réparties de manière assez floue entre secteur privé, pouvoirs publics et universités, sans oublier les instituts de recherche, et qui sert de cadre pour décrire la manière dont les interactions et les relations complexes de ces parties prenantes peuvent donner naissance à des innovations.

Le présent chapitre est structuré en fonction des principaux enseignements à en retenir. La section qui suit explique pourquoi l’innovation agricole est agroécologique et spécifique à une région. Elle met en évidence le fait que les défaillances du marché découlant de son caractère de bien public requièrent la participation du secteur public pour stimuler l’innovation dans le secteur agricole. La troisième section éclaire le rôle des gouvernements et du secteur public dans la mise en place des conditions nécessaires à la création et au développement de capacités d’innovation dans l’agriculture. L’avant-dernière section se penche sur la façon dont les capacités de l’écosystème d’innovation d’un pays déterminent la trajectoire d’innovation de son secteur agricole. La dernière section clôt le chapitre en se penchant sur l’avenir des technologies agricoles et présente plusieurs conséquences politiques.

Encadré 3.1 Définir les technologies agricoles

Aux fins du présent chapitre, on entend par technologies agricoles les solutions technologiques destinées à relever les défis de l’agriculture. L’expression englobe les innovations qui améliorent la productivité des terres en augmentant le rendement des cultures par hectare ou grâce à l’irrigation, en réduisant la main-d’œuvre nécessaire grâce au recours à la mécanisation, en économisant les coûts grâce à une utilisation meilleure et plus efficace de ressources limitées, par exemple en utilisant des outils agricoles de précision, et en choisissant des variétés végétales résistantes à la sécheresse et aux nuisibles et adaptées au changement climatique ou à la prévention de maladies. Les innovations institutionnelles, telles que les coopératives agricoles ou les intermédiaires qui facilitent la coordination et les plateformes de partage de connaissances regroupant le gouvernement, les agriculteurs, les entreprises agricoles et des organisations non gouvernementales (ONG), ne sont pas couvertes par ce concept. (3)Les efforts déployés par des organisations, telles que le Service international pour l’acquisition d’applications agricoles biotechnologiques (ISAAA), afin de contribuer à la diffusion de solutions biotechnologiques pour les cultures, en sont un exemple. Kingiri et Hall expliquent comment les instituts et les plateformes d’innovation peuvent contribuer à faciliter la commercialisation de la recherche en technologies agricoles; voir Kingiri, A.N. et A. Hall (2012). The role of policy brokers: The case of biotechnology in Kenya. Review of Policy Research, 29(4), 492-522. DOI : https://doi.org/10.1111/j.1541-1338.2012.00573.x.

Préparer le terrain : l’importance du sol et du contexte

L’innovation dans l’agriculture diffère de celle d’autres secteurs.

Premièrement, sans le soutien du gouvernement, les incitations à innover dans le secteur agricole ne sont pas suffisamment attrayantes pour susciter l’intérêt des producteurs primaires du secteur privé, à savoir les agriculteurs, à investir dans l’activité. La raison principale réside dans la structure extrêmement diffuse du secteur agricole, dans lequel de nombreux petits producteurs sont aux prises avec des marges bénéficiaires réduites et incertaines. Bien que la rentabilité de l’agriculture dépende de facteurs multiples, les études montrent que les exploitations agricoles de plus grande taille ont tendance à générer des marges bénéficiaires plus grandes, en partie grâce aux économies d’échelle. Le secteur est toutefois extrêmement asymétrique, 70% des exploitations dans le monde s’étendant sur moins d’un hectare. (4)À l’inverse, les domaines agricoles de plus de 50 hectares sont cultivés par les plus grandes exploitations, qui représentent 1% des exploitations. Voir Lowder, S.K., J. Skoet et S. Singh (2014). What Do We Really Know about the Number and Distribution of Farms and Family Farms Worldwide? Background paper for The State of Food and Agriculture 2014. ESA Working Paper No. 14-02. Rome : Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture Disponible à l’adresse https://www.fao.org/3/i3729e/i3729e.pdf.

En outre, les agriculteurs font face à des risques et à des incertitudes lorsqu’ils décident quelles cultures produire ou quels animaux élever. Ils doivent, en effet, prendre des décisions et réaliser des investissements en ne disposant que d’informations limitées, et ensuite attendre un gain futur, lorsqu’il y en a. De plus, les bénéfices sont liés aux rendements, lesquels peuvent être influencés négativement par des éléments qui échappent au contrôle de l’agriculteur, comme la météo, les nuisibles, les maladies, les conflits et les prix sur le marché mondial. À titre d’exemple, le coût pour les producteurs de roses kenyans qui choisissent le “mauvais” type de rosiers à planter peut grimper jusqu’à 160 000 dollars É.-U. à l’hectare. (5) Whitaker, M. et S. Kolavalli (2006). Floriculture in Kenya, in: Chandra, V. (éd.), Technology, Adaptation, and Exports: How Some Developing Countries Got It Right. Banque mondiale. DOI : https://doi.org/10.1596/978-0-8213-6507-6.

Deuxièmement, les produits et activités agricoles tendent à avoir les caractéristiques économiques d’un bien public. Des avantages, tels qu’assurer la sécurité alimentaire et sanitaire des aliments, une alimentation adéquate pour la santé publique et la durabilité environnementale, nécessitent une aide du secteur public. Ayant reconnu tôt ces besoins publics, le Département de l’agriculture des États-Unis d’Amérique (USDA) et les universités de recherche agricole Land Grant ont vu le jour en 1862. (6)Wright, B.D. (2012). Grand missions of agricultural innovation. Research Policy, 41(10), 1716-1728. DOI : https://doi.org/10.1016/j.respol.2012.04.021

Troisièmement, le secteur agricole a besoin d’innovations constantes et cohérentes. L’évolution constante des nuisibles et des maladies, la hausse des coûts de production résultant de l’augmentation des prix des intrants agricoles et les phénomènes météorologiques extrêmes, sont quelques-uns des facteurs qui menacent les producteurs du secteur. Un rapport de 2023, par exemple, coécrit par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), estimait que les prix des produits agricoles de base augmenteraient probablement de 0,2% pour chaque pour cent de hausse du prix des engrais. (7)OCDE et FAO (2023).  Perspectives agricoles de l’OCDE et de la FAO 2023-2032. Organisation de coopération et de développement économiques. Disponible à l’adresse https://www.oecd-ilibrary.org/fr/agriculture-and-food/perspectives-agricoles-de-l-ocde-et-de-la-fao-2023-2032_a187ca6c-fr. De plus, les conditions climatiques – notamment la fréquence et la gravité des phénomènes extrêmes, tels que vagues de chaleur, sécheresses, inondations, tempêtes tropicales et feux de forêt – peuvent faire baisser les rendements et la qualité de la production alimentaire.

Les investissements dans des innovations destinées à l’agriculture doivent également viser le long terme. En effet, il faut du temps pour que la recherche soit commercialisée et que la technologie soit adaptée aux besoins multiples des régions ainsi qu’aux réglementations nationales avant d’être adoptées et utilisées sur le terrain par un agriculteur. À titre d’exemple, il a fallu au moins 60 ans après l’introduction de la technologie du maïs hybride pour que son utilisation soit généralisée. (8)Griliches, Z. (1957). Hybrid corn: An exploration in the economics of technological change. Econometrica, 25(4), 501-522. DOI : https://doi.org/10.2307/1905380. Alston, J.M., P.G. Pardey, D. Serfas et S. Wang (2023). Slow magic: Agricultural versus industrial R&D lag models. Annual Review of Resource Economics, 15(1), 471-493. DOI : https://doi.org/10.1146/annurev-resource-111820-034312.

Quatrièmement, les innovations agricoles doivent être adaptées aux conditions agroécologiques locales. Selon la FAO, les régions partageant les mêmes zones agroécologiques présentent des “combinaisons de climat et de caractéristiques des sols similaires et ont des potentiels physiques similaires de production agricole”. (9)Voir le chapitre 2 de FAO (1996) pour en savoir plus sur les conditions agroécologiques. FAO (1996). Zonage agroécologique – Directives, Bulletin pédologique de la FAO, n° 73. Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture. Disponible à l’adresse https://www.fao.org/4/w2962F/w2962F00.htm.  En d’autres termes, une innovation technologique mise au point pour des conditions agroécologiques spécifiques à une région n’est pas aisément transférable et utilisable dans une autre région ayant des conditions agroécologiques différentes. L’innovation devra être adaptée aux conditions particulières de cette autre région et respecter sa biodiversité et ses prescriptions et directives environnementales. Certaines de ces adaptations peuvent être observées dans le nombre sans cesse croissant de variétés végétales protégées par l’instrument de protection des obtentions végétales administré par l’Union internationale pour la protection des obtentions végétales (UPOV) à la figure 3.2. (10)L’UPOV est une organisation intergouvernementale chargée d’offrir et de promouvoir un système efficace de protection des obtentions végétales. Elle compte actuellement 78 membres.

La figure 3.2 illustre le fait que les innovateurs s’appuient de plus en plus sur la protection de la propriété intellectuelle pour leurs inventions, ainsi qu’il ressort du nombre total de brevets, de modèles d’utilité et d’obtentions végétales déposés au titre des systèmes de protection correspondants pour une innovation agricole dans le monde. L’encadré 3.2 présente brièvement les différents instruments de propriété intellectuelle protégeant les inventions dans le secteur agricole.

Encadré 3.2 Instruments de propriété intellectuelle protégeant les inventions technologiques agricoles

L’innovation dans le secteur agricole est vaste. Elle inclut les nouveaux outils et machines agricoles, les technologies numériques adaptées destinées à améliorer les plantes et les variétés végétales, les techniques agricoles et l’irrigation.

Les instruments de propriété intellectuelle susceptibles de protéger ces technologies agricoles comprennent, notamment, les brevets, les modèles d’utilité, les marques, les indications géographiques et les secrets d’affaires. Pour les variétés végétales, un système sui generis existe également dans de nombreux ressorts juridiques.

Ainsi, dans le cas d’innovations génétiques des cultures réalisées par des technologies traditionnelles ou par des technologies d’amélioration végétale, l’innovation originale devrait être introduite dans le germoplasme optimisé localement et/ou dans des cultivars dans la région cible. En d’autres termes, l’innovateur génétique peut devoir concéder une licence à des titulaires de germoplasme ou de cultivars, ou collaborer avec ceux-ci d’une autre manière afin de développer et d’adapter la technologie aux conditions locales. Cette exigence d’adaptation entraîne des coûts et des charges supplémentaires pour les parties prenantes de l’innovation qui disposent de budgets limités ou ont un accès restreint aux institutions d’aide. (11)Graff, G.D. et I. Hamdan-Livramento (2019). Racines mondiales de l’innovation en matière de biotechnologie végétale. Document de recherche économique de l’OMPI n° 59. Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle.

L’évolution des technologies agricoles dépend de pôles technologiques.

Les trois pôles de technologies agricoles de Denver, Colorado (États-Unis), de São Paulo (Brésil) et de Nairobi (Kenya) illustrent combien l’évolution de ces technologies dépend du contexte. Chaque pôle présente des conditions, des contraintes et des défis différents au départ. Ils bénéficient également de niveaux d’aide publique et de débouchés commerciaux différents. De plus, chaque pôle possède des nœuds d’activités d’innovation, des innovateurs et des institutions compétentes, qui facilitent l’échange des savoirs alimentant leurs écosystèmes d’innovation respectifs. Associés aux capacités d’innovation locales, ces facteurs déterminent l’évolution des trajectoires des technologies agricoles.

Le rôle de l’agriculture au Brésil, au Kenya et aux États-Unis varie en fonction du niveau de revenu. Au Kenya, l’agriculture occupe 33% de la main-d’œuvre totale et contribue à hauteur d’environ 21% au produit intérieur brut (PIB).). Au Brésil, le secteur mobilise à lui seul 10% de la main-d’œuvre totale et représente 7% du PIB. Parallèlement, aux États-Unis, le secteur agricole, qui représente moins de 1% du PIB, emploie moins de 2% des travailleurs. (12)Données provenant de l’Indicateur du développement dans le monde de la Banque mondiale (WDI). Disponible à l’adresse https://databank.worldbank.org/source/world-development-indicators.

Colorado, États-Unis : un pôle de technologies agricoles né de l’infrastructure d’irrigation

Les États-Unis étant le principal exportateur de produits agricoles dans le monde, les producteurs américains de technologies agricoles bénéficient de débouchés sur le marché mondial. Il n’est dès lors pas surprenant que les États-Unis aient considérablement innové dans le secteur et déposent des demandes de protection par brevet sur leurs inventions en matière de technologies agricoles tant à l’échelle nationale qu’à l’étranger. (13)Les demandes de brevets déposées par des innovateurs américains tendent à être déposées également auprès d’autres offices nationaux de brevets. Cela montre qu’en plus des États-Unis, les innovateurs cherchent à commercialiser leurs inventions dans d’autres ressorts juridiques. Voir Hamdan-Livramento, I., G.D. Graff et A. Daly (2024). Innovation Complexity in AgTech: The Case of Brazil, Kenya and the United States. Document de recherche économique de l’OMPI n° 82. Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle.

La figure 3.3 représente le nombre total de demandes de brevets, de brevets de plante et d’obtentions végétales, déposées au titre des systèmes de protection correspondants, pour des inventions de technologies agricoles aux États-Unis.

Le Colorado est le deuxième plus grand pôle d’innovation agricole des États-Unis, à égalité avec New York et derrière la Silicon Valley. (14)Voir Graff, G.D., A. Berlund et K. Rennels (2014). The Emergence of an Innovation Cluster in the Agricultural Value Chain along Colorado’s Front Range. Colorado State University. Son ascension en tant que pôle de technologies agricoles a coïncidé avec des investissements privés précoces dans l’infrastructure hydrique à des fins d’irrigation et dans l’infrastructure de transport, essentiellement ferroviaire, à la fin du XIXe siècle et durant le XXe siècle. Le Colorado est connu pour ses bovins de boucherie, ses produits laitiers et son blé. La plus grande ville entre Chicago et San Francisco est Denver, la capitale du Colorado et la plaque tournante du transport et de la transformation des produits agricoles. Elle est ainsi devenue un endroit stratégique pour l’implantation de laboratoires fédéraux de recherche et de plusieurs universités d’État. Tout cela a permis de mener des recherches sur les besoins de l’agriculture et des industries connexes dans la région et a facilité le transfert technologique des innovations mises au point dans des domaines adjacents. (15)Voir Graff, G.D. et I. Hamdan-Livramento (2019). Racines mondiales de l’innovation en matière de biotechnologie végétale. Document de recherche économique de l’OMPI n° 59. Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle; et Wright, B.D. (2012). Grand missions of agricultural innovation. Research Policy, 41(10), 1716-1728. DOI : https://doi.org/10.1016/j.respol.2012.04.021 De plus, d’importants instituts de recherche sont situés à une heure de voiture les uns des autres, ce qui encourage la collaboration et l’échange de connaissances entre eux. Il existe également une agro-industrie florissante dans la région. Elle abrite des innovateurs dans les domaines suivants : la technologie et l’infrastructure hydrique, la fertilité des sols et le contrôle des nuisibles, la génétique végétale et de nouvelles obtentions végétales, la santé animale, la gestion de l’alimentation et de la santé, la bioénergie, la transformation des produits et l’industrie alimentaire, et même les aliments naturels, biologiques et locaux et les services de marketing. (16)Graff, G.D., A. Berklund et K. Rennels (2014). The Emergence of an Innovation Cluster in the Agricultural Value Chain along Colorado’s Front Range. Colorado State University.

L’une des principales contraintes que connaît le Colorado est l’accès à l’eau. Les innovations dans les technologies d’irrigation dans cet État ont débuté voici un siècle et incluent le canal de Parshall et le système d’irrigation à pivot central, qui sont tous deux utilisés dans le monde entier aujourd’hui. Les éleveurs du Colorado ont été parmi les premiers à élaborer un système de parcs d’engraissement concentré pour un engraissement plus efficace des bovins de boucherie avant l’abattage. Le Colorado est également devenu une région importante de recherche aérospatiale, satellitaire et atmosphérique, en raison de la concentration dans la région d’installations militaires et de laboratoires fédéraux, tels que l’Administration océanique et atmosphérique nationale (NOAA) et le Centre national de recherche atmosphérique (NCAR), qui modélisent et réalisent des prévisions météorologiques pour l’agriculture et développent des applications, comme la télédétection.

L’industrie agricole est l’un des plus gros consommateurs de ressources hydriques de l’État. Les progrès technologiques en matière d’amélioration de l’irrigation, de mise au point de variétés végétales capables de résister aux conditions climatiques, telles que le manque d’eau; et ceux qui visent à optimiser l’utilisation de l’eau sont aisément adoptés au Colorado. L’État a, par exemple, connu une grave sécheresse en 2012. Celle-ci a fortement porté atteinte à sa production agricole. Une variété de maïs génétiquement modifié et tolérant à la sécheresse a été introduite en 2012 et commercialisée en 2013. Le Colorado est l’un des États à l’avoir adoptée. En 2016, cette variété génétiquement modifiée représentait 20% du maïs planté au Colorado. (17)McFadden, J., D. Smith, S. Weschsler et S. Wallander (2019) Development, Adoption, and Management of Drought-Tolerant Corn in the United States Economic Information Bulletin Number 204. Département de l’agriculture des États-Unis d’Amérique : Service agricole étranger.

Des innovateurs sont également apparus dans le secteur de la transformation des produits agricoles et certaines des entreprises agroalimentaires de la région sont devenues des leaders mondiaux de la fabrication d’aliments et de boissons. (18)Il s’agit notamment de Coors Brewing (aujourd’hui Molson Coors), de Monfort Meats (racheté par JBS), de Leprino Foods et de Celestial Seasonings (aujourd’hui Hain Celestial). Plus récemment, ces leaders ont été suivis par une sorte de contre-révolution menée par des entreprises de fabrication d’aliments et de boissons, influencées par la demande des consommateurs et axées sur la qualité, la santé et des considérations environnementales.

L’écosystème d’innovation robuste du Colorado est ce qui lui permet d’être un technopôle de pointe dans le domaine agricole. L’interface entre la production agricole, la transformation des produits et la fabrication d’aliments proches de consommateurs urbains et pointus, et des marchés de détail de plus en plus complexes ont créé un ensemble unique de défis, de tensions et d’opportunités pour ce technopôle.

Le climat du Colorado et l’accès à de nouveaux talents attirent de nombreuses agro-industries et entreprises semencières dans la région. Plusieurs entreprises agricoles et agroalimentaires mondiales ont établi leur siège au Colorado pour leurs activités américaines. C’est notamment le cas du canadien Nutrien, premier producteur mondial de potasse du Canada, du brésilien JBS, principal conditionneur mondial de viande du Brésil, et du français Danone, l’un des principaux fabricants mondiaux de produits laitiers.

São Paulo, Brésil : devenir leader dans la production d’éthanol

Le statut de pôle de technologies agricoles de São Paulo résulte de la croissance de l’agro-industrie dans la région et de sa production de canne à sucre et d’éthanol, ainsi que de la variété de ses cultures spécialisées, comme le café et les agrumes. Son biome est classé en forêt atlantique, ce qui en fait un terrain fertile pour la culture du café et de la canne à sucre.

Depuis l’introduction du programme national en faveur de l’alcool (Programa Proálcool) en 1975, São Paulo est passé d’un État agricole essentiellement producteur de café et de canne à sucre à un leader mondial de la production d’éthanol. Une partie de l’éthanol produit est considérée comme un biocarburant et est utilisée comme source d’énergie renouvelable. L’un des éléments déclencheurs de la rapide transition du Brésil vers la production de canne à sucre a été la forte gelée qui a frappé les plantations de café, connue sous le nom de “Gelée noire” ( Geada Negra), dans les États du Paraná et de São Paulo en 1975. (19)Voir Parikh (1979). Parikh, A. (1979). Estimation of supply functions for coffee. Applied Economics 11(1), 43-54. DOI : https://doi.org/10.1080/758520522  Ce gel a détruit la quasi-totalité des cultures de café dans les plantations de la région.

Le Brésil étant l’un des producteurs d’éthanol les plus importants et les plus compétitifs du monde, ses exportateurs répondent à la demande de biocarburant du marché mondial. La production d’éthanol à partir de sucre de canne coût de 50% à 60% moins cher que la production d’éthanol de maïs. (20)Manochio, C., B.R. Andrade, R.P. Rodriguez et B.S. Moraes (2017). Ethanol from biomass: A comparative overview. Renewable and Sustainable Energy Reviews, 80, 743-755. DOI : https://doi.org/10.1016/j.rser.2017.05.063.  En outre, la canne à sucre produit plus d’éthanol à l’hectare que le maïs. Les biocarburants brésiliens produits à partir d’éthanol sont de loin supérieurs à ceux produits par les États-Unis à partir de maïs ou de betterave sucrière. (21)La canne à sucre produit 6 314 litres d’éthanol par hectare contre 2 729 litres par hectare pour le maïs (voir Donke et al., 2017). Donke, A., A. Nogueira, P. Matai et L. Kulay (2017). Environmental and energy performance of ethanol production from the integration of sugarcane, corn, and grain sorghum in a multipurpose plant. Resources 6(1). DOI : https://doi.org/10.3390/resources6010001.

Une augmentation récente de la prise de conscience environnementale, en particulier sur le marché de l’Union européenne, a incité les leaders du secteur à passer de la production d’éthanol de première génération à celle d’éthanol de deuxième génération. L’une des principales forces motrices de cette tendance est le fait que les consommateurs européens sont prêts à payer des prix plus élevés pour de l’éthanol de deuxième génération. De plus, la prise de conscience environnementale a poussé les leaders du secteur à s’engager davantage dans la voie d’une agriculture de précision afin d’optimiser l’utilisation des ressources naturelles.

La figure 3.4 montre comment les innovateurs brésiliens s’appuient en permanence sur les protections qu’offrent les brevets et les modèles d’utilité pour leurs inventions agricoles. En outre, le système de protection des obtentions végétales est également utilisé pour protéger leurs innovations en matière de technologies agricoles.

Des centres de recherche agricole robustes, qui investissent dans l’innovation agricole, et la force croissante du secteur privé sont deux des facteurs qui ont contribué à l’essor du secteur. L’État de São Paulo accueille le plus grand nombre d’instituts de recherche agricole du Brésil, dont certains sont les plus prolifiques en termes de publication d’études agricoles. (22)de Castro, C.N. (2014). Agriculture in Brazil’s Southeast Region: Limitations and Future Challenges to Development (Texto para Discussão, No. 1952a). Instituto de Pesquisa Econômica Aplicada (IPEA). Disponible à l’adresse http://hdl.handle.net/10419/121530.; Furtado, A.T., M.P. Hekkert et S.O. Negro (2020). Of actors, functions, and fuels: Exploring a second generation ethanol transition from a technological innovation systems perspective in Brazil. Energy Research & Social Science, 70, 101706. DOI : https://doi.org/10.1016/j.erss.2020.101706.

Deux des principaux défis et contraintes auxquels les producteurs brésiliens d’éthanol doivent faire face sont l’absence d’infrastructures routières adéquates et l’intervention du gouvernement dans la fixation des prix domestiques des combustibles fossiles. (23)L’infrastructure routière à São Paulo n’est toutefois pas aussi mauvaise que dans le reste du Brésil, en particulier dans le nord du pays; voir Rada, N. (2013). Assessing Brazil’s Cerrado agricultural miracle. Food Policy, 38, 146-155. DOI : https://doi.org/10.1016/j.foodpol.2012.11.002. À ce propos, la demande domestique d’éthanol étant dépendante du prix du pétrole, un prix du pétrole bas fait chuter la demande d’éthanol. Cette situation affecte négativement le retour sur investissement des producteurs, en rendant les investissements dans de nouveaux projets plus risqués pour les producteurs.

Dans le même temps, São Paulo accueille également le siège de quelques-unes des plus grandes entreprises agroalimentaires du monde, ce qui a donné naissance à un large éventail de start-ups agricoles florissantes dans la région. São Paulo est, de fait, connu comme étant le principal centre d’innovation et d’entrepreneuriat d’Amérique latine. De plus, la ville dispose d’un système financier et bancaire relativement mature, qui fournit le capital dont les start-ups ont grand besoin. (24)Voir les informations de Startup Genome sur São Paulo à l’adresse https://startupgenome.com/ecosystems/sao-paulo et BBVA, 2022. São Paulo, the largest innovation ecosystem in Latin America - BBVA. BBVA Spark Open Innovation. Disponible à l’adresse https://www.bbvaspark.com/contenido/en/news/land-of-unicorns-and-fintech-empire-this-is-sao-paulo-the-largest-innovation-ecosystem-in-latin-america/ (consulté le 13 novembre 2023).

Nairobi, Kenya : innovation fondée sur la sélection végétale et menée en collaboration avec un réseau international de technologies agricoles

La production agricole du Kenya est variée, les principaux produits destinés à la consommation domestique étant le maïs, le blé, le riz et les haricots, tandis que les principaux produits d’exportation sont le thé, le café, le sucre et les cultures horticoles, telles que les fleurs coupées, les fruits et les légumes.

Ses conditions climatiques favorables, la fertilité de ses sols et son exposition adéquate au soleil, sans oublier la proximité de l’Europe, ont fait du pays le principal producteur de fleurs d’Afrique. Les exportations kenyanes de floriculture ont progressé de 300% entre 1995 et 2003, en dépit de la stagnation du reste de l’économie. (25)Whitaker, M. et S. Kolavalli (2006). Floriculture in Kenya. Chandra, V. (éd.), Technology, Adaptation, and Exports: How Some Developing Countries Got It Right. Banque mondiale. DOI : https://doi.org/10.1596/978-0-8213-6507-6.

Le Kenya possède une longue tradition de sélection de végétaux et a développé des capacités d’innovation dans ce domaine. En 2013, quatre instituts kenyans de recherche agricole ont fusionné pour donner naissance au Kenya Agricultural and Livestock Research Organization (KALRO). Les quatre instituts en question étaient le Kenya Agricultural Research Institute (KARI), la Coffee Research Foundation (CRF), la Tea Research Foundation of Kenya (TRFK) et la Kenya Sugar Research Foundation (KESREF). Les programmes d’aide publique du gouvernement, les investissements dans la recherche-développement et dans l’infrastructure, ainsi que la collaboration avec des centres régionaux et internationaux de recherche agricole permettent d’encourager une innovation adaptée aux besoins locaux.

Une étude entreprise par la FAO en 2007 a montré que le Kenya possédait des capacités permettant de développer des variétés végétales traditionnelles et transgéniques. (26)Falck-Zepeda, J.B., P. Zambrano, J.I. Cohen, O. Borges, E.P. Guimaraes, D. Hautea, J. Kengue et J. Songa (2008). Plant Genetic Resources for Agriculture, Plant Breeding, and Biotechnology.  Document de travail de l’IFPRI. Institut international de recherche sur les politiques alimentaires. Disponible à l’adresse www.ifpri.org/publication/plant-genetic-resources-agriculture-plant-breeding-and-biotechnology. En fait, il est l’un des rares pays africains à disposer d’un programme de recherche en biotechnologie. Il doit néanmoins encore développer des capacités suffisantes pour apporter des solutions technologiques à ses problèmes agricoles. (27)Kingiri, A.N. (2022). Exploring innovation capabilities build up in the deployment of crop biotechnology innovation in Kenya. Innovation and Development, 12(2), 305-324. DOI : https://doi.org/10.1080/2157930X.2021.1884934.

En revanche, le Kenya a été en mesure de tirer parti des faits nouveaux survenus dans la région africaine pour développer des synergies avec ses technologies agricoles. En renforçant ses capacités de producteur de variétés végétales, le KALRO a collaboré avec le principal réseau international d’innovation agricole, à savoir les centres de recherche du Groupe consultatif pour la recherche agricole internationale (GCRAI), pour créer les variétés végétales dont il a besoin.

Un exemple de cette synergie régionale est le moment où la récolte de maïs du Kenya a été dévastée par la nécrose létale du maïs. Cette maladie a fait perdre entre 30% et 100% de la production de maïs aux agriculteurs kenyans en 2011. Elle a également été catastrophique pour d’autres producteurs de maïs en Afrique. En réaction, le Centre international d’amélioration du maïs et du blé du GCRAI (CIMMYT – Centre international d’amélioration du maïs et du blé) a réussi à dériver quatre variétés hybrides résistantes à la nécrose létale du maïs. Il a distribué ces variétés aux partenaires publics et privés d’Afrique de l’Est en vue de leur utilisation. En 2012, le CIMMYT a collaboré avec le KALRO kenyan, des organisations phytosanitaires nationales et des entreprises semencières pour mettre fin à la propagation de la maladie en Afrique subsaharienne. Parmi les autres organismes ayant collaboré à la solution figuraient l’Institut international d’agriculture tropicale (IITA), l’Alliance pour une révolution verte en Afrique (AGRA) et la Fondation africaine pour les technologies agricoles (AATF), ainsi que des instituts de recherche de pointe des États-Unis et d’Europe. À l’issue d’essais nationaux au Kenya, plusieurs hybrides de la variété de deuxième génération ont été lancés pendant cinq ans à partir de 2013.

En outre, le financement de ces organisations à but non lucratif a contribué à former, à diffuser et à partager les bénéfices des nouvelles obtentions végétales entre les agriculteurs qui les produisaient.

La collaboration du Kenya avec le GCRAI explique comment ce pôle de technologies agricoles a réussi à renforcer ses capacités locales d’obtenteur dans la région africaine. Premièrement, Nairobi, sa capitale, accueille deux centres de recherche. L’un de ces centres est le Centre de recherche forestière internationale-Centre international pour la recherche en agroforesterie (CIFOR-ICRAF) et l’autre est l’Institut international de recherche sur l’élevage (ILRI). Deuxièmement, la localisation centrale de Nairobi en fait un pôle commercial et de distribution naturel pour les produits agricoles tant pour le pays que pour le continent.

Troisièmement, les défis et contraintes que rencontre ce technopôle agricole peuvent être surmontés grâce à sa collaboration avec les centres de recherche du GCRAI. Parmi les défis que le Kenya doit relever, on peut citer l’accès limité à l’irrigation, le coût élevé des intrants agricoles, notamment les semences et les engrais, et l’accès limité au financement. Près de 83% des terres sont arides ou semi-arides et ne conviennent pas à une agriculture pluviale ou à un élevage intensif. Seuls 7% des terres sont irrigués. (28)Voir D’Alessandro, S.P., J. Caballero, J. Licte et S. Simpkin (2015). Kenya : Agricultural Sector Risk Assessment. Disponible à l’adresse http://hdl.handle.net/10986/23350.

Des institutions publiques internationales telles que le GCRAI, soutenues par des organisations non gouvernementales comme l’AATF, aident les obtenteurs kenyans à produire des cultures abiotiques résistantes au stress et à la sécheresse. À titre d’exemple, le maïs est une culture importante dans le pays. Il représente 40% de la superficie cultivée et la majeure partie des denrées de base cultivées. Toutefois, les rendements du maïs sont bas. Pour surmonter ce problème, le KALRO a collaboré avec le CIMMYT afin de mettre au point et de tester une variété de maïs résistante à la sécheresse et de convaincre les agriculteurs kenyans de la cultiver. (29)Voir Simtowe, F., D. Makumbi, M. Worku, H. Mawia et D.B. Rahut (2021). Scalability of Adaptation strategies to drought stress: the case of drought tolerant maize varieties in Kenya. International Journal of Agricultural Sustainability, 19(1), 91-105. DOI : https://doi.org/10.1080/14735903.2020.1823699.

Les innovateurs kenyans en technologies agricoles ne s’appuient toutefois pas autant sur la protection de la propriété intellectuelle que ceux des États-Unis et du Brésil.

La figure 3.5 montre que les innovateurs kenyans n’ont demandé que quelques brevets et modèles d’utilité ces dernières années. Cette attitude est en partie due à la réticence du GCRAI à autoriser les innovateurs à demander une protection par brevet sur les innovations qu’ils ont développées ensemble. Cette position est toutefois en train de changer lentement. Séparément, le recours des innovateurs kenyans à une protection équivalente des obtentions végétales a été assez régulier depuis la signature de la Convention UPOV par le Kenya en 2000.

Semer des graines : comment l’aide publique stimule le développement des technologies agricoles

L’argument de la défaillance du marché fondé sur les caractéristiques de bien public de l’innovation agricole explique pourquoi le secteur public est toujours le principal contributeur de la recherche et du développement agricoles dans le monde.

Les gouvernements qui investissent largement dans l’agriculture enregistrent une croissance économique plus forte, une diminution du taux de pauvreté et une amélioration de la situation nutritionnelle. (30)Ousmane, B. et T. Makombe (2015). Agriculture, growth, and development in Africa: Theory and practice. In Monga, C. et J.Y. Lin (éd.), The Oxford Handbook of Africa and Economics: Policies and Practices – Part II, Microeconomic and Sectoral Issues. Oxford University Press, Vol. 2, 307-324. Disponible à l’adresse www.ifpri.org/publication/agriculture-growth-and-development-africa-theory-and-practice. Une étude menée par le Département de l’agriculture des États-Unis d’Amérique (USDA) a conclu qu’entre 1900 et 2011, chaque dollar dépensé dans la recherche et le développement agricoles publics a rapporté 20 dollars à l’économie américaine. (31)Baldos, U.L.C., F.G. Viens, T.W. Hertel et K.O. Fuglie (2019). R&D spending, knowledge capital, and agricultural productivity growth: A Bayesian approach. American Journal of Agricultural Economics, 101(1), 291-310. DOI : https://doi.org/10.1093/ajae/aay039.

Selon le Rapport mondial (2020) sur les indicateurs relatifs aux sciences et technologies agricoles de l’Institut international de recherche sur les politiques alimentaires (ASTI), les dépenses mondiales en recherche-développement sur les technologies agricoles se sont élevées à près de 47 milliards de dollars É.-U. en 2016. (32)Beintema, N., A.N. Pratt et G.-J. Stads (2020). ASTI Global Update 2020. Note du Programme sur les Indicateurs relatifs aux sciences et aux technologies agricoles. Institut international de recherche sur les politiques alimentaires. Ce nombre ne tient pas compte des dépenses du secteur privé à but lucratif. Dans les pays à revenu élevé, le secteur public représentait 40% des dépenses mondiales. Depuis 2011, toutefois, la part de la recherche et du développement agricoles menés par le secteur public dans les pays à revenu élevé a soit baissé, soit stagné. Le secteur privé, par contre, consacre davantage d’argent à la recherche et au développement agricoles. Dans la plupart des pays à revenu faible et à revenu intermédiaire (à l’exception du Brésil et de la Chine), le secteur public finance toujours la majeure partie, pour ne pas dire la totalité, de la recherche et du développement agricoles. (33)Pardey, P.G., C. Chan-Kang, S.P. Dehmer et J.M. Beddow (2016). Agricultural R&D is on the move. Nature 537(7620), 301-303. DOI : https://doi.org/10.1038/537301a.

La figure 3.6 présente un aperçu de la part des secteurs public et privé dans les dépenses de R-D selon les différents niveaux de revenu en 1990, 2000 et 2014.

L’aide publique est vitale pour le développement de capacités locales d’innovation dans l’agriculture pour trois raisons principales. Premièrement, les gouvernements financent ou mènent des recherches et contribuent à en diffuser les résultats par l’éducation, la diffusion d’informations, la formation, la collaboration et le transfert de technologie vers le secteur privé. Deuxièmement, les gouvernements créent les conditions favorables qui fournissent des incitations et soutiennent les activités innovantes du secteur privé. Et troisièmement, les gouvernements peuvent fixer des objectifs axés sur des politiques ou des missions afin de stimuler les capacités d’innovation dans l’agriculture.

Mener des recherches dans les technologies agricoles

Dans les trois régions examinées dans ce chapitre, les gouvernements ont joué un rôle capital dans le financement et la conduite de la recherche agricole, y compris la recherche qui n’a peut-être pas abouti à un gain immédiat.

L’essor du Colorado en tant que pôle d’innovation agricole trouve racine dans les investissements du gouvernement américain dans l’agriculture, qui ont commencé au XIXe siècle avec la création des universités agricoles d’État et des stations expérimentales agricoles. Le gouvernement, à l’instar de chaque gouvernement fédéré, comme celui du Colorado, a fourni des fonds fiables pour la recherche à ces universités, et a créé des instituts fédérés de recherche agricole, en menant ses propres recherches par l’intermédiaire de l’USDA. (34)Nelson, K.P., et K. Fuglie (2022). Service de la recherche économique du Département de l’agriculture des États-Unis d’Amérique (USDA ERS) – Investment in US public agricultural research and development has fallen by a third over past two decades, lags major trade competitors. Amber Waves, 6 juin. Service de la recherche économique, Département de l’agriculture des États-Unis d’Amérique. Disponible à l’adresse www.ers.usda.gov/amber-waves/2022/june/investment-in-u-s-public-agricultural-research-and-development-has-fallen-by-a-third-over-past-two-decades-lags-major-trade-competitors.  Le gouvernement des États-Unis a, par exemple, financé une grande partie de la recherche élémentaire visant à étendre les applications de la biotechnologie moléculaire à l’agriculture. (35)Voir Graff, G.D., et I. Hamdan-Livramento (2019). Racines mondiales de l’innovation en matière de biotechnologie végétale. Document de recherche économique de l’OMPI n° 59. Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle. Au cours des premières années, la plupart des résultats de recherche provenant d’universités financées par le gouvernement et de laboratoires de recherche de l’USDA ont été transférés au secteur privé grâce à la publication de résultats ou aux services de diffusion d’informations, et plus récemment, par des collaborations et des partenariats avec des entreprises du secteur privé, par la concession de licences sur des technologies ou par la création de start-ups technologiques.

Au Brésil, le gouvernement est la principale source de financement de l’innovation agricole. Son institut national de recherche agricole et bras de la recherche du Ministère brésilien de l’agriculture, l’Entreprise brésilienne de recherche agricole (EMBRAPA – Empresa Brasiliera de Pesquisa Agropecuária), mène des recherches sur les plus grands biomes du pays. L’EMBRAPA comprend de multiples centres de recherche répartis dans tout le Brésil et axés sur les besoins agricoles de chaque région. (36)Mueller, B. et C. Mueller (2016). The political economy of the Brazilian model of agricultural development: Institutions versus sectoral policy. The Quarterly Review of Economics and Finance, 62, 12-20. DOI : https://doi.org/10.1016/j.qref.2016.07.012. Cet institut de recherche a mis au point plus de 9 000 technologies et plus de 350 cultivars. La plupart d’entre eux ont été directement transférés aux agriculteurs brésiliens. (37)Correa, P. et C. Schmidt (2014). Public research organizations and agricultural development in Brazil: How did EMBRAPA get it right? Economic Premise No. 145. Banque mondiale. Disponible à l’adresse http://documents.worldbank.org/curated/en/156191468236982040/Public-research-organizations-and-agricultural-development-in-Brazil-how-did-Embrapa-get-it-right.

Les universités et les instituts de recherche soutenus par le gouvernement ont été capitaux pour les gains de productivité agricole de São Paulo. Ils ont contribué à l’essor de São Paulo en tant que pôle d’innovation agricole, au départ pour la production de sucre et d’éthanol. Deux des premiers instituts de recherche à bénéficier d’un financement pour la production de sucre et d’éthanol ont été l’Université d’agronomie de Campinas (IAS – Instituto Agronômico de Campinas) et la Fondation pour la recherche de l’État de São Paulo (FAPESP – Fundação de Amparo à Pesquisa do Estado de São Paulo). Le gouvernement a également mis en place le programme national d’amélioration de la canne à sucre (PLANALSUCAR – Programa Nacional de Melhoramento da Cana-de-Açúcar), un programme gouvernemental destiné à améliorer les variétés de canne à sucre et à améliorer le rendement des cultures.

Il a également dirigé les travaux relatifs au développement de semences, tandis que le Réseau inter-universitaire pour le développement du secteur sucro-énergétique (RIDESA – Rede Interuniversitária para o Desenvolvimento do Setor Sucroenergético) a développé plusieurs variétés de canne à sucre pour répondre aux besoins du Brésil. (38) Voir l’histoire du RIDESA, disponible à l’adresse https://www.ridesa.com.br/historia. Consulté le 3 juin 2024. Voir aussi da Silva Medina, G. et B. Pokorny (2022). Agro-industrial development: Lessons from Brazil.  Land Use Policy 120, 106266. DOI : https://doi.org/10.1016/j.landusepol.2022.106266.

Enfin, l’EMBRAPA a fortement investi dans l’éducation et la formation de son personnel afin de développer les capacités d’innovation du pays. Entre 1974 et 1982, l’EMBRAPA a alloué environ 20% de son budget à l’éducation. (39)Correa, P. et C. Schmidt (2014). Public research organizations and agricultural development in Brazil: How did EMBRAPA get it right? Economic Premise No. 145. Banque mondiale. Disponible à l’adresse http://documents.worldbank.org/curated/en/156191468236982040/Public-research-organizations-and-agricultural-development-in-Brazil-how-did-Embrapa-get-it-right.

Le centre de recherche agricole du Kenya (KALRO) a pour but de générer et de diffuser des connaissances sur les cultures vivrières, les technologies et les services innovants. En dépit de la longue expérience du pays dans le domaine de la sélection végétale, il a toujours besoin de collaborer avec les centres de recherche du GCRAI, soutenus par un financement provenant, par exemple, de l’AATF et de la Fondation Bill & Melinda Gates, pour renforcer les capacités d’innovation du pays.

L’un de ces centres de recherche du GCRAI est le CIMMYT, mentionné précédemment. Il a accès à un réseau mondial d’innovation regroupant des experts en recherche agricole du monde entier. Il entretient également des contacts avec des entreprises semencières privées en collaborant au développement d’hybrides abiotiques résistants au stress dans 17 pays sur une période de neuf ans. (40)Gaffney, J., M. Challender, K. Califf et K. Harden (2019). Building bridges between agribusiness innovation and smallholder farmers: A review. Global Food Security, 20, 60-65. DOI : https://doi.org/10.1016/j.gfs.2018.12.008; Boyer, J.S., P. Byrne, K.G. Cassman, M. Cooper, D. Delmer, T. Greene, F. Gruis, J. Habben, N. Hausmann, N. Kenny, R. Lafitte, S. Paszkiewicz, D. Porter, A. Schlegel, J. Schussler, T. Setter, J. Shanahan, R.E. Sharp, T.J. Vyn, … J. Gaffney (2013). The U.S. drought of 2012 in perspective: A call to action. Global Food Security, 2(3), 139-143. DOI : https://doi.org/10.1016/j.gfs.2013.08.002; Weber, V.S., A.E. Melchinger, C. Magorokosho, D. Makumbi, M. Bänziger et G.N. Atlin (2012). Efficiency of managed-stress screening of elite maize hybrids under drought and low nitrogen for yield under rainfed conditions in Southern Africa. Crop Science, 52(3), 1011-1020. DOI : https://doi.org/10.2135/cropsci2011.09.0486.

Les gouvernements jouent également un rôle de premier plan en coordonnant, en recueillant et en diffusant des données précieuses sur l’innovation agricole. Au Kenya, par exemple, le KALRO et le CIMMYT ont formé les acteurs du secteur agroalimentaire tout au long de la chaîne de valeur, dans le cadre d’une initiative visant à convaincre les agriculteurs kenyans de cultiver des variétés de maïs xérophile. Ils ont réussi à atteindre plus d’un million d’agriculteurs en Afrique, ont établi des partenariats avec 28 entreprises semencières (4 kenyanes) et ont organisé près de 550 démonstrations sur le terrain au Kenya. Cet effort a abouti à la vente de 4 500 millions de tonnes de variétés de maïs adaptées au changement climatique et à la distribution de paquets de semences à 10 000 agriculteurs kenyans.

Créer un environnement propice à l’innovation

Les investissements privés dans des innovations agricoles sont influencés par les politiques publiques et la demande du marché, tant dans le pays producteur que dans les pays susceptibles d’importer les produits concernés. Outre les décisions fondées sur le prix du marché, les politiques peuvent aussi influencer l’affectation des ressources. À l’instar des agriculteurs, le secteur privé décide de la culture à planter et des technologies à adopter aujourd’hui, sur la base des prévisions de prix des produits agricoles.

Les gouvernements doivent donc s’efforcer de créer des incitations qui fassent coïncider leurs intérêts avec ceux du secteur privé afin d’induire des changements ou l’adoption de nouvelles technologies. Les gouvernements peuvent y parvenir en recourant à différents leviers politiques, notamment :

  • la protection de la propriété intellectuelle afin de mettre en place une condition préalable importante pour que le secteur privé commence à investir dans l’innovation agricole. Aux États-Unis, la protection de la propriété intellectuelle est l’un des facteurs qui a incité le secteur privé à investir dans l’innovation dans le secteur agricole. L’autre facteur a été l’adoption par le gouvernement de la loi Bayh-Dole, qui autorise les universités à s’attribuer des droits de propriété intellectuelle sur des technologies mises au point avec des fonds fédéraux;

  • l’octroi d’un accès au crédit afin de faciliter l’adaptation et l’adoption de nouvelles technologies agricoles, étant donné qu’elles peuvent être onéreuses pour les agriculteurs. Le Brésil a institué le Système national de crédit rural, qui finance l’agriculture commerciale afin de promouvoir l’utilisation de nouvelles technologies, telles que les engrais, les pesticides et les machines agricoles; (41)Bien que le programme ait fait l’objet de critiques pour avoir financé de grands exploitants agricoles centrés sur des produits d’exportation dans le centre et le sud du pays, il a néanmoins donné l’élan nécessaire pour atteindre son objectif déclaré (Mueller et Mueller, 2016). Mueller, B. and C. Mueller (2016). The political economy of the Brazilian model of agricultural development: Institutions versus sectoral policy. The Quarterly Review of Economics and Finance, 62, 12-20. DOI: https://doi.org/10.1016/j.qref.2016.07.012; Corcioli, G., G. da S. Medina et C.A. Arrais (2022). Missing the target: Brazil’s agricultural policy indirectly subsidizes foreign investments to the detriment of smallholder farmers and local agribusiness.  Frontiers in Sustainable Food Systems, 5. Disponible à l’adresse www.frontiersin.org/articles/10.3389/fsufs.2021.796845; Medina, G. da S. et A.P. dos Santos (2017). Curbing enthusiasm for Brazilian agribusiness: The use of actor-specific assessments to transform sustainable development on the ground. Applied Geography, 85, 101-112. DOI : https://doi.org/10.1016/j.apgeog.2017.06.003.

  • les investissements dans des infrastructures telles que le transport routier, ferroviaire et portuaire, peuvent considérablement réduire le coût de transport des produits agricoles de la ferme au marché et faciliter la croissance du secteur. Une étude portant sur le “Miracle du Cerrado” au Brésil a conclu qu’une hausse de 1% des routes pavées entraînait une augmentation d’un peu plus de 1% de la production agricole et de 1,11% de la production animale, (42)Rada, N. (2013). Assessing Brazil’s Cerrado agricultural miracle. Food Policy, 38, 146–155. DOI : https://doi.org/10.1016/j.foodpol.2012.11.002.

Mise en œuvre de politiques agricoles ciblées

Comme indiqué précédemment, la mission agricole des États-Unis, mise en œuvre au XIXe siècle a ouvert la voie au développement de ses capacités d’innovation dans le secteur. Des politiques ciblées ont visé à promouvoir la recherche de solutions aux défis agricoles de la région et à former des chercheurs et des agriculteurs à l’utilisation des technologies agricoles. À l’heure actuelle, la majeure partie de l’innovation dans le secteur agricole aux États-Unis est le fait du secteur privé. (43)Voir Fuglie, K., M. Gautam, A. Goyal et W.F Maloney (2019). Sources of Growth in Agriculture. In: Fuglie, K., M. Gautam, A. Goyal et W. Maloney (éd.), Harvesting Prosperity: Technology and Productivity Growth in Agriculture. Banque mondiale, 1-42. DOI : https://doi.org/10.1596/978-1-4648-1393-1_ch1.

Le développement relativement rapide des capacités locales de production de canne à sucre et de bioraffinage d’éthanol à São Paulo a été soutenu par des fonds publics. Le Programme national en faveur de l’alcool ( Programa Proálcool) a fourni les incitations financières nécessaires pour encourager les entreprises à produire de l’éthanol carburant, a subventionné le prix de l’éthanol carburant et a réduit les taxes pour les consommateurs achetant de l’éthanol pour leur voiture. (44)Ce mécanisme d’incitation a été suspendu en 1986 en raison du niveau peu élevé des prix du pétrole. Le programme a stimulé la production de sucre dans le pays en la multipliant par 20 en l’espace de 16 ans. (45)Stattman, S.L., O. Hopes et A.P.J. Mol (2013). Governing biofuels in Brazil: A comparison of ethanol and biodiesel policies. Food Policy, 61, 22-30. DOI : https://doi.org/10.1016/j.enpol.2013.06.005. Il a également renforcé la capacité du Brésil à construire des véhicules multicarburants conçus pour rouler à l’essence ou à l’éthanol. (46)dos Santos e Silva, D.F., J.V. Bomtempo et F.C. Alves (2019). Innovation opportunities in the Brazilian sugar-energy sector. Journal of Cleaner Production, 218, 871-879. DOI : https://doi.org/10.1016/j.jclepro.2019.02.062. En 2017, près de neuf véhicules sur 10 vendus au Brésil étaient des voitures multicarburants. (47)EPE, 2018. Energy Demand of Light Duty Vehicle: 2018-2030 (No. 01). Empresa de Pesquisa Energética, Rio de Janeiro.

Au Kenya, la spécialisation des technologies agricoles dans la sélection végétale va probablement se renforcer après la levée par le gouvernement de l’interdiction d’importer des aliments génétiquement modifiés en 2015. Cette interdiction avait en partie été imposée parce qu’un grand nombre d’économies plus riches achetant les exportations kenyanes interdisent l’importation de cultures transgéniques. Le gouvernement a également autorisé la recherche sur des cultures génétiquement modifiées et transgéniques. Par ailleurs, le gouvernement kenyan a adopté plusieurs lois relatives à l’agriculture, qui vise à poursuivre la transformation du secteur agricole du pays. (48)Ces projets de lois sont, entre autres, le projet de loi de 2012 sur l’Autorité chargée de l’agriculture, de l’élevage, de la pêche et de l’alimentation, le projet de loi de 2012 sur l’élevage, le projet de loi de 2012 sur les cultures, le projet de loi de 2012 sur la recherche agricole kenyane et le projet de loi sur la pêche. Voir le site Web du Réseau mondial d’informations agricoles (GAIN) de l’USDA à l’adresse https://gain.fas.usda.gov/#/home.

Dans le même temps, les politiques publiques non agricoles mises en œuvre dans les pays producteurs et dans les pays importateurs de produits agricoles influencent l’innovation agricole sur le marché domestique tout autant que mondial. Les normes et les politiques relatives aux mesures sanitaires et phytosanitaires ainsi que les initiatives de durabilité (notamment les biocarburants et la sécurité des aliments) jouent un rôle considérable dans les types d’innovations agricoles adoptées dans les terres agricoles. (49)Voir Wiggins, S., G. Henley et S. Keats (2015). Competitive or complementary? Industrial crops and food security in sub-Saharan Africa. Overseas Development Institute (ODI). Disponible à l’adresse www.jstor.org/stable/resrep50756.

Porter des fruits : lorsque les conditions d’appropriation, les capacités locales et les débouchés qu’offre le marché montrent la voie

Bien que les gouvernements soient probablement les principaux soutiens du développement des technologies agricoles, ils n’en sont pas nécessairement les principaux utilisateurs ou producteurs commerciaux. C’est là que le secteur privé a un rôle à jouer dans l’identification et l’exploitation des débouchés dans le secteur agricole. Ce sont les débouchés commerciaux qui incitent le secteur privé à investir et à consentir des efforts de commercialisation dans le développement des technologies agricoles. Toutefois, sa capacité à le faire varie en fonction de la situation et des contraintes particulières de chaque pôle. Elle dépend également des capacités coexistantes et connexes, disponibles au niveau local.

Premièrement, les conditions d’appropriation locale doivent fournir des incitations suffisantes pour que le secteur privé innove dans l’agriculture. Aux États-Unis, la loi Bayh-Dole et divers instruments de protection de la propriété intellectuelle ont incité des entreprises privées à accepter le risque inhérent à l’adoption et à la commercialisation de nouvelles innovations technologiques. C’est ainsi que des start-ups et de grandes entreprises semencières ont collaboré avec des universités et des instituts de recherche publics pour commercialiser des cultures transgéniques.

Deuxièmement, la présence de centres de recherche agricole forts, de communautés agricoles prospères et d’entreprises dynamiques opérant aux côtés d’institutions et d’infrastructures favorables, contribue au développement de capacités d’innovation locales solides. Le regroupement de ces activités innovantes, comme dans les technopôles agricoles, permet aux savoirs et aux compétences de se répandre dans le secteur, soit à partir d’autres segments de valeur le long de la chaîne de valeur agricole, soit dans un domaine voisin ou contigu.

Troisièmement, la capacité de l’écosystème local d’innovation à exploiter les capacités locales pour répondre aux débouchés qu’offre le marché dépend de multiples facteurs. Les principaux sont la diversité, la complexité, la connexité et la rareté de ses capacités locales.

Comme expliqué au chapitre 2 du présent rapport, les pays ayant les meilleures opportunités de modifier leur trajectoire technologique tendent à avoir des écosystèmes d’innovation extrêmement complexes. Cette tendance peut être observée dans les trois technopôles agricoles considérés.

La figure 3.7 compare les différentes capacités d’innovation de ces trois technopôles agricoles en 2004 et en 2020. Ces capacités sont mesurées à l’aune des trois dimensions des capacités décrites au chapitre 2, à savoir le commerce, les publications scientifiques et les demandes de brevet. La figure montre que les États-Unis se classent en tête parce qu’ils ont le niveau de capacit��s le plus élevé dans des domaines extrêmement complexes, devant le Brésil et le Kenya. Ces deux pays ont renforcé leurs capacités d’innovation et présentent, de ce fait, un certain degré de capacités complexes.

Ces niveaux généraux de capacités d’innovation se reflètent également dans la spécialisation en technologies agricoles de chaque technopôle.

La figure 3.8 cartographie les capacités liées aux technologies agricoles et montre la différence de répartition entre les capacités simples et complexes. La plupart des capacités technologiques agricoles du Kenya se situent dans la catégorie des capacités simples, ce qui implique que les capacités que le pays a réussi à acquérir sont également présentes dans d’autres pays. Entre 2004 et 2020, le Brésil est parvenu à développer des capacités plus complexes en matière de technologies agricoles. Les États-Unis possèdent les capacités les plus complexes, mêmes dans des secteurs spécifiques des technologies agricoles.

Le Colorado est un producteur de technologies agricoles de pointe.

L’économie américaine est à la pointe de l’innovation tant de manière générale qu’en ce qui concerne la spécialisation dans les technologies agricoles.

La figure 3.9 compare les capacités de cette économie dans les dimensions scientifique, technologique et productive entre 2004 et 2020 et montre la connexité et la concentration des domaines de spécialisation. Les États-Unis possèdent le savoir-faire nécessaire pour mettre au point des technologies rares et complexes, ce qui explique en partie pourquoi ce pays est le principal exportateur de produits agricoles au monde.

Prenons l’exemple du technopôle agricole du Colorado. Le Colorado est, par habitant, le principal acteur de la recherche financée par l’USDA aux États-Unis. En 2011, il a reçu la troisième plus grosse enveloppe de fonds de l’USDA, juste derrière la Californie et le Texas. La région accueille plusieurs laboratoires spécialisés de l’USDA. Les universités du Colorado proposent des programmes majeurs en bioscience, en ressources hydriques, en sciences agricoles et en science des aliments, faisant de cet État l’un des leaders régionaux en matière de savoir agricole et alimentaire. Selon un inventaire récent, le Colorado abrite également 550 innovateurs agricoles, dont 460 sont des entreprises privées (sociétés et start-ups) et 90 sont des organismes publics (fédéraux, fédérés et locaux). (50)Voir Graff, G.D., A. Berlund et K. Rennels (2014). The Emergence of an Innovation Cluster in the Agricultural Value Chain along Colorado’s Front Range. Colorado State University.

En leur qualité de pôle de biotechnologie, les États-Unis ont été en mesure de renforcer leurs capacités locales grâce aux interactions entre leurs instituts et centres de recherche publics forts, d’une part, et un secteur privé bénéficiant de mesures d’incitation. Les conditions d’appropriation, notamment par une protection de la propriété intellectuelle, ont également contribué à faciliter les investissements du secteur privé dans la recherche et le développement agricoles.

Deux facteurs ont favorisé la commercialisation de la biotechnologie agricole depuis les années 1980. Le premier a été l’octroi de brevets sur des plantes génétiquement modifiées. Le second a été l’adoption de la loi Bayh-Dole, qui autorise les demandes de protection par brevet pour les recherches financées par des fonds publics. Rapidement, des start-ups issues de laboratoires de recherche ont appliqué la biotechnologie au domaine de l’agriculture. Ensuite, des entreprises semencières, chimiques et de production d’engrais et de pesticides ont commencé à adopter la technologie.

São Paulo capitalise sur ses capacités et ses prix avantageux pour s’orienter vers la production d’éthanol durable

Le Brésil a réussi à faire de son technopôle agricole un producteur d’éthanol de classe mondiale alors qu’il était un importateur net de produits agricoles. Pour ce faire, il a fallu un soutien fort du gouvernement et l’entrée du secteur privé dans le secteur lorsque celui-ci a commencé à mûrir. Cette évolution est illustrée à la figure 3.10, qui montre comment le Brésil a développé ses capacités d’innovation entre 2004 et 2020.

Au départ, le gouvernement brésilien a mis en œuvre le programme national en faveur de l’alcool pour réduire sa dépendance au pétrole en tant que source d’énergie. En recourant à différents mécanismes destinés à influencer l’offre et la demande d’éthanol, le gouvernement a réussi à accroître la production de canne à sucre au Brésil. Le gouvernement a même importé de la technologie de la société américaine Ford pour construire des véhicules roulant à l’éthanol.

Une forte baisse du prix du pétrole a rendu difficile le maintien de ce programme. Cependant, l’invention de véhicules multicarburants en 2003 a favorisé le recours à l’éthanol pour alimenter à nouveau les véhicules à moteur. Les consommateurs pouvaient remplir leur réservoir d’éthanol ou d’essence, pour profiter du carburant le moins cher. En 2010, les véhicules multicarburants représentaient 86% des véhicules légers au Brésil. (51)Voir de Castro, C.N. (2014). Agriculture in Brazil’s Southeast Region: Limitations and Future Challenges to Development (Texto para Discussão, No. 1952a). Instituto de Pesquisa Econômica Aplicada (IPEA). Disponible à l’adresse http://hdl.handle.net/10419/121530.

Vers la même période, le gouvernement a manifesté un intérêt renouvelé pour la production d’éthanol. En effet, le prix du pétrole était en train de monter et l’utilisation de sources d’énergie renouvelables gagnait lentement du terrain. À ce stade, peu d’entreprises locales produisaient de l’éthanol au moyen de la technologie de première génération.

La transition vers la technologie de deuxième génération a été suscitée par l’intérêt manifesté par le marché européen, où un éthanol moins polluant entraîne un prix plus élevé. La technologie de l’éthanol de deuxième génération est nouvelle au Brésil. Cette technologie utilise la technologie de l’éthanol de première génération existante et sur les déchets qu’elle génère pour produire de l’éthanol; réduisant ainsi les déchets et contribuant à répondre aux préoccupations liées au changement climatique. (52)L’éthanol de première génération est simplement produit par pressage de la canne à sucre, tandis que la production d’éthanol de deuxième génération repose sur la technologie de l’éthanol de première génération, associée à l’utilisation de ses “déchets” (appelés “bagasse”), à savoir les tiges de canne à sucre rejetées lorsque le sucre en a été extrait par pressage. La technologie de l’éthanol de deuxième génération est donc plus écologique, dans la mesure où elle réduit les déchets industriels, tout en utilisant une plus grande partie de l’énergie intrinsèque de la canne à sucre pour produire de l’éthanol.

La production de bioéthanol à grande échelle au moyen de la technologie de deuxième génération est risquée, même avec l’aide du gouvernement. Seules deux des six grandes usines de production de bioéthanol établies dans le monde en 2000 sont toujours en activité. Elles sont toutes deux situées au Brésil. (53)de C. L. e Penalva Santos, D., C. Correa, Y. Amaral Alves, C. Gomes Souza et R.A. Mancebo Boloy (2023). Brazil and the world market in the development of technologies for the production of second-generation ethanol. Alexandria Engineering Journal, 67, 153-170. DOI : https://doi.org/10.1016/j.aej.2022.09.004.

Nairobi s’appuie sur ses centres de recherche agricole et sur une plateforme de services bancaires mobiles de rupture

Les capacités d’innovation locales du Kenya sont moins variées, moins liées ou plus rares que celles des deux autres technopôles agricoles. La figure 3.11 montre que la majeure partie des capacités kenyanes reposent principalement sur des capacités simples. Toutefois, les données les plus récentes révèlent que le pays a réussi à relever le niveau de ses capacités et a gagné une capacité complexe, à savoir l’immunologie, qui pourrait être appliquée à l’avenir pour préserver la santé des animaux d’élevage, par exemple.

La chaîne de valeur de l’agriculture kenyane commence lentement à profiter d’un développement connexe du technopôle agricole de Nairobi, à savoir la plateforme de services bancaires mobiles de rupture, M-PESA. Soutenue par l’Autorité kenyane chargée de la communication, la plateforme M-PESA a rapidement été adoptée dans l’ensemble du pays. Elle a été mise à la disposition de clients ayant peu ou pas d’accès aux institutions financières, dont un grand nombre vit dans des zones éloignées, a un niveau d’instruction bas et connaît des problèmes de sécurité financière. La plateforme M-PESA exploite la technologie de la téléphonie mobile et permet d’effectuer des transferts électroniques sécurisés d’argent au moyen des services de messages courts (SMS) disponibles sur pratiquement tous les téléphones portables munis d’une carte SIM. Les téléphones portables étant déjà répandus au Kenya en raison de l’infrastructure téléphonique relativement peu développée, la technologie a été aisément adoptée et les gens s’y sont facilement adaptés.

M-PESA perturbe la chaîne de valeur agricole. Elle donne aux producteurs agricoles un accès au financement et au crédit et génère des profits considérables. (54)Voir Oostendorp, R., M. van Asseldonk, J. Gathiaka, R. Mulwa, M. Radeny, J. Recha, C. Wattel et L. van Wesenbeeck (2019). Inclusive agribusiness under climate change: a brief review of the role of finance. Current Opinion in Environmental Sustainability, 41, 18-22. DOI : https://doi.org/10.1016/j.cosust.2019.09.014. Elle a également ouvert la voie à de nouvelles start-ups de technologies agricoles, qui tirent parti de la plateforme M-PESA. L’identifiant unique fourni par une carte SIM offre un système d’identification fiable et a fait exploser les échanges de produits et de services dans le secteur des technologies agricoles. Hello Tractor, par exemple, est une nouvelle start-up de technologies agricoles qui loue des tracteurs aux agriculteurs qui en ont besoin.

Le prochain cap à franchir : adapter une nouvelle vague de technologies numériques

L’un des grands défis du secteur agricole consiste à déterminer comment poursuivre le développement de sa production tout en augmentant sensiblement sa durabilité. Alors que le changement climatique entraîne des conditions météorologiques extrêmes qui menacent les moyens de subsistance, il existe un consensus pour affirmer que le monde a besoin de rendre son approvisionnement alimentaire plus durable.

Le changement climatique pose un problème important et urgent qui influence les efforts déployés pour augmenter la production agricole dans le monde. Paradoxalement, les activités innovantes qui ont amélioré la productivité agricole en matière de culture et d’élevage, contribuent également à la dégradation des sols, à la pollution de l’eau et aux émissions de gaz à effet de serre. (55)Les activités agricoles représentent 20% des émissions mondiales de gaz à effet de serre. L’agriculture et l’élevage représentent 11% des émissions mondiales de gaz à effet de serre, voir FAO (2020). The Share of Agriculture in Total Greenhouse Gas Emission: Global, Regional and Country Trends 1990-2017 (FAOSTAT Analytical Brief Series No. 1). Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture. Disponible à l’adresse www.fao.org/documents/card/en/c/ca8389en. Elles affectent à leur tour les possibilités futures de développement agricole. En outre, des facteurs externes liés au climat et influençant le secteur agricole pourraient entraîner une hausse des prix mondiaux des denrées alimentaires et une réduction de la sécurité alimentaire pour les pauvres. (56)Voir Porter J.R., L. Xie, A.J. Challinor, K. Cochrane, S.M. Howden, M.M. Iqbal, D.B. Lobell et M.I. Travasso.(2014). Food security and food production systems. In IPCC. 2014. Climate Change 2014: Impacts, adaptation, and vulnerability. Part A: Global and sectoral aspects. Contribution of Working Group II to the Fifth Assessment Report of the Intergovernmental Panel on Climate Change, 485-533. Cambridge, Royaume-Uni, et New York, États-Unis d’Amérique, Cambridge University Press

L’une des solutions pour résoudre le problème des déchets et des émissions produits par l’agriculture consiste à adopter des technologies de précision. L’agriculture de précision est un domaine des technologies agricoles axé sur l’utilisation de technologies numériques qui recueillent de vastes ensembles de données afin d’optimiser les conditions et les processus agricoles.

De nombreuses start-ups se spécialisent dans les technologies de précision dans les trois technopôles agricoles considérés. L’écosystème d’innovation du Colorado se compose d’un large éventail d’instituts de recherche publics, d’entreprises et de communautés de start-ups dynamiques. Certaines de ces nouvelles start-ups s’efforcent de tirer parti de la dernière vague de technologies numériques et de les adapter au secteur agricole. São Paulo abrite le siège de quelques-unes des principales entreprises agroalimentaires du monde et accueille une communauté très active de start-ups agricoles dans la région. La ville est effectivement connue comme étant le principal centre d’innovation et d’entrepreneuriat d’Amérique latine. De plus, elle dispose d’un système financier et bancaire relativement mature, qui fournit le capital dont les start-ups ont grand besoin. (57)Voir les informations de Startup Genome sur São Paulo à l’adresse https://startupgenome.com/ecosystems/sao-paulo et BBVA, 2022. São Paulo, the largest innovation ecosystem in Latin America - BBVA. BBVA Spark Open Innovation. Disponible à l’adresse https://www.bbvaspark.com/contenido/en/news/land-of-unicorns-and-fintech-empire-this-is-sao-paulo-the-largest-innovation-ecosystem-in-latin-america/ (consulté le 13 novembre 2023).

Parallèlement, Nairobi est connu comme la “Silicon Savannah” en raison de son écosystème tourné vers la technologie. (58)Voir les informations de StartupGenome sur le Kenya. Disponible à l’adresse https://startupgenome.com/ecosystems/nairobi. Les start-ups kenyanes aident les agriculteurs à surmonter les contraintes et les défis liés à leur entrée dans le secteur agricole. Elles utilisent la plateforme innovante de services bancaires mobiles M-PESA pour aider les agriculteurs kenyans à accéder au crédit, à louer des tracteurs, voire à suivre en temps réel l’évolution des prix des produits agricoles. (59)M-PESA est un partenariat public-privé conclu entre l’entreprise britannique de télécommunications Vodafone et sa filiale Safaricom Kenya, un organisme de microfinancement, Faulu Kenya, et la Banque commerciale d’Afrique, une banque est-africaine présente au Kenya. Voir Hughes, N. et S. Lonie (2007). M-PESA: Mobile money for the “unbanked” turning cellphones into 24-hour tellers in Kenya. Innovations: Technology, Governance, Globalization, 2(1-2), 63-81. DOI : https://doi.org/10.1162/itgg.2007.2.1-2.63; et Onsongo, E. (2019). Institutional entrepreneurship and social innovation at the base of the pyramid: The case of M-Pesa in Kenya. Industry and Innovation, 26(4), 369–390. DOI : https://doi.org/10.1080/13662716.2017.1409104. Ce succès a entraîné la multiplication de start-ups de technologie financière dans la région. Nairobi se profile donc comme une région importante pour les start-ups de technologies agricoles en Afrique, y compris pour les innovateurs sur les marchés de la technologie financière agricole, de la gestion de la chaîne d’approvisionnement numérique et des marchés agroalimentaires entre entreprises, spécialisés dans les besoins et les conditions du commerce et de l’agriculture africains. (60)Voir AgFunder (2023). Africa AgriFood Tech Investment Report 2023. AgFunder. Disponible à l’adresse suivante : https://agfunder.com/research/africa-agrifoodtech-investment-report-2023/

Ces trois technopôles sont donc bien équipés pour adapter des technologies agricoles basées sur le numérique et réorienter une nouvelle fois leurs trajectoires de spécialisation dans les technologies agricoles.

Conclusion

L’agriculture est essentielle pour répondre à notre besoin pressant de sécurité alimentaire, d’alimentation et de durabilité. Elle joue également un rôle important dans une croissance et un développement durables.

L’augmentation de la productivité agricole peut avoir une incidence positive sur le bien-être de millions de personnes vivant actuellement dans la pauvreté. Il ressort de plusieurs études que la croissance de l’agriculture peut améliorer le niveau de revenu, ce qui conduit à une amélioration de la santé, de l’alimentation et de l’accès à l’éducation. Parmi leurs conclusions, on estime à 25 milliards de dollars É.-U. les gains résultant de l’adoption de variétés modernes de riz au Bangladesh, en Indonésie et aux Philippines et à 140 millions de dollars É.-U. ceux des agriculteurs éthiopiens ayant adopté une variété améliorée de maïs. La plupart de ces gains ont bénéficié à des personnes vivant sous le seuil de pauvreté. (61) Pour l’étude sur le Bangladesh, l’Indonésie et les Philippines, voir Raitzer, D.A., A.H. (62) Sparks, Z. Huelgas, R. Maligalig, Z. Balangue, C. Launio, A. Daradjat et H.U. Ahmed (2015). Is Rice Improvement Still Making a Difference? Assessing the Economic, Poverty and Food Security Impacts of Rice Varieties Released from 1989 to 2009 in Bangladesh, Indonesia and the Philippines. Rome, Italie : Independent Science and Partnership Council, GCRAI. [Rapport présenté au Groupe permanent sur l��évaluation de l’incidence (SPIA)]. Groupe consultatif pour la recherche agricole internationale GCRAI). Disponible à l’adresse https://research.usq.edu.au/item/q4418/is-rice-improvement-still-making-a-difference-assessing-the-economic-poverty-and-food-security-impacts-of-rice-varieties-released-from-1989-to-2009-in-bangladesh-indonesia-and-the-philippines; et pour l’Éthiopie, voir Kassie, M., P. Marenya, Y. Tessema, M. Jaleta, D. Zeng, O. Erenstein et D. Rahut (2018). Measuring farm and market level economic impacts of improved maize production technologies in Ethiopia: Evidence from panel data. American Journal of Agricultural Economics, 69, 76-95. DOI : https://doi.org/10.1111/1477-9552.12221

Rien d’étonnant, dès lors, à ce que l’agriculture joue un rôle crucial dans la réalisation de plusieurs objectifs de développement durable des Nations Unies (ODD), dont 15 sur 17 peuvent être améliorés grâce à une croissance du secteur agricole. (63)L’agriculture a un lien avec 15 de 17 ODD des Nations Unies, à savoir le niveau de vie, les inégalités et la croissance économique (ODD 1, 5, 8, 9 et 16), la santé (ODD 2, 3 et 6), la stabilité environnementale (ODD 6, 7, 11, 12, 13, 14 et 15). Voir les 17 objectifs de développement durable des Nations Unies à l’adresse https://sdgs.un.org/goals.

L’évolution des trois technopôles agricoles considérés, à savoir Denver, Colorado (États-Unis), São Paulo (Brésil) et Nairobi (Kenya) montre qu’ils ont réussi à s’appuyer sur des capacités locales et connexes, de manière à se spécialiser dans les différents domaines technologiques agricoles. Avec le temps, chaque pôle a progressé dans le renforcement de ses capacités et de ses compétences technologiques. Le pôle le plus avancé (Denver) est parvenu à capitaliser sur les technologiques connexes disponibles pour devenir un leader mondial dans le secteur agricole et il compte plusieurs spécialisations parmi les nombreux domaines des technologies agricoles.

Trois points importants sont à retenir sur ces technopôles :

  • L’innovation dans les technologies agricoles est spécifique au contexte et dépend des conditions agroécologiques d’une région. Les trajectoires des trois technopôles agricoles de Denver, Colorado (États-Unis), de São Paulo (Brésil) et de Nairobi (Kenya) ont été favorisées et gênées non seulement par le climat des régions concernées, mais aussi par l’infrastructure disponible. Les avancées technologiques dans le domaine de l’irrigation sont l’une des raisons principales pour lesquelles Denver a réussi à se transformer en technopôle agricole. L’infrastructure routière de São Paulo lui a donné un avantage par rapport à d’autres régions du Brésil, lorsque la ville s’est transformée en centre national de production de sucre. Par ailleurs, la position centrale de Nairobi en Afrique et le fait que la ville héberge deux centres de recherche du GCRAI ont contribué à en faire un centre d’innovation pour tout le continent.

  • Le secteur public joue un rôle important en investissant tôt dans l’innovation agricole. Aux États-Unis, au Brésil et au Kenya, le secteur public a été déterminant en contribuant à renforcer les capacités initiales nécessaires pour innover dans le domaine agricole.

  • Une fois un niveau critique de capacités innovantes atteint et dès que les conditions d’appropriation sont suffisantes, les entreprises privées peuvent jouer un rôle plus important en investissant dans l’innovation agricole. Les technopôles agricoles de Denver et de São Paulo en sont l’illustration. À Nairobi, la plateforme de services bancaires mobiles M-PESA a permis aux start-ups numériques d’appliquer les technologies numériques à l’agriculture. Ces start-ups offrent des services qui pourraient permettre de résoudre certains des problèmes que rencontrent les agriculteurs kenyans et les aider à améliorer leur productivité.

L’un des principaux défis de l’agriculture est de trouver comment alimenter les quelque 10 milliards d’individus qui, selon les projections, peupleront la planète en 2050, soit près de deux milliards de personnes de plus qu’aujourd’hui. (64)La Banque mondiale estime que la population mondiale va augmenter pour atteindre près de 10 milliards de personnes en 2050. Voir la projection de la Banque mondiale à l’adresse https://databank.worldbank.org/reports.aspx?source=health-nutrition-and-population-statistics:-population-estimates-and-projections. Ces projections impliquent une nécessité accrue d’augmenter le rendement agricole, compte tenu des ressources naturelles limitées et de plus en plus rares. De plus, les incertitudes liées aux conflits en cours, au changement climatique et aux pandémies potentielles devront être prises en considération pour assurer la sécurité alimentaire de toute la population. (65)En 2022, l’agriculture a connu un énorme choc dû au confinement mondial décidé pour contenir la pandémie de COVID-19 de 2020. En outre, le conflit en cours en Ukraine a perturbé l’approvisionnement mondial en céréales et a contribué à une hausse des prix des denrées alimentaires dans le monde. Cet élément va probablement aggraver la crise alimentaire mondiale. Voir la “Déclaration conjointe des directeurs généraux de l’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture, du Fonds monétaire international, du Groupe de la Banque mondiale, du Programme alimentaire mondial et de l’Organisation mondiale du commerce sur la crise mondiale de la sécurité alimentaire”, 8 février 2023, disponible à l’adresse https://www.imf.org/en/News/Articles/2023/02/08/pr2335-joint-statement-by-the-fad-imf-wbg-wfp-and-wto-on-food-and-nutrition-security-crisis.

Conséquences politiques

Trois conséquences politiques générales peuvent contribuer à faire en sorte que l’innovation dans l’agriculture continue de répondre aux besoins de la population mondiale.

Tout d’abord, les investissements dans l’innovation agricole doivent être continus, cohérents et se situer dans le temps long. Bien que le retour sur investissement puisse quelque peu tarder, il bénéficiera à tous.

Ensuite, la nouvelle vague de technologies numériques peut contribuer à répondre au besoin d’une croissance durable dans le secteur agricole. Les gouvernements peuvent être intéressés par la construction des infrastructures nécessaires en vue de faciliter l’adoption de ces technologies et d’investir dans une infrastructure qui favorisent la chaîne de valeur agricole.

Enfin, les gouvernements peuvent poursuivre des politiques promouvant les investissements du secteur privé dans le secteur agricole. Celles-ci comprennent, entre autres, l’établissement de conditions d’appropriation suffisantes permettant au secteur privé de bénéficier des investissements dans l’innovation agricole, tandis qu’une économie favorable aux start-ups peut créer les conditions qui leur permettront d’exploiter les débouchés commerciaux afin de développer le secteur.