WIPO

Centre d'arbitrage et de médiation de l'OMPI

DÉCISION DE L'EXPERT

LEGO Juris A/S contre Jack Van Zandt

Litige n° DFR2009-0039

1. Les parties

Le Requérant est LEGO Juris A/S, Billund, Danemark, représenté par Melbourne IT Digital Brand Services, Suède.

Le Défendeur est Jack Van Zandt, Paris, France.

2. Nom de domaine et prestataire Internet

Le litige concerne le nom de domaine <wwwlegoclub.fr> enregistré le 21 juin 2007.

Le prestataire Internet est la société EuroDNS S.A.

3. Rappel de la procédure

Une demande déposée par le Requérant auprès du Centre d'arbitrage et de médiation de l'Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) a été reçue le 18 décembre 2009 par courrier postal et le 21 décembre 2009, par courrier électronique.

Le 21 décembre 2009, le Centre a adressé à l'Association Française pour le Nommage Internet en Coopération (ci-après l'“Afnic”) une demande aux fins de vérification des éléments du litige et de gel des opérations.

Le 23 décembre 2009, l'Afnic a confirmé l'ensemble des données du litige, ainsi qu'aucune procédure administrative applicable au nom de domaine objet du litige n'est pendante.

Le 29 décembre 2009, le Centre a informé le Requérant de la levée de l'anonymat du titulaire du nom de domaine litigieux et lui demandait en conséquence d'amender sa demande afin de tenir compte de ces éléments d'identification tels que transmis par l'Afnic.

Le Centre a reçu la demande amendée du Requérant le 4 janvier 2010, par courrier électronique, puis par courrier postal.

Le Centre a vérifié que la demande ainsi que la demande amendée répondent bien au Règlement sur la procédure alternative de résolution des litiges du “.fr” et du “.re” par décision technique (ci-après le “Règlement”) en vigueur depuis le 22 juillet 2008, et applicable à l'ensemble des noms de domaine du “.fr” et du “.re” conformément à la Charte de nommage de l'Afnic applicable (ci-après la “Charte”).

Conformément à l'article 14(c) du Règlement, une notification de la demande, valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au Défendeur le 6 janvier 2010. Conformément à l'article 15(a) du Règlement, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 26 janvier 2010. Le Défendeur n'ayant pas fait parvenir de réponse, le Centre a notifié aux parties le défaut de réponse le 27 janvier 2010.

Le 4 février 2010, le Centre a nommé Alexandre Nappey comme Expert dans le présent litige. L'Expert constate qu'il a été nommé conformément au Règlement. L'Expert a adressé au Centre une déclaration d'acceptation et une déclaration d'impartialité et d'indépendance, conformément à l'article 4 du Règlement.

4. Les faits

Le Requérant est la société Lego Juris A/S, une société à responsabilité limitée immatriculée au Danemark. Elle conçoit depuis les années 1930 des jeux de construction qu'elle commercialise dans plus de 130 pays à travers le monde. Le Requérant a réalisé un chiffre d'affaires de1,8 milliard de dollars des Etats-Unis en 2008. Les produits du Requérant sont vendus en France depuis 1959.

Le Requérant a identifié l'enregistrement du nom de domaine <wwwlegoclub.fr>, réalisé sous couvert d'anonymat en date du 21 juin 2007.

Le Requérant a tenté de contacter le Défendeur le 5 mai 2009 pour lui rappeler l'existence de ses droits sur la marque LEGO et l'intimer de cesser l'usage et de lui rétrocéder le nom de domaine litigieux, ceci par l'intermédiaire du formulaire web prévu à cet effet par l'afnic.

Cette lettre étant restée sans réponse, le Requérant a adressé un rappel dans les mêmes conditions le 14 mai 2009, en vain.

Par conséquent, le Requérant a décidé d'engager la présente procédure. Conformément au Règlement, le Centre a demandé à l'afnic de divulguer les données relatives au Défendeur, et a sollicité l'amendement de la demande du Requérant pour tenir compte de ces informations.

5. Argumentation des parties

A. Requérant

Le Requérant soutient que la marque LEGO possède un caractère distinctif propre. Il déclare que la marque LEGO est mondialement connue pour les jeux de construction.

Il estime que tous les noms de domaine contenant la marque LEGO ont vocation d'être détenus par lui exclusivement.

C'est pourquoi le nom de domaine litigieux est de nature à prêter à confusion avec la marque du Requérant, dans la mesure où la simple adjonction du préfixe technique “www” et du terme descriptif “club” n'atténue pas l'impression générale d'association avec le Requérant.

De plus, le Requérant indique qu'il possède un fan-club dénommé “LEGO Club” avec sa propre page d'accueil, dès lors l'impression d'appartenance ou d'association du nom de domaine litigieux avec le Requérant est renforcée.

Le Requérant soutient que le Défendeur ne possède aucune marque ou autre signe distinctif correspondant à l'expression reprise dans le nom de domaine litigieux. De plus, il n'a été porté à la connaissance du Requérant aucun usage de nature à légitimer la détention du nom de domaine par le Défendeur. Alors même par ailleurs que le Requérant n'a consenti aucune licence ou autorisation au Défendeur d'utiliser sa marque LEGO.

Il appartenait au Défendeur de s'assurer que le nom de domaine choisi ne portait pas atteinte aux droits des tiers et en particulier à ceux du Requérant.

De surcroît, le Défendeur utilise le nom de domaine litigieux pour activer une page de parking composée de liens commerciaux dont certains font la promotion de produits concurrents du Requérant. Le Requérant soutient que le nom de domaine a été utilisé par le Défendeur à des fins commerciales non légitimes.

Le Requérant sollicite le transfert du nom de domaine à son profit.

B. Défendeur

Le Défendeur n'a soumis aucun argument en réponse à la demande.

6. Discussion

L'Expert rappelle que, en application de l'article 1 du Règlement, une atteinte aux droits des tiers est constituée “lorsque le nom de domaine est identique ou susceptible d'être confondu avec un nom sur lequel est conféré un droit de propriété intellectuelle français ou communautaire (propriété littéraire et artistique et/ou propriété industrielle), ou est identique au nom patronymique d'une personne, sauf si le défendeur fait valoir un droit ou un intérêt légitime sur le nom de domaine et agit de bonne foi”. En application du même article, une atteinte aux règles de la concurrence désigne notamment “une violation du comportement loyal en matière commerciale en droit français ou communautaire”.

L'Expert souligne que, en application de l'article 20(c) du Règlement, il fait droit à la demande “lorsque l'enregistrement ou l'utilisation du nom de domaine par le défendeur constitue une atteinte aux droits des tiers ou aux règles de la concurrence telles que définies à l'article 1 du présent Règlement et, si la mesure de réparation demandée est la transmission du nom de domaine, lorsque le requérant a justifié de ses droits sur l'élément objet de ladite atteinte et sous réserve de sa conformité avec la Charte applicable”.

(i) Droits du requérant sur le nom de domaine

L'Expert constate que le Requérant détient des droits de propriété intellectuelle sur la marque LEGO, à la fois en France et dans de nombreux pays à travers le monde.

Ainsi notamment, le Requérant produit un certificat d'enregistrement de la marque verbale LEGO au plan communautaire, sous le n°000039800 du 1er avril 1996, marque revendiquant des produits et services des classes 3, 9, 14, 16, 20, 24, 25, 28, 38, 41 et 42.

Le Requérant démontre également l'exploitation de la marque LEGO notamment sur Internet pour désigner des jeux de construction. En conséquence, l'Expert considère que le Requérant bénéficie de droits de propriété intellectuelle communautaires sur la marque LEGO qui compose le nom de domaine litigieux.

Le nom de domaine est constitué de la combinaison de la marque du Requérant avec le préfixe technique “www” et le terme “club”.

Il ressort de nombreuses décisions que l'adjonction d'un terme descriptif ou générique à une marque, a fortiori, lorsque cette marque bénéficie d'une grande notoriété, ce qui est le cas de la marque LEGO, n'est pas de nature à limiter le risque de confusion qui existe entre un nom de domaine et la marque qu'il incorpore.

Sur ce point, les décisions antérieures rendues par les experts sous l'égide du Règlement permettent de préciser dans quelle mesure un nom de domaine combinant une marque à un terme descriptif ou générique peut être considéré comme une atteinte au sens de l'article 1er du Règlement.

Ainsi par exemple, il a été jugé que l'adjonction du terme “entreprises” à la marque CIC “n'écarte, en aucune manière, le risque de confusion entre le nom de domaine litigieux et les marques et autres droits privatifs du Requérant. (…) au contraire, que l'ajout du terme générique “entreprises” accroît le risque de confusion avec les marques antérieures du Requérant, laissant croire au public que le nom de domaine litigieux renvoie vers un site Internet présentant les services du CIC dédiés aux entreprises”, voir Crédit Industriel et Commercial SA v. Stéphane Reynaud, Litige OMPI No. DFR2009-0021.

Les décisions rendues dans le cadre des Principes directeurs régissant le règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine (“UDRP”) constituent également des références intéressantes sur ce point. Voir notamment la position de l'expert dans une affaire concernant un nom de domaine composé d'une marque et du terme descriptif “club” : “The misspelling is of minimal significance and the addition of a descriptive term, such as “club”, does not provide sufficient differentiation to move this confusion.” Société des Produits Nestlé SA v. Patricia Anderson, Litige OMPI No. D2007-1177.

Il est par ailleurs établi que l'adjonction du préfixe technique “www” n'est pas de nature à écarter le risque de confusion entre un nom de domaine et un signe distinctif antérieur opposé, au sens du Règlement. Cette adjonction est considérée comme un “typosquatting” du signe distinctif.

Ainsi par exemple, il a été considéré que “[l]'adjonction des lettres “www” ne fait qu'accentuer la confusion puisque ces lettres sont présentes dans les noms de domaine. Le fait qu'il n'existe pas de “.” entre les trois lettres “www” et le terme “axa” prouve bien que le Défendeur a commis un acte de “typosquatting” qui consiste à tromper des internautes qui ont fait des erreurs de frappe et qui, en l'espèce, ont omis un point entre les trois lettres “www” et le terme ‘axa'”. AXA v. Robert Kwasnik, Litige OMPI No. DFR2009-0009.

Il résulte de ce qui précède que le Requérant a justifié de ses droits sur la marque LEGO reprise dans le nom de domaine litigieux. L'Expert considère en outre que le nom de domaine <wwwlegoclub.fr> est susceptible d'être confondu avec la marque précitée.

(ii) Enregistrement ou utilisation du nom de domaine litigieux en violation des droits des tiers ou des règles de la concurrence

L'Expert constate que le nom de domaine litigieux a été enregistré par le Défendeur le 21 juin 2007, soit postérieurement au dépôt de la marque communautaire LEGO invoqué par le Requérant à l'appui de sa demande.

En outre, l'Expert constate que le Défendeur ne justifie d'aucun droit sur le nom de domaine: le Requérant a soutenu qu'il n'avait consenti aucun contrat, licence ou autorisation permettant au Défendeur d'utiliser la marque LEGO, en particulier pour déposer et exploiter un nom de domaine reprenant sa marque. Or, le Défendeur n'ayant pas pris part à la procédure, il n'a pas contredit les arguments du Requérant.

L'Expert estime que le Défendeur ne peut faire valoir aucun intérêt légitime sur le nom de domaine litigieux. Au contraire, compte tenu de la similitude entre le nom de domaine et la marque du Requérant, l'Expert considère que le Défendeur a agi de mauvaise foi et a cherché à tirer profit de la notoriété du Requérant pour attirer sur son site des internautes fondés à penser qu'ils se connectaient à un site exploité par le Requérant ou avec son accord.

L'activation d'une page de parking avec des liens commerciaux faisant la promotion des services de sociétés dont certaines directement concurrentes du Requérant, à partir d'un nom de domaine susceptible d'induire en erreur les internautes d'attention moyenne, conforte l'opinion de l'Expert sur la mauvaise foi du Défendeur.

Enfin, l'Expert constate que le Défendeur est coutumier de ce type de pratiques. Des décisions antérieures ont retenu l'atteinte aux droits des tiers ou le manquement aux règles de loyauté dans le domaine commercial: Groupe Auchan v. Jack Van Zandt, Litige OMPI No. DFR2007-0040, Michel Simond Developpement v. Jack Van Zandt, Litige OMPI No. DFR2008-0032, Caisse Fédérale du Crédit Mutuel Nord Europe v. Jack Van Zandt, Litige OMPI No. DFR2008-0030.

En conséquence, l'Expert considère que l'enregistrement et l'utilisation du nom de domaine litigieux portent atteinte aux droits du Requérant et constituent un manquement aux règles de loyauté en matière commerciale.

7. Décision

Conformément aux articles 20(b) et (c) du Règlement, l'Expert ordonne la transmission au profit du Requérant du nom de domaine <wwwlegoclub.fr>.


Alexandre Nappey
Expert

Le 16 février 2010