WIPO

 

Centre d’arbitrage et de médiation de l’OMPI

 

DÉCISION DE LA COMMISSION ADMINISTRATIVE

Blandine Vanoverschelde contre William Cordoba

Litige n° D2006-0540

 

1. Les parties

Le requérant est Blandine Vanoverschelde, Le Groupe AFDI, Fort de France, Martinique, France, représenté par Blandine Vanoverschelde, France.

Le défendeur est William Cordoba, Margny les Compiègne, France.

 

2. Nom de domaine et unité d’enregistrement

Le litige concerne le nom de domaine <i-defiscalisation.com>.

L’unité d’enregistrement auprès de laquelle le nom de domaine est enregistré est Gandi SARL.

 

3. Rappel de la procédure

Une plainte a été déposée par Blandine Vanoverschelde auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) en date du 28 avril 2006.

En date du 1 Mai 2006, le Centre a adressé une requête à l’unité d’enregistrement du nom de domaine litigieux, Gandi SARL, aux fins de vérification des éléments du litige, tels que communiqués par le Requérant. L’unité d’enregistrement a confirmé l’ensemble des données du litige en date du 1 mai 2006.

Le 12 mai 2006 le Centre a fait tenir au requérant une notification d’irrégularité de plainte. Le 16 mai 2006 le requérant a corrigé sa plainte et effectué les formalités nécessaires.

Le Centre a vérifié que la plainte répond bien aux Principes directeurs régissant le Règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine (ci-après dénommés “Principes directeurs”), aux Règles d’application des Principes directeurs (ci-après dénommées les “Règles d’application”), et aux Règles supplémentaires de l’OMPI (ci-après dénommées les “Règles supplémentaires”) pour l’application des Principes directeurs précités.

Conformément aux paragraphes 2(a) et 4(a) des Règles d’application, le 30 mai 2006, une notification de la plainte valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au défendeur. Conformément au paragraphe 5(a) des Règles d’application, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 19 juin 2006. Le défendeur n’a fait parvenir aucune réponse. En date du 20 juin 2006, le Centre notifiait le défaut du défendeur.

En date du 14 juillet 2006, le Centre nommait dans le présent litige comme expert-unique Christian-André Le Stanc. La Commission administrative constate qu’elle a été constituée conformément aux Principes directeurs et aux Règles d’application. La Commission administrative a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément au paragraphe 7 des Règles d’application.

L’unité d’enregistrement Gandi a fait savoir le 1er mai 2006 qu’elle ne pouvait pas préciser quelle langue avait été choisie lors de la conclusion du contrat d’enregistrement du nom de domaine litigieux. La Commission, conformément au paragraphe 11 (a) des Règles d’application, décide que puisque le requérant et le défendeur ont leur établissement sur le territoire français, que la plainte a été soumise en français et que les échanges ont eu lieu dans cette même langue, la langue de la présente procédure sera le français.

La Commission ajoute, par application du paragraphe 15(a) des Règles, qu’en raison de ce que la situation s’inscrit essentiellement dans un cadre français, elle raisonnera, pour la mise en œuvre des dispositions précitées, dans un environnement de droit français.

 

4. Les faits

Le requérant est Blandine Vanoverschelde titulaire du nom de domaine <defiscalisation.com> depuis le 22 février 2000. Elle est associée co-gérante de la sarl “Groupe Agence Française d’Investissements” , ayant pour nom commercial Groupe AFDI et proposant des biens immobiliers en défiscalisation à la Martinique, à la Guadeloupe et en France.

Le requérant est également titulaire de la marque nominale française DEFISCALISATION.COM, déposée à l’Institut national de la propriété industrielle le 9 mai 2000, enregistrement 00 3 033 032 pour désigner : «Site Web.- publicité, gestion des affaires commerciales – affaire financières, affaires immobilières – communication par terminaux d’ordinateurs”, dans les classes 35, 36 et 38.

Le défendeur, Monsieur William Cordoba a enregistré auprès de l’unité Gandi le 20 juin 2004 le nom de domaine <i-defiscalisation.com>.

Le requérant demande le transfert à son profit de ce nom <i-defiscalisation.com>.

 

5. Argumentation des parties

A. Requérant

Le requérant rappelle qu’il dispose depuis 2000 du nom de domaine <defiscalisation.com> et de la marque française DEFISCALISATION.COM, le tout pour proposer, sur son site internet, sur divers supports et dans ses locaux situés 15 Route de Cluny à Fort de France, des biens en défiscalisation situés à la Martinique, à la Guadeloupe et en France.

Le requérant indique que le défendeur, William Cordoba, gérant d’une société “Immobilière des Iles” ayant un établissement d’agence immobilière 1 Route de Cluny à Fort de France, a enregistré le 19 juin 2004 le nom de domaine <i-defiscalisation.com> et propose pareillement sur l’internet le même type de biens immobiliers neufs en défiscalisation, à la Martinique, à la Guadeloupe et en France.

Le requérant estime liminairement que cette attitude constitue un acte de concurrence déloyale et parasitaire.

Puis, au visa du paragraphe 4(a) des Principes directeurs, le requérant soutient en premier lieu que le nom de domaine <i-defiscalisation.com> porte atteinte à la marque DEFISCALISATION.COM en ce que le défendeur sur son propre site exerce une activité identique à celle du requérant pour des biens situés aux mêmes endroits et dans les mêmes conditions, en sorte que le principe promu par le requérant, d’offre sur internet de biens défiscalisés, a été copié par le défendeur.

Le requérant ajoute que le nom de domaine <i-defiscalisation.com> est similaire au sien en ajoutant simplement une lettre “i” et un tiret, créant de ce fait dans l’esprit des clients une grave confusion.

En second lieu, le requérant soutient que le défendeur n’a sur le nom en cause aucun droit ni aucun intérêt légitime qui s’y attache.

Le requérant prétend que sa marque est devenue notoire au motif que son site éponyme a été élu parmi les 500 meilleurs sites par le magazine “Best of Web” en 2001.

Le requérant ajoute que le défendeur, sans vérifier auprès de l’INPI la disponibilité de la marque, a créé le site “www.i-défiscalisation.com” récemment pour créer le trouble dans l’esprit des clients du requérant et qu’en raison de la notoriété de DEFISCALISATION .COM, le défendeur tente de détourner à des fins lucratives la clientèle du requérant et en ternissant la marque.

En troisième lieu, reprenant simplement quelques formules puisées dans le paragraphe 4(b)(c) des Principes directeurs, le requérant estime que le défendeur a enregistré son nom de domaine de mauvaise foi car la simple adjonction de la lettre “i” et d’un tiret visait à créer la confusion dans les esprits; que cet enregistrement a été effectué essentiellement en vue de perturber les opérations commerciales d’un concurrent et que le défendeur a utilisé ce nom pour attirer sciemment sur son site à des fins lucratives les visiteurs du site du requérant en créant une probabilité de confusion avec la marque du requérant.

B. Défendeur

Le 20 juin 2006, le Centre a fait parvenir au défendeur une notification de défaut, lequel défendeur n’a donc pas fait valoir dans le délai imparti de réponse aux allégations et demande du requérant. Tout au plus, et hors délai, le 29 juin 2006, un avocat, conseil de M. Cordoba, a fait tenir au Centre une brève lettre sur laquelle il sera revenu ci-après.

 

6. Discussion et conclusions

Le paragraphe 15(a) des Règles d’application prévoit : “la commission statue sur la plainte au vu des écritures et des pièces qui lui ont été soumises et conformément aux Principes directeurs, aux présentes Règles et à tout principe et règle de droit qu’elle juge applicable”.

Le paragraphe 4(a) des Principes directeurs impose au requérant désireux d’obtenir le transfert à son profit de nom de domaine enregistré par le défendeur de prouver contre ledit défendeur, cumulativement, que :

Le nom de domaine du défendeur “est identique ou semblable au point de créer une confusion, à une marque de produits ou services sur laquelle le requérant a des droit”; et

Le défendeur “n’a aucun droit sur le nom de domaine ni aucun intérêt légitime qui s’y attache”; et

Le nom de domaine du défendeur “a été enregistré et est utilisé de mauvaise foi”.

A. Identité ou similitude prêtant à confusion

Il est constant que le requérant dispose depuis l’année 2000 de droits de marque enregistrée sur le terme DEFISCALISATION.COM pour désigner, notamment, les services d’affaires immobilières.

La Commission n’a pas compétence pour décider de la validité ou de l’invalidité d’une marque, dont l’enregistrement fait présumer la validité.

Tout au plus peut-elle rappeler que l’article L.711-2 (b) du Code français de la propriété intellectuelle prévoit que sont dépourvus de caractère distinctif “Les signes ou dénominations pouvant servir à désigner une caractéristique du produit ou du service, et notamment l’espèce, la qualité, la quantité, la destination, la valeur la provenance géographique, l’époque de la production du bien ou de la prestation de services”.

Dès lors, faire état de “défiscalisation” pour promouvoir la commercialisation de biens bénéficiant d’un régime fiscal favorable paraît bien désigner une caractéristique du produit ou du service.

Mais la Commission pourra également relever que le même article in fine décide que le caractère distinctif d’une marque peut être acquis par l’usage et que cet usage s’est prolongé pendant plusieurs années avec succès puisque, comme le requérant l’établit, le site ayant la marque pour nom a été sélectionné par une revue parmi les cinq cents meilleurs sites internet.

Elle ajoutera aussi que la marque déposée n’est pas “défiscalisation” mais est : DEFISCALISATION.COM.

Les signes en présence sont, d’une part, la marque du requérant : DEFISCALISATION. COM et, d’autre part, le nom de domaine enregistré par le défendeur : <i-defiscalisation.com>. Si le défendeur ne reproduit pas à l’identique la marque du requérant, le simple ajout par ce dernier de la simple lettre “i” suivie d’un tiret ne modifie pas, aux yeux de la Commission, la ressemblance d’ensemble des deux signes qui, pour la désignation d’activités identiques ou semblables ne peut qu’engendrer un risque de confusion pour l’internaute moyen.

La Commission conclut que le nom de domaine du défendeur est sinon identique, du moins semblable à la marque de produits ou de services sur laquelle le requérant a des droits.

B. Droits ou légitimes intérêts

Le requérant soutient que le défendeur n’a pas de droits sur le nom de domaine litigieux ni aucun intérêt légitime qui s’y attache. Le requérant justifie que la marque et le nom DEFISCALISATION.COM sont, sinon notoires, du moins correctement connus dans les milieux concernés. Le requérant produit en effet une page du magazine “Best of Web” de 2001 qui classe son site parmi les cinq cents meilleurs et une rapide recherche sur le moteur de recherche Google, à partir du mot “défiscalisation”, fait apparaître l’entreprise du requérant dans les premières références.

Le requérant en déduit que le défendeur ne pouvait ignorer le site “www.defiscalisation.com” et qu’en usant du nom de domaine <i-defiscalisation.com>, le défendeur n’en a pas fait un usage loyal et avait pour intention de détourner à des fins lucratives les consommateurs ou clients potentiels du requérant en créant une confusion avec ce dernier.

Le défendeur n’a pas répondu aux allégations et arguments de la plainte.

Dans ces conditions, la Commission estime que le défendeur ne pouvait ignorer l’existence antérieure de la marque et du site du requérant et que le défendeur n’avait pas de droits ou de légitimes intérêts à l’usage du nom de domaine <i-defiscalisation.com>.

C. Enregistrement et usage de mauvaise foi

Le requérant prétend que le défendeur a enregistré le nom <i-defiscalisation.com> de mauvaise foi, essentiellement en vue de perturber les opérations commerciales d’un concurrent.

Bien que le défendeur soit domicilié en France métropolitaine, le requérant justifie de ce que M. Cordoba, titulaire du nom de domaine litigieux, est le gérant d’une société “Immobilière des Iles”, ayant un établissement d’agence immobilière 1 route de Cluny à Fort de France, Martinique, à quelques mètres de l’agence du requérant située 15 route de Cluny de la même ville.

Le défendeur n’a pas répondu aux allégations et arguments de la plainte.

Dans ces conditions, la Commission estime que le défendeur ne pouvait ignorer l’existence du requérant, ni ce que ce dernier faisait et retient que l’enregistrement du nom de domaine <i-defiscalisation.com> a été fait comme le soutient le requérant pour perturber les opérations commerciales qu’effectuait le requérant par le moyen de l’internet.

La Commission estime, pour les mêmes raisons, qu’en utilisant le site “www.i-defiscalisation.com”, le défendeur, qui demeure taisant dans la présente procédure, a sciemment attiré à des fins lucratives les utilisateurs de l’internet sur son site, en créant une probabilité de confusion avec la marque du requérant en ce qui concerne la source, le commanditaire, l’affiliation ou l’approbation du site du défendeur. Le requérant à cette fin a produit copie de la page d’accueil de son site “www.défiscalisation.com”, semblable à la page d’accueil du site du défendeur à “www.i-defiscalisation.com”.

La Commission retient que l’usage du nom litigieux a été fait de mauvaise foi.

Bien après l’expiration du délai jusqu’au 19 juin 2006 imparti au défendeur pour présenter ses arguments en réponse à la plainte, le Centre a reçu le 29 juin 2006 une lettre d’un avocat, Me Olivier Forgeot, indiquant :

“Je suis le Conseil de Monsieur William Cordoba, lequel m’a remis le dossier concernant le litige ayant pour objet le nom de domaine <i.defiscalisation. com> (sic).”

Monsieur William Cordoba vous a informé par la voie téléphonique, ce que je vous confirme par la présente correspondance, qu’il n’entendait pas donner de suite, s’agissant d’un nom qui appartient au domaine public, et qui n’est pas, dès lors, susceptible de protection.

Dès lors, ce dossier est, pour ce qui me concerne, clos”.

La Commission retiendra, en premier lieu, qu’aux termes de l’article 416, al. 2 du Nouveau Code de procédure civile français, l’avocat est dispensé de justifier de son mandat.

En second lieu, la Commission interprètera ces propos du mandataire comme un acquiescement à la demande du requérant, c’est-à-dire comme l’abandon par le défendeur de ses prétentions sur le nom de domaine <i-defiscalisation.com>, même si les raisons avancées d’appartenance dudit nom au domaine public, ainsi insusceptible de protection, pouvaient mériter nuances et discussion.

 

7. Décision

Pour toutes les raisons exposées ci-dessus, conformément aux paragraphes 4(a) des Principes directeurs et 15 des Règles, la Commission estime que le requérant a établi que le nom de domaine litigieux est semblable, au point de prêter à confusion, à une marque sur laquelle le requérant a des droits; que le défendeur n’a aucun droit sur ledit nom de domaine ni aucun intérêt légitime qui s’y attache et que ce nom a été enregistré et est utilisé de mauvaise foi. Elle constate, par ailleurs et surabondamment que le défendeur, qui n’a pas articulé de réponse à la plainte dans le délai prescrit, a fait savoir, hors délai, par le truchement de son Conseil, qu’il n’entendait pas donner de suite à ce dossier et le considérait comme clos.

Aussi la Commission ordonne que le nom de domaine <i-defiscalisation.com> soit transféré au requérant, Blandine Vanoverschelde.


Christian-André Le Stanc
Expert Unique

Le 23 juillet 2006