WIPO

 

Centre d’arbitrage et de médiation de l’OMPI

 

DÉCISION DE L’EXPERT

LES ECHOS contre KLTE Ltd

Litige n° DFR2005-0012

 

1. Les parties

Le requérant est LES ECHOS, Paris, France, représenté par Cabinet Degret, France.

Le défendeur est KLTE Ltd, Paris, France.

 

2. Nom de domaine et unité d’enregistrement

Le litige concerne le nom de domaine <lesecho.fr>.

L’unité d’enregistrement auprès de laquelle le nom de domaine est enregistré est AFNIC.

 

3. Rappel de la procédure

Une plainte a été déposée par LES ECHOS auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) en date du 29 août 2005.

En date du 29 août 2005, le Centre a adressé une requête à l’unité d’enregistrement du nom de domaine litigieux, AFNIC, aux fins de vérification des éléments du litige, tels que communiqués par le Requérant. L’unité d’enregistrement a confirmé l’ensemble des données du litige en date du 30 août 2005.

Le Centre a vérifié que la plainte répond bien au Règlement sur la procédure alternative de résolution de litiges du ‘.fr’ et du ‘.re’ par décision technique, (ci-après Le Règlement) en vigueur depuis le 11 mai 2004, et applicable à l’ensemble des noms de domaine du “.fr” et du “.re” conformément à la Charte de nommage de l’Afnic (ci-après la “Charte”).

Conformément l’article 14(c) du Règlement, le 9 septembre 2005, une notification de la plainte valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au défendeur. Conformément à l’article 15(a) du Règlement, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 29 septembre 2005. Le défendeur n’a fait parvenir aucune réponse. En date du 30 septembre 2005, le Centre notifiait le défaut du défendeur.

En date du 7 octobre 2005, le Centre nommait dans le présent litige comme expert-unique Martine Dehaut. La Commission administrative constate qu’elle a été constituée conformément au Règlement. La Commission administrative a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément à l’article 4 du Règlement.

 

4. Les faits

Les faits exposés ci-après ont dûment été établis par le Requérant, lequel a versé une abondante documentation au dossier.

Le Requérant publie le principal quotidien économique et financier français, sous le titre “Les Echos”, et est à cet égard titulaire de nombreuses marques en vigueur portant sur le signe “Les Echos”, et en particulier :

- Marque française LES ECHOS no. 1 337 380 visant des produits et services des classes 16, 35 et 41;

- Marque française WWW.LESECHOS.FR-LE WEB DE L’ECONOMIE no. 99 802 777 visant des produits et services des classes 16, 35, 38, 41;

- Marque française LES ECHOS no. 00 3 011 883 visant des produits et services des classes 16, 35, 38, 41;

- Marque française LES ECHOS.NET no. 00 3 048 984 visant des produits et services des classes 16, 35, 38, 41.

Le Requérant est également titulaire d’une série de noms de domaine portant sur le signe “lesechos”, sous plusieurs noms de domaine de premier niveau dont le “.fr”.

La marque LES ECHOS est exploitée depuis près d’un siècle et jouit d’une incontestable notoriété en France, où elle est devenue incontournable dans le domaine de la presse économique et financière, tant sur support papier qu’en ligne.

Ayant pris connaissance de la réservation du nom de domaine litigieux par le Défendeur, le Requérant a essayé - sans succès - d’en obtenir le transfert à l’amiable.

Craignant des éventuelles atteintes aux droits détenus par des tiers, l’AFNIC a ordonné le blocage des noms de domaine réservés par le Défendeur (1212 au total).

Avant son blocage par l’AFNIC, la page de parking vers lequel pointait le nom de domaine <lesecho.fr> affichait des liens hypertextes, de nature commerciale et notamment à thématique économique et financière. Cette page indiquait également que le nom de domaine était à vendre (“this domain is for sale”).

Le nom de domaine litigieux n’est donc plus actif.

 

5. Argumentation des parties

A. Requérant

Le Requérant invoque à la fois une atteinte à divers droits de propriété intellectuelle (contrefaçon des marques LES ECHOS, atteinte à la renommée de la marque LES ECHOS, atteinte au titre du quotidien “Les Echos”), et une atteinte aux règles de concurrence et au comportement loyal en matière commerciale.

B. Défendeur

Le Défendeur n’a pas présenté d’observations dans le cadre de la présente procédure.

 

6. Discussion et conclusions

Conformément aux dispositions de l’article 20(c) du Règlement, “L’expert fait droit à la demande lorsque l’enregistrement ou l’utilisation du nom de domaine par le défendeur constitue une atteinte aux droits des tiers telle que définie à l’article 1 du présent règlement et au sein de la Charte et, si la mesure de réparation demandée est la transmission du nom de domaine, lorsque le requérant a justifié de ses droits sur l’élément objet de ladite atteinte et sous réserve de sa conformité avec la Charte”.

En application de cette disposition, Il appartient en premier lieu à l’expert de déterminer si, au regard du droit français, l’enregistrement ou l’usage du nom de domaine <lesecho.fr> porte atteinte aux droits du Requérant. En second lieu, la mesure de réparation demandée étant le transfert du nom de domaine litigieux, l’expert doit s’assurer de l’existence des droits du Requérant sur l’élément objet de l’atteinte.

A) Atteinte aux droits du Requérant

Tant l’article 1 du Règlement que l’article 19 1) de la Charte définissent de manière non exhaustive l’atteinte aux “droits des tiers” comme une atteinte :

A la propriété intellectuelle (propriété littéraire et artistique et/ou propriété industrielle);

Aux règles de la concurrence et du comportement loyal en matière commerciale;

Au droit au nom, au prénom ou au pseudonyme d’une personne.

En l’espèce, le Requérant invoque une atteinte à plusieurs droits de propriété intellectuelle, ainsi qu’une atteinte aux règles de la concurrence et au comportement loyal en matière commerciale.

(i) Atteinte aux droits de propriété intellectuelle

La réservation et l’usage du nom de domaine <lesecho.fr> porte indiscutablement atteinte aux différents droits de propriété intellectuelle acquis par le Requérant.

Atteinte aux marques du déposant

Comme le rappelle le requérant les articles L. 713.2 et 713 du Code de la propriété intellectuelle sanctionne la reproduction ou l’imitation d’une marque antérieure ainsi que l’usage d’une marque reproduite ou imitée pour des produits identiques ou similaires.

Comparation des signes

Le signe “lesecho” constitue une imitation des marques antérieures LES ECHOS qu’il reproduit de manière quasi-identique. En effet, il ne diffère du signe constituant les marques antérieures et notamment les marques LES ECHOS n° 1337380 et n° 00 3 011 883 que par la suppression de la lettre S, suppression faiblement perceptible à l’œil si l’on tient compte de l’usage des termes “les echos” à titre de nom de domaine (<lesecho.fr> / <lesechos.fr>). Par ailleurs, aux fins de la comparaison des signes, il n’y a pas lieu de tenir compte de la variation du nombre de mots dans chaque signe, la contraction de plusieurs termes en un seul étant courante pour la réservation de noms de domaine.

Comparaison des produits et services

Avant son blocage par l’AFNIC, le nom de domaine ligitieux renvoyait l’internaute vers un site constitué de liens hypertextes dont la thématique était incontestablement financière et économique et donc similaire aux “services de publicité, d’informations en matière financière, d’expertise fiscale, de prêts, d’investissements de capitaux, d’affaires et d’analyse financière et monétaire, d’exploitation de publication électroniques de livres et de périodiques en ligne” visés par les marques du requérant et notamment les enregistrements suivants : WWW.LES ECHOS.FR, n° 99 802 777 et LES ECHOS n° 00 3 011 883. L’internaute pouvait être ainsi indûment conduit à établir un lien entre le site litigieux et le premier quotidien économique et financier français Les Echos.

Dans le cas présent, le requérant souligne à juste titre que la réservation du nom de domaine <lesecho.fr>, quand bien même le site ne serait plus actif, suite au blocage opéré par l’AFNIC, est susceptible de constituer un acte de contrefaçon des marques antérieures LES ECHOS dès lors que ces dernières, et notamment la marque n° 05 3 337 867, sont enregistrées en classes 38 pour les services de télécommunication et ce, conformément à la jurisprudence française.

Atteinte au titre du quotidien LES ECHOS

De même, la réservation et l’exploitation du nom de domaine litigieux portent atteinte aux droits du requérant sur le titre Les Echoset ce, au titre des droits d’auteur qu’il détient en application de l’article L. 112-4, alinéa 2 du Code de la propriété intellectuelle.

En effet, l’usage du nom de domaine litigieux <lesecho.fr> tel que le défendeur se proposait de le faire avant qu’il le lui fut empêcher par l’AFNIC, ne pouvait que prêter à confusion avec le titre de journal Les Echos, le contenu du site litigieux étant de même nature que le contenu économique et financier de ce quotidien.

Atteinte à une marque de renommée

La jurisprudence considère par ailleurs qu’il y a abus de droit en cas de dépôt d’un nom de domaine identique à la marque d’un tiers bénéficiant d’une renommée, cette usurpation étant sanctionnée sur le fondement de l’article L 713-5 du Code de la Propriété Intellectuelle (TGI Nanterre, 16 septembre 1999, “vichy.com”). La renommée de la marque LES ECHOS est indiscutable, et n’est vraisemblablement pas étrangère à l’adoption d’un nom de domaine très proche par le Défendeur. La Cour de cassation venant d’étendre l’application dudit article L 713-5 aux signes identiques ou voisins (cass com, 12 juillet 2005), il y a tout lieu de considérer que la réservation du nom de domaine litigieux constitue un abus de droit.

Atteinte à la dénomination sociale et au nom de domaine

Enfin et surabondamment, la réservation et l’usage du nom de domaine litigieux porte atteinte aux droits détenus par le Requérant sur le signe “Les Echos” à titre de dénomination sociale et de nom de domaine et ce, au titre des articles 1382 et 1383 du code civil sanctionnant les actes de concurrence déloyale.

En effet, la réservation et l’usage du nom litigieux en relation avec un site constitué de liens hypertextes pointant vers des sites ayant un contenu économique et financier et, en conséquence, un contenu comparable à celui qui fait la notoriété du quotidien Les Echos ne peut que prêter à confusion avec l’entreprise exploitant le quotidien concerné sous la dénomination sociale Les Echoset exploitant le site Web “lesecho.fr” en relation avec un même contenu.

(ii) Atteinte aux règles de la concurrence et au comportement loyal en matière commerciale

La présente espèce est une parfaite illustration du phénomène connu sous le nom de typosquatting : le nom de domaine litigieux n’est pas identique mais très proche d’un droit antérieur (généralement une marque notoirement connue), et son titulaire profite ainsi des éventuelles fautes de frappe ou omissions de l’internaute pour détourner une partie du trafic vers d’autres sites.

Ainsi, lorsque le site “www.lesecho.fr” était actif, l’internaute qui oubliait de taper la lettre S des noms de domaine “lesechos” était dirigé sur une page de parking proposant une série de liens hypertextes.

Un tel agissement caractérise la mauvaise foi du Défendeur lors de la réservation puis de l’exploitation du nom de domaine <lesecho.fr>.

La mise en vente du nom de domaine litigieux, le transfert d’un nom de domaine réservé par le Défendeur lors d’une précédente procédure PARL Application des Gaz, Société par Actions Simplifiée v. Klte Limited, WIPO Case No. DFR2005-0004 (9 juin 2005), et le blocage par l’AFNIC de plus de 1000 noms de domaines sur lesquels il existe des soupçons de parasitisme, sont d’autant d’éléments qui corroborent l’existence d’un comportement déloyal lors de la réservation et de l’exploitation du nom de domaine <lesecho.fr>.

B) Droits du Requérant sur l’élément objet de la plainte

Le Requérant justifie être titulaire de nombreux droits sur le signe “Les Echos” en France, notamment à titre de marque et de dénomination sociale, comme il a été précisé au cours des développements précédents.

Le Requérant est ainsi fondé à solliciter le transfert à son profit du nom de domaine litigieux, en conformité avec les dispositions de la Charte.

 

7. Décision

L’enregistrement et l’utilisation du nom de domaine <lesecho.fr> porte atteinte à différents droits de propriété industrielle du Requérant, et constitue également une atteinte au comportement loyal dans le commerce. Le Requérant justifie par ailleurs être titulaire de droits à divers titres sur le signe “Les Echos”.

Dans ces conditions, et en application de l’article 20c) du Règlement, l’Expert ordonne le transfert du nom de domaine <lesecho.fr> au profit de la société Les Echos.


Martine Dehaut
Expert Unique

Le 21 octobre 2005