WIPO

 

Centre d'arbitrage et de médiation de l'OMPI

 

DÉCISION DE LA COMMISSION ADMINISTRATIVE

Madame Agnès Troublé contre Monsieur Jacques Chene

Litige n° D2005-0194

 

1. Les parties

Le requérant est Madame Agnès Troublé, Paris, France, représenté par Markplus International, France.

Le défendeur est Monsieur Jacques Chene, Paris, France.

 

2. Nom de domaine et unité d’enregistrement

Le litige concerne le nom de domaine <chez-agnes-b.info>.

L’unité d’enregistrement auprès de laquelle le nom de domaine est enregistré est Domainsite.com.

 

3. Rappel de la procédure

Une plainte a été déposée par Madame Agnès Troublé auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) en date du 18 février 2005.

En date du 18 février 2005, le Centre a adressé une requête à l’unité d’enregistrement du nom de domaine litigieux, Domainsite.com, aux fins de vérification des éléments du litige, tels que communiqués par le Requérant. L’unité d’enregistrement a confirmé l’ensemble des données du litige en date du 22 février 2005.

Le Centre a vérifié que la plainte répond bien aux Principes directeurs régissant le Règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine (ci-après dénommés “Principes directeurs”), aux Règles d’application des Principes directeurs (ci-après dénommées les “Règles d’application”), et aux Règles supplémentaires de l’OMPI (ci-après dénommées les “Règles supplémentaires”) pour l’application des Principes directeurs précités.

Conformément aux paragraphes 2(a) et 4(a) des Règles d’application, le 25 février 2005, une notification de la plainte valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au défendeur. Conformément au paragraphe 5(a) des Règles d’application, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 17 mars 2005. Le défendeur n’a fait parvenir aucune réponse. En date du 23 mars 2005, le Centre notifiait le défaut du défendeur.

En date du 1 avril 2005, le Centre nommait dans le présent litige comme expert-unique Isabelle Leroux. La Commission administrative constate qu’elle a été constituée conformément aux Principes directeurs et aux Règles d’application. La Commission administrative a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément au paragraphe 7 des Règles d’application.

Langue de la procédure

Conformément au contrat d’enregistrement du nom de domaine <chez-agnes-b.info> que la procédure aurait du être initiée et menée en anglais puisque celui-ci est rédigé en langue anglaise.

Toutefois, il ressort des éléments transmis à la Commission que les parties en cause sont toutes deux domiciliées en France et que le Défendeur n’a émis aucune réserve quant au choix de la langue. C’est la raison pour laquelle la présente décision sera rendue en français.

 

4. Les faits

Le Requérant, Agnès Troublé, est une créatrice de mode, proposant de nombreux produits de prêt-à-porter et cosmétiques sous la dénomination AGNES B., laquelle est largement connue du public.

Dans le cadre de son activité, le Requérant est notamment titulaire des marques suivantes :

- la marque verbale française AGNES B. enregistrée sous le numéro 1.338.306 déposée le 13 janvier 1986 et renouvelée en 1996 pour désigner les produits relevant des classes 3, 14, 16, 18, 20, 21, 24 et 25;

- la marque verbale internationale AGNES B. enregistrée sous le numéro WO 482.198, déposée le 18 janvier 1984, renouvelée en 2004, pour désigner les produits des classes 3, 14, 18, 24 et 25 et ce, pour couvrir l’Algérie, l’Allemagne, l’Autriche, le Benelux, l’Espagne, l’Italie, le Maroc, le Portugal et la Suisse;

- la marque verbale communautaire AGNES B. enregistrée sous le numéro n°739.797 déposée le 26 juillet 1999, pour désigner les produits des classes 9, 18 et 24.

Le Requérant est également titulaire de nombreux noms de domaine comprenant la marque AGNES B tels que <agnesb.com>; <agnes-b.com>; <agnes-b.fr>; <agnesb.fr> ou encore <agnes-b.info>.

Le Défendeur a enregistré le nom de domaine <chez-agnes-b.info> le 8 septembre 2004.

 

5. Argumentation des parties

A. Requérant

Le Requérant demande à la commission de rendre une décision ordonnant la radiation du nom de domaine <chez-agnes-b.info>.

Au soutien de sa plainte, sur le fondement du paragraphe 4.a) b) c) des Principes directeurs et paragraphe 3 des Règles d’application, le Requérant fait valoir les arguments suivants :

Le nom de domaine litigieux présente un risque de confusion avec de nombreuses marques antérieures composées de la dénomination AGNES B. et sur lesquelles le Requérant détient des droits.

En effet, le nom de domaine est essentiellement composé de la marque AGNES B. dans la mesure où les autres éléments CHEZ et INFO sont indéniablement secondaires :

- le terme INFO étant une extension purement générique;

- le terme CHEZ est une préposition qui en langue française indique une localisation.

Le risque de confusion étant d’autant plus avéré que le nom de domaine contesté “isole” la marque AGNES B. en séparant cette dénomination respectivement par un tiret et un point.

Et les marques antérieures AGNES B. se détachant d’autant plus du nom de domaine contesté qu’il s’agit d’une marque notoire dans de nombreux pays et en particulier en France dans le secteur du prêt-à-porter de prestige.

Par ailleurs le Défendeur n’a aucun droit sur le nom de domaine ni aucun intérêt légitime qui s’y attache pour les raisons suivantes :

- le nom de domaine contesté comporte la marque notoire AGNES B. et n’est ni générique, ni descriptif de produits et services;

- le Défendeur entend créer un risque de confusion entre la marque du Requérant et le nom de domaine en vue de profiter de la marque notoire AGNES B. et de capter indûment l’attention des internautes.

Enfin, le nom de domaine a été enregistré de mauvaise foi pour les raisons suivantes :

- le Défendeur n’a jamais daigné répondre aux courriers du Requérant, ni à la plainte en vue de fournir la moindre justification de sa réservation;

- le Défendeur a enregistré un nom de domaine correspondant à une marque notoire appartenant à autrui.

B. Défendeur

Le Défendeur n’a présenté aucune défense.

Il y a donc lieu de statuer au vu des seuls arguments du Requérant.

 

6. Discussion et conclusions

Le paragraphe 15(a) des Règles d’application prévoit que “la Commission statue sur la plainte au vu des écritures et des pièces qui lui ont été soumises et conformément au Principes directeurs aux présentes Règles et à tout Principe ou Règle de droit qu’elle juge applicable”.

Au demeurant, le paragraphe 4(a) des Principes directeurs impose au requérant de prouver contre le défendeur cumulativement que :

(a) son nom de domaine est identique ou semblable au point de prêter à confusion à une marque de produit ou de service sur laquelle le requérant a des droits;

(b) il n’a aucun droit sur le nom de domaine ni aucun intérêt légitime qui s’y rattache;

(c) son nom de domaine a été enregistré et est utilisé de mauvaise foi.

En conséquence, il y a lieu de s’attacher à répondre à chacune des trois conditions prévues par le paragraphe 4(a) des Principes directeurs.

A. Identité ou similitude prêtant à confusion

Le Requérant a établi détenir des droits antérieurs, à titre de marque, sur la dénomination AGNES B., laquelle est largement connue du public.

Le Requérant a établi également détenir des droits, à titre de noms de domaine, sur la dénomination AGNES B.

Il ne saurait être contesté que le nom de domaine litigieux reproduit de manière quasi-identique les marques AGNES-B. sur lesquelles le Requérant détient des droits privatifs antérieurs.

En effet, le nom de domaine litigieux est composé de la dénomination AGNES-B, laquelle est précédée de la préposition “chez” et suivie de l’extension “.info”.

Or, la présence des termes “chez” et “info”, dans le nom de domaine <chezagnes-b.info> ne sont pas de nature à écarter le risque de confusion avec les marques antérieures du requérant en ce qu’ils ne revêtent aucun caractère distinctif.

Tout d’abord, le terme “chez” est une préposition de la langue française indiquant une localisation.

Et lorsque ce terme est utilisé dans un nom de domaine et qu’il précède une marque, qui revêt un caractère distinctif, il signifie, pour l’internaute, que ce nom de domaine va permettre d’accéder au site Internet offrant les produits ou services couverts par la marque.

En conséquence, la présence de ce terme dans le nom de domaine litigieux ne revêt aucun caractère distinctif.

Par ailleurs, il convient de rappeler un principe énoncé par de nombreux experts selon lequel l’adjonction du suffixe “.info” ne revêt aucun caractère distinctif (Litige OMPI n° D2003-0847, Perlier S.p.A. v. Ms. Darryl O’Donnell, Litige OMPI n° D2002-0122 Hay & Robertson International Licensing AG v. C. J. Lovik).

Dès lors, ces deux éléments ne sont pas de nature à écarter le risque de confusion pouvant exister entre les signes en présence.

En conséquence, la Commission considère que le nom de domaine <chez-agnes-b.info> est semblable aux marques AGNES B. détenues et exploitées par le Requérant, au point de prêter à confusion avec celles-ci.

B. Droits ou légitimes intérêts

Le Défendeur n’ayant pas répondu à la plainte formée contre lui, il n’a donc apporté à la Commission aucun élément de nature à démontrer qu’il détiendrait sur le nom de domaine litigieux des droits ou intérêts légitimes.

Par conséquent et conformément au paragraphe 14.a)b) des Principes directeurs, la Commission statue au vu des seuls éléments qui lui ont été transmis par le Requérant et poursuit donc ainsi l’instruction de la plainte. (Litige OMPI n° D2000-0076 InfoSpace.com, Inc v. Hari Prakash; Litige OMPI n° D2000-0120 Eauto, Inc v. Available-Domain-Names.com, d/b/a Intellectual-Assets.com, Inc).

Il ressort ainsi des éléments du dossier communiqués que le Défendeur n’a aucun droit privatif sur la dénomination AGNES B..

En effet, il n’est pas établi que le Défendeur aient obtenu, ni même sollicité une quelconque autorisation du Requérant pour exploiter, à titre de nom de domaine, la marque AGNES B.

En conséquence, la Commission considère que n’est pas établi l’existence d’un intérêt légitime du Défendeur à la détention du nom de domaine <chez-agnes-b.info>.

C. Enregistrement et usage de mauvaise foi

Il ressort des éléments communiqués que le Défendeur a enregistré un nom de domaine reproduisant de manière quasi identique, la marque AGNES B., laquelle est largement connue du public.

Par conséquent, le Défendeur ne pouvait ignorer que la dénomination AGNES B. était enregistrée en tant que marque ou qu’à tout le moins cette dénomination ne pouvait être librement utilisée.

Or, il est établi que la réservation d’un nom de domaine reprenant une marque dont le réservataire ne pouvait ignorer qu’elle appartient à un tiers, constitue un enregistrement de mauvaise foi.

Dans ces conditions, la Commission considère que le nom de domaine a été enregistré de mauvaise foi.

Il s’agit maintenant d’examiner si le nom de domaine a été utilisé de mauvaise foi.

Bien que le Requérant n’ait communiqué aucun élément relatif à l’usage du nom de domaine litigieux, la Commission constate que le nom de domaine dirige vers un site Internet inactif.

A cet égard, de nombreuses décisions ont admis que le fait de rediriger le nom de domaine litigieux vers un site inactif peut être constitutif d’un usage de mauvaise foi. (Litige OMPI n° D2000-0003 Telstra Corporation Limited v. Nuclear Marshmallow, Litige OMPI n° D2004-0456 FINAXA Société Anonyme v. COMCEBO, Patrice Lévy).

Par ailleurs, se fondant sur la décision Telstra Corporation Limited v. Nuclear Marshmallow relatif à l’usage passif d’un nom de domaine, la Commission administrative relève que les éléments suivants sont, dans le cas d’espèce, à retenir pour établir la mauvaise foi du Défendeur :

(i) les marques de la Requérante bénéficient d’une forte réputation et sont largement connues en France et dans d’autres pays;

(ii) le Défendeur est domicilié en France et ne pouvait donc ignorer, à la date à laquelle il a sollicité l’enregistrement du nom de domaine litigieux l’existence des droits portant sur le signe Agnès B.;

(iii) le Défendeur n’a communiqué aucun élément de nature à établir sa bonne foi.

En conséquence, au vu de l’ensemble de ces éléments, la Commission considère que le nom de domaine <chez-agnes-b.info> a été enregistré et utilisé de mauvaise foi.

 

7. Décision

Les conditions posées à l’article 4a) des Principes directeurs régissant le règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine étant réunies, la Commission Administrative décide en conséquence la radiation du nom de domaine <chez-agnes-b.info>.


Isabelle Leroux
Expert Unique

Le 15 avril 2005