WIPO

Centre d'arbitrage et de médiation de l'OMPI

DÉCISION DE LA COMMISSION ADMINISTRATIVE

Carrefour contre Karim Bousba

Litige n° D2010-0856

1. Les parties

Le Requérant est Carrefour, Levallois-Perret, France, représenté par Dreyfus & associés, France.

Le Défendeur est Karim Bousba, Tourcoing, France.

2. Nom de domaine et unité d'enregistrement

Le litige concerne le nom de domaine <carrefourdrive.com>.

L'unité d'enregistrement auprès de laquelle le nom de domaine est enregistré est eNom.

3. Rappel de la procédure

Une plainte a été déposée par Carrefour auprès du Centre d'arbitrage et de médiation de l'Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) en date du 27 mai 2010.

En date du 27 mai 2010, le Centre a adressé une requête à l'unité d'enregistrement du nom de domaine litigieux, eNom, aux fins de vérification des éléments du litige, tels que communiqués par le Requérant. Le 27 mai 2010, l'unité d'enregistrement a transmis sa vérification au Centre confirmant l'ensemble des données du litige.

Le Centre a vérifié que la plainte répond bien aux Principes directeurs régissant le Règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine (ci-après dénommés “Principes directeurs”), aux Règles d'application des Principes directeurs (ci-après dénommées les “Règles d'application”), et aux Règles supplémentaires de l'OMPI (ci-après dénommées les “Règles supplémentaires”) pour l'application des Principes directeurs précités.

Conformément aux paragraphes 2(a) et 4(a) des Règles d'application, le 8 juin 2010, une notification de la plainte valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au Défendeur. Conformément au paragraphe 5(a) des Règles d'application, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 28 juin 2010. Le Défendeur n'a fait parvenir aucune réponse. En date du 29 juin 2010, le Centre notifiait le défaut du défendeur.

En date du 9 juillet 2010, le Centre nommait dans le présent litige comme expert-unique Martine Dehaut. La Commission administrative constate qu'elle a été constituée conformément aux Principes directeurs et aux Règles d'application. La Commission administrative a adressé au Centre une déclaration d'acceptation et une déclaration d'impartialité et d'indépendance, conformément au paragraphe 7 des Règles d'application.

En application du paragraphe 11(a) des Règles d'application, la langue de la procédure administrative est la langue du contrat d'enregistrement.

D'après les renseignements de la fiche Whois, l'unité d'enregistrement du nom de domaine litigieux est eNom. Cela étant, la Commission administrative constate que le service d'enregistrement a été rendu par la société LWS (Ligne Web Services), domiciliée en France. Le contrat d'enregistrement de la société LWS est en français.

Par ailleurs, la Commission administrative relève que les parties sont toutes françaises ou à tout le moins domiciliées en France. Ainsi, l'usage du français semble s'imposer, en vertu du pouvoir discrétionnaire dont dispose la Commission administrative.

4. Les faits

Le Requérant déclare être devenu en quarante ans un leader de la distribution dans le monde. Il est le deuxième distributeur mondial et le leader au niveau européen. Son activité est développée sous quatre formats principaux de magasins alimentaires sous la marque CARREFOUR : les hypermarchés, les supermarchés, le maxi discompte et les magasins de proximités.

Le Requérant indique qu'il propose un service “drive” qui consiste pour ses clients à commander leurs produits sur Internet et à aller les chercher déjà empaquetés dans une zone dédiée, précisément dénommé “Carrefour Drive Ooshop”.

Dans le cadre de ses activités, le Requérant est notamment titulaire de :

La marque française CARREFOUR (verbale) No. 1487274 du 11 septembre 1978, renouvelée le 23 mai 2008, visant les services des classes 35, 36, 37, 38, 39, 40, 41 et 42.

La marque communautaire CARREFOUR (verbale) No. 005178371 du 30 août 2007, désignant les produits et services des classes 9, 35 et 38.

Le Requérant a apporté la preuve de l'existence de ces droits de marque par le biais d'extraits de bases de données.

Il est rappelé que la marque CARREFOUR bénéficie notamment en France d'une forte notoriété.

Le Requérant exploite également les noms de domaines <carrefour.com> et <carrefour.fr>, réservés respectivement en 1995 et 2005.

Le Requérant a eu connaissance de la réservation le 25 août 2008 et de l'exploitation par le Défendeur du nom de domaine <carrefourdrive.com>. Ce nom de domaine dirige les Internautes sur une page affichant différents liens commerciaux renvoyant notamment à des sites concurrents.

Le Requérant a pu constater que le Défendeur était également titulaire du nom de domaine <carrefourdrive.fr>. L'adresse du réservataire renseignée dans la fiche Whois n'existant pas, le Requérant a fait procéder à une vérification de ces coordonnées par l'Afnic. Suite à cela et relevant que le réservataire n'avait pas mis à jour ses coordonnées, l'Afnic a procédé à la suppression du nom en question.

De même, le nom de domaine litigieux <carrefourdrive.com> mentionne pour son réservataire une adresse qui n'existe pas. Le Requérant a donc décidé de déposer directement plainte auprès du Centre en vertu des Principes directeurs.

5. Argumentation des parties

A. Requérant

Dans sa plainte, le Requérant fait valoir principalement ce qui suit :

Le nom de domaine litigieux est semblable à la marque du Requérant : la simple adjonction du terme générique anglais “drive”, qui fait d'ailleurs référence à un service proposé par le Requérant, n'est pas de nature à écarter un risque de confusion pour le public, quant à l'origine des services offerts.

Le Défendeur n'a aucun droit ni intérêt légitime sur le nom de domaine litigieux, d'autant plus qu'il incorpore une marque dont la renommée ne peut être ignorée.

Le Défendeur a enregistré et utilise le nom de domaine <carrefourdrive.com> de mauvaise foi : domicilié en France, le Défendeur avait nécessairement connaissance de la marque de renommée CARREFOUR, qui constitue également la dénomination sociale et l'enseigne du Requérant. Par ailleurs, le fait que le Défendeur utilise des informations erronées pour réserver le nom de domaine en question corrobore sa mauvaise foi.

Le Requérant précise également que le Défendeur a eu pour objectif de tirer profit de la notoriété de la marque du Requérant afin d'en récupérer un gain commercial, étant donné que le nom de domaine litigieux dirige les internautes vers un site de pay-per-click.

B. Défendeur

Le Défendeur n'a pas répondu à la plainte.

6. Discussion et conclusions

Le paragraphe 4(a) des Principes directeurs impose au Requérant d'apporter la preuve que les trois conditions suivantes sont réunies cumulativement :

- Le nom de domaine est identique ou semblable au point de prêter à confusion, à une marque de produits ou de services sur laquelle le Requérant a des droits,

- Le Défendeur ne dispose d'aucun droit sur le nom de domaine ni aucun intérêt légitime qui s'y attache,

- Le nom de domaine est enregistré et utilisé de mauvaise foi.

La Commission administrative examinera ci-après le bien fondé de l'argumentation du Requérant sur ces trois points.

A. Identité ou similitude prêtant à confusion

Abstraction faite du gTLD “.com”, élément technique et nécessaire non appropriable en tant que tel, la Commission administrative constate que le nom de domaine litigieux consiste en la simple juxtaposition du terme “CARREFOUR”, placé en position d'attaque, et du terme anglais “drive”, signifiant littéralement “conduire” en français. Le public français, et qui plus est le public utilisant Internet, a généralement une connaissance à tout le moins minimale de l'anglais, lui permettant de connaître la signification du terme “drive”.

Le terme “drive”, dans le domaine de la distribution, est souvent associé à une marque, afin d'indiquer l'existence d'un service “à emporter” en se rendant sur le lieu de vente avec son véhicule. La Commission administrative peut ainsi citer à titre d'exemples “McDrive”, “Auchandrive”.

De cette manière, confronté au signe “Carrefourdrive”, le public y percevra et y détachera immédiatement la marque CARREFOUR.

La Commission administrative estime en conséquence, qu'il existe une similitude prêtant à confusion entre la marque CARREFOUR du Requérant et le nom de domaine <carrefourdrive.com>, au sens de la disposition commentée.

B. Droits ou légitimes intérêts

Le paragraphe 4(c) des Principes directeurs énumère de manière non-exhaustive un certain nombre de circonstances de nature à établir les droits ou l'intérêt légitime du défendeur sur le nom de domaine telles que :

(i) avant d'avoir eu connaissance du litige, le défendeur a utilisé le nom de domaine ou un nom correspondant au nom de domaine en relation avec une offre de bonne foi de produits ou services, ou fait des préparatifs sérieux à cet effet;

(ii) le défendeur (individu, entreprise ou autre organisation) est connu sous le nom de domaine considéré, même sans avoir acquis de droits sur une marque de produits ou de services; ou

(iii) le défendeur fait un usage non commercial légitime ou un usage loyal du nom de domaine sans intention de détourner à des fins lucratives les consommateurs en créant une confusion ni de ternir la marque de produits ou de services en cause.

Le Requérant a indiqué que le Défendeur n'est pas affilié au Groupe Carrefour, et n'a pas été autorisé à exploiter la marque CARREFOUR, seule ou associée au terme “drive”, y compris à titre de nom de domaine.

Le Défendeur ne dispose pas non plus de droits ou intérêts légitimes sur le nom de domaine litigieux, la marque CARREFOUR ayant été enregistrée antérieurement dans le domaine d'activité concerné.

En choisissant de ne pas répondre à la plainte, le Défendeur n'a pas précisé s'il disposait de droits ou intérêts d'une quelconque nature sur l'expression “Carrefourdrive”.

Dans ces conditions, il y a lieu de considérer que ce dernier n'a aucun droit ou intérêt légitime sur le nom de domaine litigieux.

C. Enregistrement et usage de mauvaise foi

Selon le paragraphe 4(b) des Principes directeurs, la réalisation de l'une des circonstances suivantes est susceptible d'établir que le nom de domaine a été enregistré et utilisé de mauvaise foi :

(i) les faits montrent que le défendeur a enregistré ou acquis le nom de domaine essentiellement aux fins de vendre, de louer ou de céder d'une autre manière l'enregistrement de ce nom de domaine au requérant qui est le propriétaire de la marque de produits ou de services, ou à un concurrent de celui-ci, à titre onéreux et pour un prix excédant le montant des frais qu'il peut prouver avoir déboursé en rapport direct avec ce nom de domaine;

(ii) le défendeur a enregistré le nom de domaine en vue d'empêcher le propriétaire de la marque de produits ou de services de reprendre sa marque sous forme de nom de domaine, et est coutumier d'une telle pratique;

(iii) le défendeur a enregistré le nom de domaine essentiellement en vue de perturber les opérations commerciales d'un concurrent, ou

(iv) en utilisation ce nom de domaine, le défendeur a sciemment tenté d'attirer, à des fins lucratives, les utilisateurs de l'Internet sur un espace web ou autre site en ligne lui appartenant, en créant une probabilité de confusion avec la marque du requérant en ce qui concerne la source, le commanditaire, l'affiliation ou l'approbation de son espace ou espace Web ou d'une produit ou service qui y est proposé.

La Commission administrative estime que le nom de domaine litigieux a été enregistré et utilisé de mauvaise foi par le Défendeur, pour les motifs exposés ci-après.

Au moment de l'enregistrement du nom de domaine litigieux, le Défendeur résidant en France ne pouvait ignorer la marque notoire et les enseignes CARREFOUR.

La réservation d'un nom de domaine associant la marque notoire CARREFOUR au suffixe “drive” manifeste la mauvaise foi du Défendeur et ce d'autant que le Requérant propose un service “à emporter” en utilisant le terme “drive”, très exactement “Carrefour Drive Ooshop” (voir en ce sens, Auchan v. Bruno Jolly, Litige OMPI No. D2007-0886, Costco Wholesale Corporation and Costco Wholesale Membership Inc v. Yezican Industries and Domains By Proxy, Inc, Litige OMPI No. D2007-0638 et Carrefour SA v. Eric Langlois, Litige OMPI No. D2007-0067).

Le fait par ailleurs que le nom de domaine litigieux dirige vers un site de pay-per-click où sont affichés une série de liens commerciaux renvoyant à des sites concurrents, sous le titre “Welcome to CARREFOUR DRIVE” démontre bien la mauvaise foi du Requérant et sa volonté de bénéficier de la notoriété de la marque CARREFOUR afin d'en tirer un gain commercial.

Par ailleurs, la Commission administrative est confortée dans ses opinions par l'indication par le Défendeur d'une adresse fausse, et même inexistante ainsi que l'absence de réponse à la plainte.

7. Décision

Pour les motifs exposés ci-dessus, et en application du paragraphe 4(i) des Principes directeurs, et du paragraphe 15 des Règles d'application, la Commission administrative ordonne le transfert du nom de domaine <carrefourdrive.com> au profit du Requérant.


Martine Dehaut
Expert Unique

Le 20 juillet 2010