WIPO

Centre d’arbitrage et de médiation de l’OMPI

 

DÉCISION DE L’EXPERT

Reed Business Information contre Frédéric Lutt

Litige n° DFR2007-0050

 

1. Les parties

Le Requérant est la société Reed Business Information, Issy-les-Moulineaux, France, représenté par Cabinet HMV, France.

Le Défendeur est Monsieur Frédéric Lutt, France.

 

2. Nom de domaine et prestataire Internet

Le litige concerne le nom de domaine <strategie.fr> enregistré le 22 août 2006.

Le prestataire Internet est la société Eurodns SA, Leudelange, Luxembourg.

 

3. Rappel de la procédure

Une demande déposée par le Requérant auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) a été reçue le 5 octobre 2007, par courrier électronique et le 9 octobre 2007, par courrier postal.

Le 9 octobre 2007, le Centre a adressé à l’Association Française pour le Nommage Internet en Coopération (ci-après l’“Afnic”) une demande aux fins de vérification des éléments du litige et de gel des opérations.

Le 9 octobre 2007, l’Afnic a confirmé l’ensemble des données du litige.

Le Centre a vérifié que la demande répond bien au Règlement sur la procédure alternative de résolution des litiges du “.fr” et du “.re” par décision technique (ci-après le “Règlement”) en vigueur depuis le 11 mai 2004, et applicable à l’ensemble des noms de domaine du “.fr” et du “.re” conformément à la Charte de nommage de l’Afnic (ci-après la “Charte”).

Conformément à l’article 14(c) du Règlement, une notification de la demande, valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au Défendeur le 10 octobre 2007. Le Défendeur a fait parvenir sa réponse le 30 octobre 2007.

Le 7 novembre 2007, le Centre nommait Christiane Féral-Schuhl comme Expert dans le présent litige. L’Expert constate qu’il a été nommé conformément au Règlement. L’Expert a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément à l’article 4 du Règlement.

 

4. Les faits

Le Requérant déclare être titulaire des marques françaises suivantes :

- STRATEGIES, marque verbale déposée le 6 décembre 1983 sous le numéro 1240001, dans les classes 9, 16, 28, 35, 41 et 42 dûment renouvelée;

- les marques semi-figuratives STRATEGIES, n° 98748585 et n°003041682, déposées respectivement les 7 septembre 1998 et 19 juillet 2000, dans les classes 9, 16, 35, 38, 41 et 42;

- la marque semi-figurative STR@TEGIES, déposée le 19 septembre 2000, sous le numéro 003052398, dans les classes 9, 16, 35, 38, 41 et 42;

- la marque semi-figurative STRATEGIES.COM, déposée le 28 avril 2003, sous le numéro 033222737.

Le Requérant est également titulaire du nom de domaine <strategies.fr> depuis le 9 décembre 2002.

Le Requérant propose sous ces marques des conseils aux entreprises en matière notamment de marketing, communication, management, ressources humaines. Le Requérant propose des formations dans ces matières et organise des événements publicitaires dans ce domaine.

Les marques susvisées sont notamment exploitées au travers du magazine STRATEGIES et du site internet du Requérant accessible à l’adresse <strategies.fr>.

Le Défendeur a enregistré le nom de domaine litigieux le 22 août 2006.

Au jour du dépôt de la demande, le site internet du Défendeur était inactif. Toutefois, à la date à laquelle l’Expert statue, le nom de domaine litigieux est redirigé vers le site du Défendeur consacré au “commerce mobile”.

C’est dans ce contexte que le Requérant a engagé la présente procédure à l’encontre du Défendeur.

 

5. Argumentation des parties

A. Requérant

Le Requérant invoque en premier lieu, à l’appui de sa plainte, être titulaire de diverses marques françaises comportant le terme STRATEGIES, comme rappelé précédemment.

Le Requérant invoque le caractère distinctif et notoire de la marque STRATEGIES tel que retenu par plusieurs décisions fournies par le Requérant à l’appui de sa plainte.

Le Requérant ajoute être titulaire du nom de domaine <strategies.fr> et exploiter les marques susvisées sur ce site, ainsi qu’au travers du magazine SRATEGIES.

Le Requérant soutient ainsi que l’enregistrement et l’utilisation du nom de domaine <strategie.fr> constituent une contrefaçon par imitation des marques du Requérant.

Le Requérant rappelle à ce titre que l’adjonction de l’extension “ .fr” présente un caractère technique qui ne confère aucun caractère distinctif au signe <strategie.fr> et ne saurait donc entrer en considération dans la comparaison des signes.

Le Requérant relève en outre que :

- sur le plan visuel, les termes sont quasi-identiques; ceux-ci se distinguant uniquement par la suppression du “S” à la fin du terme STRATEGIES;

- sur le plan phonétique, la prononciation des deux termes est identiques; le “S” du terme STRATEGIES étant muet;

- sur le plan intellectuel, les deux termes ont la même signification; le terme STRATEGIE étant la simple déclinaison au singulier du terme STRATEGIES.

Le Requérant ajoute que les produits et services formant le contenu du site internet situé à l’adresse «www.strategie.fr» étaient identiques aux produits désignés par les marques du Requérant. A l’appui de cet argument, le Requérant fournit un constat dressé le 3 septembre 2007 par l’Agence de Protection des programmes (l’APP).

Le Requérant conclut qu’il existe un risque de confusion pour le public qui pourrait être amené à considérer que le site du Défendeur est lié aux marques du Requérant, ce dernier n’ayant au surplus jamais autorisé le Défendeur à utiliser ces marques.

En second lieu, le Requérant soutient que l’enregistrement et l’utilisation du nom de domaine litigieux constituent une atteinte aux règles de la concurrence et du comportement loyal en matière commerciale.

En effet, le Requérant indique que le Défendeur s’est rendu coupable de “typosquatting” avec détournement de trafic, ce dernier profitant d’une erreur de frappe des internautes consistant dans l’oubli du “S” final.

En outre, le site faisant l’objet du constat de l’APP du 3 septembre 2007, propose des liens vers des services concurrents et similaires à ceux proposés par le Requérant sur le site «www.strategies.fr». Au jour du dépôt de la demande, le site internet était inactif, ce qui constitue, selon le Requérant, la mauvaise foi du Défendeur.

Le Requérant ajoute que le Défendeur ne peut ignorer la marque du Requérant, ce seul fait constituant la mauvaise foi du Défendeur.

De tels actes du Défendeur constituent donc manifestement, de l’avis du Requérant, des pratiques déloyales conduisant inéluctablement à diluer et vulgariser l’image et la réputation de la marque STRATEGIES.

Le Requérant sollicite que le nom de domaine <strategie.fr> lui soit transmis.

B. Défendeur

A titre liminaire, le Défendeur expose que le terme “stratégie” est un nom commun de la langue française et ne peut être considéré comme une simple faute de frappe du terme “stratégies”.

Le Défendeur ajoute qu’il a enregistré le nom de domaine litigieux pour une période initiale de 3 ans ce qui démontrerait son projet à long terme pour ce nom de domaine et l’absence de but spéculatif. Le Défendeur prétend en outre que le nom de domaine <strategie.fr> est lié aux études et à l’activité professionnelle du Défendeur et n’a donc en aucun cas été enregistré dans le but de nuire à un quelconque tiers. Enfin, le Défendeur soutient que le fait de mettre un nom de domaine générique momentanément en parking n’est pas illégal.

Le Défendeur considère donc que l’enregistrement du nom de domaine n’est pas abusif car le Requérant n’était pas titulaire de la marque “strategie” à l’identique, ni même d’une marque incluant le terme “strategie” au singulier.

Enfin, le Défendeur soutient que le Requérant ne possède ni la marque “strategie”, ni une quelconque marque contenant le mot “strategie” au singulier et à l’identique et considère donc qu’il n’est pas prouvé que le Requérant a des droits à faire valoir sur le nom de domaine litigieux.

 

6. Discussion

L’Expert constate que le Requérant invoque un enregistrement et une utilisation du nom de domaine litigieux par le Défendeur en violation de ses droits et sollicite en conséquence à son profit du nom de domaine <strategie.fr>.

Conformément à l’article 20(c) du Règlement, “l’expert fait droit à la demande lorsque l’enregistrement ou l’utilisation du nom de domaine par le défendeur constitue une atteinte aux droits des tiers telle que définie à l’article 1 du présent Règlement et au sein de la Charte et, si la mesure de réparation demandée est la transmission du nom de domaine, lorsque le requérant a justifié de ses droits sur l’élément objet de ladite atteinte et sous réserve de sa conformité avec la Charte”.

Par conséquent, l’Expert s’est attaché à rechercher si l’enregistrement et/ou l’utilisation du nom de domaine <strategie.fr> porte atteinte aux droits de tiers, et si le Requérant justifie de droits lui permettant de solliciter la transmission de ce nom de domaine.

A. Enregistrement ou utilisation du nom de domaine litigieux en violation des droits des tiers

L’atteinte aux droits des tiers s’entend, au titre de la Charte, comme une “atteinte aux droits des tiers protégés en France et en particulier à la propriété intellectuelle (propriété littéraire et artistique et/ou propriété industrielle), aux règles de la concurrence et du comportement loyal en matière commerciale et au droit au nom, au prénom, ou au pseudonyme d’une personne”.

En premier lieu, l’Expert constate au vu du dossier que le Requérant est titulaire de droits de propriété intellectuelle sur le terme STRATEGIES, et notamment des marques françaises STRATEGIES, STRATEGIES.COM ou encore STR@TEGIES.

Ce point n’est d’ailleurs pas contesté par le Défendeur qui reconnaît l’existence de droits du Requérant sur le terme STRATEGIES.

Le Requérant est en outre titulaire du nom de domaine <strategies.fr> à partir duquel il exploite ses marques, ainsi qu’au travers du magazine Srategies.

L’Expert estime qu’il existe un risque de confusion certain entre le nom de domaine litigieux et le terme STRATEGIES sur lequel le Requérant détient des droits de propriété intellectuelle. En effet, la présence de l’extension “.fr” dans le nom de domaine litigieux – inhérente au fonctionnement des noms de domaine – comme la suppression du “S” final, muet en langue française, ne permettent pas d’échapper au risque de confusion (par exemple, pour ce qui concerne l’extension “.fr” : décisions SARL Abcyne contre Jeremie Guyot, Litige OMPI n° DFR2007-0001, Compagnie Générale des Etablissements Michelin – Michelin et Cie contre EUROSTATIC Ltd, Litige OMPI N°. DFR2005-0013 et pour ce qui concerne le “S” muet : décision Services aux Loteries en Europe (SLE) contre Société Ascope, Litige OMPI N°. DFR2007-0037).

En application de l’article 12 de la Charte, il appartenait au Défendeur de s’assurer que le terme qu’il souhaitait utiliser à titre de nom de domaine ne portait pas atteinte aux droits de tiers et en particulier à la propriété intellectuelle ou aux règles de la concurrence et du comportement loyal en matière commerciale.

A cet égard, il apparaît à l’Expert, compte tenu de la distinctivité et de la notoriété des marques du Requérant, que le Défendeur, lorsqu’il a enregistré le nom de domaine litigieux, ne pouvait ignorer la renommée et les droits antérieurs attachés au signe “strategies”. Par ailleurs, le fait que le Requérant n’ait pas déposé le terme “strategie” au singulier à titre de marque, n’est pas de nature à autoriser le Défendeur à enregistrer ce signe à titre de nom de domaine, compte tenu notamment de la distinctivité et de la notoriété des marques du Requérant et ce, d’autant que le Défendeur a utilisé ce nom de domaine pour exploiter un site offrant des produits et services similaires à ceux du Requérant puis, après avoir rendu ce site inactif, pour le rediriger vers un site de commerce.

Dès lors, l’Expert considère que l’enregistrement et l’utilisation du nom de domaine litigieux portent atteinte aux droits du Requérant et violent les règles élémentaires qui exigent d’adopter un comportement loyal dans la vie des affaires.

B. Droits du Requérant sur le nom de domaine litigieux

L’Expert considère que les éléments du dossier permettent de constater que le Requérant est titulaire d’un certain nombre de marques comprenant le terme STRATEGIES.

Par ailleurs, l’Expert retient que le Requérant a produit des décisions ayant retenu la distinctivité et la notoriété de la marque STRATEGIES.

L’Expert considère ainsi que le Requérant est bien fondé dans sa demande de transfert du nom de domaine <strategie.fr>, en conformité avec les dispositions de la Charte.

 

7. Décision

Conformément aux articles 20(b) et (c) du Règlement, l’Expert ordonne le transfert du nom de domaine <strategie.fr> au Requérant.


Christiane Féral-Schuhl
Expert

Le 21 novembre 2007