WIPO

Centre d’arbitrage et de médiation de l’OMPI

 

DÉCISION DE L’EXPERT

Directv, Inc. contre Thi Thanh Nguyen

Litige n° DFR2007-0035

 

1. Les parties

Le Requérant est Directv, Inc., El Segundo, Californie, Etats-Unis d’Amérique, représenté par De Gaulle, Fleurance & Associés, Paris, France.

Le Défendeur est Thi Thanh Nguyen, Divonne, France.

 

2. Nom de domaine et prestataire Internet

Le litige concerne le nom de domaine <directv.fr> enregistré le 26 mars 2007.

Le prestataire Internet est la société Gandi.

 

3. Rappel de la procédure

Une demande déposée par le Requérant auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) a été reçue le 2 août 2007, par courrier électronique et le 6 août 2007, par courrier postal.

Le 6 août 2007, le Centre a adressé à l’Association Française pour le Nommage Internet en Coopération (ci-après l’“Afnic”) une demande aux fins de vérification des éléments du litige et de gel des opérations et de levée de l’anonymat du titulaire du nom de domaine, dont les coordonnées étaient en “diffusion restreinte” dans le registre Whois de l’Afnic.

Le 7 août 2007, l’Afnic a communiqué au Centre les coordonnées du titulaire du nom de domaine litigieux et confirmé l’ensemble des données du litige.

Le 15 août 2007, le Centre informait le Requérant de la levée de l’anonymat du titulaire du nom de domaine litigieux et lui demandait en conséquence d’amender sa demande afin de tenir compte de ces éléments d’identification tels que transmis par l’Afnic.

Le Centre recevait la demande amendée du Requérant le 4 septembre 2007 par courrier électronique, et le 5 septembre 2007, par courrier postal.

Le Centre a vérifié que la demande amendée répond bien au Règlement sur la procédure alternative de résolution des litiges du “.fr” et du “.re” par décision technique (ci-après le “Règlement”) en vigueur depuis le 11 mai 2004, et applicable à l’ensemble des noms de domaine du “.fr” et du “.re” conformément à la Charte de nommage de l’Afnic (ci-après la “Charte”).

Conformément à l’article 14(c) du Règlement, une notification de la demande, valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au Défendeur le 7 septembre 2007. Le Défendeur n’ayant adressé aucune réponse, le Centre a notifié le défaut du Défendeur en date du 1er octobre 2007.

Le 19 octobre 2007, le Centre nommait Christiane Féral-Schuhl comme Expert dans le présent litige. L’Expert constate qu’il a été nommé conformément au Règlement. L’Expert a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément à l’article 4 du Règlement.

Par ordonnance du 30 octobre 2007, l’Expert a demandé au Requérant, en application de l’article 17 (c) du Règlement, de bien vouloir produire tous documents permettant de confirmer la protection des deux marques invoquées par le Requérant à l’appui de sa plainte, sur le territoire français. Le Requérant a transmis ces documents dans les délais impartis.

 

4. Les faits

Le Requérant fournit depuis 13 ans un service de diffusion de télévision numérique par satellite et compte aujourd’hui plus de 15 millions d’abonnés. Ses programmes sont diffusés tant chez les particuliers, que dans des lieux accessibles au public tels qu’aéroports, hôtels, restaurants, bars, hôpitaux, entreprises, avions de tourisme ou encore automobiles.

Le Requérant fournit ces services sous ses marques et son nom commercial DIRECTV, le Requérant étant notamment titulaire des marques suivantes protégées entre autres sur le territoire français :

- marque communautaire verbale DIRECTV n°243774, déposée le 1er avril 1996 dans les classes 9, 38 et 41, et dûment renouvelée;

- marque communautaire verbale DIRECTV n°1163138, déposée le 5 mai 1999 dans les classes 9, 16, 35, 38, 41 et 42.

Le Requérant exploite par ailleurs un site internet à l’adresse “www.directv.com” sur lequel ses offres sont détaillées depuis 1995 et est également titulaire des noms de domaine <directv.net> et <directv.info> depuis respectivement les 10 décembre 1999 et 31 juillet 2001.

Le Défendeur a enregistré le nom de domaine litigieux le 26 mars 2007. Lorsque le Requérant a engagé la présente procédure, ce nom de domaine renvoyait vers une page internet en haut de laquelle apparaissaient, selon la même typographie que les marques du Requérant, le terme “DirecTV.fr”, et en dessous, une liste de liens hypertexte renvoyant pour certains à des services de télévision, et notamment, de télévision numérique. Cette page de liens est fournie, selon le Requérant, par la société Google dans le cadre de son programme AdSense.

C’est dans ce contexte que le Requérant a engagé la présente procédure à l’encontre du Défendeur.

 

5. Argumentation des parties

A. Requérant

Le Requérant soutient en premier lieu que l’enregistrement et l’utilisation du nom de domaine litigieux par le Défendeur constituent une atteinte aux droits de tiers.

Le Requérant relève en effet que le nom de domaine litigieux <directv.fr> reproduit à l’identique ses marques communautaires DIRECTV déposées initialement en 1996 et 1999, lesquelles font toutes deux l’objet d’une protection sur le territoire français selon le Requérant.

Le Requérant rappelle à ce titre que l’adjonction de l’extension “.fr” n’altère en rien le risque de confusion engendré par cette reproduction servile de ses marques, cette adjonction étant inhérente au fonctionnement des noms de domaine.

Le Requérant relève également que ce nom de domaine reproduit à l’identique les radicaux de ses noms de domaine, notamment <directv.com>.

Or, selon le Requérant, le Défendeur ne pouvait ignorer l’existence des droits privatifs du Requérant sur le terme DIRECTV au moment de l’enregistrement du nom de domaine litigieux, eu égard à la renommée et la notoriété des marques du Requérant et de ses services commercialisés sous ces marques. En tout état de cause, le Requérant rappelle qu’il appartenait au Défendeur de s’assurer, en vertu de l’article 19(1) de la Charte de l’Afnic, que l’enregistrement du nom de domaine litigieux n’était pas susceptible de porter atteinte aux droits de tiers.

Le Requérant souligne également que le risque de confusion est d’autant plus élevé que le site internet exploité via le nom de domaine litigieux consiste en une page web sur laquelle sont présentés des liens hypertextes renvoyant pour la plupart vers des services de télévision, notamment de télévision numérique, concurrents de ceux fournis par le Requérant. Le Requérant considère ainsi que le Défendeur tente de profiter indûment de la notoriété du Requérant, en particulier dans le domaine de l’audiovisuel.

Ainsi, outre la contrefaçon de ses marques, le Requérant soutient que l’enregistrement et l’utilisation par le Défendeur du nom de domaine litigieux constituent également une atteinte au principe de loyauté en matière commerciale. Le Requérant renvoie à cet effet au Nestlé SA contre Jérémie Guyot, Litige OMPI No. DFR2007-0020. Le Requérant rappelle en effet que cet usage de liens sponsorisés permet au Défendeur d’obtenir une rémunération des annonceurs dès qu’un visiteur clique sur l’un des liens figurant sur son site internet “www.directv.fr”. Or, le Requérant estime que la mauvaise foi du Défendeur est renforcée par le fait qu’il ne détient aucun droit sur le terme DIRECTV et ne justifie d’aucun intérêt légitime à choisir, enregistrer ou exploiter le nom de domaine litigieux.

En second lieu, le Requérant fait valoir qu’il a des droits sur le terme DIRECTV en France et à l’étranger à titre de marque. Qu’à ce titre, il est fondé à solliciter la transmission à son profit du nom de domaine litigieux.

B. Défendeur

Le Défendeur n’a adressé aucune réponse au Centre.

 

6. Discussion

L’Expert constate que le Requérant invoque un enregistrement et une utilisation du nom de domaine litigieux par le Défendeur en violation de ses droits et sollicite en conséquence la transmission de ce nom de domaine à son bénéfice.

Conformément à l’article 20 (c), l’Expert “fait droit à la demande lorsque l’enregistrement ou l’utilisation du nom de domaine par le Défendeur constitue une atteinte aux droits des tiers telle que définie à l’article 1 du présent règlement et au sein de la Charte et, si la mesure de réparation demandée est la transmission du nom de domaine, lorsque le Requérant a justifié de ses droits sur l’élément objet de ladite atteinte et sous réserve de sa conformité avec la Charte”.

Par conséquent, l’Expert s’est attaché à rechercher si l’enregistrement et/ou l’utilisation du nom de domaine <directv.fr> portent atteinte aux droits de tiers, et si le Requérant justifie de droits lui permettant de solliciter la transmission de ce nom de domaine.

A. Enregistrement et/ou utilisation du nom de domaine litigieux en violation des droits de tiers

L’atteinte aux droits des tiers s’entend, au titre de la Charte, comme une “atteinte aux droits des tiers protégés en France et en particulier à la propriété intellectuelle (propriété littéraire et artistique et/ou propriété industrielle), aux règles de la concurrence et du comportement loyal en matière commerciale et au droit au nom, au prénom, ou au pseudonyme d’une personne”.

(a) Le nom de domaine enregistré par le Défendeur constitue une reproduction à l’identique de la marque du Requérant

L’Expert constate que le nom de domaine <directv.fr> enregistré par le Défendeur le 26 mars 2007 constitue la reproduction à l’identique des deux marques communautaires DIRECTV dont est titulaire le Requérant depuis 1996 et 1999.

En effet, l’Expert constate que le nom de domaine objet du présent litige est constitué de l’expression “directv”, identique aux marques communautaires du Requérant, à laquelle est adjointe l’extension “.fr”.

Comme jugé de manière constante par les commissions administratives, l’extension “.fr” inhérente au fonctionnement des noms de domaines, n’est pas de nature à faire disparaître cette identité entre la marque et le nom de domaine (décisions SARL Abcyne contre Jeremie Guyot, Litige OMPI No. DFR 2007-0001, Compagnie Générale des Établissements Michelin – Michelin et Cie contre EUROSTATIC Ltd, Litige OMPI No. DFR2005-0013).

(b) Le Défendeur ne justifie d’aucun droit sur l’expression DIRECTV l’autorisant à enregistrer et utiliser le nom de domaine litigieux

Le Défendeur n’a pas répondu à la plainte du Requérant, afin de faire valoir ses éventuels droits.

En tout état de cause, l’Expert relève que l’expression choisie par le Défendeur à titre de nom de domaine en 2007 faisait déjà l’objet d’une protection à titre de marque sur le territoire français depuis 1996. De surcroît, il est indéniable que les marques DIRECTV du Requérant sont notoires, les services commercialisés sous cette marque faisant l’objet d’une renommée certaine, notamment auprès du public français.

Il est ainsi difficile de concevoir que le Défendeur ait pu ignorer l’existence de ces marques lors de l’enregistrement du nom de domaine litigieux. En toute hypothèse, en application de la Charte, il lui appartenait de vérifier lors de cet enregistrement, qu’il ne portait pas atteinte à des droits de tiers.

L’Expert relève également que le nom de domaine litigieux renvoie vers un site Internet sur lequel figurent des liens hypertextes sponsorisés dont la plupart concernent des produits ou des services de télévision, notamment de télévision numérique, qui se trouvent être similaires voire identique à ceux proposés par le Requérant.

L’Expert constate ainsi que le Défendeur, en bénéficiant d’une rémunération des annonceurs dès lors qu’un internaute clique sur un des liens présent sur son site Internet, a manifestement cherché à tirer indûment profit du risque de confusion créé, dans l’esprit des internautes, entre le nom de domaine litigieux et les marques notoires du Requérant et a ainsi violé le principe de loyauté dans les relations commerciales.

B. Droits du Requérant sur le nom de domaine litigieux

Au vu des éléments produits conjointement avec la demande, l’Expert estime que le Requérant a démontré être titulaire de droits privatifs et plus particulièrement, de droits de marque sur l’expression DIRECTV, lesquels font l’objet d’une protection notamment sur le territoire français.

Les deux marques communautaires du Requérant ont été déposées antérieurement à l’enregistrement du nom de domaine <directv.fr>.

Par conséquent, l’Expert déclare que le Requérant est fondé à solliciter la transmission à son bénéfice du nom de domaine litigieux.

 

7. Décision

Conformément aux articles 20(b) et (c) du Règlement, l’Expert ordonne la transmission au profit du Requérant du nom de domaine <directv.fr>.


Christiane Féral-Schuhl
Expert

Le 6 novembre 2007