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Au tribunal : Droit moral c. utilité publique

Février 2008

Par Juan José Marín lópez

Un tribunal de Bilbao (Espagne) vient de faire œuvre de pionnier par une décision mettant en balance le droit moral dont jouit un architecte sur sa création, en vertu de la loi sur le droit d’auteur de ce pays, et l’intérêt du public. Ce compte-rendu de l’affaire a été rédigé pour le Magazine de l’OMPI par Juan José Marín, professeur de droit civil à l’université de Castilla La Mancha et spécialiste du droit d’auteur espagnol.

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Le pont de Calatrava a été salué comme étant le symbole de la nouvelle ville de Bilbao : “Par l’intelligence, la vitalité et l’originalité de sa configuration courbe, ce pont, venu défier la médiocrité et le lent déclin du paysage urbain, est porteur d’un message d’espoir.” (Alexander Tzonis, critique d’architecture) (Photo: Josean Prado (2006))

Deux ponts

Voici les faits. La municipalité de Bilbao avait demandé à Santiago Calatrava, architecte espagnol de réputation mondiale, le soin de concevoir un pont sur le fleuve Nervión, qui traverse la ville en son milieu, et d’en superviser la construction. Cet ouvrage s’inscrivait dans le cadre d’un projet de développement urbain visant à établir un lien entre les deux rives de Bilbao. La construction fut terminée en mai 1997, et le conseil municipal, apparemment satisfait, accepta le pont. Ce dernier reçut le nom basque de Zubi Zuri (pont blanc) et devint l’un des lieux d’intérêt de la ville.

Quelques années plus tard, deux entreprises se lancèrent dans la construction et la promotion d’un nouveau complexe au bord du fleuve, à proximité du Zubi Zuri. Ce dernier, qui faisait, lui aussi, partie du plan de régénération urbaine de Bilbao, était destiné à un usage mixte, résidentiel, commercial et plaisancier. Il devait se composer de deux tours de verre de 83 m représentant un portail ouvert et de cinq immeubles plus petits, disposés en “paravent”. Sa conception fut confiée au prestigieux architecte japonais Arata Isozaki, et c’est ainsi qu’il reçut le nom d’Isozaki Atea (Porte Isozaki). Pour que le nouvel ensemble ait accès à l’autre rive du fleuve en passant par le Zubi Zuri, Arata Isozaki construisit une passerelle posée sur des piliers de béton. Cette dernière fut reliée à l’ouvrage de Santiago Calatrava en 2006, ce qui nécessita le retrait d’une section de parapet.

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D’un style différent, le prolongement du pont par Arata Isozaki est soutenu par des piliers conventionnels de béton. (Photo: Gabriel Prat)

Mécontent de cette situation, M. Calatrava engagea une action en justice contre le conseil municipal de Bilbao et les deux sociétés chargées de la construction de la passerelle. Il leur reprochait d’avoir porté atteinte à son droit moral à l’intégrité de son œuvre, son consentement n’ayant été demandé ni pour l’ajout de la passerelle ni pour le retrait du parapet. Il exigeait la remise du pont dans son état original, la démolition de la passerelle d’Isozaki, le versement de 250 000 euros en réparation de son préjudice moral et la publication du jugement dans la presse nationale et spécialisée. Subsidiairement, si le pont ne pouvait pas être remis en état, il réclamait 3 millions d’euros de dommages et intérêts.

Les arguments

L’affaire, qui fut entendue par le tribunal de Bilbao en novembre 2007, suscita un intérêt considérable. L’un des points les plus vivement débattus fut, la question de savoir si en Espagne, la protection du droit d’auteur s’étend aux œuvres d’architecture. L’article 10.1) de la loi espagnole de 1987 sur la propriété intellectuelle fait état des “projets, plans, maquettes et dessins d’œuvres de l’architecture et de l’ingénierie”. Cette disposition est libellée d’une manière qui pourrait être interprétée comme signifiant que la protection s’applique seulement aux projets, plans, maquettes et dessins relatifs à l’œuvre, et non à l’œuvre finale proprement dite, c’est-à-dire au résultat de la construction projetée ou dessinée par l’architecte.

M. le Juge Edmundo Rodríguez Achútegui ne s’est pas rallié à cette interprétation restrictive. Il a rappelé que la liste d’œuvres protégées figurant dans la loi espagnole n’a nullement caractère exhaustif, et que le critère essentiel de la protection est celui de l’originalité de l’œuvre d’architecture. Il a rappelé également l’existence d’une jurisprudence en matière de protection des œuvres d’architecture proprement dites, citant à titre d’exemple la décision rendue en mars 2006 par laquelle la cour provinciale de Barcelone a reconnu la protection du droit d’auteur dans l’affaire du Temple expiatoire de la Sainte-Famille. Il a enfin observé que la Convention de Berne prévoit explicitement, en son article 2.1, que les œuvres d’architecture sont comprises parmi les “œuvres littéraires et artistiques”.

Le juge a statué, en outre, qu’une œuvre d’architecture originale est protégée par le droit d’auteur indépendamment de sa fonction, autrement dit qu’elle soit destinée à “servir de lieu d’habitation ou de travail, promouvoir la spiritualité, fournir un espace culturel ou faciliter les communications”.

L’autre question soumise au tribunal était de savoir si le conseil municipal et les sociétés de construction avaient porté atteinte, par leur conduite, au droit moral de l’architecte. À cet égard, l’article 14.4) de la loi espagnole sur la propriété intellectuelle, à l’instar de l’article 6bis de la Convention de Berne, consacre le droit inaliénable de l’auteur “d’exiger le respect de l’intégrité de l’œuvre et de s’opposer à toute déformation, modification, altération ou atteinte à cette dernière, susceptible de porter préjudice à ses intérêts légitimes ou de déprécier sa réputation”. Le juge a reconnu que le pont de Santiago Calatrava avait subi une altération : une section de parapet en avait été retirée et une passerelle, construite dans un style complètement différent et soutenue par une structure qui n’était pas en harmonie avec le dessin du pont du requérant, y avait été attachée. La couleur grisâtre jurait aussi nettement avec la blancheur du pont. Il en a conclu que la passerelle avait incontestablement altéré le caractère du Zubi Zuri.

La loi espagnole fait clairement la distinction entre les droits du propriétaire corporel de l’œuvre (la ville de Bilbao) et ceux de son auteur (M. Calatrava). Le fait que le conseil municipal soit légalement le propriétaire de l’œuvre d’architecture ne l’autorise pas à modifier cette dernière d’une manière préjudiciable au droit moral de son auteur. Celui de l’utilité pratique évidente de l’œuvre – permettre aux habitants de Bilbao de traverser le fleuve – ne diminue en rien la réalité et la validité du droit moral de l’auteur.

Priorité à l’intérêt public

Ce pont est une création artistique singulière et susceptible de protection, mais aussi un ouvrage public qui assure un service aux citoyens et satisfait, par conséquent, un intérêt public. Si l’on met ces intérêts en balance, le public doit l’emporter sur le privé

Le juge a toutefois estimé, en dernière analyse, que l’intérêt légitime (privé) de M. Calatrava à l’intégrité de son œuvre devait s’apprécier non seulement au regard de l’action engagée à l’encontre du conseil municipal, mais aussi à celui de l’intérêt (public) des citoyens. Pour les habitants de Bilbao, l’ajout d’une passerelle reliée au Zubi Zuri était le moyen d’accéder commodément au nouveau complexe Isozaki Atea, sans avoir à monter et descendre plusieurs escaliers.

Dans cette pesée des intérêts public et privé, le droit moral de l’architecte a perdu. Le juge Achútegui a rejeté la demande de M. Calatrava, statuant que l’œuvre avait en effet subi une altération, mais que “le droit à l’intégrité de l’œuvre n’a fait l’objet d’aucune atteinte, l’auteur ayant une obligation de tolérance eu égard au service public fourni par son œuvre.”

Le juge a par ailleurs critiqué les actions du conseil municipal, auquel il a reproché de ne pas avoir confié à M. Calavatra lui-même le soin du prolongement de son pont. Aucune amende n’a toutefois été imposée.

L’affaire, cela étant, n’est pas encore terminée. Bien qu’un porte-parole de Santiago Calatrava ait salué la “satisfaction morale” apportée par le jugement, les avocats de ce dernier ont depuis fait appel devant la cour provinciale de Bilbao. À travers toute l’Espagne, architectes, ingénieurs, planificateurs urbains et avocats spécialisés en droit d’auteur attendent maintenant avec un vif intérêt de savoir si la décision rendue dans ce cas test sur les limites du droit moral fera ou non jurisprudence.

Le Magazine de l’OMPI vise à faciliter la compréhension de la propriété intellectuelle et de l’action de l’OMPI parmi le grand public et n’est pas un document officiel de l’OMPI. Les désignations employées et la présentation des données qui figurent dans cette publication n’impliquent de la part de l’OMPI aucune prise de position quant au statut juridique des pays, territoires ou zones concernés ou de leurs autorités, ni quant au tracé de leurs frontières ou limites territoriales. Les opinions exprimées dans cette publication ne reflètent pas nécessairement celles des États membres ou du Secrétariat de l’OMPI. La mention d’entreprises particulières ou de produits de certains fabricants n’implique pas que l’OMPI les approuve ou les recommande de préférence à d’autres entreprises ou produits analogues qui ne sont pas mentionnés.