Un secret des Caraïbes

Angostura Limited, Trinité et Tobago

Région tropicale riche et diverse, la mer des Caraïbes abrite des centaines d’îles qui se caractérisent par une culture et une économie originales et comptent plus de 30 millions d’habitants (PNUE). Parmi les 13 pays souverains et 17 Territoires de la région, Trinité et Tobago est un pays montagneux, couvert de forêts et l’une des économies les plus avancées des Caraïbes, avec une population d’environ 1,3 million d’habitants et un secteur énergétique puissant (Banque interaméricaine de développement, 2007).

Les forêts des îles de Trinité et Tobago offrent des conditions optimales pour la culture de la canne à sucre, à l’origine de de la production nationale de rhum et de bitters. (Photo : Flickr/Edmund Gall)

Fort de ses traditions agricoles, le pays est un producteur important de boissons alcoolisées, qui représentent plus de 40 millions de dollars É. U. de ses exportations annuelles (Observatoire de la complexité économique, 2012). La colonisation de la Trinité et Tobago par les Européens a marqué l’avènement d’une tradition séculaire de distillation du rhum, une boisson alcoolisée fabriquée à partir de mélasse, sous produit de la culture de la canne à sucre. Angostura Limited (Angostura) est l’une des entreprises qui ont marqué l’économie de la Trinité et Tobago en exploitant un robuste portefeuille de propriété intellectuelle composé de secrets d’affaires, de marques et de noms de domaine.

Produits ayant une origine géographique précise

Les amers (ou bitters) Angostura – produits qui ont rendu l’entreprise célèbre – sont fabriqués à partir d’ingrédients originaires de la Trinité et Tobago. Les Orange Bitters sont fabriqués à partir d’oranges cultivées et choisies manuellement à la Trinité et Tobago (selon l’entreprise). Au fur et à mesure de son expansion, l’entreprise a ajouté à sa production des produits à base de rhum, fabriqué à partir du sucre de canne, celle ci étant cultivée de longue date aux Antilles.

La canne à sucre (saccharin officinarum) représente environ 80% de la production mondiale de sucre (FairTrade International, 2013). Elle aurait été domestiquée en Asie du sud est il y a quelque 10 000 ans (National Geographic, 2013). Lorsque les premiers colons s’installèrent sur les îles jumelles, ils trouvèrent un climat tropical tempéré par des alizés et une température moyenne de 22 à 31 degrés Celsius (°C). Avec une pluviosité annuelle moyenne d’environ 1600 millimètres (The Commonwealth) une saison pluvieuse et une saison sèche bien différenciées (Trinidad & Tobago Tourism Development Company Ltd.), les îles de la Trinité et Tobago jouissent du climat idéal pour une culture florissante de la canne à sucre (Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), 2013).

S’appuyant sur cette longue tradition de culture de la canne à sucre locale et ayant à portée de main les ingrédients nécessaires à la fabrication de ses produits amers, Angostura a pu exploiter les ressources de l’environnement local pour créer des produits de renommée internationale.

Recherche développement

Angostura fabrique de nombreux produits, dont les plus reconnaissables sont peut être les bitters, obtenus par infusion d’alcool, d’herbes aromatiques, d’épices et d’eau. Tandis que, de nos jours, ils sont utilisés en petites proportions pour parfumer diverses boissons, alcoolisées ou non, il y a plusieurs centaines d’années, ils étaient surtout appréciés pour leurs vertus curatives (Weston A. Price Foundation, 2011).

On pense que dans les années 1700, des médecins ont mis au point des boissons médicinales toniques à base d’herbes et d’épices, conservées dans de l’alcool, ce qui leur donnait ce goût amer (Serious Eats, 2011). Ces préparations, utilisées dans des boissons alcoolisées, ont fini par parvenir jusqu’aux cabinets médicaux, bien que l’on ne sache pas bien comment cela s’est produit ni qui est à l’origine de cette évolution (Smithsonian, 2012).

Au XIXe siècle, et au début du XXe, les bitters étaient prescrits pour soigner de nombreux maux. (Photo : Flickr/Boston Public Library)

Angostura est l’un des plus anciens fabricants de bitters. Le premier amer a été produit par le docteur Johann Siegert, au début des années 1800, pour stimuler l’appétit et la digestion des soldats (Smithsonian, 2012). Angostura est l’un des plus anciens fabricants de bitters. Le premier amer a été produit par le docteur Johann Siegert, au début des années 1800, pour stimuler l’appétit et la digestion des soldats (Serious Eats, 2011). Au cours des années suivantes, le docteur Siegert poursuivit ses recherches et essais, et, en 1824, il perfectionna la formule de ses amers aromatiques – qu’il baptisa Amargo Aromatico – et continua de les prescrire à ses patients (selon l’entreprise Angostura). Habitant la ville d’Angostura au Venezuela (connue aujourd’hui sous le nom de Ciudad Bolivar), le médecin devenu chef d’entreprise baptisa son produit Angostura Bitters (selon l’entreprise). Après s’être installés sur l’île de Trinité, dans les Caraïbes – qui fait aujourd’hui partie du pays Trinité et Tobago – les fils du docteur Siegert créèrent une société, ouvrirent une usine dans la capitale, Port d’Espagne, et commencèrent à vendre le produit sur le marché international (PR Newswire, 2014).

La formule n’a pas varié depuis sa mise au point, en 1824, et elle reste à la base des produits Angostura Bitters (selon l’entreprise). Au fur et à mesure de son expansion, l’entreprise tira parti des savoirs traditionnels concernant la distillation du rhum à la Trinité et Tobago, tout en renforçant la R D afin d’élaborer de nouveaux produits. La famille Siegert continua de produire du rhum jusqu’au début des années 1900. Avec le recrutement d’un chimiste qualifié en 1936, d’un technicien du sucre en 1942 et d’un chimiste industriel en 1944, Angostura a pu pousser sa R D consacrée à la distillation du rhum et à la production de produits à base de rhum (selon la société).

Savoirs traditionnels

Vasant Bharath, ministre de l’industrie et de l’investissement, s’est adressé en ces termes au gouvernement de la Trinité et Tobago : “La culture et l’histoire du pays est intimement liée à l’histoire du rhum, qui remonte à l’époque de nos plantations de canne à sucre.” (Gouvernement de la Trinité et Tobago, 2013). La culture intensive de canne à sucre, introduite à la fin des années 1700, a fait de la Trinité et Tobago un lieu idéal pour la production de rhum, distillé à partir de mélasse (Bibliothèque du Congrès des États Unis d’Amérique). À la fin du XIXe siècle, l’île de Tobago était l’un des premiers producteurs de sucre de la région, et les travailleurs de Trinité touchaient des salaires qui dépassaient ceux de nombre de leurs homologues des Caraïbes (Bibliothèque du Congrès des États Unis d’Amérique).

Avec la découverte de pétrole dans le pays, le sucre perdit progressivement son statut de principal moteur de l’économie de la Trinité et Tobago (Sugar Heritage Village, Ministère du tourisme, Trinité et Tobago), mais les cultivateurs de canne à sucre conservèrent les savoirs traditionnels acquis sur la distillation du rhum, branche importante de l’activité des plantations de canne à sucre tout au long de l’histoire de cette culture dans les îles antillaises telles que Trinité et Tobago (A Bottle of Rum: A History of the New World in Ten Cocktails, 2007).

Comme le rhum, la fabrication et la recette des bitters Angostura suivent une tradition séculaire qui,selon la société, est restée inchangée depuis 1824. Selon ses savoirs traditionnels, Angostura fabrique ses bitters par infusion d’herbes, de graines, d’écorce, de fruits, de zestes ou de racines dans de l’alcool, puis extraction de l’essence (A Bottle of Run: A History of the New World in Ten Cocktails, 2007). Les ingrédients sont tout d’abord mélangés selon une formule secrète, puis écrasés, filtrés et infusés dans des cuves contenant 97% d’alcool (Alcademics, 2011) avant la mise en bouteilles du produit fini et son conditionnement en vue de l’exportation dans plus d’une centaine de pays (A Bottle of Run: A History of the New World in Ten Cocktails, 2007). L’association de ses savoirs traditionnels en matière de distillation du rhum et de la production de bitters a permis à Angostura de constituer et de préserver un portefeuille de propriété intellectuelle certes ancien, mais qui rencontre toujours autant de succès.

Création d’un label

La célèbre bouteille de bitter Angostura, avec son étiquette surdimensionnée
(Photo : Flickr/Dominic Lockyer)

Forte de cette longue et riche histoire, Angostura a mis en valeur ses marques, liées à des produits qui rappellent l’esprit de la Trinité et Tobago à ses clients (selon la société). La longévité de la marque Angostura Bitters a permis à la société de s’emparer de 90% du marché de la Trinité et Tobago et d’acquérir une notoriété mondiale (Caribbean Beat, numéro 57). L’une des propriétés des bitters de la société est que, si leur titre alcoométrique volumique est de 47,7%, leur concentration en alcool est si faible que ces boissons peuvent être considérées comme non alcoolisées (selon la société). C’est pourquoi ces amers sont également commercialisés non seulement comme ingrédients de cocktails mais aussi comme exhausteurs essentiels de goût de jus, de crèmes glacées et de marinades (Caribbean Beat, numéro 57).

L’élément le plus emblématique des bitters Angostura est sans doute l’étiquette trop grande qui enserre la bouteille. Les anecdotes ne manquent pas, qui expliquent les raisons de ce surdimensionnement. Selon les représentants de la société, celui ci viendrait du fait que la bouteille et l’étiquette ont été conçues séparément par deux fils du docteur qui ne se sont jamais concertés, d’où l’étiquette démesurée (Story of Angostura Bitters Label, YouTube, 2011). L’étiquette fait désormais partie intégrante de l’image de marque de la société.

Le succès du premier produit d’Angostura, il y a bien des années, a permis à la société d’aborder la distillation du rhum, dont elle continue d’être un acteur majeur dans le créneau commercial du rhum (Gouvernement de Trinité et Tobago, 2014). En 2010, la société prit l’initiative de rebaptiser cinq de ses grands labels de rhum afin de toucher de nouveaux consommateurs et marchés (Angostura, 2010). Pour marquer son 190e anniversaire, en 2014, elle lança une nouvelle marque, Amaro di Angostura, un mélange original de bitters et de rhum Angostura, présenté en bouteille dont l’esthétique s’inspire de l’étiquette surdimensionnée (PR Newswire, 2014). Ces efforts ont permis à la firme de rester un acteur majeur dans son pays, mais aussi l’un des fabricants de bitters les plus célèbres à l’échelon international et un producteur connu sur le marché créneau du rhum.

Secret commercial, marques et noms de domaine

Angostura, dont la majeure partie du portefeuille de propriété intellectuelle remonte à près de deux cents ans, a constaté que le meilleur moyen de protéger son produit passait par les secrets commerciaux (Gouvernement de Trinité et Tobago, 2014). C’est pourquoi la société garde jalousement un secret qui a été la clé de sa réussite, en veillant à ce qu’il ne tombe pas entre les mains des concurrents. Ainsi, cinq directeurs de la société seulement sont admis dans la pièce où sont mélangés les ingrédients des bitters (A Bottle of Run: A History of the New World in Ten Cocktails, 2007). C’est en prenant ce genre de dispositions qu’Angostura a pu conserver la recette secrète depuis 1824 (selon la société) et préserver la compétitivité de la société.

Angostura protège son étiquette emblématique en enregistrant des marques
dans différents pays (image: OHIM/CTM#005068101)

Angostura protège également sa propriété intellectuelle par un autre moyen important : l’enregistrement de marques. La société a déposé plus de quarante demandes d’enregistrement national de marques auprès de l’Office de la propriété intellectuelle de la Trinité et Tobago dès la fin des années 1800, notamment le nom Angostura name (enregistré en 1910), Angostura Aromatic Bitters (enregistré en 1951), Angostura Orange Bitters, et des produits à base de rhum tels que Angostura Single Barrel ((enregistré en 2013).La société a également déposé des demandes d’enregistrement de marques sur des marchés internationaux, par exemple son nom enregistré au Mexique en 1996 et en République de Corée en 2013; plus de 10 demandes ont été déposées aux États Unis d’Amérique, par exemple pour le nom Angostura enregistré en 1907, 11 en Europe, par exemple pour l’étiquette des Angostura Aromatic Bitters enregistrée en 2007, et 13 en Australie, par exemple Angostura 1824 (enregistrée en 2005).

Dans ses relations avec sa clientèle, et afin de toucher un plus large public, Angostura utilise aussi des noms de domaine et des médias numériques (Gouvernement de Trinité et Tobago, 2014). En 2014, la société détenait les sites, angostura.com et angosturabitters.com, sur lesquels elle décrit en détail ses produits, raconte son histoire et énonce ses objectifs. En associant secrets commerciaux, marques et noms de domaines, Angostura a été en mesure de protéger sa propriété intellectuelle et, de fabricant d’un seul produit, de devenir l’un premiers producteurs de rhum des Antilles (Gouvernement de Trinité et Tobago, 2014).

Commercialisation

Dès leur accession au marché, en 1875, les bitters Angostura ne tardèrent pas à acquérir une notoriété nationale et internationale. Au début des années 1900, Angostura commença à distiller et commercialiser des produits à base de rhum qui prirent leur essor en 1945 grâce à l’acquisition d’une nouvelle distillerie (selon la société).

Jusqu’au début des années 60, la société vendait surtout des bitters, connus dans le monde entier, et divers autres produits à base de rhum, par exemple le Siegert’s Bouquet Rum, l’un des produits les plus populaires à la Trinité et Tobago (PR Newswire, 2014). En acquérant une autre grande distillerie à la Trinité et Tobago en 1973, Angostura se diversifia encore; elle commercialisa d’autres produits au rhum à une plus grande échelle et, en 2014, les produits de la société étaient vendus sur 164 marchés du monde entier (selon la société).

La société a ajouté à sa palette d’autres produits qui se vendent bien, par exemple des boissons à base de rhum (Photo : Flickr/Mattias Winbladh)

Résultats commerciaux

En 2014, la société avait remporté plus de soixante prix internationaux (médailles d’or, d’argent et prix d’excellence au Concours international des vins et spiritueux, selon le Gouvernement de Trinité et Tobago). C’est l’une des marques de bitters les plus connues (PR Newswire, 2014). Au cours des six premiers mois de 2011, les exportations totales de rhum et bitters de la Trinité et Tobago, dont une majorité de produits Angostura, s’élevaient à 33 millions de dollars É. U. (Gouvernement de Trinité et Tobago, 2013). Bien que la société ait subi une perte historique de plus d’un milliard de dollars É. U. en 2007, ses nouvelles stratégies en matière de marques lui ont permis de rebondir et d’élargir sa part de marché (Trinidad Express, 2010).En 2014, Angostura connut une croissance substantielle de toutes ses marques et ses recettes atteignirent 82,1 millions de dollars É. U. au cours du premier semestre, soit une augmentation de 14,8% par rapport à l’année précédente (Bourse de la Trinité et Tobago, 2014).

Protection d’une tradition séculaire

Certes, le monde a beaucoup changé depuis l’élaboration de la première recette de bitters par le docteur Siegert. Pourtant, cette même recette n’a guère varié depuis près deux cents ans. En la préservant comme un secret commercial et en développant d’autres actifs de propriété intellectuelle et des marques commerciales solides, Angostura a pu demeurer un acteur de premier plan malgré une concurrence de plus en plus vive. Sous réserve d’une exploitation stratégique de la propriété intellectuelle, cette recette ainsi protégée pourra contribuer à assurer la prospérité d’Angostura et de l’économie de la Trinité et Tobago au cours des années à venir.


Last update:

14 novembre 2014


Country/Territory:
Trinité-et-Tobago

Company name:
Angostura Limited

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