Knut Koivisto

Niclas Molinder : les créateurs de musique doivent changer d’attitude à l’égard des métadonnées et de la propriété intellectuelle

Nora Manthey, rédactrice en chef, Magazine de l’OMPI

22 avril 2025

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Le producteur de musique suédois Niclas Molinder exhorte les créateurs à prendre davantage soin de leurs métadonnées, afin que le secteur puisse mieux s’occuper d’eux.

Niclas Molinder, auteur-compositeur, producteur et éditeur de musique suédois, s’est bâti une carrière de défenseur des droits des créateurs. Il a collaboré avec des géants de l’industrie musicale tels que Björn Ulvaeus d’ABBA, avec qui il a cofondé l’outil de collaboration et de traitement de données Session Studio aux côtés du célèbre producteur Max Martin. Cette plateforme aide les créateurs à consigner les données essentielles nécessaires pour le paiement des redevances et les crédits appropriés. En tant que principal initiateur de la plateforme CLIP (Creators Learn Intellectual Property), Molinder est un fervent défenseur des droits musicaux et de la formation des artistes dans le monde entier. Dans cet entretien avec le Magazine de l’OMPI, il exhorte les créateurs de musique à prendre des mesures anticipées pour obtenir la rémunération qui leur revient de droit.

D’où vient votre passion pour les droits musicaux?

Au départ, je n’avais pas l’intention de me pencher sur les droits musicaux. Je suis auteur-compositeur et producteur depuis plus de 20 ans, et mon objectif a toujours été de créer de la musique. Mais à un moment donné, mon partenaire et moi avons reçu tellement de demandes pour de nouvelles chansons et productions que nous n’arrivions plus à suivre. Pour répondre à la demande, nous avons créé une maison d’édition et une maison de disques, transformant ainsi notre activité en une maison de production à part entière.

Pour la première fois, j’étais de l’autre côté de la table, représentant d’autres créateurs. Je devais m’assurer que tous les enregistrements étaient corrects. C’est à ce moment-là que j’ai vraiment compris la complexité des métadonnées et leur rôle crucial dans le cycle de vie d’une chanson. Je me suis également rendu compte d’une chose fondamentale : le terme “chanson” que nous utilisons avec tant de désinvolture n’est pas une définition juridique – c’est une combinaison d’une œuvre musicale et d’un enregistrement sonore. Il est devenu évident que les métadonnées et la gestion des droits sont essentielles pour garantir que toutes les parties prenantes dans la création d’une chanson soient dûment citées et rémunérées. Ce fut mon signal d’alarme.

Vous mentionnez l’autre côté de la table. Certains artistes ont l’impression d’être assis du mauvais côté. En même temps, Spotify affirme avoir versé 10 milliards de dollars de redevances en 2024. Que se passe-t-il?

Avant tout, je pense qu’il s’agit d’un manque d’information et de sensibilisation. Trop souvent, au lieu de chercher des solutions, nous nous rejetons mutuellement la faute. Je ne crois sincèrement pas qu’une entreprise ou une organisation tente délibérément d’exclure des créateurs pour des raisons financières. La difficulté vient du système lui-même : il est complexe et, en l’absence de données correctes, les paiements peuvent être retardés ou perdus.

Et l’autre côté?

Pour ma part, en tant que créateur, je pense que si nous ne gardons pas trace des personnes avec lesquelles nous collaborons et de celles qui ont contribué à une œuvre musicale ou à un enregistrement sonore, comment pouvons-nous espérer que le reste du secteur – les éditeurs, les managers, les maisons de disques, les services de diffusion en continu et les organisations de gestion collective – le fasse pour nous? Le fondement de la propriété intellectuelle et des paiements fondés sur les redevances repose sur le fait que tout le monde a la même conception des personnes concernées et de la manière dont les recettes doivent être réparties.

Finalement, le problème se résume à la transparence et à la communication. Ce que j’aimerais rappeler aux éditeurs, aux maisons de disques, aux managers, aux organisations de gestion collective et à tous les acteurs du secteur, c’est que des métadonnées de qualité doivent être recueillies dès les premières étapes du processus de création. Si nous y parvenons dès le départ, nous pouvons établir des liens sécurisés entre les identifiants et l’argent circulera de manière plus rapide et plus précise dans le système. C’est bénéfique pour tous.

Poundo Gomis se produit sur scène, un micro dans la main droite et le bras gauche tendu vers l’extérieur. Elle porte une veste texturée rouge vif sur une tenue noire et des tresses en perles. Elle est éclairée par des lumières de scène violettes et jaunes. Une batterie est visible à l’arrière-plan.
OMPI/Emmanuel Berrod
Poundo Gomis se produit lors du lancement de la plateforme CLIP au siège de l’OMPI à Genève en 2023.

En tant que créateur de musique, que dois-je faire?

Voyez-le comme n’importe quel autre emploi. Si vous travaillez dans un restaurant, par exemple, vous devez fournir à votre employeur trois informations essentielles pour être payé : votre numéro de sécurité sociale, vos coordonnées bancaires et un relevé d’heures indiquant vos heures de travail.

Les créateurs de musique devraient adopter la même attitude. Lorsqu’une chanson est terminée, partagez vos identifiants IPI, IPN et ISNI, mettez-vous d’accord sur le partage et assurez-vous que toutes les parties concernées disposent exactement des mêmes informations. Je ne dis pas que cela concerne uniquement les créateurs, tous les acteurs du secteur sont concernés. Mais avant de pouvoir discuter des améliorations en aval, les créateurs doivent changer d’attitude et admettre l’importance des métadonnées en tant que lien essentiel avec leur œuvre.

Il suffit d’un papier et d’un stylo pour faire ce dont je parle. C’est simplement quelque chose que vous devez faire. Le plus important est d’adopter la bonne attitude et de passer à l’action.

Supposons que je dispose de toutes ces informations; comment puis-je m’assurer qu’elles seront mises à la disposition de l’industrie mondiale?

Je recommande d’utiliser des outils de création compatibles avec la norme DDEX-RIN.

Le vrai problème est que le processus est souvent trop compliqué pour les créateurs de musique. C’est pourquoi il est essentiel que les entreprises du secteur de la musique adoptent les normes et solutions existantes telles que Connex, qui garantit que toutes les métadonnées sont exactes et concordantes avant la publication d’une chanson.

Donnez-nous un exemple.

Imaginons que vous soyez auteur-compositeur. Avant la diffusion de votre chanson, vous devez vous entendre sur le partage de l’œuvre musicale. Cette conversation est souvent embarrassante et peut créer une mauvaise ambiance, mais l’éviter conduit à des problèmes plus graves.

Si le partage n’est pas consigné, l’industrie peut vous reconnaître en tant qu’auteur-compositeur, mais ne saura pas comment répartir les paiements. L’argent est alors bloqué jusqu’à ce que le litige soit résolu. De nombreux auteurs-compositeurs se plaignent de retards de paiement, mais la vérité est que ce problème pourrait être facilement évité grâce à un simple accord initial auquel auraient accès tous les auteurs-compositeurs, éditeurs et organisations de gestion collective concernés.

S’agit-il de la “boîte noire” contenant de l’argent qui ne va nulle part parce qu’il est difficile de retrouver les créateurs concernés?

Oui, mais parfois, l’argent parvient finalement à son destinataire légitime. Les organisations de gestion collective, les éditeurs et les autres organisations du secteur déploient des efforts considérables pour répartir les redevances de la manière la plus juste possible. Toutefois, nous devons également nous attaquer aux énormes coûts administratifs et aux retards causés par des données incomplètes ou incorrectes. Si une organisation de gestion collective ou un éditeur ne dispose pas des métadonnées nécessaires, elle doit procéder à une recherche manuelle, ce qui nécessite beaucoup de temps et d’argent. Les créateurs doivent être davantage impliqués dans l’administration de leurs propres œuvres. Plus nous fournissons des données précises dès le départ, moins nous gaspillons de ressources à rechercher les informations manquantes par la suite.

Voyez-vous une solution?

L’industrie doit changer fondamentalement d’attitude – la véritable précision des métadonnées commence à la source, lors de la création, et non par des corrections coûteuses et fastidieuses en aval, longtemps après la sortie d’une chanson. L’industrie doit également jouer un rôle plus actif dans la formation. Je participe régulièrement à des conférences et à des événements de l’industrie musicale et la formation est toujours un sujet d’actualité. On entend sans cesse dire : “Nous avons besoin d’une meilleure formation pour les créateurs”.

C’est quelque chose que vous fournissez.

Exactement. Avec la plateforme CLIP, nous avons fait quelque chose d’unique : nous avons créé une plateforme pédagogique gratuite, disponible en sept langues. Plus important encore, tous les contenus sont approuvés par l’ensemble de l’industrie musicale. Notre conseil consultatif est composé des principaux organismes professionnels de l’industrie musicale, ce qui ne s’était jamais produit pour une initiative de formation comme celle-ci. Bien sûr, il faut du temps pour que la plateforme CLIP soit pleinement adoptée dans le monde entier, mais nous avons besoin que les parties prenantes de toute l’industrie de la musique se mobilisent et la soutiennent.

À tous les acteurs du secteur : rejoignez-nous. C’est gratuit. Cela ne coûte pas un dollar, pas un euro ni aucune autre devise. Tout ce que nous vous demandons, c’est d’aider à transmettre le message à vos créateurs à grande échelle.

Cette entrevue a été éditée et condensée à partir de deux conversations.