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Centre d’arbitrage et de médiation de l’OMPI

DÉCISION DE L’EXPERT

The Procter & Gamble Company contre Triall SA

Différend No. DCH2014-0001

1. Les parties

Le Requérant est The Procter & Gamble Company de Cincinnati, Ohio, Etats-Unis d’Amérique, représenté par Lardelli Bener Audétat, Suisse.

La Partie adverse est Triall SA de Genève, Suisse, représentée par l’Etude de Me P. Azzola, Suisse.

2. Le nom de domaine

Le différend concerne le nom de domaine <mrpropre.ch> (le “Nom de Domaine”).

Le Registre auprès duquel le Nom de Domaine est enregistré est SWITCH, Suisse.

3. Rappel de la procédure

Une demande a été déposée par le Requérant auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) en date du 8 janvier 2014 sous forme électronique et en date du 9 janvier 2014 par écrit.

En date du 8 janvier 2014, le Centre a adressé une requête au Registre SWITCH, aux fins de vérification des éléments du différend, tels que communiqués par le Requérant. En date du 9 janvier 2014, le Registre SWITCH a confirmé que la Partie adverse est bien le détenteur du Nom de Domaine et a transmis ses coordonnées.

Le Centre a vérifié que la plainte répond bien aux exigences des Dispositions relatives à la procédure de règlement des différends pour les noms de domaine “.ch” et “.li” (ci-après les “Dispositions”) adoptées par SWITCH, registre du “.ch” et du “.li”, le 1er mars 2004.

D’après les informations reçues du Registre SWITCH, le Centre a informé les parties que la langue du contrat d’enregistrement du Nom de Domaine est le français. Par conséquent, le Requérant a été invité par le Centre par courrier électronique du 13 janvier 2014 à: 1) fournir la preuve suffisante d’un accord, entre le Requérant et la Partie adverse, prévoyant que la procédure se déroule en allemand; 2) déposer une Demande traduite en français; ou 3) déposer une demande afin que l’allemand soit la langue de la procédure, jusqu’au 16 janvier 2014. Le Requérant a soumis en date du 16 janvier 2014 une demande afin que l’allemand soit la langue de la procédure au motif que des discussions transactionnelles auraient eu lieu dans cette langue entre les parties avant l’initiation de la procédure. Par le même courrier électronique du 13 janvier 2014 du Centre, la Partie adverse a été invité à émettre des commentaires sur la requête du Requérant jusqu’au 18 janvier 2014, aucun commentaire n’ayant toutefois été soumis dans ce délai. Le conseil de la Partie adverse a par la suite exposé dans des communications des 22, 23 et 24 janvier 2014 respectivement que la langue de la procédure était le français et que son client n’avait pas accepté que la langue de la procédure soit l’allemand.

Conformément au paragraphe 14 des Dispositions, en date du 21 janvier 2014, une transmission de la demande valant ouverture de la présente procédure, a été adressée dans les deux langues à la Partie adverse.

Conformément au paragraphe 15(a) des Dispositions, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 10 février 2014. Par courrier électronique du 22 janvier 2014, la Partie adverse (agissant par l’intermédiaire de son conseil) a requis une prolongation du délai de réponse de 10 jours, soit jusqu’au 20 février 2014. Par courrier électronique du 23 janvier 2014, le Centre a confirmé le maintien du délai du 10 février 2014, conformément au paragraphe 15 des Dispositions, le Centre indiquant dans ce contexte ne pas avoir reçu de demande fondée de la Partie adverse et aucune circonstance exceptionnelle n’étant présente dans ce dossier qui aurait pu justifier une prolongation de délai au sens du paragraphe 6(f) des Dispositions. Par courrier électronique du même jour (23 janvier 2014), la Partie adverse a requis un délai de réponse de 30 jours à compter de la réception de la plainte en français.

La Partie adverse a déposé une réponse le 10 février 2014 sous forme électronique et le 12 février 2014 par écrit. Par courrier électronique du 11 février 2014, le Centre a relevé que la réponse soumise le 10 février 2014 a été déposée en vertu des Principes directeurs régissant le règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine (les Principes UDRP), et non en conformité avec les Dispositions (et notamment le paragraphe 15 desdites Dispositions). Sur cette base, la Partie adverse a soumis une nouvelle réponse le 12 février 2014 sous forme électronique et le 13 février 2014 par écrit en application des Dispositions indiquant que celle-ci était soumise en complément de la première réponse déposée le 10 février 2014.

L’Expert constate à cet égard que le Centre a refusé de prolonger le délai pour soumettre la réponse par courrier électronique du 23 janvier 2014 de sorte que la réponse devait être déposée jusqu’au 10 février 2014. Dans ces circonstances, l’Expert doit statuer sur la base du dossier soumis dans les délais fixés dans les Dispositions comme l’y invitent les paragraphes 23 (a) et 24(a) des Dispositions. Il ne sera dès lors pas tenu compte de la réponse soumise par la Partie adverse après l’échéance du délai de réponse (du 10 février 2014).

La Partie adverse a par ailleurs indiqué qu’il ne souhaite pas procéder à une conciliation conformément au paragraphe 16 des Dispositions.

En date du 14 février 2014, le Requérant a déposé une demande de poursuite de la procédure et à la même date le Centre a informé les parties de la continuation de la procédure.

En date du 24 février 2014, le Centre nommait dans le présent différend comme Expert Jacques de Werra. L’Expert constate qu’il a été désigné conformément aux Dispositions. L’Expert a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément au paragraphe 4 des Dispositions.

4. Les faits

Le Requérant est une société qui a son siège aux Etats-Unis d’Amérique.

Le Requérant est titulaire de différentes marques suisses comportant la dénomination “Mr. Proper” parmi lesquelles figurent les marques suivantes (conjointement “la Marque”):

- P-351766 MR. PROPER, en classes 3 et 21, déposée le 18 décembre 1986;

- P-458622 MR. PROPER, en classes 5, 16 et 21, déposée le 19 août 1998;

- P-514281 MR PROPER, en classes 1, 3, 5, 7, 9, 14, 16-18, 20-22, 24-25, 27-28, 35, 37 et 40-41, déposée le 5 février 2003.

Le Nom de Domaine a été enregistré le 7 juillet 2009. Le site associé au Nom de Domaine est utilisé pour offrir divers services de nettoyage sous la désignation “mrpropre.ch”. Il a été enregistré et est utilisé conjointement avec un autre nom de domaine (“mmemenage.ch”) depuis mai 2011 dans ce but, les sites associés aux noms de domaine concernés étant matériellement identiques (seule la disposition des titres figurant sur la page d’accueil étant inversée).

5. Argumentation des parties

A. Requérant

Le Requérant expose qu’il est titulaire de la Marque qui comporte la dénomination “Mr. Proper”, que l’enregistrement ou l’utilisation du Nom de Domaine constitue une violation de la Marque au sens de l’article 13 de la loi fédérale sur la protection des marques et des indications de provenance (LPM) dès lors que le Nom de Domaine est quasiment identique à la Marque, que les services de nettoyage offerts sur le site associé au Nom de Domaine sont similaires à ceux revendiqués dans la Marque et qu’il en résulte un risque de confusion. Le Requérant invoque en outre que la Marque est de haute renommée et qu’elle doit être protégée par application de l’article 15 LPM.

B. Partie adverse

La Partie adverse expose dans sa Réponse du 10 février 20141 que le Nom de Domaine ne viole pas les droits du Requérant, qu’il a réalisé d’importants investissements en publicité et marketing pour le site et les services associés au Nom de Domaine dans certains médias, et qu’il a acquis une valeur économique importante liée à l’usage du Nom de Domaine. Il expose aussi qu’il n’a pas enregistré ni utilisé le Nom de Domaine de mauvaise foi, et que le Requérant a réagi tardivement à la prétendue violation de ses droits de marque par la Partie adverse, soit plus de deux ans après le lancement d’activité de la Partie adverse sous le Nom de Domaine, ce dernier pouvant ainsi interpréter de bonne foi l’inaction du Requérant comme équivalant à une acceptation de son comportement. Le Requérant se devait au demeurer d’observer le marché avec l’attention requise par les circonstances, une attention élevée devant être exigée dès lors que le Requérant est une grande entreprise. Ainsi, malgré la grande visibilité de l’utilisation du Nom de Domaine depuis mai 2011, le Requérant ne s’est manifesté que le 30 octobre 2013.

6. Discussion et conclusions

6.1 Langue de la procédure

Conformément au paragraphe 7(a) des Dispositions, la procédure se déroule dans la langue du contrat d’enregistrement, sans préjudice de la faculté de l’organe de règlement des différends, d’un conciliateur ou d’un expert, d’en décider exceptionnellement autrement sur demande de l’une des parties ou des deux, ou à sa discrétion, au vu des éléments de la procédure de règlement des différends. La langue du contrat d’enregistrement est celle figurant dans le service WhoIs du Registre SWITCH.

En l’espèce, la langue du contrat d’enregistrement relatif au Nom de Domaine est le français. L’Expert ne considère pas qu’il soit approprié que la procédure se déroule dans une autre langue que le français, faute de circonstances exceptionnelles justifiant de déroger au principe posé dans les Dispositions. L’Expert décide ainsi que la langue de la procédure est le français. Par économie de procédure, l’Expert confirme toutefois que, conformément au paragraphe 7(b) des Dispositions, les pièces produites comme moyens de preuve rédigées dans une langue autre que le français sont valablement déposées dans leur langue originale. Pour la même raison, il n’exige pas la traduction en français de la Demande déposée par le Requérant en allemand.

6.2 Infraction à un droit attaché à un signe distinctif du Requérant

Conformément au paragraphe 24(c) des Dispositions, l’expert fait droit à la demande lorsque l’enregistrement ou l’utilisation du nom de domaine litigieux constitue clairement une infraction à un droit attaché à un signe distinctif attribué au requérant selon le droit de la Suisse ou du Liechtenstein. Les Dispositions définissent au paragraphe 1 la notion de “droit attaché à un signe distinctif” comme un “droit reconnu par l’ordre juridique qui découle de l’enregistrement ou de l’utilisation d’un signe et qui protège son titulaire contre les atteintes à ses intérêts générées par l’enregistrement ou l’utilisation par des tiers d’un signe identique ou similaire; il s’agit notamment, mais pas exclusivement, du droit relatif à un nom commercial, à un nom de personne, à une marque ou à une indication géographique, ainsi que des droits de défense résultant de la législation sur la concurrence déloyale”.

Il convient donc de procéder à un examen des faits à la lumière du droit suisse (respectivement du Liechtenstein) des signes distinctifs, essentiellement le droit des marques, des raisons de commerce, au nom et de la concurrence déloyale, afin de déterminer si le Requérant dispose d’un droit attaché à un signe distinctif. Il faut ensuite établir si l’enregistrement ou l’usage du Nom de Domaine par la Partie adverse constitue “clairement” une infraction à ce droit.

A ce sujet, le paragraphe 24(d) des Dispositions précise qu’il y a “clairement infraction à un droit en matière de propriété intellectuelle notamment lorsque

i. aussi bien l’existence du droit attaché à un signe distinctif invoqué que son infraction résultent clairement du texte de la loi ou d’une interprétation reconnue de la loi et des faits exposés, et qu’ils ont été prouvés par les moyens de preuve déposés; et que

ii. la partie adverse n’a pas exposé et prouvé des raisons de défense importantes de manière concluante; et que

iii. l’infraction, selon la demande en justice formulée, justifie le transfert ou l’extinction du nom de domaine.”

Etant donnée l’exigence posée dans les Dispositions d’une infraction “claire”, une décision de transfert ou d’extinction du nom de domaine n’est prise que si elle se justifie d’évidence. Compte tenu de la nature des Dispositions laquelle limite sérieusement les moyens d’instruction à disposition de l’expert, cette évidence doit s’imposer rapidement et non pas suite à un examen laborieux (cf. Edipresse Publications SA c. Florian Kohli, Litige OMPI No. DCH2005-0026; I-D Media AG c. Id-Média Sàrl, Litige OMPI No. DCH2005-0018; Zurich Insurance Company, Vita Lebensversicherungs-Gesellschaft c. Roberto Vitalini, Litige OMPI No. DCH2005-0012 indiquant que les doutes profitent à la partie adverse; Veolia Environnement SA c. Malte Wiskott, Litige OMPI No. DCH2004-0010).

A. Le requérant a-t-il un droit attaché à un signe distinctif selon le droit de la Suisse ou du Liechtenstein?

Le Requérant est titulaire de la Marque et bénéficie ainsi de la protection du droit suisse des marques (fondée sur la LPM).

Le Requérant bénéficie ainsi d’un droit attaché à un signe distinctif selon le droit de la Suisse ou du Liechtenstein au sens du paragraphe 24 des Dispositions.

B. L’enregistrement ou l’utilisation du nom de domaine constitue-t-il clairement une infraction à un droit attaché à un signe distinctif attribué au requérant selon le droit de la Suisse ou du Liechtenstein?

L’Expert considère pour les motifs exposés ci-dessous qu’il n’est pas possible de constater que l’enregistrement ou l’utilisation du Nom de Domaine constitue clairement une infraction à un droit attaché à un signe distinctif attribué au Requérant selon le droit de la Suisse ou du Liechtenstein, dès lors que la Partie adverse a exposé et prouvé des raisons de défense importantes de manière concluante au sens du paragraphe 24(d)(ii) des Dispositions. La Partie adverse a en effet soulevé le moyen de la péremption, étant relevé que ce moyen qui constitue une objection doit être examiné d’office (S. Brauchbar, Die Verwirkung im Kennzeichenrecht; unter Berücksichtigung der Regelung in der Europäischen Union, Bâle 2001, p. 49).

Selon la jurisprudence, l’invocation tardive de prétentions fondées sur la violation d’un droit de propriété intellectuelle peut conduire, en application de l’article 2 du Code Civil, à la péremption de ces prétentions et, par conséquent, du droit d’action qui leur est lié. La péremption implique que l’ayant droit ait toléré la violation de ses droits pendant une longue période sans s’y opposer et que l’auteur de la violation ait acquis entre-temps une position digne de protection (TF, arrêt 4A_638/2009, c. 3.2 non publié aux ATF 136 III 225; arrêt 4C.371/2005 c. 3.1 et les arrêts cités, in SJ 2007 I p. 7 et in sic! 2006 p. 500).

Même s’il faut en principe que le lésé ait eu connaissance de la violation de ses droits et qu’il soit néanmoins resté inactif, la péremption peut également être invoquée lorsque la tardiveté de la réaction du lésé est imputable à une diligence qu’on peut attendre de lui, de surveiller l’apparition de signes distinctifs adverses sur le marché (TF, arrêt 4C.371/2005 c. 3.1). Savoir après combien de temps d’inactivité du lésé la péremption doit être admise dépend des circonstances de l’espèce. Il a été admis que la péremption pouvait déjà être acquise au bout d’une année et demie (cf. arrêt 4C.125/1997 du 21 octobre 1997, reproduit in JdT 1998 p. 347) ou de deux ans (TF, arrêt 4C.371/2005 c. 3.1). Dans cette dernière affaire, le Tribunal fédéral a admis la péremption en admettant un devoir de surveillance à la charge de la demanderesse dès lors que celle-ci était active sur le marché d’un produit de consommation courante et d’utilisation quotidienne, même s’il s’agissait d’un cas limite vu la brièveté du délai de péremption retenu en l’espèce (soit deux ans).

La jurisprudence expose toutefois que l’écoulement du temps n’est pas à lui seul déterminant pour retenir un abus de droit et qu’il faut se mettre à la place de l’usurpateur et voir s’il pouvait raisonnablement et objectivement admettre, au vu du comportement de l’ayant droit, que celui-ci avait renoncé à agir (TF, arrêt 4C.371/2005 c. 3.1.).

S’agissant de la position acquise sur le marché, ce qui est décisif c’est que la raison sociale ou le signe de l’auteur de la violation se soit imposé dans le public comme étant le signe distinctif de l’entreprise ensuite d’un long et paisible usage, et que le défendeur se soit ainsi créé une position concurrentielle avantageuse (ATF 117 II 575 consid. 6a et l’arrêt cité; plus récemment arrêt 4C.76/2005 du 30 juin 2005, consid. 3.2 non publié aux ATF 131 III 581). Pour que la position acquise soit en outre digne de protection, il faut que l’auteur de la violation ait acquis une position dans la concurrence qui soit si marquée qu’y renoncer entraînerait pour lui des désavantages justifiant que l’ayant droit supporte l’inconvénient de ne plus pouvoir faire valoir son droit exclusif à l’encontre de l’auteur de la violation (ATF 117 II 575 consid. 6a; plus récemment arrêt 4C.76/2005 du 30 juin 2005, consid, 3.2 non publié aux ATF 131 III 581). Il faut enfin que le concurrent ait acquis cette position de bonne foi, en croyant que son comportement était permis ou en se fondant sur l’apparence de tolérance créé par l’inactivité de l’ayant droit. A titre d’indices d’une position concurrentielle digne de protection acquise par l’utilisateur du signe litigieux, figurent en particulier le chiffre d’affaires réalisé ainsi que les dépenses publicitaires, des démarches publicitaires intensives pouvant au demeurant créer une position digne de protection en un laps de temps réduit (S. Brauchbar, op. cit., p. 109 s.).

L’intérêt de l’auteur de l’atteinte au maintien de la situation digne de protection qu’il s’est créée peut ainsi exceptionnellement justifier que l’on admette l’exception de péremption, même si aucune négligence n’est imputable au lésé (P.-A. Killias/A de Selliers, Commentaire romand propriété intellectuelle, Bâle 2013, N 29 ad art. 52 LPM).

L’Expert relève dans ce contexte, pour ce qui concerne la question de la connaissance réelle ou supposée par le Requérant du Nom de Domaine et des activités conduites par la Partie adverse en lien avec ce dernier, que la jurisprudence a pu estimer qu’il est exclu d’imputer à une demanderesse titulaire de droits une ignorance fautive de la violation de ses droits causée par l’enregistrement et l’utilisation d’un nom de domaine “.ch” au motif que l’enregistrement des noms de domaine “.ch” ne ferait pas l’objet d’une publication officielle (TF, sic! 2002, 766 c. 5.3 et TF, sic! 2002, p. 860 c. 8). Force est toutefois de constater que les données pertinentes concernant les noms de domaine “.ch” figurent dans une base de données centralisée publique qui garantit à toute personne intéressée un accès en temps réel aux données relatives aux titulaires de noms de domaines (en vertu de l’art. 14a al. 2 de l’Ordonnance sur les ressources d’adressage dans le domaine des télécommunications, ORAT, RS 784.104 qui renvoie à l’art. 14h) et que, depuis le 1er juillet 2008, les modifications et les enregistrements de marques, de brevets, de designs et de topographies sont publiés exclusivement par voie électronique sur le site “www.swissreg.ch”. Cette base de données de l’Institut Fédéral de la Propriété Intellectuelle (IPI) recense toutes les informations relatives aux divers titres de protection de sorte que les enregistrements de marques ne font plus l’objet d’une publication officielle dans la Feuille officielle suisse du commerce (FOSC)2 . Dans cette mesure, le statut de publication d’un nom de domaine “.ch” se rapproche fortement de celui d’une marque suisse.

La jurisprudence expose que la péremption peut être retenue à l’encontre d’un titulaire ayant son siège à l’étranger tout comme elle peut l’être pour un titulaire suisse, tout particulièrement s’il s’agit d’une importante société, active de longue date sur le marché suisse et y disposant d’un représentant sur l’ensemble du territoire, avec toute l’organisation administrative que cela suppose (TF, sic! 1999, p. 132, c 5. b)bb). On souligne d’ailleurs que le délai de péremption peut exceptionnellement commencer à courir dès l’enregistrement du signe litigieux (une marque) et pas seulement dès le commencement de l’usage litigieux de celle-ci s’il s’agit de marques importantes appartenant à de grandes entreprises: dans un tel cas, on peut en effet considérer qu’une obligation de diligence accrue doit être requise concernant les marques qui sont de haute importance pour ces grandes sociétés et que les frais de surveillance des registres ainsi imposés à celles-ci sont proportionnés par rapport aux menaces auxquelles sont exposées leurs marques (S. Brauchbar, op. cit., p. 92).

L’Expert constate en l’occurrence que le Requérant est une société importante qui, même si elle est étrangère, est active en Suisse depuis longtemps sur le marché des biens de consommation courante, de sorte que l’on puisse dès lors attendre une certaine surveillance du marché, étant rappelé que la jurisprudence a admis un délai de péremption de deux ans aussi en considération du fait qu’il s’agissait de produits de consommation courante (TF, arrêt 4C.371/2005).

L’Expert relève par ailleurs que la Partie adverse a exposé avoir lancé ses activités en lien avec le Nom de Domaine dès mai 2011, activités qui se sont matérialisées et ont fait l’objet de campagnes de promotion également en dehors de l’environnement en ligne (le Nom de Domaine figurant en particulier de manière visible sur des véhicules professionnels exploités par la Partie adverse pour les services de nettoyage offerts et ayant fait l’objet de campagnes publicitaires dans des médias non électroniques), et que le Requérant n’a réagi qu’en date du 30 octobre 2013, soit environ deux ans et demi plus tard.

La Partie adverse a en outre exposé avoir investi dans la création et la promotion du Nom de Domaine et des services offerts en relation avec le Nom de Domaine, acquérant ainsi une certaine position commerciale avantageuse sur le marché des services de nettoyage (sur lequel le Requérant n’est au demeurant pas actif) et avoir également augmenté son chiffre d’affaires sur le fondement du Nom de Domaine. La Partie adverse a ainsi exposé avoir acquis une position sur le marché sous le nom associé au Nom de Domaine qui a pour effet que le fait d’y renoncer entraînerait pour lui des désavantages importants, une telle position ayant au demeurant été acquise de bonne foi, soit que la Partie adverse ait pu considérer que son comportement était permis soit qu’elle se soit fondée sur l’apparence de tolérance créée par l’inactivité du Requérant à son encontre. A cet égard, l’Expert constate que le Nom de Domaine comporte un terme (soit le mot “propre”) qui est descriptif des services de nettoyage offerts sur le site associé au Nom de Domaine et qu’il est associé étroitement à un autre Nom de Domaine “mmemenage.ch” qui se réfère également de manière directe à la nature des services offerts (les deux noms de domaine renvoyant à des sites matériellement identiques), les deux sites formant ensemble des sites parallèles, l’un masculin (“mrpropre.ch”) et l’autre féminin (“mmemenage”), ce qui peut contribuer à expliquer le choix du Nom de Domaine dans le contexte d’une appréciation de la bonne foi de la Partie adverse.

Dans ces circonstances, l’Expert estime qu’au vu des éléments qui figurent au dossier, il n’est pas possible de conclure que l’enregistrement ou l’utilisation du Nom de Domaine constitue clairement une infraction à un droit attaché à un signe distinctif attribué au Requérant selon le droit suisse. L’Expert souligne à cet égard qu’il est pleinement conscient du fait que la question de la péremption suppose une analyse approfondie de l’ensemble des circonstances du cas concret, et que la procédure rapide instituée par les Dispositions (qui est fondée sur des moyens limités) ne permet pas une telle analyse. Il estime dès lors qu’il appartiendrait aux tribunaux civils de trancher le litige opposant les parties dans le cadre d’une procédure judiciaire ordinaire, étant rappelé (comme exposé plus haut) que la nature des Dispositions limite sérieusement les moyens d’instruction à disposition de l’expert, ce qui justifie qu’une décision d’extinction ou de transfert du nom de domaine litigieux ne puisse être rendue qu’en cas d’infraction claire des droits du requérant, qui n’est précisément pas établie en l’espèce.

L’Expert fait ainsi siennes les constatations formulées dans la décision rendue dans le différend AXA contre Monsieur Yves-Alain Fournier, Litige OMPI No. DCH2010-0032 dans laquelle l’expert a conclu “que les objections du défendeur sont en partie recevables à première vue, malgré des doutes significatifs quant à leur validité ultime. Partant, l’enregistrement et l’utilisation du nom de domaine litigieux ne violent pas clairement le droit exclusif de la requérante. Il s’agit d’un cas plus complexe qui n’entre pas dans le champ de compétence des Dispositions”.

Au vu de ce qui précède, l’Expert ne peut pas faire droit à la demande du Requérant dès lors que l’enregistrement ou l’utilisation du Nom de Domaine ne constitue pas clairement une infraction à un droit attaché à un signe distinctif attribué au Requérant selon le droit de la Suisse ou du Liechtenstein au sens du paragraphe 24(c) des Dispositions.

7. Décision

Pour les raisons énoncées ci-dessus, l’Expert rejette la demande du Requérant.

Jacques de Werra
Expert
Le 11 mars 2014


1 Qui est seule pertinente (cf. ci-dessus 3).

2 https://www.ige.ch/fr/service/bases-de-donnees/fosc.html.