WIPO

Centre d'arbitrage et de médiation de l'OMPI

DÉCISION DE L'EXPERT

Viapresse contre Net.com, Monsieur Damien Foulon, Monsieur Loïc Foulon

Litige n° DFR2010-0010

1. Les parties

Le Requérant est Viapresse, Paris, France, représenté par Maître Parmentier, France.

Le Défendeur est la société Net.com, Monsieur Damien Foulon, Monsieur Loïc Foulon, Joigny, France.

2. Noms de domaine et prestataire Internet

Le litige concerne le nom de domaine <viapresse.fr> enregistré le 20 mai 2004.

Le prestataire Internet est la société OVH Net.

3. Rappel de la procédure

Une demande déposée par le Requérant Viapresse auprès du Centre d'arbitrage et de médiation de l'Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) en date du 5 mai 2010.

En date du 6 mai 2010, le Centre a adressé à l'Association Française pour le Nommage Internet en Coopération (ci-après l'“Afnic”) une demande aux fins de vérification des éléments du litige et de gel des opérations.

Le 6 mai 2010, l'Afnic a confirmé l'ensemble des données du litige, ainsi qu'aucune procédure administrative applicable au nom de domaine objet du litige n'est pendante.

Le Centre a vérifié que la demande répond bien au Règlement sur la procédure alternative de résolution des litiges du “.fr” et du “.re” par décision technique (ci-après le “Règlement”) en vigueur depuis le 22 juillet 2008, et applicable à l'ensemble des noms de domaine du “.fr” et du “.re” conformément à la Charte de nommage de l'Afnic applicable (ci-après la “Charte”).

Conformément à l'article 14(c) du Règlement, une notification de la demande, valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au Défendeur le 10 mai 2010. Conformément à l'article 15(a) du Règlement, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 30 mai 2010. Le Défendeur n'a pas fait parvenir sa réponse, dès lors le Centre a notifié le défaut du Défendeur le 1 juin 2010.

Le 4 juin 2010, le Centre nommait Alexandre Nappey comme Expert dans le présent litige. L'Expert constate qu'il a été nommé conformément au Règlement. L'Expert a adressé au Centre une déclaration d'acceptation et une déclaration d'impartialité et d'indépendance, conformément à l'article 4 du Règlement.

4. Les faits

La société Viapresse (ci-après le Requérant) est une société anonyme immatriculée au registre du commerce de Paris depuis le 27 janvier 1998. Elle propose des services de promotion et d'abonnement aux différents titres de la presse quotidienne et magazine française.

Le Requérant propose ses services sur internet à partir du nom de domaine <viapresse.com> enregistré depuis le 8 octobre 1998.

Le nom de domaine litigieux <viapresse.fr> a été enregistré par le Défendeur le 20 mai 2004. Il redirige actuellement vers une page d'attente fournie par le bureau d'enregistrement OVH Net.

5. Argumentation des parties

A. Requérant

Le Requérant soutient que le nom de domaine litigieux constitue une atteinte à ses droits de propriété intellectuelle sur la marque VIAPRESSE, sa dénomination sociale mais également le nom de domaine <viapresse.com> qu'il exploite depuis 1998.

Il explique que le nom de domaine a été enregistré au nom de la société Net Com, une société de services informatiques, mais que le contact administratif est un dénommé Damien Foulon, co-gérant de la société Auxerre Distribution Presse Foulon (ADPF), qui est un concurrent du Requérant.

Or, le Requérant a été contacté par un dénommé Loïc Foulon, qui porte le même patronyme que Monsieur Damien Foulon. Monsieur Loïc Foulon qui a semble-t-il le contrôle sur le nom de domaine objet du litige a proposé de mettre en place une redirection vers le site “www.viapresse.com”, moyennant la conclusion d'un partenariat commercial avec le Requérant.

Il apparaît que Monsieur Loïc Foulon est également co-gérant de la société ADPF, qui édite un site internet concurrent de la société requérante, à partir du nom de domaine <journaux.fr>.

A l'appui de ses allégations, le Requérant produit un courrier électronique que le dénommé Loïc Foulon lui a adressé le 19 janvier 2010 en ce sens.

Par conséquent, le Requérant estime que l'enregistrement du nom de domaine constitue une atteinte à ses droits antérieurs sur la marque VIAPRESSE, la dénomination sociale de sa société, et le nom de domaine <viapresse.com>.

De plus, le Défendeur exerçant selon lui des activités directement concurrentes de celles de sa société, le Requérant estime que l'enregistrement du nom de domaine <viapresse.fr> constitue une atteinte aux règles de la concurrence.

B. Défendeur

Le Défendeur n'a soumis aucun argument en réponse à la demande.

6. Discussion

L'Expert rappelle que, en application de l'article 1 du Règlement, une atteinte aux droits des tiers est constituée “lorsque le nom de domaine est identique ou susceptible d'être confondu avec un nom sur lequel est conféré un droit de propriété intellectuelle français ou communautaire (propriété littéraire et artistique et/ou propriété industrielle), ou est identique au nom patronymique d'une personne, sauf si le défendeur fait valoir un droit ou un intérêt légitime sur le nom de domaine et agit de bonne foi”. En application du même article, une atteinte aux règles de la concurrence désigne notamment “une violation du comportement loyal en matière commerciale en droit français ou communautaire”.

L'Expert souligne que, en application de l'article 20(c) du Règlement, il fait droit à la demande “lorsque l'enregistrement ou l'utilisation du nom de domaine par le défendeur constitue une atteinte aux droits des tiers ou aux règles de la concurrence telles que définies à l'article 1 du présent Règlement et, si la mesure de réparation demandée est la transmission du nom de domaine, lorsque le requérant a justifié de ses droits sur l'élément objet de ladite atteinte et sous réserve de sa conformité avec la Charte applicable”.

(i) Droits du requérant sur le nom de domaine

Il est incontestable que le Requérant détient des droits privatifs sur la dénomination “Viapresse”.

Tout d'abord, “Viapresse” constitue la dénomination sociale du Requérant depuis son immatriculation en 1998.

Ensuite, le Requérant est titulaire depuis la même époque du nom de domaine <viapresse.com>, strictement identique au nom de domaine litigieux à l'exception de l'extension, pour désigner son site institutionnel et de vente en ligne de services d'abonnement à la presse française.

Par ailleurs, le Requérant démontre qu'il est titulaire de droits sur la marque française VIAPRESSE, historiquement par un dépôt français n° 98 753 403 du 8 octobre 1998, pour des produits et services des classes 16, 35 et 38.

Cette marque n'ayant pas été renouvelée en temps utile, le Requérant a effectué un nouveau dépôt français VIAPRESSE le 13 octobre 2009, sous le numéro 09/3 683 256 pour les mêmes classes de produits et services.

Au vu de ce qui précède, l'Expert considère que le Requérant bénéficie de droits privatifs sur la dénomination “Viapresse”, reprise à l'identique dans le nom de domaine litigieux <viapresse.fr>.

Etant rappelé qu'il est constant que l'extension “.fr” est sans incidence sur l'identité ou la similitude des signes en présence, l'Expert estime enfin que le nom de domaine litigieux est identique à la marque, à la dénomination et au nom de domaine sur lesquels le Requérant a des droits.

(ii) Enregistrement ou utilisation du nom de domaine litigieux en violation des droits des tiers ou des règles de la concurrence

L'article 1er du Règlement définit le Défendeur d'une procédure alternative de résolution des litiges comme étant “le titulaire du nom de domaine objet du litige ou des noms de domaine objets du litige, contre lequel une procédure alternative de résolution de litiges a été engagée”.

En l'espèce le titulaire du nom de domaine litigieux est la société Net.Com, société de services informatiques, qui n'a pas pris part à la procédure.

Dans sa demande, le Requérant incrimine le comportement du contact administratif du nom de domaine, co-gérant d'une société concurrente de la société Viapresse, la société ADPF.

De plus, le Requérant démontre avoir été contacté par un des autres co-gérants de la société ADPF, en vue de conclure un partenariat commercial conditionnant la mise en place d'une redirection du nom de domaine litigieux vers le site du Requérant.

Ceci semble indiquer que les co-gérants de la société ADPF disposent du contrôle effectif sur le nom de domaine <viapresse.fr>.

La question est de savoir dans quelle mesure il existe des liens suffisants entre d'une part le titulaire du nom de domaine, la société Net.Com, et d'autre part, la société ADPF et ses gérants Messieurs Loïc et Damien Foulon, concurrents du Requérant, pour considérer que les conditions posées par le Règlement pour ordonner une mesure de transfert du nom de domaine litigieux sont remplies.

Il résulte des allégations du Requérant, non contestées par le Défendeur, que le nom de domaine <viapresse.fr> a été déposé au nom du Défendeur, mais pour le compte de la société ADPF, représentée par Messieurs Loïc et Damien Foulon.

D'ailleurs, le premier a démarché le Requérant en lui proposant de rediriger le nom de domaine vers le site “www.viapresse.com”, tandis que le second exerce la fonction de contact administratif du nom de domaine objet du litige.

Le Requérant soutient par ailleurs que la société ADPF est directement concurrente de ses activités, qu'elle propose notamment ses services au travers du site “www.journaux.fr”.

Or, en consultant l'extrait whois de ce nom de domaine, l'Expert constate que le titulaire est la société ADPF, et que le contact administratif est le gérant de la société Net.Com, c'est à dire le Défendeur.

Il existe par conséquent des liens étroits entre le Défendeur et la société ADPF, des relations d'affaire qui confirment les allégations du Requérant.

De surcroît, une fois déposée auprès du Centre, la demande a été notifiée au Défendeur, à qui il appartenait de réagir dans le délai imparti pour indiquer qu'il avait agi au nom et pour le compte de la société ADPF et de Messieurs Foulon.

Il n'a pas souhaité clarifier la situation et doit donc assumer les conséquences de l'enregistrement du nom de domaine litigieux.

Sur ce point, l'Expert se réfère aux principes posés dans des décisions UDRP similaires, dans lesquelles le prestataire d'enregistrement apparaît en tant que titulaire du nom de domaine litigieux pour le compte de son client: considérer que la demande du Requérant ne pourrait prospérer uniquement parce que le titulaire figurant dans l'extrait d'enregistrement ne correspond pas à la personne qui exploite réellement ou détient le contrôle effectif sur le nom de domaine objet du litige ne serait pas conforme à l'esprit du Règlement et représenterait un risque important de détournement des règles de la PARL aboutissant à une certaine impunité.

Voir notamment l'analyse de la commission administrative dans l'affaire Pernod Ricard v. Tucows.com Co, Litige OMPI No. D2008-0789 (transfert).

L'Expert considère en l'espèce que le nom de domaine litigieux a été déposé par le Défendeur pour le compte de la société ADPF et de ses représentants, Messieurs Foulon qui doivent être considérés comme co-défendeurs dans la présente procédure.

Ceci étant, le nom de domaine <viapresse.fr> qui reproduit servilement la marque, la dénomination sociale mais également le nom de domaine du Requérant a sans aucun doute été enregistré en violation des droits antérieurs qu'il détient sur la marque VIAPRESSE.

S'agissant de sociétés directement concurrentes, l'Expert estime que les Défendeurs étaient parfaitement informés des droits du Requérant sur la dénomination “Viapresse”.

Sur ce point, voir notamment: Toyota France and Toyota Motor Corporation v. Computer-Brain, Litige OMPI No. D2002-0002 (transfert).

En outre, en démarchant le Requérant pour lui proposer de rediriger le nom de domaine vers le site “www.viapresse.com” moyennant la signature d'un accord commercial, les Défendeurs ont porté gravement atteinte aux règles de la concurrence et du comportement loyal en matière commerciale qui s'appliquent en droit français.

7. Décision

Conformément aux articles 20(b) et (c) du Règlement, l'Expert ordonne la transmission au profit du Requérant du nom de domaine <viapresse.fr>.


Alexandre Nappey
Expert

Le 18 juin 2010