WIPO

Centre d'arbitrage et de médiation de l'OMPI

DÉCISION DE L'EXPERT

Confédération Nationale du Crédit Mutuel contre Adrienne Bonnet

Litige n° DFR2010-0008

1. Les parties

Le Requérant est Confédération Nationale du Crédit Mutuel de Paris, France, représenté par MEYER & Partenaires, France.

Le Défendeur est Adrienne Bonnet de Limoges, France.

2. Nom de domaine et prestataire Internet

Le litige concerne le nom de domaine <reditmutuel.fr> enregistré le 1er décembre 2009.

Le prestataire Internet est la société INTERNET-BS.

3. Rappel de la procédure

Une Demande déposée par le Requérant auprès du Centre d'arbitrage et de médiation de l'Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le ”Centre”) a été reçue le 9 mars 2010 par courrier électronique et le 11 mars 2010 par courrier postal.

Le 10 mars 2010, le Centre a adressé à l'Association Française pour le Nommage Internet en Coopération (ci-après l'“Afnic”) une Demande aux fins de vérification des éléments du litige et de gel des opérations. Le même jour, l'Afnic a confirmé l'ensemble des données du litige, ainsi qu'aucune procédure administrative applicable au nom de domaine objet du litige n'est pendante.

Le Centre a vérifié que la Demande répond bien au Règlement sur la procédure alternative de résolution des litiges du “.fr” et du “.re” par décision technique (ci-après le ”Règlement”) en vigueur depuis le 22 juillet 2008, et applicable à l'ensemble des noms de domaine du “.fr” et du “.re” conformément à la Charte de nommage de l'Afnic applicable (ci-après la ”Charte”).

Conformément à l'article 14(c) du Règlement, une notification de la Demande, valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au Défendeur le 17 mars 2010. Conformément à l'article 15 du Règlement, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 6 avril 2010. Le Défendeur n'a pas fait parvenir de réponse. En date du 7 avril 2010, le Centre notifiait le défaut du Défendeur.

Le 23 avril, le Centre nommait Jérôme Huet comme Expert dans le présent litige. L'Expert constate qu'il a été nommé conformément au Règlement. L'Expert a adressé au Centre une déclaration d'acceptation et une déclaration d'impartialité et d'indépendance, conformément à l'article 4 du Règlement.

4. Les faits

Conformément à la Charte, le Règlement à caractère obligatoire est applicable aux noms de domaine du “.fr” et du “.re”.

Le Requérant est une banque de détail qui offre de nombreuses solutions bancaires et financières pour des services en ligne.

Le Défendeur est Adrienne Bonnet, titulaire du nom de domaine <reditmutuel.fr>, qui a utilisé l'ouverture de l'extension <.fr> aux particuliers ayant une adresse postale en France (le 20 juin 2006) pour enregistrer le nom de domaine litigieux en date du 1er décembre 2009.

Le Requérant a fait parvenir à Madame Bonnet une lettre de mise en demeure

circonstanciée lui enjoignant de procéder au transfert de propriété du nom de domaine

<reditmutuel.fr> au profit du Requérant.

Cette lettre de mise en demeure a néanmoins été retournée au Requérant pour cause d'adresse erronée.

Le Requérant a adressé cette lettre par courrier électronique a l'adresse du Défendeur.

En l'absence de réponse à sa lettre de mise en demeure, le Requérant a des lors décidé d'avoir recours à la Procédure alternative de règlement des litiges auprès du Centre pour obtenir afin d'obtenir la cessation de l'atteinte portée a ses droits et le transfert du nom de domaine <reditmutuel.fr> a son profit.

La Demande est déposée contre Adrienne Bonnet.

5. Argumentation des parties

A. Requérant

Le Crédit Mutuel, grande banque de détail avec ses trois métiers, la banque, l'assurance et la technologie, propose l'ensemble de ses services financiers a une clientèle de particuliers, de professionnels de proximité et d'entreprises de toute taille. Il a notamment développé ses nombreuses solutions bancaires et financières pour des services en ligne. A titre d'exemple, les services Cybermut, qui permettent la consultation des comptes, la gestion des opérations bancaires et dépenses en ligne et Filbanque, services de banque a distance.

B. Défendeur

Le Défendeur Adrienne Bonnet, n'a apparemment pas de droit particulier sur le nom de domaine <reditmutuel.fr> qu'elle a enregistré, ou du moins n'en a pas invoqué puisqu'elle n'a pas répondu aux allégations faites par le Requérant.

6. Discussion

(i) Droits du requérant sur le nom de domaine

Le Crédit Mutuel, en plus d'être titulaire de la marque renommée CREDIT MUTUEL exploite un portail internet présentant ses produits et services bancaires et financiers a l'adresse “www.creditmutuel.fr” depuis octobre 1996.

Le Requérant est également titulaire de d'autres noms de domaines contant l'expression “credit mutuel”.

En effet, la filiale informatique du groupe Crédit Mutuel, Euro-Information SAS, a protége la dénomination CREDIT MUTUEL à titre de nom de domaine et enregistré les noms de domaine suivants :

- <creditmutuel.fr>, le 10 août 1995, régulièrement renouvelé,

- <creditmutuel.com>, le 28 octobre 1995, régulièrement renouvelé.

Comme l'Expert a pu le constater, ces noms de domaine sont actifs et renvoient vers le portail internet du groupe Crédit Mutuel.

La société Euro-Information est aussi titulaire des noms de domaine génériques suivants :

- <creditmutuel.net>, enregistré le 3 octobre 1996, régulièrement renouvelé depuis.

- <creditmutuel.info>, enregistré le 13 septembre 2001, régulièrement renouvelé depuis.

La Confédération Nationale du Crédit Mutuel a également enregistré des noms de domaine correspondant à ses marques :

- <creditmutuel.mobi>, le 26 septembre 2006,

- <creditmutuel.eu>, le 13 mars 2006.

Ces noms de domaine font l'objet d'une exploitation ininterrompue pour designer le portail internet du Crédit Mutuel depuis leurs réservations.

Il est clair également que la marque CREDIT MUTUEL bénéficie en France d'une réputation certaine dans le domaine bancaire et financier, eu égard a son exploitation

intensive et soutenue depuis de nombreuses années et que cette renommée est particulièrement notable sur le réseau internet, et ce, depuis le lancement de son portail internet en octobre 1996, et accessible à l'adresse <www.creditmutuel.fr>.

D'ailleurs, les résultats tirés du moteur de recherche Google, a partir d'une requête sur la dénomination CREDIT MUTUEL, selon le Requérant, ce que l'Expert a vérifié, le moteur propose plus de 779 000 résultats pour une recherche effectuée sur le web mondial (non limitée aux pages francophones ou de sites exclusivement français). Or, la quasi-totalité des résultats proposés fait référence à l'offre de produits et de services bancaires et financiers du groupe Crédit Mutuel.

(ii) Enregistrement ou utilisation du nom de domaine litigieux en violation des droits des tiers ou des règles de la concurrence

Considérée sous l'angle de l'enregistrement, la conduite du Défendeur apparaît éminemment critiquable.

En effet, la réservation du nom de domaine <reditmutuel.fr> porte évidemment atteinte aux droits du Requérant.

Peu importe, au demeurant, qu'elle ait été faite (très vraisemblablement) ou non (peu vraisemblablement) de mauvaise foi. En ce sens, le Requérant se réfère notamment à la décision rendue par l'expert dans l'affaire 1118 000 c. Michel Baujard, Litige OMPI No. DFR2005-0016 concernant le nom de domaine <118000.fr> (transfert): “Contrairement aux principes directeurs régissent le règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine génériques (UDRP), la reconnaissance du bien-fondé d'une plainte introduite dans le cadre de la Procédure Alternative de Résolution des Litiges du .fr et du .re par décision technique n'implique pas l'existence d'une atteinte aux droits des tiers lors de la réservation et de l'exploitation des noms de domaine litigieux”.

En l'espèce, le Requérant soutient que le simple enregistrement du nom de domaine <reditmutuel.fr> par le Défendeur constitue une atteinte a ses droits ainsi vises par le Règlement et reconnu par des décisions UDRP: “le seul enregistrement du nom de domaine en violation des droits du Requérant suffit à justifier le transfert (Société Alsacienne de Publications contre Daniel Fuehrer, Litige OMPI No. DFR2008-0007).

Le Requérant soutient que le nom de domaine <reditmutuel.fr> est très fortement similaire à la marque antérieure renommée CREDIT MUTUEL.

Il est en effet incontestable que le nom de domaine litigieux imite la marque de près CREDIT MUTUEL. La simple adjonction de l'extension nationale <.fr> est liée à des considérations techniques et n'a pas a être prise en considération lors de l'appréciation de l'identité ou de la similitude du nom de domaine avec la marque antérieure renommée CREDIT MUTUEL.

A titre d'exemple, la décision Baccarat S.A v. Jacques Touroute, Litige OMPI No. DFR2008-0001 concernant le nom de domaine <baccaratchampagne.fr>: “l'extension .fr étant toute aussi inopérante en ce qu'elle ne permet pas non plus de conjurer ce risque de confusion ou de rapprochement entre le nom de domaine contesté et la marque du Requérant, l'expert conclut qu'il existe bien un risque de confusion et d'association entre le nom de domaine conteste et la marque du Requérant”.

En l'occurrence, la seule différence entre le nom de domaine litigieux et les marques du Requérant consiste dans la simple suppression de la lettre d'attaque “c” au sein du nom de domaine litigieux.

Cette simple suppression, constituant ce qu'on appelle un acte de “typosquatting” de la marque CREDIT MUTUEL, ne suffit pas pour écarter dans l'esprit des internautes le risque de confusion existant entre le nom de domaine <reditmutuel.fr> et la marque antérieure renommée CREDIT MUTUEL.

Dans des circonstances similaires, des experts ont considère que de tels actes de typosquatting de marques portaient atteinte aux droits de leurs titulaires. A titre d'exemple, on citera la décision Bang & Olufsen a/s v. Unasi Inc., WIPO Case No. D2005-0728 concernant les noms de domaine <bag-olufsen.com>, <bagolufsen.com>, <bang-olusen.com> et <bankolusen.com>: “The trademark Bang & Olufsen is distinctive of the Complainant's business. Domain names which differ from a trademark by only minor variations have a greater tendency to be confusingly similar to the trademark where the trademark is highly distinctive. There is a close similarity both aurally and visually between the domain names and Complainant's mark. (...) The Panel finds that the domain names are confusingly similar to Complainant's mark.” ainsi que la décision Crédit Industriel et Commercial, Conféderation Nationale du Crédit Mutuel v. Owen WEBSTER, WIPO Case No. D2006-0165 concernant les noms de domaine <cicbanque.com> et <credtmutuel.com>: “The disputed domain names are almost identical to the Complainant's trademarks, the only difference being in each case the lack of only one letter. Therefore the Panel finds the disputed domain names <cicbanque.com> and <credtmutuel.com> to be confusingly similar to the trademarks “CIC BANQUES” and “CREDTMUTUEL” owned by the Complainant.”

En outre, le Requérant souligne le fait que le Défendeur a volontairement communiqué des coordonnées erronées au sein du Whois en vue d'éviter les condamnations, comportement apparaissant également comme douteux.

Sous l'angle de l'utilisation, si tant est qu'il faille la caractériser distinctement (voir à ce sujet Kimberly - Clark Worldwide, Inc. and Kimberly Clark Worldwide, Corp. v. Eurorasnic Ltd. ou Eurotastic Ltd., Litige OMPI No. DFR2008-0006 : “Dès l'instant ou il est établi que l'enregistrement a été fait en violation des droits des tiers, l'examen d'une éventuelle utilisation en violation de ces droits est, au regard du règlement, superfétatoire”), on peut noter que le nom de domaine <reditmutuel.fr> renvoie vers une page de dite de “parking” (site électronique où sont stationnés dont les liens renvoient vers d'autres sites concurrents) renvoyant vers des sites internet de sociétés directement concurrentes du groupe CREDIT MUTUEL proposant des produits et services similaires a ceux désignes dans l'enregistrement des marques CREDIT MUTUEL du Requérant.

Cette utilisation consiste d'une part à détourner le trafic de la visite du site du Requérant à l'adresse “www.creditmutuel.fr” et d'autre part à le procurer au titulaire du nom de domaine. Elle a pour objectif un gain construit sur la marque renommée d'autrui et représente indéniablement un acte de concurrence déloyale et de parasitisme au détriment du Requérant.

En outre, cette utilisation frauduleuse risque enfin d'entraîner une atteinte à l'image et à la réputation de la marque CREDIT MUTUEL et une déperdition de clientèle.

Dans des circonstances similaires, des experts ont considéré un tel comportement comme fautif. Ainsi en témoigne la décision Crédit Industriel et Commercial (CIC) contre Pneuboat Sud, Litige OMPI No. DFR2004-0005 concernant le nom de domaine <cic-banque.fr>: “Le fait de rediriger le nom de domaine vers une page de parking démontre également la volonté purement spéculative du Défendeur qui entendait tirer ainsi profit de la notoriété des marques du Requérant par le trafic ainsi généré”, ou la décision Confederation Nationale du Crédit Mutuel contre Ambroise Breleur, Litige OMPI No. DFR2009-0001 concernant le nom de domaine <mutuel-credit.fr>: “L'expert considère que le nom de domaine litigieux renvoyait vers un site dit “parking”. Or, il est constant que l'exploitation d'un site dit “parking” permet une rémunération de l'exploitant à chaque fois qu'un internaute se redirige vers un site commercial lié. L'expert considère que le fait pour le Défendeur de rediriger le nom de domaine litigieux vers une page “parking” proposant plusieurs liens hypertextes vers des concurrents du Requérant démontre sa volonté purement spéculative, entendant ainsi tirer profit de la notoriété des droits antérieurs du Requérant par le trafic généré par l'utilisation du nom de domaine litigieux par le Défendeur, même limitée à une présence sur un site “parking”, constitue une violation des droits des tiers et, en particulier, des droits du Requérant qui détient des marques antérieures”,ou la décision Banque Laydernier et Crédit du Nord contre Jeremie Guyot, Litige OMPI No. DFR2008-0027 concernant le nom de domaine <laydernier.fr>: “Le nom de domaine litigieux (...) dirige les internautes vers un site internet “parking”…, contenant des liens pointant vers des sites présentant et offrant des services bancaires. L'Expert estime par conséquent que l'utilisation faite par le Défendeur du nom de domaine litigieux crée un risque de confusion avec la partie fortement distinctive de la marque “BANQUE LAYDERNIER” dans l'esprit des internautes dans le but de générer un trafic vers son site, trafic constituant une source de revenus. Le Défendeur détourne ainsi une partie non négligeable des internautes intéressés, en les induisant en erreur et en leur laissant croire qu'il est titulaire de la dénomination sociale BANQUE LAYDERNIER et en entretient un amalgame avec le site officiel <www.banque-laydernier.fr>. A l'évidence, ce comportement est déloyal”.

Le Requérant estime ainsi que l'utilisation du nom de domaine litigieux par le Défendeur est commise tout à la fois en violation des droits de marque et en violation du principe de loyauté dans les relations commerciales.

Par conséquent, l'Expert estime que l'enregistrement et l'utilisation du nom de domaine <reditmutuel.fr> caractérisent un comportement déloyal et fautif de la part du titulaire du nom de domaine en cause, et contraire aux bonnes pratiques commerciales.

7. Décision

Le Requérant ayant demandé le transfert du nom de domaine à son profit dont le Défendeur a fait la réservation, et conformément aux articles 20(b) et (c) du Règlement, l'Expert ordonne la transmission au profit du Requérant du nom de domaine <reditmutuel.fr>.


Jérôme Huet
Expert

Le 10 mai 2010