WIPO

Centre d'arbitrage et de médiation de l'OMPI

DÉCISION DE L'EXPERT

VPG (Voyage Privé Group) contre Monsieur Benjamin Esendere

Litige n° DFR2010-0001

1. Les parties

Le Requérant est VPG (Voyage Privé Group), Aix-en-Provence, France, représenté par Clifford Chance Europe LLP, France.

Le Défendeur est Monsieur Benjamin Esendere, Orgeval, France.

2. Nom de domaine et prestataire Internet

Le litige concerne les noms de domaine <clubvoyagesprives.fr> et <voyagesprives.fr> enregistrés le 28 juin 2006.

Le prestataire Internet est la société 1& 1 Internet Sarl.

3. Rappel de la procédure

Une demande déposée par le Requérant auprès du Centre d'arbitrage et de médiation de l'Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) a été reçue le 6 janvier 2010 par courrier électronique.

Le 6 janvier 2010, le Centre a adressé à l'Association Française pour le Nommage Internet en Coopération (ci-après l'“Afnic”) une demande aux fins de vérification des éléments du litige et de gel des opérations.

Le 6 janvier 2010, l'Afnic a confirmé l'ensemble des données du litige, ainsi que le fait qu'aucune procédure administrative applicable au nom de domaine objet du litige n'est pendante.

Le Centre a vérifié que la demande répond bien au Règlement sur la procédure alternative de résolution des litiges du “.fr” et du “.re” par décision technique (ci-après le “Règlement”) en vigueur depuis le 22 juillet 2008, et applicable à l'ensemble des noms de domaine du “.fr” et du “.re” conformément à la Charte de nommage de l'Afnic applicable (ci-après la “Charte”).

Conformément à l'article 14(c) du Règlement, une notification de la demande, valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au Défendeur le 22 janvier 2010. Conformément à l'article 15 du Règlement, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 11 février 2010. Le Défendeur a fait parvenir sa réponse le 3 février 2010.

Le 11 février 2010, le Centre nommait Christiane Féral-Schuhl comme Expert dans le présent litige. L'Expert constate qu'il a été nommé conformément au Règlement. L'Expert a adressé au Centre une déclaration d'acceptation et une déclaration d'impartialité et d'indépendance, conformément à l'article 4 du Règlement.

4. Les faits

Le Requérant, la société Voyage Privé Group (ci-après VPG), a pour activité la vente de voyages à prix bas pour ses membres.

Le Requérant est titulaire :

- de la marque française VOYAGE PRIVE n°3406116 déposée le 27 janvier 2006 et enregistrée en classes 38, 39 et 43;

- de la marque communautaire VOYAGE PRIVE n°006947329 déposée le 19 mai 2008 en classes 35, 38, 39, 41 et 43;

- des noms de domaine <voyageprive.fr>, <voyage-prive.fr>, <voyageprive.com> et <voyage-prive.com>, tous déposés le 16 février 2006.

Le Requérant exploite de façon effective le site “www.voyage-prive.com”, site auquel renvoient “www.voyage-prive.fr”, “www.voyageprive.com”, et “www.voyageprive.fr”.

Le 28 juin 2006, le Défendeur a enregistré les noms de domaine <voyagesprives.fr> et <clubvoyagesprives.fr>. Ces deux noms de domaine pointent vers un site sur lequel figurent différentes offres de voyages. Après vérification, le site ne propose en réalité aucune prestation puisque toutes les offres sont indiquées comme “plus de disponibilité”.

C'est dans ces conditions que le Centre a été saisi du présent litige.

5. Argumentation des parties

A. Requérant

Le Requérant soutient que les marques et les noms de domaine dont il justifie être titulaire jouissent d'une très forte notoriété. Le Requérant justifie de cette notoriété par la communication de diverses publications le concernant et par l'importance des visites sur son site. Le Requérant fait valoir que cette notoriété est le fruit de larges investissements qu'il a financés pour promouvoir ce site de vente de voyages.

Le Requérant fait valoir que les noms de domaine litigieux reproduisent à l'identique la marque VOYAGE PRIVE. Le Requérant ajoutant que la seule adjonction du suffixe “.fr”, de la lettre “s” ou du terme “club” ne sont pas de nature à écarter le risque de confusion.

Le Requérant fait valoir que l'enregistrement et l'exploitation des noms de domaine litigieux sont constitutifs d'actes de concurrence déloyale et de parasitisme notamment parce que le Défendeur se présente comme un professionnel du tourisme et qu'il ne pouvait donc ignorer l'existence du site du Requérant, antérieur au sien.

Enfin, le Requérant soutient que le Défendeur ne bénéficie d'aucune notoriété sous les dénominations de “Club Voyages Prives” ou “Voyages Prives” et qu'il n'est titulaire d'aucune marque en France.

Le Requérant estime en conséquence qu'en enregistrant et utilisant les noms de domaine litigieux, le Défendeur a souhaité bénéficier de la notoriété du Requérant afin de détourner, à des fins lucratives, les internautes vers son propre site en créant un risque de confusion et en profitant des erreurs de frappes de ces derniers.

Le Requérant estime en conséquence que les actes du Défendeur sont constitutifs de contrefaçon, concurrence déloyale et parasitaire, qu'ils portent atteinte aux droits de la société VGP et qu'ils justifient la mesure de transfert.

B. Défendeur

Le Défendeur fait valoir que l'enregistrement des noms de domaine litigieux est intervenu en juin 2006, moment où le contexte n'était pas le même puisque la notoriété du Requérant était alors bien moindre.

Le Défendeur fait valoir que l'enregistrement des noms de domaine litigieux et la création du site vers lequel pointent ces noms de domaine s'inscrivent dans le cadre d'un projet conduit dans le cadre de ses études d'ingénieur. Le projet a pour particularité la création d'une nouvelle modalité de réservation de voyage intitulée “la réservation transparente” basée sur le principe selon lequel les prix des voyages diminuent lorsque le nombre d'inscrits pour ce même voyage augmente.

Le Défendeur fait valoir que, selon les informations qu'il aurait obtenues de l'INPI, le Requérant ne serait titulaire que d'un logo “voyage privé” et non des mots constituant le terme “voyage privé”. Le Défendeur fait également valoir que l'absence d'enregistrement de sa part d'un logo “voyages privés” alors qu'il en avait la possibilité démontre sa bonne foi.

Le Défendeur fait valoir qu'aucune activité commerciale n'est réalisée sur son site et qu'il n'est par conséquent pas possible d'y constater un acte de concurrence déloyale.

Enfin, le Défendeur fait valoir que son projet ne peut être réduit à une approche uniquement commerciale puisqu'il avait vocation à proposer une méthode alternative de réservation de voyage et que ce n'est que faute de moyens que le site est à l'heure actuelle inactif.

6. Discussion

L'Expert constate que le Requérant invoque un enregistrement et une utilisation des noms de domaine litigieux par le Défendeur en violation de ses droits et sollicite, en conséquence, le transfert à son profit des noms de domaine litigieux.

L'Expert rappelle que, en application de l'article 20(c) du Règlement, il fait droit à la demande “lorsque l'enregistrement ou l'utilisation du nom de domaine par le défendeur constitue une atteinte aux droits des tiers ou aux règles de la concurrence telles que définies à l'article 1 du présent Règlement et, si la mesure de réparation demandée est la transmission du nom de domaine, lorsque le requérant a justifié de ses droits sur l'élément objet de ladite atteinte et sous réserve de sa conformité avec la Charte applicable”.

L'Expert souligne qu'en application de l'article 1 du Règlement :

- une atteinte aux droits des tiers est constituée “lorsque le nom de domaine est identique ou susceptible d'être confondu avec un nom sur lequel est conféré un droit de propriété intellectuelle français ou communautaire (propriété littéraire et artistique et/ou propriété industrielle), ou est identique au nom patronymique d'une personne, sauf si le défendeur fait valoir un droit ou un intérêt légitime sur le nom de domaine et agit de bonne foi”;

- une atteinte aux règles de la concurrence désigne “une atteinte aux règles de la concurrence et du comportement loyal en matière commerciale en droit français ou communautaire”.

(i) Droits du requérant sur le nom de domaine

Le Requérant apporte la preuve de la jouissance de droits de propriété intellectuelle sur la marque VOYAGE PRIVE et sur les noms de domaine <voyageprive.fr>, <voyage-prive.fr>, <voyageprive.com> et <voyage-prive.com>. L'enregistrement de ces marques et noms de domaine a été réalisé antérieurement au dépôt des noms de domaine litigieux, sauf pour ce qui concerne la marque communautaire VOYAGE PRIVE, déposée en 2008.

Le Requérant justifie exercer son activité sous le nom commercial de Voyage Privé.

Le Requérant apporte également la preuve de l'exploitation effective du site internet “www.voyage-prive.com” (auquel renvoie effectivement les autres noms de domaine enregistrés par le Requérant). L'Expert constate néanmoins que, contrairement aux affirmations du Requérant, l'adresse url “www.clubsvoyageprive.com” ne renvoie pas au site du Requérant.

L'Expert considère que le Requérant bénéficie de droits sur les termes composant les noms de domaine litigieux.

(ii) Enregistrement ou utilisation du nom de domaine litigieux en violation des droits des tiers ou des règles de la concurrence

Le Défendeur ne justifie nullement de ses droits sur les noms de domaines litigieux. En effet, alors même que ce dernier précise que son projet s'adressait, dans un premier temps, à une “clientèle jeune”, “plus près d'un esprit associatif ou mutualiste”, le choix des termes “club” et “privés” ne semble ni adapté à la description du projet ni judicieux à l'égard de la clientèle prétendument visée.

L'Expert considère que l'élément essentiel des noms de domaine litigieux est constitué par l'association des termes “voyage” et “privé”, formulation déposée à titre de marque par le Requérant. L'Expert rappelle que l'extension “.fr” est sans incidence sur l'identité ou la similitude des signes en présence (voir par exemple 3 Suisses International v. Nguyet-T-T Dang, Litige OMPI No. DFR2009-0026). L'Expert estime qu'il en va de même pour le simple ajout de la lettre “s” aux termes constituant la marque du Requérant puisque la simple prononciation orale de la marque du Requérant ne permet pas de déterminer s'il s'agit de termes au singulier ou au pluriel. Enfin, l'Expert estime que la simple adjonction d'un terme générique tel que le terme “club” n'écarte en aucune manière le risque de confusion entre les noms de domaines litigieux et les marques et autres droits privatifs du Requérant. L'Expert estime même qu'en l'espèce le choix du terme “club” renforce encore la confusion puisque l'activité du Requérant est justement de n'offrir des prestations qu'à ses membres.

Par ailleurs, et conformément à l'article 19(1) de la Charte de Nommage de l'Afnic, il appartenait au Défendeur, avant de procéder à l'enregistrement des noms de domaine litigieux, de vérifier que cet enregistrement ne portait pas atteinte aux droits des tiers.

En outre, la présence d'offres de voyage que le Défendeur sait parfaitement indisponibles sur le site de ce dernier, accessible à partir de noms de domaine susceptible d'induire en erreur les internautes d'attention moyenne, conforte l'opinion de l'Expert sur l'utilisation par le Défendeur des noms de domaine litigieux en violation des droits du Requérant. En effet, et bien que les noms de domaines litigieux pointent vers un site inactif, ils sont susceptibles de créer dans l'esprit des internautes un risque de confusion puisque ces derniers pourraient être amenés à penser que ce sont les prestations de la société VPG qui ne sont plus disponibles. Ceci risque d'entraîner une atteinte à l'image et à la réputation du Requérant et constitue ainsi une appropriation en violation des droits du Requérant et des règles normales de concurrence.

L'Expert rappelle que même si le site du Défendeur est inactif, la simple rétention des noms de domaine litigieux est susceptible de constituer une violation des droits du Requérant.

Si le Défendeur peut justifier d'un intérêt légitime à proposer un service innovant de réservation de voyages, l'Expert constate que le Défendeur ne peut faire valoir aucun intérêt légitime sur les noms de domaine litigieux. Bien au contraire, compte tenu de la très forte similarité entre ces noms de domaine et ceux du Requérant, ainsi que de leur secteur d'activité, l'Expert estime que le Défendeur a agi de mauvaise foi et a cherché à tirer profit de la notoriété du Requérant pour attirer sur son site des internautes.

Enfin, il sera rappelé que le transfert d'un nom de domaine est sans conséquence sur le contenu du site et n'entraîne pas la perte des recherches et du travail accompli par le titulaire du site.

7. Décision

Conformément aux articles 20(b) et (c) du Règlement, l'Expert ordonne la transmission au profit du Requérant des noms de domaine <voyagesprives.fr> et <clubvoyagesprives.fr>.


Christiane Féral-Schuhl
Expert

Le 23 février 2010