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Centre d’arbitrage et de médiation de l’OMPI

DÉCISION DE L’EXPERT

Tamedia Publications romandes SA contre Carl Kyril Gossweiler

Différend n° DCH2012-0017

1. Les parties

Le requérant est Tamedia Publications romandes SA de Lausanne, Suisse, représenté à l’interne.

La partie adverse est Carl Kyril Gossweiler de Buchillon, Suisse, représenté par Kasser Schlosser avocats, Suisse.

2. Le nom de domaine

Le différend concerne le nom de domaine <encore.ch>.

3. Rappel de la procédure

Une demande a été déposée par Tamedia Publications romandes SA auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) en date du 26 juin 2012 sous forme électronique et en date du 28 juin 2012 par voie postale.

En date du 27 juin 2012, le Centre a adressé une requête au registre SWITCH, registre du “.ch” et du “.li”, aux fins de vérification des éléments du litige, tels que communiqués par le requérant. En date du 27 juin 2012, SWITCH a confirmé que la partie adverse est bien le détenteur du nom de domaine litigieux et a transmis ses coordonnées.

Le Centre a vérifié que la demande répond bien aux exigences des Dispositions relatives à la procédure de règlement des différends pour les noms de domaine “.ch” et “.li” (ci après les “Dispositions”) adoptées par SWITCH, le 1er mars 2004.

Conformément au paragraphe 14 des Dispositions, le 3 juillet 2012, une transmission de la demande valant ouverture de la présente procédure, a été adressée à la partie adverse. Conformément au paragraphe 15(a) des Dispositions, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 23 juillet 2012.

En date du 28 et 29 juin 2012, la partie adverse a envoyé au Centre trois courriers électroniques. En date du 20 juillet 2012, la partie adverse a transmis sa réponse au Centre sous forme électronique et en date du 25 juillet 2012 par voie postale, dans laquelle elle a manifesté sa volonté de participer à une audience de conciliation.

En date du 10 août 2012 une audience de conciliation a eu lieu par conférence téléphonique, et en date du 13 août 2012 la procédure a été suspendue jusqu’au 9 septembre 2012.

La conciliation n’a abouti à aucune transaction entre les parties.

En date du 19 septembre 2012, le Centre nommait dans le présent différend comme expert Daniel Kraus. L’expert constate qu’il a été désigné conformément aux Dispositions. L’expert a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément au paragraphe 4 des Dispositions.

4. Les faits

La société Tamedia Publications romandes SA, anciennement société Edipresse Publications SA, a déposé une marque mixte suisse n° 619718 ENCORE! le 19 mai 2011. Cette marque a été enregistrée le 6 septembre 2011 dans les classes 9, 16, 35, 36, 38, 40, 41 et 42.

Monsieur Carl Kyril Gossweiler a enregistré le nom de domaine litigieux <encore.ch> en 2005.

Le requérant a lancé en mai 2011 un nouveau magazine mensuel Encore!, supplément à l’hebdomadaire le Matin Dimanche. Ce magazine couvre des thématiques lifestyle tels que la mode, les voyages, le design ou la gastronomie. Il était prévu que, dès le mois de septembre 2012, ce magazine paraisse également en Suisse allemande en tant que supplément de la SonntagsZeitung.

Le 30 mars 2012, le requérant a contacté la partie adverse pour lui proposer de transférer le nom de domaine litigieux <encore.ch> contre deux abonnements à des publications du requérant pour une durée d’une année, ce que la partie adverse a refusé. Il en a été de même d’une proposition de pouvoir continuer à utiliser une adresse e-mail sous le nom de domaine litigieux – transféré – <encore.ch>.

5. Argumentation des parties

A. Requérant

Le requérant est d’avis que l’enregistrement et l’utilisation du nom de domaine litigieux <encore.ch> constituent une violation de sa marque. Selon lui, le nom de domaine litigieux <encore.ch> est identique, ou à tout le moins similaire à la marque du requérant. Il ajoute que depuis le lancement du magazine Encore! en mai 2011, le contenu du site web auquel mène le nom de domaine litigieux <encore.ch> n’a pas évolué, le site web de la partie adverse étant constitué d’une seule page web, sans liens interactifs vers d’autres pages. Selon le requérant, la partie adverse ne ferait donc aucun usage de son site web.

Le requérant ajoute que la partie adverse utilise à ce jour sans autorisation une reproduction de la couverture du magazine Encore!

De plus, les produits et services offerts par le site web de la partie adverse seraient similaires aux produits et services pour lesquels la marque du requérant sont enregistrés. Le requérant relève que les internautes qui se rendent sur le site “www.encore.ch” croient avoir à faire au site web officiel du magazine, alors qu’il n’en est rien. Il existerait donc un risque de confusion.

Au surplus, le requérant précise que la partie adverse ne peut se prévaloir de l’art. 14 LPM selon lequel le titulaire d’une marque ne peut pas interdire à un tiers de poursuivre l’usage, dans la même mesure que jusque là, d’un signe que ce tiers utilisait déjà avant le dépôt dans la mesure où, selon la doctrine, le titulaire d’un site inactif ne peut se prévaloir de l’art. 14 LPM, dans la mesure où il ne fait pas usage de son signe.

Enfin, le requérant considère que le comportement de la partie adverse est déloyal au sens de la loi sur la concurrence déloyale (ci-après LCD), en particulier du fait que l’utilisation du nom de domaine litigieux <encore.ch> crée un risque de confusion pour les internautes qui s’attendent naturellement à être dirigés vers les produits ou services du requérant. L’unique but du site serait par ailleurs de jeter le discrédit sur le magazine Encore! et son éditeur, ce qui constitue un comportement déloyal au sens de la LCD. L’intimé ferait ainsi certaines déclarations fausses sur son site Internet, notamment en affirmant que le magazine Encore! n’aurait pas de site web, et proposerait même de vendre ou de donner le nom de domaine litigieux <encore.ch>. L’intimé serait ainsi coupable de cybersquatting.

Les refus de transférer le nom de domaine litigieux ainsi que la reproduction de la couverture du magazine sans autorisation sur son site Internet contribueraient à maintenir une situation illicite et violeraient les droits du requérant à utiliser le signe distinctif ENCORE! ainsi que de faire usage des adresses e-mails y relatives, ce qui poserait un grave problème au requérant alors que toutes les publications du groupe Tamedia possèdent leur site web.

En conséquence, le requérant conclut au transfert du nom de domaine litigieux <encore.ch>.

B. Partie adverse

Selon la partie adverse, la marque ENCORE!, fondée sur le mot encore, lequel est laudatif, est exclue de la protection au sens de l’article 2(a) de la loi fédérale sur la protection des marques et des indications de provenance (ci-après LPM). Au mieux, son champ de protection est-il extrêmement réduit. Par ailleurs, la partie adverse réfute le fait qu’il y ait eu violation des droits du requérant. En effet, selon elle, l’usage d’un signe entrant en conflit avec une marque ne peut être interdit que s’il s’agit d’un usage “dans les affaires” (article 13 alinéa 2(e) LPM). L’usage privé n’est pas visé par la loi sur la protection des marques de sorte que l’exploitation du site Internet privé de la partie adverse ne tombe pas sous le coup de la loi sur la protection des marques. La partie adverse réfute également l’affirmation selon laquelle elle aurait utilisé le nom de domaine litigieux “uniquement dans le but de nuire à la marque du requérant”, notamment en raison du fait que, enregistré en septembre 2005, le nom de domaine litigieux n’a pas pu être déposé dans une quelconque intention de nuire au requérant, qui a lancé son magazine 5 ans et demie après. La partie adverse avait opté pour le nom de domaine litigieux en 2005 parce qu’elle s’était vue contrainte de changer d’adresse e-mail, les adresses qui, comme la sienne, se terminaient en <urbanet.ch> ayant été supprimées par la Ville de Lausanne. Le hasard a par ailleurs voulu que la future rédactrice en chef du magazine Encore! avait, comme les autres amis et personnes de contact de la partie adverse, été informée de ce changement d’adresse e-mail.

Au surplus, la partie adverse fait valoir son droit de continuer l’utilisation qu’elle a fait du nom de domaine litigieux sur la base de l’art. 14 LPM.

Enfin, la partie adverse réfute tout comportement contraire à la loi sur la concurrence déloyale, l’absence de toute violation de la loi sur la protection des marques ne pouvant être contournée par l’invocation de la loi sur la concurrence déloyale. Dans ce cadre, la partie adverse réfute tout acte de cybersquatting, lequel n’est déjà pas possible du point de vue purement chronologique; elle réfute également l’accusation selon laquelle elle chercherait à monnayer le transfert du nom de domaine litigieux, puisqu’elle a toujours indiqué qu’elle comptait garder la titularité du nom de domaine litigieux et en poursuivre elle-même l’usage.

La partie adverse conclut que, sur la base du principe du “first come, first served”, qui doit prévaloir en matière d’octroi des noms de domaine en l’absence de droit de propriété intellectuelle préexistant, le nom de domaine litigieux ne peut pas être transféré au requérant.

6. Discussion et conclusions

Selon le paragraphe 24(a) des Dispositions, l’expert statue sur la demande en se fondant sur les allégués des deux parties et les documents écrits déposés. Selon le paragraphe 24(c), l’expert fait droit à la demande lorsque l’enregistrement ou l’utilisation du nom de domaine constitue clairement une infraction à un droit attaché à un signe distinctif attribué au requérant selon le droit de la Suisse ou du Liechtenstein.

Il y a notamment clairement infraction à un droit en matière de propriété intellectuelle lorsque

i. aussi bien l’existence du droit attaché à un signe distinctif invoqué que son infraction résultent clairement du texte de la loi ou d’une interprétation reconnue de la loi et des faits exposés, et qu’ils ont été prouvés par les moyens de preuve déposés; et que

ii. la partie adverse n’a pas exposé et prouvé des raisons de défense importantes de manière concluante; et que

iii. l’infraction, selon la demande en justice formulée, justifie le transfert ou l’extinction du nom de domaine.

A. Le requérant a-t-il un droit attaché à un signe distinctif selon le droit de la Suisse ou du Liechtenstein?

Il ressort de l’état de fait que la réponse à cette question est affirmative, le requérant disposant de la marque ENCORE! en Suisse. Toutefois, même si cette marque a été admise à la protection par l’Institut Fédéral de la Propriété Intellectuelle, sa sphère de protection est particulièrement limitée du fait qu’il s’agit d’un mot générique qui, à moins d’un élément distinctif supplémentaire particulier, doit être laissé à la libre disposition du public. La marque enregistrée contient encore un point d’exclamation et est constituée d’une écriture particulière qui lui confère une certaine individualité en tant que marque mixte. C’est donc bien le terme “encore” avec le point d’exclamation et l’écriture particulière qui est utilisée qui est protégé et non le mot “encore” en tant que tel. La sphère de protection de la marque est donc particulièrement limitée.

B. L’enregistrement ou l’utilisation du nom de domaine constitue-t-il clairement une infraction à un droit attaché à un signe distinctif attribué au requérant selon le droit de la Suisse ou du Liechtenstein?

1. Droit des marques

Selon l’article 13 alinéa 2 de la LPM, le titulaire d’une marque peut interdire à des tiers l’usage des signes dont la protection est exclue en vertu de l’article 3 alinéa 1 LPM. Sont en particulier exclus de la protection des signes identiques à une marque antérieure et destinés à des produits ou services similaires, lorsqu’il en résulte un risque de confusion (article 3 alinéa 1(b) LPM). Le risque de confusion dépend en particulier de l’identité ou de la similarité entre les signes, de même que de l’identité ou de la similarité entre les produits ou services en question.

Il découle de ce qui précède que le titulaire d’un signe distinctif peut en revendiquer l’exclusivité dans la mesure où il y a au moins risque de confusion. Selon le Tribunal fédéral suisse, l’examen du risque de confusion se fait de façon identique pour tout le droit des signes distinctifs (ATF 126 III 239, 245 <berneroberland.ch>; ATF 128 III 401, 403 <luzern.ch>).

En l’espèce, il n’est pas possible de conclure à une infraction claire au droit attaché à la marque ENCORE! En effet, premièrement, le nom de domaine litigieux <encore.ch> utilise certes le terme “encore”, mais évidemment sans reprendre l’élément graphique ni le point d’exclamation contenu dans la marque n° 619718 du requérant. Deuxièmement, la condition de l’article 13 alinéa 2 LPM n’est pas remplie puisque le nom de domaine litigieux a été enregistré plus de 5 ans avant que la marque ENCORE! ait été déposée. Enfin, et comme déjà indiqué, même si la marque ENCORE! a été admise à l’enregistrement, du fait de sa sphère de protection particulièrement étroite, son titulaire ne peut empêcher l’utilisation du terme “encore”, que ce soit avec ou sans point d’exclamation, par quelque personne que ce soit. Le seul cas dans lequel le requérant pourrait s’opposer à l’utilisation de ce terme serait celui où l’élément graphique et le point d’exclamation seraient repris pour les produits et services similaires ou identiques à ceux pour lesquels il a déposé sa marque.

Au surplus, même si l’on conférait une sphère de protection plus étendue à la marque du requérant, la partie adverse devrait être autorisé à utiliser le nom de domaine litigieux <encore.ch> comme il l’a fait jusqu’à présent au sens et sur la base de l’article 14 LPM. Il n’y a pas de raison d’octroyer un tel droit pour une utilisation commerciale et de réfuter cet usage pour une utilisation privée laquelle, dans la systématique même des droits de propriété intellectuelle, constitue une limite à l’étendue de la protection des droits de propriété intellectuelle. Il convient ici de préciser que, contrairement aux allégations du requérant, la partie adverse a bel et bien utilisé le nom de domaine litigieux puisqu’il a posté sur le site Internet auquel il menait des informations à destination de sa famille et qu’il utilisait l’adresse e-mail liée au nom de domaine litigieux.

Enfin, il convient de réfuter l’argument selon lequel la partie adverse utilise le nom de domaine litigieux uniquement pour dénigrer le requérant. En effet, du point de vue chronologique, cet argument doit être réfuté puisque le nom de domaine litigieux a été enregistré bien des années avant le dépôt de la marque. Au surplus, la jurisprudence de l’OMPI admet que des marques soient utilisées dans un but de critique de marques ou d’entreprises existantes, dans le respect de la liberté d’expression (cf. à ce propos les nombreux cas relatifs à des cas de <***-sucks.com>). Dans le cas d’espèce, il s’agit d’une réaction de la partie adverse au comportement du requérant qui, certes, est faite sur le ton de l’ironie mais ne constitue pas en tant que telle une violation de la marque du requérant.

Pour les raisons qui précèdent, l’expert conclut qu’il n’y a pas d’infraction claire à la marque ENCORE! du requérant.

2. Concurrence déloyale

Le titulaire d’une marque valable peut également requérir la protection cumulative de la LCD. Contrairement aux dires du requérant, l’application de la LCD exige toutefois des circonstances particulières supplémentaires pour qu’elle trouve application, les buts de la loi sur la protection des marques et de la loi sur la concurrence déloyale n’étant pas les mêmes.

Le requérant fait référence à l’article 3 alinéa 1(d) LCD, selon lequel agit de façon déloyale celui qui prend des mesures qui sont de nature à faire naître une confusion avec les marchandises, les œuvres, les prestations ou les affaires d’autrui. Le risque de confusion s’évalue, comme en droit des marques, sur la base de l’impression d’ensemble que laissent les signes à prendre en considération. Or en l’espèce, ce risque de confusion a été dénié par l’expert en droit des marques et il n’y a pas non plus lieu de l’admettre sous l’angle de la concurrence déloyale.

Pourrait éventuellement entrer en ligne de compte l’article 3 alinéa 1(a) LCD, selon lequel agit de façon déloyale celui qui dénigre autrui, ses marchandises, ses œuvres, ses prestations, ses prix ou ses affaires par des allégations inexactes, fallacieuses ou inutilement blessantes. Or, en l’espèce, le requérant ne démontre pas que la partie adverse a enregistré le nom de domaine litigieux de mauvaise foi. Au contraire, la partie adverse explique clairement quand, dans quelles circonstances et pourquoi il a enregistré le nom de domaine litigieux. Au surplus, l’utilisation qu’il en fait est de bonne foi. Le fait que, à un certain moment, le défendeur ait placé certains commentaires ironiques à l’encontre du requérant, ne change rien à cette situation sous l’angle du droit de la concurrence non plus (cf. également Davidoff Swiss Indoors / Davideath Swiss Indoors, sic! 2010, 375).

Il en va de même du fait que la partie adverse a négocié un accord de coexistence avec le requérant, ce qui ne peut lui être reproché en l’espèce.

Il ressort de ce qui précède que la partie adverse n’a nullement agi de façon déloyale contraire à la LCD, que ce soit par son comportement ou que ce soit par la prise de mesures causant un risque de confusion avec les produits ou services du requérant.

7. Décision

Pour les raisons énoncées ci-dessus, l’expert rejette la demande du requérant.

Daniel Kraus
Expert
Le 3 octobre 2012