Centre d’arbitrage et de médiation de l’OMPI
DÉCISION DE LA COMMISSION ADMINISTRATIVE
Bollore SE contre Contact Privacy Inc. Customer 12411354101 / Adrian Lopez
Litige No. D2021-3566
1. Les parties
Le Requérant est Bollore SE, France, représenté par Nameshield, France.
Le Défendeur est Contact Privacy Inc. Customer 12411354101, Canada / Adrian Lopez, France.
2. Nom de domaine et unité d’enregistrement
Le nom de domaine litigieux <gp-bollore-logistics.com> est enregistré auprès de Google LLC (ci-après désigné “l’Unité d’enregistrement”).
3. Rappel de la procédure
Une plainte a été déposée par Bollore SE auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) en date du 26 octobre 2021. En date du 26 octobre 2021, le Centre a adressé une requête à l’Unité d’enregistrement aux fins de vérification des éléments du litige, tels que communiqués par le Requérant. Le 26 octobre 2021, l’Unité d’enregistrement a transmis sa vérification au Centre révélant l’identité du titulaire du nom de domaine litigieux et ses coordonnées, différentes du nom du Défendeur et des coordonnées désignés dans la plainte. L’Unité d’enregistrement ayant confirmé la langue française comme langue du contrat d’enregistrement, le Centre a envoyé une communication par courrier électronique en français et en anglais concernant la langue de la procédure le 5 novembre 2021. Le même jour, le Centre a envoyé un courrier électronique au Requérant avec les données relatives au titulaire du nom de domaine litigieux telles que communiquées par l’Unité d’enregistrement invitant le Requérant à soumettre une plainte amendée. Le Requérant a déposé une plainte amendée le 8 novembre 2021 et confirmé qu’il souhaitait que la procédure soit diligentée en français.
Le Centre a vérifié que la plainte et la plainte amendée répondent bien aux Principes directeurs régissant le Règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine (ci-après dénommés “Principes directeurs”), aux Règles d’application des Principes directeurs (ci-après dénommées les “Règles d’application”), et aux Règles supplémentaires de l’OMPI (ci-après dénommées les “Règles supplémentaires”) pour l’application des Principes directeurs précités.
Conformément aux paragraphes 2 et 4 des Règles d’application, le 18 novembre 2021, une notification de la plainte valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au Défendeur. Conformément au paragraphe 5 des Règles d’application, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 8 décembre 2021. Une tierce partie a contacté le Centre concernant l’utilisation non autorisée d’un courriel de contact similaire au nom de domaine contesté le 3 décembre 2021 ainsi que le 9 décembre 2021.
En date du 11 janvier 2022, le Centre nommait William Lobelson comme expert dans le présent litige. La Commission administrative constate qu’elle a été constituée conformément aux Principes directeurs et aux Règles d’application. La Commission administrative a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément au paragraphe 7 des Règles d’application.
4. Les faits
Le Requérant est Bolloré SE, groupe d’origine française mais exerçant au plan international, dans les domaines du transport, de la logistique et de la communication, notamment.
Sa filiale Bolloré Logistics est titulaire des marques internationales BOLLORE LOGISTICS No.1025892 du 31 juillet 2009 et No. 1302823 du 27 janvier 2016, et du nom de domaine <bollore-logistics.com> du 20 janvier 2009.
Le nom de domaine litigieux est <gp-bollore-logistics.com>. Il a été enregistré en date du 22 octobre 2021, pointe vers une page inactive, tandis que des serveurs MX de messagerie ont été configurés. Le Défendeur, titulaire du nom de domaine, répond à un patronyme francophone, déclare une adresse de résidence à Paris et un numéro de téléphone répondant à la numérotation française des lignes mobiles. Il déclare en outre une adresse de courrier électronique dans laquelle son patronyme est remplacé par le nom d’une société française de consulting et de services numériques bien connue en France.
Ladite société s’est manifestée spontanément auprès du Centre en date du 3 décembre 2021 pour préciser que ni le Défendeur ni son adresse de courrier électronique lui sont connues.
5. Argumentation des parties
A. Requérant
Le Requérant fait valoir que le nom de domaine litigieux est identique et similaire à sa marque, que le Défendeur n’a aucun droit ou intérêt légitime sur le nom de domaine, et que celui-ci a été enregistrés et est utilisé de mauvaise foi.
B. Défendeur
Le Défendeur n’a pas répondu aux arguments du Requérant.
6. Discussion et conclusions
La Commission administrative statue sur la requête au regard de la plainte soumise par le Requérant, de l’absence de réponse formelle du Défendeur, des Principes directeurs, des Règles d’application, des Règles supplémentaires en application du paragraphe 15(a) des Règles d’application.
Le paragraphe 4(a) des Principes directeurs prévoit que “le Défendeur est tenu de se soumettre à une procédure administrative obligatoire au cas où un tiers (le requérant) fait valoir auprès de l’institution de règlement compétente que :
(i) le nom de domaine est identique ou semblable au point de prêter à confusion, à une marque de produits ou de services sur laquelle le requérant a des droits; et
(ii) le défendeur n’a aucun droit sur le nom de domaine ni aucun intérêt légitime qui s’y attache;
(iii) et que le nom de domaine a été enregistré et est utilisé de mauvaise foi.”
A. Identité ou similitude prêtant à confusion
Le Requérant a établi la réalité de ses droits, à titre de marque notamment, au regard de l’appellation Bolloré Logistics.
La marque du Requérant est intégralement reproduite dans le nom de domaine litigieux <gp-bollore-logistics.com>.
L’adjonction des consonnes “gp” dans le nom de domaine litigieux n’écarte pas le risque de confusion avec la marque du Requérant, pas plus d’ailleurs que l’extension “.com” dont il est de jurisprudence constante, qu’elle est sans pertinence et n’a pas à être prise en considération pour l’appréciation de l’identité de la similarité des signes. En ce sens, voir les sections 1.8 et 1.11 de la Synthèse de l’OMPI des avis des Commissions administratives sur certaines questions UDRP, version 3.0 (“Synthèse de l’OMPI, version 3.0”).
La Commission administrative conclut donc que le nom de domaine litigieux est similaire au point de prêter à confusion avec la marque antérieure du Requérant.
En conséquence, la condition du paragraphe 4(a)(i) des Principes directeurs est remplie.
B. Droits ou intérêts légitimes
Si la charge de la preuve de l’absence de droits ou intérêts légitimes du Défendeur incombe au Requérant, il ressort des précédentes décisions UDRP qu’il est difficile de prouver un fait négatif. Il est donc généralement admis que le requérant doit établir prima facie que le défendeur n’a pas de droits ni d’intérêts légitimes sur le nom de domaine litigieux. Il incombe ensuite au défendeur de faire état dans sa réponse de droits ou intérêts légitimes sur le nom de domaine litigieux. S’il n’y parvient pas, les affirmations du requérant sont réputées exactes. Voir la section 2.1 de la Synthèse de l’OMPI, version 3.0, ainsi que Croatia Airlines d.d. v. Modern Empire Internet Ltd., Litige OMPI No. D2003-0455; Belupo d.d. v. WACHEM d.o.o., Litige OMPI No. D2004-0110.
Le Requérant expose qu’il n’a pas autorisé le Défendeur à enregistrer, ni même utiliser, un nom de domaine formé de sa marque.
Le Défendeur n’a présenté aucun argument permettant de justifier d’un intérêt légitime.
La Commission administrative ne peut que constater que le nom de domaine litigieux ne pointe vers aucune page active, qui justifierait que le Défendeur l’utilise de manière légitime dans la vie des affaires, est connu sous la dénomination “Bolloré Logistics” ou se livre à une exploitation réelle et sérieuse du nom de domaine.
En conséquence, la Commission administrative estime, en se limitant aux prétentions du Requérant et aux circonstances du présent litige, que le Défendeur n’a aucun droit ni intérêt légitime dans le nom de domaine litigieux et que la condition du paragraphe 4(a)(ii) des Principes directeurs est ainsi remplie.
C. Enregistrement et usage de mauvaise foi
Selon le paragraphe 4(b) des Principes directeurs, la réalisation de l’une des circonstances suivantes est susceptible d’établir que le nom de domaine litigieux a été enregistré et est utilisé de mauvaise foi :
(i) les faits montrent que le défendeur a enregistré ou acquis le nom de domaine essentiellement aux fins de vendre, de louer ou de céder d’une autre manière l’enregistrement de ce nom de domaine au requérant qui est le propriétaire de la marque de produits ou de services, ou à un concurrent de celui-ci, à titre onéreux et pour un prix excédant le montant des frais qu’il peut prouver avoir déboursé en rapport direct avec ce nom de domaine;
(ii) le défendeur a enregistré le nom de domaine en vue d’empêcher le propriétaire de la marque de produits ou de services de reprendre sa marque sous forme de nom de domaine, et est coutumier d’une telle pratique;
(iii) le défendeur a enregistré le nom de domaine essentiellement en vue de perturber les opérations commerciales d’un concurrent; ou
(iv) en utilisant ce nom de domaine, le défendeur a sciemment tenté d’attirer, à des fins lucratives, les utilisateurs de l’Internet sur un espace Web ou autre site en ligne lui appartenant, en créant une probabilité de confusion avec la marque du Requérant en ce qui concerne la source, le commanditaire, l’affiliation ou l’approbation de son espace ou espace Web ou d’un produit ou service qui y est proposé.
Le Requérant a justifié de la notoriété de sa marque BOLLORE à tout le moins en France. Cette notoriété a d’ailleurs été consacrée par de précédentes décisions UDRP:
Bolloré SE contre Danny Nkongolo, Litige OMPI No. D2021-2161 (“notoriété de la marque BOLLORÉ du Requérant dans le domaine du transport, de la logistique et de la communication”).
BOLLORE SE v. Ruth Hermine, Litige OMPI No. D2020-2699 (“its BOLLORE ENERGY trademark is well known internationally”)
Le Défendeur se déclare de nationalité et de résidence française, comme en témoignent son patronyme, son adresse et son numéro de téléphone.
La Commission administrative conclut que le Défendeur ne pouvait ignorer l’existence du Requérant et de ses droits dans la marque BOLLORE LOGISTICS qu’il avait donc à l’esprit lorsqu’il a procédé à l’enregistrement du nom de domaine litigieux.
Il est encore relevé que l’adresse de messagerie électronique déclarée par le Défendeur lors de l’enregistrement du nom de domaine est constituée du nom d’une société tierce “Cap Gemini”. Un représentant de cette société s’est spontanément manifesté auprès du Centre en date du 3 décembre 2021 pour l’informer que le Défendeur et son adresse de courriel sont inconnus de la société Cap Gemini.
Le Défendeur a donc utilisé au moment de l’enregistrement du nom de domaine litigieux des coordonnées manifestement erronées, et trompeuses.
Ledit enregistrement est ainsi teinté de mauvaise foi.
Le nom de domaine ne pointe vers aucune page active.
Pour autant, le défaut d’exploitation active d’un nom de domaine n’exclut pas de façon systématique que soit retenu le grief d’usage – passif, de mauvaise foi. Voir la section 3.3 de la Synthèse de l’OMPI, version 3.0.
Le Requérant a de plus apporté la preuve qu’un serveur de messagerie électronique avait été configuré par le Défendeur.
Bien qu’aucune preuve d’acte frauduleux n’a été rapporté à l’appui de la présente procédure, la Commission administrative n’ignore pas cette pratique courante qui consiste à enregistrer des noms de domaine constitués des noms de tiers, pour pouvoir disposer d’adresses de messagerie électroniques imitant celles de ces tiers, dans le but de se livrer à des actes de tromperie et d’extorsion de fonds auprès des internautes.
La création d’une adresse de courriel – à partir du nom de domaine litigieux – pouvant laisser croire au destinataire d’un message émis depuis cette adresse que celui-ci émane du Requérant constitue un usage de mauvaise foi du nom de domaine. Voir Credit Industriel et Commercial S.A. v. Zabor Mok, Litige OMPI No. D2015-1432.
La Commission administrative considère qu’un tel usage passif du nom de domaine litigieux est entaché de mauvaise foi et conclut que la condition du paragraphe 4(a)(iii) des Principes directeurs est satisfaite,
7. Décision
Pour les raisons exposées ci-dessus, et conformément aux paragraphes 4(i) des Principes directeurs et 15 des Règles d’application, la Commission administrative ordonne que le nom de domaine litigieux <gp-bollore-logistics.com> soit transféré au Requérant.
William Lobelson
Expert Unique
Le 16 janvier 2022