Centre d’arbitrage et de médiation de l’OMPI
DÉCISION DE LA COMMISSION ADMINISTRATIVE
Coopérative U Enseigne contre Mourad Blacko
Litige No. D2020-3337
1. Les parties
Le Requérant est Coopérative U Enseigne, France, représenté par Plasseraud IP, France.
Le Défendeur est Mourad Blacko, France.
2. Nom de domaine et unité d’enregistrement
Le nom de domaine litigieux <reservationcoursesu.com> est enregistré auprès de Wix.com Ltd. (ci-après désigné “l’Unité d’enregistrement”).
3. Rappel de la procédure
Une plainte a été déposée en anglais par Coopérative U Enseigne auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) en date du 8 décembre 2020. En date du 9 décembre 2020, le Centre a adressé une requête à l’Unité d’enregistrement aux fins de vérification des éléments du litige, tels que communiqués par le Requérant. Le 21 décembre 2020, l’Unité d’enregistrement a transmis sa vérification au Centre révélant l’identité du titulaire du nom de domaine litigieux et ses coordonnées, différentes du nom du Défendeur et des coordonnées désignés dans la plainte. Le 22 décembre 2020, le Centre a envoyé un courrier électronique au Requérant avec les données relatives au titulaire du nom de domaine litigieux telles que communiquées par l’Unité d’enregistrement et invitant le Requérant à soumettre un amendement à la plainte. Le Requérant a déposé une plainte amendée en anglais le 26 décembre 2020.
L’Unité d’enregistrement a aussi indiqué que la langue du contrat d’enregistrement du nom de domaine litigieux était le français. Le 29 décembre 2020, la plainte ayant été déposée en anglais, le Centre a envoyé un courrier électronique au Requérant, l’invitant à fournir soit la preuve suffisante d’un accord entre les Parties pour que l’anglais soit la langue de la procédure, soit une plainte traduite en français, ou soit une demande afin que l’anglais soit la langue de la procédure. Le Centre a également invité le Défendeur à soumettre ses commentaires. Le 30 décembre 2020, le Requérant a déposé la plainte traduite en français. Le Défendeur n’a pas soumis d’observations concernant la langue de la procédure.
Le Centre a vérifié que la plainte, la plainte amendée en anglais, et la plainte amendée en français, répondaient bien aux Principes directeurs régissant le Règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine (ci-après dénommés “Principes directeurs”), aux Règles d’application des Principes directeurs (ci-après dénommées les “Règles d’application”), et aux Règles supplémentaires de l’OMPI (ci-après dénommées les “Règles supplémentaires”) pour l’application des Principes directeurs précités.
Conformément aux paragraphes 2 et 4 des Règles d’application, le 4 janvier 2021, une notification de la plainte valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au Défendeur. Conformément au paragraphe 5 des Règles d’application, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 24 janvier 2021. Le Défendeur n’a fait parvenir aucune réponse. En date du 25 janvier 2021, le Centre a notifié le défaut du Défendeur.
En date du 5 février 2021, le Centre nommait Jane Seager comme expert dans le présent litige. La Commission administrative constate qu’elle a été constituée conformément aux Principes directeurs et aux Règles d’application. La Commission administrative a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément au paragraphe 7 des Règles d’application.
4. Les faits
Le Requérant est l’une des principales coopératives françaises de détaillants, qui exploite des hypermarchés, des supermarchés et des magasins de proximité dans toute la France et à l’étranger. Dans le cadre de ses activités de vente au détail, le Requérant est titulaire de marques, parmi lesquelles:
- Marque française n° 3522937, COURSES U, enregistrée le 6 septembre 2007.
Le Requérant est également titulaire d’un certain nombre de noms de domaine comprenant sa marque COURSES U, dont <coursesu.com>, qui dirige vers son site Internet principal destiné aux consommateurs.
En septembre 2020, le Requérant exploitait un site Internet à l’adresse "www.reservation.coursesu.com", à partir duquel il annonçait la possibilité de précommander une nouvelle console de jeu.
Le nom de domaine litigieux a été enregistré le 21 septembre 2020. Le Requérant a reçu des plaintes de consommateurs selon lesquelles le nom de domaine litigieux redirigeait vers un site Internet (le "site Internet du Défendeur") prétendant être exploité par le Requérant et annonçant la possibilité de précommander la console de jeu qui figurait sur le site Internet promotionnel du Requérant à l’adresse "www.reservation.coursesu.com". Actuellement, le nom de domaine litigieux redirige vers un site Internet inactif.
5. Argumentation des parties
A. Requérant
Le Requérant fait valoir que le nom de domaine litigieux est similaire, au point de prêter à confusion, à la marque COURSES U sur laquelle le Requérant a des droits. Le Requérant affirme que le nom de domaine litigieux reprend comme élément dominant sa marque COURSES U dans son intégralité. Le Requérant affirme que l’ajout du terme "réservation" (sans accent) ne différencie pas le nom de domaine litigieux de la marque du Requérant.
Le Requérant fait valoir que le Défendeur n’a aucun droit ou intérêt légitime en ce qui concerne le nom de domaine litigieux. Le Requérant affirme qu’il n’a accordé au Défendeur aucune licence ou autre droit d’utiliser la marque COURSES U du Requérant. Le Requérant affirme que le nom de domaine litigieux a été utilisé dans le cadre d’une manœuvre frauduleuse visant à obtenir le paiement de biens proposés sur le faux site Internet du Défendeur, comme en attestent les plaintes de consommateurs reçues par le Requérant. Le Requérant fait valoir que le Défendeur n’est pas communément connu par le nom de domaine litigieux, et qu’il n’existe aucune preuve d’une utilisation légitime, non commerciale ou équitable du nom de domaine litigieux par le Défendeur.
Le Requérant affirme que le nom de domaine litigieux a été enregistré et est utilisé de mauvaise foi. Le Requérant constate que le Défendeur a enregistré le nom de domaine litigieux seulement deux jours après que le Requérant ait mis fin à son offre de console de jeu proposée en précommande sur son site Internet à l’adresse "www.reservation.coursesu.com". Remarquant la similitude entre le nom de domaine litigieux et le sous-domaine du Requérant <reservation.coursesu.com>, le Requérant soutient que le Défendeur a enregistré le nom de domaine litigieux de mauvaise foi. Le Requérant affirme que ses marques sont bien connues et que le Défendeur ne pouvait pas sérieusement affirmer que la composition du nom de domaine litigieux ainsi que son utilisation ultérieure étaient de simples coïncidences. En outre, le Requérant soutient que le Défendeur a fait un usage frauduleux du nom de domaine litigieux afin de tirer profit des droits du Requérant et d’obtenir un gain commercial en créant un risque de confusion avec le Requérant. Le Requérant soutient que cela a réellement provoqué une confusion de la part des consommateurs, qui ont tenté d’effectuer des achats sur le site Internet du Défendeur, croyant, à tort, que le site Internet du Défendeur était le véritable site Internet du Requérant. Pour les raisons exposées ci-dessus, le Requérant fait valoir que le nom de domaine litigieux a été enregistré et est utilisé de mauvaise foi.
Le Requérant demande le transfert du nom de domaine litigieux.
B. Défendeur
Le Défendeur n’a pas répondu aux arguments du Requérant.
6. Discussion et conclusions
En vertu du paragraphe 4(a) des Principes directeurs, le Requérant est tenu de démontrer que les trois conditions suivantes sont réunies:
(i) le nom de domaine litigieux est identique ou semblable au point de prêter à confusion avec une marque de produits ou de services sur laquelle le Requérant a des droits;
(ii) le Défendeur n’a aucun droit sur le nom de domaine litigieux ni aucun intérêt légitime qui s’y attache; et
(iii) le nom de domaine litigieux a été enregistré et est utilisé de mauvaise foi.
A. Identité ou similitude prêtant à confusion
La Commission administrative reconnaît que le Requérant a des droits établis sur la marque COURSES U, dont les détails de l’enregistrement sont fournis dans la section concernant les faits ci-dessus.
Le nom de domaine litigieux reprend la marque COURSES U du Requérant dans son intégralité, en omettant simplement l’espace entre "courses" et "u", l’espace ne pouvant être reproduit dans un nom de domaine, et en ajoutant le mot "réservation" (sans accent) en préfixe. Conformément à la Synthèse des avis des commissions administratives de l’OMPI sur certaines questions relatives aux principes UDRP, troisième édition ("Synthèse de l’OMPI, version 3.0"), section 1. 8, lorsque la marque concernée est reconnaissable dans le nom de domaine litigieux, l’ajout d’autres termes (qu’ils soient descriptifs, géographiques, péjoratifs, dénués de sens ou autres) n’empêche pas de conclure à la similarité des signes. La Commission administrative considère que l’ajout du terme "réservation" (sans accent) à la marque COURSES U du Requérant n’empêche pas de conclure à une similitude prêtant à confusion entre la marque du Requérant et le nom de domaine litigieux.
La Commission administrative estime que le nom de domaine litigieux est similaire à la marque du Requérant, au point de prêter à confusion. Le Requérant a satisfait aux exigences du paragraphe 4(a)(i) des Principes directeurs.
B. Droits ou intérêts légitimes
Le Requérant a présenté des preuves de plaintes de consommateurs ayant passé des commandes pour des produits proposés sur le site Internet du Défendeur en croyant, à tort, que le site Internet du Défendeur était exploité par le Requérant. Il semble que le Défendeur ait utilisé le nom de domaine litigieux pour tenter de se faire passer pour le Requérant, afin d’inciter les internautes à payer pour des produits que le Défendeur n’avait pas l’intention de fournir. Conformément à la section 2.13 de la Synthèse de l’OMPI version 3.0, les commissions administratives ont retenu que l’utilisation d’un nom de domaine pour des activités illicites (par exemple, hameçonnage, usurpation d’identité ou autres types de fraude) ne peut jamais conférer de droits ou d’intérêts légitimes à un défendeur. La Commission administrative estime que le Défendeur n’a pas fait usage du nom de domaine litigieux dans le cadre d’une offre de bonne foi de produits ou de services conformément au paragraphe 4(c)(i) des Principes directeurs.
En outre, il n’y a pas de preuve permettant de conclure que le Défendeur est communément connu par le nom de domaine litigieux conformément au paragraphe 4(c)(ii) des Principes directeurs, et le Défendeur ne fait pas un usage légitime et non commercial du nom de domaine litigieux au sens du paragraphe 4(c)(iii) des Principes directeurs.
Le Défendeur n’a présenté aucun élément de preuve qui permettrait de conclure à l’existence de droits ou d’intérêts légitimes sur le nom de domaine litigieux. La Commission administrative estime que le Défendeur n’a aucun droit ou intérêt légitime sur le nom de domaine litigieux. Le Requérant a satisfait aux exigences du paragraphe 4(a)(ii) des Principes directeurs.
C. Enregistrement et usage de mauvaise foi
Au regard de l’utilisation du nom de domaine litigieux par le Défendeur tentant d’usurper l’identité du Requérant, comme décrit précédemment, le Défendeur avait manifestement connaissance du Requérant et de ses marques au moment de l’enregistrement du nom de domaine litigieux. En effet, puisque l’utilisation d’un nom de domaine pour une activité intrinsèquement illégitime telle que l’hameçonnage ou l'usurpation d'identité ne peut jamais conférer de droits ou d’intérêts légitimes à un Défendeur, un tel comportement est considéré comme une preuve de mauvaise foi; voir la section 3.1.4 de la Synthèse de l’OMPI version 3.0. En réalité, le degré de similitude entre le nom de domaine litigieux et le sous-domaine du Requérant, <reservation.coursesu.com>, constitue une preuve supplémentaire de l’intention du Défendeur de cibler le Requérant, et ses clients, par l’intermédiaire du nom de domaine litigieux. La Commission administrative conclut que le nom de domaine litigieux a été enregistré de mauvaise foi.
En utilisant le nom de domaine litigieux à rediriger vers un site Internet qui prétendait offrir la même promotion que le Requérant concernant des consoles de jeux, sous une URL de composition similaire à cela utilisée par le Requérant, le Défendeur a tenté d’induire en erreur les clients peu méfiants du Requérant afin qu’ils effectuent des paiements pour des produits que le Défendeur n’entendait pas réellement fournir. La Commission administrative conclut qu’en utilisant le nom de domaine litigieux, le Défendeur a intentionnellement tenté d’attirer, à des fins commerciales, les internautes vers son site Internet, en créant un risque de confusion avec les marques du Requérant quant à la source, au parrainage, à l’affiliation ou à l’approbation de son site Internet et des produits qui y sont proposés, et ce de mauvaise foi, conformément au paragraphe 4(b)(iv) des Principes directeurs. Le fait que le nom de domaine litigieux ne redirige plus vers un site Internet actif ne modifie pas les conclusions de la Commission administrative à cet égard.
La Commission administrative conclut que le nom de domaine litigieux a été enregistré et utilisé de mauvaise foi. Le Requérant a satisfait aux exigences du paragraphe 4(a)(iii) des Principes directeurs.
7. Décision
Pour les raisons exposées ci-dessus, et conformément aux paragraphes 4(i) des Principes directeurs et 15 des Règles d’application, la Commission administrative ordonne que le nom de domaine litigieux <reservationcoursesu.com> soit transféré au Requérant.
Jane Seager
Expert Unique
Le 5 mars 2021