Centre d’arbitrage et de médiation de l’OMPI
DÉCISION DE LA COMMISSION ADMINISTRATIVE
Boehringer Ingelheim Pharma GMBH & CO. KG contre Michel Couder, Michel Couder
Litige No. D2020-0224
1. Les parties
La Requérante est Boehringer Ingelheim Pharma GMBH & CO. KG, Allemagne, représentée par Nameshield, France.
Le Défendeur est Michel Couder, Michel Couder, France.
2. Nom de domaine et unité d’enregistrement
Le nom de domaine litigieux <de-boehringer-ingelheim.com> est enregistré auprès de Register.IT SPA (ci-après désigné “l’Unité d’enregistrement”).
3. Rappel de la procédure
Une plainte a été déposée auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) le 29 janvier 2020. Le Centre a adressé ce même jour une requête à l’Unité d’enregistrement aux fins de vérification des éléments du litige, tels que communiqués par la Requérante. Le 30 janvier 2020, l’Unité d’enregistrement a transmis sa vérification au Centre révélant l’identité du titulaire du nom de domaine litigieux et ses coordonnées, différentes du nom du Défendeur et des coordonnées désignés dans la plainte. Le 3 février 2020, le Centre a envoyé un courrier électronique à la Requérante avec les données relatives au titulaire du nom de domaine litigieux telles que communiquées par l’Unité d’enregistrement et invitant la Requérante à soumettre un amendement à la plainte/une plainte amendée. La Requérante a déposé une plainte amendée le 3 février 2020.
L’Unité d’enregistrement a aussi indiqué que la langue du contrat d’enregistrement du nom de domaine en conflit est l’anglais. La plainte ayant été déposée en français, le Centre a envoyé le 3 février 2020 un courrier électronique à la Requérante, l’invitant à fournir la preuve suffisante d’un accord entre les Parties, la plainte traduite en anglais, ou une demande afin que le français soit la langue de la procédure. La Requérante a déposé une demande afin que le français soit la langue de la procédure ce même 3 février 2020. Le Défendeur ne s’est pas déterminé sur cette requête.
Le Centre a vérifié que la plainte et la plainte amendée répondent bien aux Principes directeurs régissant le Règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine (ci-après dénommés “Principes directeurs”), aux Règles d’application des Principes directeurs (ci-après dénommées les “Règles d’application”), et aux Règles supplémentaires de l’OMPI (ci-après dénommées les “Règles supplémentaires”) pour l’application des Principes directeurs précités.
Conformément aux paragraphes 2 et 4 des Règles d’application, le 13 février 2020, une notification de la plainte valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au Défendeur. Conformément au paragraphe 5 des Règles d’application, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 4 mars 2020. Le Défendeur n’a fait parvenir aucune réponse. En date du 5 mars 2020, le Centre notifiait le défaut du Défendeur.
En date du 19 mars 2020, le Centre nommait Philippe Gilliéron comme expert dans le présent litige. La Commission administrative constate qu’elle a été constituée conformément aux Principes directeurs et aux Règles d’application. La Commission administrative a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément au paragraphe 7 des Règles d’application.
4. Les faits
La Requérante est un groupe pharmaceutique mondial, qui fait partie des vingt plus grandes entreprises en cette industrie. Elle compte environ 50’000 employés et déploie ses activités dans trois secteurs: la pharmacie humaine, la santé animale et les produits biopharmaceutiques.
La Requérante est titulaire de nombreuses marques composées en tout ou partie des termes “BOEHRINGER INGELHEIM”, dont:
- La marque internationale “BOEHRINGER-INGELHEIM” n° 221544, enregistrée le 2 juillet 1959;
- La marque internationale “BOEHRINGER-INGELHEIM” n° 568844, enregistrée le 22 mars 1991;
La Requérante est également titulaire de nombreux de domaine comprenant les termes « BOEHRINGER INGELHEIM », dont les noms de domaine <boehringer-ingelheim.com> (enregistré le 1 septembre 1995) et <boehringeringelheim.com> (enregistré le 4 juillet 2004).
Le nom de domaine litigieux <de-boehringer-ingelheim.com> a été enregistré par le Défendeur le 27 janvier 2020 et redirige vers la page de stationnement du bureau d’enregistrement AMEN.
5. Argumentation des parties
A. Requérante
La Requérante fait tout d’abord valoir le fait que le nom de domaine litigieux <de-boehringer-ingelheim.com> est similaire au point de prêter confusion avec sa marque qu’il reprend en son intégralité, l’adjonction “de” (qui désigne le code pays de l’Allemagne), étant impropre à écarter le risque de confusion qui résulte de cette reprise.
La Requérante considère ensuite que le Défendeur n’a aucun droit ni intérêt légitime sur le nom de domaine litigieux, dès lors qu’il n’est pas connu sous ce nom, qu’il n’est pas affilié à la Requérante et que cette dernière ne lui a jamais donné l’autorisation d’exploiter sa marque de quelque manière que ce soit.
La Requérante est enfin d’avis que le nom de domaine litigieux a été enregistré et qu’il est utilisé de mauvaise foi. Au vu de la notoriété dont jouit la marque de la Requérante, il est manifeste que le Défendeur en avait connaissance lorsqu’il a enregistré le nom de domaine litigieux <de-boehringer-ingelheim.com>. Compte tenu de cette notoriété, il est inconcevable que le nom de domaine litigieux puisse être utilisé de bonne foi.
B. Défendeur
Le Défendeur n’a pas répondu aux arguments de la Requérante.
6. Discussion et conclusions
Conformément au paragraphe 4(a) des Principes directeurs, la Commission administrative doit déterminer si sont réunies les trois conditions posées par ceux-ci, à savoir :
(i) si le nom de domaine litigieux est identique ou semblable au point de prêter à confusion à une marque de produits ou de services sur laquelle le requérant a des droits; et
(ii) si le défendeur n’a aucun droit ou intérêt légitime sur le nom de domaine litigieux; et
(iii) si le défendeur a enregistré et utilise le nom de domaine litigieux de mauvaise foi.
Avant de déterminer l’application des critères précités au cas d’espèce, la Commission doit toutefois aborder une question procédurale à titre liminaire, celle de la langue de la procédure.
A. Langue de la procédure
Aux termes du paragraphe 11(a) des Règles d’application, “sauf convention contraire entre les parties ou stipulation contraire du contrat d’enregistrement, la langue de la procédure est la langue du contrat d’enregistrement; toutefois, la commission administrative peut décider qu’il en sera autrement, compte tenu des circonstances de la procédure administrative”.
En l’espèce, la Requérante sollicite que la langue de la procédure soit le français, motif étant tiré du fait que le Défendeur est domicilié en France.
La Commission administrative considère la requête formée par la Requérante pour que la langue de la procédure soit le français comme acceptable. Le Défendeur, dont l’identité et le domicile tels qu’ils figurent dans la banque de données WHOIS laissent supposer qu’il maîtrise le français, ne s’est pas opposé à cette requête alors qu’il lui était loisible de le faire, que ce soit en français ou en anglais.
Au vu de ce qui précède, rien ne justifie dès lors que l’anglais soit maintenu comme langue de la procédure. La Commission administrative considère dès lors que le français sera la langue de la procédure.
B. Identité ou similitude prêtant à confusion
Selon le paragraphe 4(a)(i), la requérante doit démontrer que les noms de domaine litigieux sont identiques ou semblables au point de prêter à confusion à une marque de produits ou de services sur laquelle la requérante a des droits.
En l’espèce, il est établi que la requérante est titulaire de plusieurs marques internationales composées des termes “BOEHRINGER-INGELHEIM”, marque dont la forte notoriété a du reste été reconnue par des Commission administratives précédentes (voir, par exemple: Boehringer Ingelheim Pharma GmbH & Co. Kg c. Mark Gonza, Litige OMPI No. D2019-0876).
Il est largement admis que le fait de reprendre à l’identique la marque d’un tiers dans un nom de domaine peut suffire à établir que ce nom de domaine est identique ou similaire au point de prêter à confusion avec la marque sur laquelle la partie requérante a des droits.
Cela vaut d’autant plus lorsque la marque constitue l’élément prédominant du nom de domaine litigieux, et que l’élément ajouté constitue un terme descriptif.
Ainsi en va-t-il en l’espèce. L’adjonction du préfixe “de-” au nom de domaine litigieux est impropre à écarter le risque de confusion résultant de la reprise pure et simple par le Défendeur de la marque de la Requérante; bien au contraire, puisqu’il est susceptible de laisser croire aux utilisateurs qu’il constitue le site officiel de la Requérante en Allemagne.
Au vu de ce qui précède, la Commission administrative considère que la condition posée par le paragraphe 4(a)(i) des Principes directeurs est remplie.
C. Droits ou intérêts légitimes
Selon les Principes directeurs, paragraphe 4(a)(ii), la requérante doit démontrer que le Défendeur n’a pas de droit ou d’intérêt légitime sur les noms de domaine litigieux.
Dans la décision Do The Hustle, LLC c. Tropic Web, Litige OMPI No. D2000-0624, la Commission administrative a considéré que, s’agissant d’un fait négatif presque impossible à démontrer, à partir du moment où le requérant a allégué que le défendeur n’a aucun droit ni intérêt légitime en relation avec le nom de domaine, c’est au défendeur qu’il incombe d’établir l’existence de ses droits. Partant, il suffit que le requérant établisse prima facie que le défendeur ne détient aucun droit ou intérêt légitime pour renverser le fardeau de la preuve et laisser au défendeur le soin d’établir ses droits. A défaut, le requérant est présumé avoir satisfait aux exigences posées par le paragraphe 4(a)(ii) des Principes directeurs (voir le paragraphe 2.1 de la Synthèse des avis des commissions administratives de l’OMPI sur certaines questions relatives aux principes UDRP, troisième édition, “Synthèse, version 3.0”).
Tel est le cas en l’espèce. La Requérante a allégué n’avoir jamais consenti de droit ni d’autorisation au Défendeur en relation avec l’enregistrement et l’exploitation du nom de domaine litigieux <de-boehringer-ingelheim.com>. Or, le Défendeur ne fournit aucune explication quant au choix du nom de domaine litigieux. En l’absence d’une quelconque explication, force est d’admettre que le Défendeur n’a apporté aucun élément à même de démontrer un droit ou à tout le moins un intérêt légitime sur le nom de domaine litigieux.
Partant, la Commission administrative considère que la condition posée par le paragraphe 4(a)(ii) des Principes directeurs est satisfaite.
D. Enregistrement et usage de mauvaise foi
Selon les Principes directeurs, paragraphe 4(a)(iii), la requérante doit démontrer que le défendeur a enregistré et qu’il utilise les noms de domaine litigieux de mauvaise foi.
L’enregistrement de mauvaise foi présuppose que le Défendeur connaissait la marque de la Requérante. En l’espèce, compte tenu de la forte notoriété dont jouit la marque de la Requérante, il est inconcevable que le Défendeur n’ait pas eu connaissance de la marque de la Requérante.
Il ne fait bien au contraire aucun doute dans l’esprit de la Commission administrative que le Défendeur connaissait pertinemment la marque de la Requérante lorsqu’il a procédé à l’enregistrement du nom de domaine litigieux et qu’il entendait tirer profit du rapport d’affiliation ainsi créé dans l’esprit des utilisateurs, que ce soit dans l’optique de promouvoir ses propres activités, de chercher à revendre d’une manière ou d’une autre le nom de domaine litigieux ou d’entraver la Requérante dans ses activités (voir, en ce sens: Singapore Airlines Limited c. European Travel Network, Litige OMPI No. D2000-0641).
En l’absence d’explications plausibles soulevées par le Défendeur, ce dernier, qui a fait défaut, doit ici supporter les conséquences de sa négligence.
Partant, la Commission administrative considère que le paragraphe 4(a)(iii) des Principes directeurs est également réalisé.
7. Décision
Pour les raisons exposées ci-dessus, et conformément aux paragraphes 4(i) des Principes directeurs et 15 des Règles d’application, la Commission administrative ordonne que le nom de domaine litigieux <de-boehringer-ingelheim.com> soit transféré à la Requérante.
Philippe Gilliéron
Expert Unique
Le 20 mars 2020