Centre d’arbitrage et de médiation de l’OMPI
DÉCISION DE LA COMMISSION ADMINISTRATIVE
Kadine SPRL contre Claire Grolleau
Litige No. D2018-2343
1. Les parties
La Requérante est Kadine SPRL, d’Antwerp, Belgique, représenté par Coblence & Associés, France.
La Défenderesse est Claire Grolleau de La Ciotat, France.
2. Nom de domaine et unité d’enregistrement
Le nom de domaine litigieux <essentiel-lifestore.com> est enregistré auprès de OVH (ci-après désigné “l’Unité d’enregistrement”).
3. Rappel de la procédure
Une plainte a été déposée par Kadine SPRL auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) en date du 15 octobre 2018. En date du 15 octobre 2018, le Centre a adressé une requête à l’Unité d’enregistrement aux fins de vérification des éléments du litige, tels que communiqués par le Requérant. Le 24 octobre 2018, l’Unité d’enregistrement a transmis sa vérification au Centre révélant l’identité du titulaire du nom de domaine litigieux et ses coordonnées, différentes du nom du Défendeur et des coordonnées désignés dans la plainte.
Le Centre a vérifié que la plainte répond bien aux Principes directeurs régissant le Règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine (ci-après dénommés “Principes directeurs”), aux Règles d’application des Principes directeurs (ci-après dénommées les “Règles d’application”), et aux Règles supplémentaires de l’OMPI (ci-après dénommées les “Règles supplémentaires”) pour l’application des Principes directeurs précités.
Conformément aux paragraphes 2 et 4 des Règles d’application, le 25 octobre 2018, une notification de la plainte valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au Défendeur. Conformément au paragraphe 5 des Règles d’application, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 14 novembre 2018.
Le 12 novembre 2018, la Requérante a sollicité que la procédure soit suspendue, une suspension que le Centre a prononcé par notification du même jour, ce jusqu’au 12 décembre 2018, puis jusqu’au 11 janvier 2019.
Par email du 9 janvier 2019, la Requérante a sollicité la reprise de la procédure, que le Centre a prononcé ce même jour, impartissant à la Défenderesse un nouveau délai au 14 janvier 2019 pour déposer sa réponse.
La Défenderesse n’a fait parvenir aucune réponse. En date du 15 janvier 2019, le Centre a notifié le défaut de la Défenderesse.
En date du 22 janvier 2019, le Centre a nommé Philippe Gilliéron comme expert dans le présent litige. La Commission administrative constate qu’elle a été constituée conformément aux Principes directeurs et aux Règles d’application. La Commission administrative a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément au paragraphe 7 des Règles d’application.
4. Les faits
La Requérante est une société spécialisée dans le prêt-à-porter. Elle compte aujourd’hui 55 magasins sous l’enseigne “Essentiel Antwerp”, 220 employés et ses produits sont vendus dans 35 pays à travers plus de 900 magasins multi-marques, dont les grands magasins “Printemps Haussman” et “Galeries Lafayettes” à Paris.
La Requérante est titulaire de nombreuses marques sur le plan international composées en tout ou partie du terme ESSENTIEL, telle la marque verbale internationale No. 780041 enregistrée le 4 mars 2002 en classes 18 (sacs à main) et 25 (vêtements et chaussures), dont la protection est étendue à la France.
Elle développe par ailleurs ses activités en ligne au travers plus particulièrement du site Internet rattaché au nom de domaine <essentiel-antwerp.com>.
Le 28 juin 2017, la Défenderesse a enregistré le nom de domaine <essentiel-lifestore.com> pour y exploiter un site proposant en particulier des vêtements et chaussures à la vente, sous l’intitulé “Essentiel Ethique et Esthétique”.
Le 19 janvier 2018, la Requérante a adressé à la Défenderesse, tant sous pli ordinaire que recommandé, un courrier de mise en demeure attirant son attention sur l’existence de ses droits à la marque sur la dénomination “essentiel” et la violation qui résultait de l’exploitation par la Défenderesse du nom de domaine litigieux. La Requérante intimait l’ordre à la Défenderesse de cesser notamment toute utilisation dudit site et de lui transférer le nom de domaine <essentiel-lifestore.com>, ce dans un délai de dix jours.
La Défenderesse n’a pas répondu au courrier précité. Au jour de cette décision, le nom de domaine redirige vers une page inactive.
5. Argumentation des parties
A. Requérante
La Requérante fait tout d’abord valoir le fait que le nom de domaine <essentiel-lifestore.com> prête à confusion avec sa marque ESSENTIEL en tant qu’il l’incorpore. L’adjonction de l’élément “lifestore” est impropre à écarter la confusion qui résulte de cette reprise en raison de son caractère descriptif, et l’extension générique de premier niveau (“gTLD”) “.com” n’a quant à elle aucune incidence sur cette appréciation.
La Requérante fait ensuite valoir le fait que la Défenderesse n’a aucun droit ni intérêt légitime sur le nom de domaine litigieux. Elle n’est titulaire d’aucune marque sur la dénomination ESSENTIEL et n’a jamais été autorisée par la Requérante à faire usage de la marque ESSENTIEL dont cette dernière est titulaire.
La Requérante considère enfin que le nom de domaine <essentiel-lifestore.com> a été enregistré et qu’il est utilisé de mauvaise foi. La Défenderesse connaissait manifestement la marque de la Requérante au moment de l’enregistrement du nom de domaine litigieux. Ce dernier est utilisé dans le but d’attirer, à des fins commerciales, des internautes en créant un risque de confusion avec la marque de la Requérante, comme en témoigne le fait que la Défenderesse propose sur le site rattaché au nom de domaine litigieux des vêtements et chaussures, soit des produits identiques à ceux commercialisés par la Requérante sous la marque ESSENTIEL.
B. Défenderesse
La Défenderesse n’a pas répondu aux arguments de la Requérante.
6. Discussion et conclusions
Conformément au paragraphe 4(a) des Principes directeurs, la Commission administrative doit déterminer si sont réunies les trois conditions posées par ceux-ci, à savoir :
(i) si le nom de domaine est identique ou semblable au point de prêter à confusion à une marque de produits ou de services sur laquelle le Requérant a des droits; et
(ii) si le Défendeur n’a aucun droit ou un intérêt légitime sur le nom de domaine; et
(iii) si le Défendeur a enregistré et utilise le nom de domaine de mauvaise foi.
A. Identité ou similitude prêtant à confusion
Selon le paragraphe 4(a)(i), la Requérante doit démontrer que le nom de domaine litigieux est identique ou semblable au point de prêter à confusion à une marque de produits ou de services sur laquelle la Requérante a des droits.
En l’espèce, il est établi que la Requérante est titulaire de la marque ESSENTIEL.
Il est largement admis que le fait de reprendre à l’identique la marque d’un tiers dans un nom de domaine peut suffire à établir que ce nom de domaine est identique ou similaire au point de prêter à confusion avec la marque sur laquelle la partie requérante a des droits.
Ainsi en va-t-il en l’espèce. La marque de la Requérante est intégralement reprise dans le nom de domaine litigieux, sans adjonction autre que le terme “lifestore” qui, en relation avec l’exploitation d’un site Internet dans le domaine du prêt-à-porter comme l’est le site rattaché au nom de domaine litigieux, revêt un caractère largement descriptif. Quant au gTLD “.com”, il s’agit d’un élément technique impropre à exclure le risque de confusion résultant de la reprise intégrale de la marque de la Requérante.
Au vu de ce qui précède, la Commission administrative considère que la condition posée par le paragraphe 4(a)(i) des Principes directeurs est remplie.
B. Droits ou intérêts légitimes
Selon les Principes directeurs, paragraphe 4(a)(ii), la Requérante doit démontrer que le Défendeur n’a pas de droit ou d’intérêt légitime sur le nom de domaine litigieux.
Dans la décision Do The Hustle, LLC c. Tropic Web, Litige OMPI No. D2000-0624, la commission administrative a considéré que, s’agissant d’un fait négatif presque impossible à démontrer, à partir du moment où le requérant a allégué que le défendeur n’a aucun droit ni intérêt légitime en relation avec le nom de domaine, c’est au défendeur qu’il incombe d’établir l’existence de ses droits. Partant, il suffit que le requérant établisse prima facie que le défendeur ne détient aucun droit ou intérêt légitime pour renverser le fardeau de la preuve et laisser le défendeur le soin d’établir ses droits. A défaut, le requérant est présumé avoir satisfait aux exigences posées par le paragraphe 4(a)(ii) des Principes directeurs (voir le paragraphe 2.1 de la Synthèse des avis des commissions administratives de l’OMPI sur certaines questions relatives aux principes UDRP, troisième édition, “Synthèse, version 3.0”).
Tel est le cas en l’espèce. La Requérante a allégué que la Défenderesse n’avait aucun droit ni intérêt sur le nom de domaine, l’utilisant pour une activité concurrente à celle de la Requérante. Le nom de domaine lui-même donne une impression incorrecte que la Défenderesse et la Requérante seraient affiliés, une impression renforcée par le fait que le site rattaché au nom de domaine <essentiel-lifestore.com> l’est pour proposer des articles de prêt-à-porter, en particulier des vêtements et des chaussures, soit une activité en tous points identiques à celle de la Requérante.
En l’absence d’une réponse formelle, et bien que le site semblait correspondre à un site ne construction pour un magasin à Marseille, force est d’admettre que la Défenderesse n’a apporté aucun élément à même de démontrer un droit ou à tout le moins un intérêt légitime sur le nom de domaine litigieux, difficilement concevable au vu des circonstances du cas d’espèce.
Partant, la Commission administrative considère que la condition posée par le paragraphe 4(a)(ii) des Principes directeurs est satisfaite.
C. Enregistrement et usage de mauvaise foi
Selon les Principes directeurs, paragraphe 4(a)(iii), la requérante doit démontrer que le défendeur a enregistré et qu’il utilise les noms de domaine litigieux de mauvaise foi.
L’enregistrement de mauvaise foi présuppose que le défendeur connaissait la marque de la requérante. En l’espèce, la Commission administrative peine à croire que la Défenderesse n’aurait pas eu connaissance de la marque de la Requérante. Rien ne permet d’expliquer le choix d’un nom de domaine qui reprend intégralement la marque de cette dernière, pour y rattacher un site commercialisant d’articles de prêt-à-porter, en particulier des vêtements et chaussures, soit l’activité même de la Requérante. Difficile dès lors d’imaginer que la Défenderesse n’ait pas eu connaissance de la marque de la Requérante, qui a de surcroît acquis une certaine réputation en France dans le domaine du prêt-à-porter.
Il ne fait bien au contraire aucun doute dans l’esprit de la Commission administrative que la Défenderesse connaissait pertinemment la marque de la Requérante lorsqu’elle a procédé à l’enregistrement du nom de domaine litigieux, et qu’elle entendait tirer profit du rapport d’affiliation ou à tout le moins de confusion ainsi créé dans l’esprit des utilisateurs pour promouvoir ses propres activités et vendre sous cette même dénomination des produits de prêt-à-porter.
En l’absence d’explications plausibles soulevées par la Défenderesse, cette dernière, qui a fait défaut, doit ici supporter les conséquences de sa négligence.
Partant, la Commission administrative considère que le paragraphe 4(a)(iii) des Principes directeurs est également réalisé.
7. Décision
Pour les raisons exposées ci-dessus, et conformément aux paragraphes 4(i) des Principes directeurs et 15 des Règles d’application, la Commission administrative ordonne que le nom de domaine litigieux <essentiel-lifestore.com> soit transféré à la Requérante.
Philippe Gilliéron
Expert Unique
Le 23 janvier 2019