Centre d'arbitrage et de médiation de l'OMPI
DÉCISION DE LA COMMISSION ADMINISTRATIVE
LIDL Stiftung & Co. KG (LIDL International) et LIDL France contre WHOIS Agent, Whois Privacy Protection Service, Inc./ Défendeur inconnu
Litige No. D2016-0316
1. Les parties
La requérante N°1 est LIDL Stiftung & Co. KG (LIDL International) de Neckarsulm, Allemagne; la requérante N° 2 est LIDL France de Strasbourg, France, représenté par Addax Avocats, France.
Le défendeur est WHOIS Agent, Whois Privacy Protection Service, Inc de Kirkland, Washington, Etats-Unis d'Amérique, derrière lequel se dissimule un Défendeur inconnu.
2. Nom de domaine et unité d'enregistrement
Le litige concerne le nom de domaine <groupe-lidl.com>.
L'unité d'enregistrement auprès de laquelle le nom de domaine litigieux est enregistré est eNom, Inc.
3. Rappel de la procédure et incidents de procédure
Une plainte a été déposée par LIDL Stiftung & Co. KG (LIDL International) et LIDL France auprès du Centre d'arbitrage et de médiation de l'Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le "Centre") en date du 17 février 2016.
En date du 17 février 2016, le Centre a adressé une requête à l'unité d'enregistrement du nom de domaine litigieux, eNom, Inc., aux fins de vérification des éléments du litige, tels qu'ils avaient été communiqués par les requérantes. Le 17 février 2016, l'unité d'enregistrement a transmis sa vérification au Centre révélant l'identité prétendue du titulaire du nom de domaine concerné et ses coordonnées, différentes du nom du défendeur et des coordonnées désignés dans la plainte. Le 22 février 2016, le Centre a envoyé un courrier électronique aux requérantes mentionnant les données relatives au titulaire du nom de domaine litigieux telles que les a communiquées l'unité d'enregistrement et invitant les requérantes à soumettre un amendement à la plainte/ une plainte amendée. Les requérantes ont déposé une plainte amendée le 24 février 2016. A la suite de la communication du Centre, les requérantes ont de plus déposé une demande pour que le français soit la langue de la procédure le 24 février 2016. Le défendeur n'a pas répondu à cette demande ou à la plainte ni ne s'est autrement manifesté.
Le Centre a vérifié que la plainte et la plainte amendée répondent bien aux Principes directeurs régissant le Règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine (ci-après dénommés "Principes directeurs"), aux Règles d'application des Principes directeurs (ci-après dénommées les "Règles d'application"), et aux Règles supplémentaires de l'OMPI (ci-après dénommées les "Règles supplémentaires") pour l'application des Principes directeurs précités.
Conformément aux paragraphes 2(a) et 4(a) des Règles d'application, le 2 mars 2016, une notification de la plainte valant ouverture de la présente procédure administrative a été adressée au défendeur en français et en anglais. Conformément au paragraphe 5(a) des Règles d'application, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 22 mars 2016. Le défendeur n'a fait parvenir aucune réponse. En date du 23 mars 2016, le Centre a notifié le défaut du défendeur.
En date du 1er avril 2016, le Centre a nommé dans le présent litige comme expert-unique le professeur François Dessemontet. La Commission administrative constate qu'elle a été constituée conformément aux Principes directeurs et aux Règles d'application. La Commission administrative a adressé au Centre une déclaration d'acceptation et une déclaration d'impartialité et d'indépendance, conformément au paragraphe 7 des Règles d'application.
Préliminairement, la Commission administrative tranche deux questions de procédure.
Langue de la procédure
Les requérantes demandent que la langue de la procédure soit le français et elles ont présenté la plainte et la plainte amendée en français, bien que la langue du contrat d'enregistrement du nom de domaine litigieux soit l'anglais, ce qui entraîne que la langue de la procédure devrait être l'anglais (par. 11(a) des Règles d'application). Il existe toutefois des exceptions à cette règle. Comme le montre la décision Carrefour SA contre Eric Langlois, Litige OMPI No. D2007-0067, ch. 6, ce sera en particulier le cas lorsque le défendeur maîtrise bien la langue de la procédure requise par le requérant, et que celle-ci correspond au pays dans lequel les parties déploient leurs activités. En l'occurrence, il ressort des courriels produits par les requérantes que le défendeur écrit en un excellent français commercial, sans aucune erreur de frappe, ce qui établit aux yeux de la Commission administrative que le défendeur est de langue maternelle française ou, à tout le moins, qu'il est parfaitement bilingue. De surcroît, tout le litige entre parties concerne des activités commerciales en France. Sont ainsi réunies les conditions pour faire droit à la requête de désigner le français comme langue de procédure.
Confidentialité d'un patronyme
Ainsi qu'il ressortira encore des faits exposé par la suite, le défendeur a usurpé l'identité d'un cadre de la requérante N° 2 pour enregistrer le nom de domaine litigieux, et a du reste usurpé l'identité d'un autre cadre de cette requérante pour passer des mails prétendument au nom du service d'achat de cette requérante. Dans ces circonstances, et afin de ne pas porter atteinte à la réputation personnelle du cadre mentionné comme défendeur, les requérantes requièrent que son nom ne soit pas divulgué dans la présente procédure. En raison de l'intérêt prépondérant du cadre au respect de sa personnalité, la Commission administrative fait droit à la demande des requérantes, et elle remplacera dans le texte de la décision les prénom et nom du cadre visé par les lettres A. X.
4. Les faits
a. Les Parties
1) Les requérantes
Les requérantes font partie d'une entreprise connue de la distribution en Europe, réalisant un chiffre d'affaires annuel de 80 mia Euros.
Les requérantes se présentent dans la présente procédure en qualité de deux sociétés :
a) LIDL Stiftung & Co. KG (LIDL INTERNATIONAL), société de droit allemand en commandite simple sise à Neckarsulm en Allemagne.
b) LIDL France, société en nom collectif, sise à Strasbourg en France.
Cette seconde société exploite les magasins LIDL en France et se trouve licenciée en particulier des marques communautaires dont mention sera faite plus loin.
2. Le défendeur
Le défendeur ne se présente pas dans la présente procédure, car il n'a pas répondu à la plainte. De surcroît, il semble avoir usurpé l'identité d'un cadre de la requérante N° 2, A.X. L'adresse qu'il a indiqué au registre des noms de domaine auprès duquel il s'est inscrit comprend en effet le nom de A.X. et l'adresse du siège social de la requérante N° 2. Il est donc impossible de savoir qui est le défendeur avant de connaître le résultat de la procédure pénale ouverte en parallèle à la présente cause.
La Commission administrative remarque qu'au demeurant, le principe de droit français "le pénal tient le civil en l'état" ne peut pas s'appliquer par rapport à une procédure administrative internationale comme la présente procédure, qui ne peut être qualifiée de procédure civile. D'ailleurs ce principe connaît des exceptions, par exemple en matière de procédure arbitrale, mais il ne sied pas d'en examiner plus avant la portée ici puisqu'il est dénué de pertinence dans la présente cause. Il n'est donc ni nécessaire ni utile de surseoir à statuer en attendant la conclusion de la cause pénale parallèle.
b. Les marques en cause
La requérante N° 1 LIDL INTERNATIONAL est titulaire de nombreuses marques verbales et semi-figuratives nationales, communautaires et internationales comprenant le terme LIDL. On relève en particulier la marque communautaire verbale LIDL n° 001778679 déposée le 27 juillet 2000 et renouvelée régulièrement pour un grand nombre de classes, et la marque mixte figurative et verbale LIDL n° 001779784 déposée en même date et également renouvelée.
LIDL France dispose d'une licence d'exploitation inscrite pour plusieurs marques de la société mère, incluant les deux marques communautaires précitées.
c. Autres noms de domaine
Le requérant N° 1 LIDL INTERNATIONAL est titulaire de nombreux noms de domaine contenant le vocable LIDL, parmi lesquels <lidl.com> enregistré le 20 février 2000, et <lidl.net> enregistré le 17 avril 2009. LIDL France est titulaire du nom de domaine <lidl.fr> enregistré le 21 juillet 1998.
Les divers signes distinctifs mentionnés à l'instant sont exploités par plus de 10'000 magasins implantés dans 26 pays d'Europe.
5. Argumentation des parties
A. Requérantes
Les requérantes relèvent que le nom de domaine litigieux<groupe-lidl.com> est semblable à leurs marques antérieures au point de prêter à confusion. Le nom de domaine litigieux reprend en entier la marque LIDL, et les seules différences résident dans l'addition du terme descriptif "groupe", l'extension générique ".com" et le tiret entre les mots "groupe" et "lidl". Or l'adjonction du terme descriptif "groupe" n'est pas de nature à dissiper le risque de confusion entre le nom de domaine litigieux et les marques du requérant, mais elle tendrait au contraire à renforcer ce risque, grâce à la connotation que revêt la notion de "groupe" d'entreprises.
Les requérantes relèvent au surplus que le défendeur n'a aucun droit sur le nom de domaine litigieux ni aucun intérêt légitime qui s'y attache. Les requérantes n'entretiennent aucune relation d'affaires avec le défendeur et celui-ci ne pourrait faire état d'aucune autorisation d'utiliser ce nom de domaine litigieux. Au demeurant, le nom de domaine litigieux n'a été déposé que le 2 décembre 2015 et ne renvoie vers aucun site actif.
Les requérantes relèvent de plus que le défendeur n'a pas utilisé le nom de domaine litigieux en relation avec une offre de bonne foi pour des produits ou des services. Au contraire, le nom de domaine litigieux est utilisé afin de faciliter la commission d'actes délictueux dont sont victimes LIDL et des tiers.
En effet, depuis le début du mois de décembre 2015, la requérante N° 2 LIDL France a été alertée par des entreprises françaises lui signalant qu'elles recevaient des courriels de personnes qui se présentaient sous les identités de certains de ses gérants, et qui étaient envoyés à partir des adresses électronique suivantes :
- "lidl.serviceachat@gmail.com"
- "service-achat@groupe-lidl.com"
- "contact@groupe-lidl.com"
La mauvaise foi du défendeur découle aussi du fait que la marque LIDL est notoire et qu'il ne peut donc l'ignorer, ce qu'il ne fait pas puisqu'il envoie des mails se faisant passer pour un cadre commercial de la requérante N° 2.
B. Défendeur
Le défendeur n'a pas présenté de réponse.
6. Discussion et conclusions
A. Identité ou similitude prêtant à confusion
La Commission constate que le nom de domaine litigieux et la marque verbale LIDL sont semblables et prêtent à confusion. En effet, les ajoux de "groupe" et ".com" ne diminuent en rien l'impression d'ensemble dominée par la marque LIDL. Il convient tout d'abord de relever que cette marque est notoire en raison de son usage très général par le distributeur LIDL dans 26 pays et plus de 10'000 magasins. Par conséquent, ce qui frappera le lecteur à la première lecture du nom de domaine litigieux et ce qui restera en sa mémoire, ce sera précisément la marque des requérantes. En outre, l'abondance des magasins et l'activité internationale des requérantes entraîne que l'adjonction "groupe" souligne plutôt qu'il ne l'infirme le rattachement du nom de domaine litigieux à la sphère d'activité de LIDL INTERNATONAL et de LIDL France. Enfin, il est constant que le domaine de premier degré ".com" ne constitue pas un élément distinctif quelconque.
B. Droits ou intérêts légitimes
En l'absence d'une réponse et au vu des allégations de manœuvres délictueuses que reprend la plainte pénale diligentée, il est difficile d'imaginer que le défendeur puisse posséder des droits ou un intérêt légitime à la possession du nom de domaine litigieux.
Assurément, la bonne foi se présume. Cependant, lorsque des indices d'abus se multiplient à son détriment, un défendeur ne peut s'appuyer sur cette présomption. Or les requérantes recensent et produisent en annexes un grand nombre de mails envoyés probablement par le défendeur, mais prétendument au nom du service d'achat de l'entreprise requérante N° 2, à des entreprises tierces, et ceci en utilisant une adresse électronique qui incorpore le nom de domaine litigieux. Ces mails reprennent assez souvent une adresse électronique se terminant en <groupe-lidl.com>. Ils entretiennent ainsi la confusion auprès des entreprises tierces que susciterait déjà la mention du nom d'un cadre réel de LIDL France comme prétendu signataire du mail.
Il n'est pas possible dans ces conditions d'admettre un intérêt légitime du défendeur à la possession du nom de domaine litigieux.
D'ailleurs aucun site n'est actif sous le nom de domaine litigieux, ce qui constitue un autre indice de l'absence d'intérêt légitime. Certes, l'absence d'activité d'un site auquel se réfère le nom de domaine est le plus souvent le signe que le nom de domaine sera offert à la vente, par exemple à une entité qui y possèderait un plus grand intérêt. Toutefois, ce n'est pas le seul cas imaginable, et la présente cause montre que l'absence d'activité du site référencé peut s'expliquer par le fait qu'un défendeur désire simplement utiliser le nom de domaine dans des adresses électroniques qui s'avéreront trompeuses au vu de l'ensemble des circonstances.
C. Enregistrement et usage de mauvaise foi
La Commission administrative admet que l'enregistrement du nom de domaine est le fruit d'une opération préméditée. Il appert ainsi que l'enregistrement de ce nom de domaine fait partie d'un ensemble de manœuvres sans doute frauduleuses pour détourner un certain volume de biens que vendraient les entreprises tierces à crédit en se fiant à la solvabilité et la puissance financière du groupe LIDL, dont on rappelle qu'il réalise plus de 80 mia EUR de chiffre d'affaires annuel. De même qu'il ne peut donc être question d'admettre un intérêt légitime du défendeur à l'enregistrement ni à la possession du nom de domaine litigieux, du même coup il s'impose de considérer que cet enregistrement et cet usage du nom de domaine litigieux dans des adresses électroniques prêtant intentionnellement à confusion est advenu de mauvaise foi et que l'usage de ce nom de domaine est déloyal.
7. Décision
Par application des Principes directeurs et fondée sur ce qui précède, la Commission administrative ordonne le transfert du nom de domaine litigieux <groupe-lidl.com> aux requérantes.
Professeur François Dessemontet
Expert Unique
Le 4 avril 2016