WIPO

Centre d'arbitrage et de médiation de l'OMPI

DÉCISION DE LA COMMISSION ADMINISTRATIVE

Elite Licensing Company SA et Elite Model Management contre Computing Services & Security SA et SU Sens Unique SA

Litige n° D2010-0493

1. Les parties

Les Requérantes sont Elite Licensing Company SA de Fribourg, Suisse et Elite Model Management de Paris, France, représentés par le Cabinet Degret, France.

Les Défenderesses sont Computing Services & Security SA, de Thônex, Suisse et SU Sens Unique SA de Thônex, Suisse.

2. Nom de domaine et unité d'enregistrement

Le litige concerne le nom de domaine <elitedreams.com> (ci-après dénommé le “Nom de Domaine”).

L'unité d'enregistrement auprès de laquelle le Nom de Domaine est enregistré est Namebay.

3. Rappel de la procédure

Une plainte a été déposée par Elite Licensing Company SA et Elite Model Management auprès du Centre d'arbitrage et de médiation de l'Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) en date du 31 mars 2010.

En date du 1er avril 2010, le Centre a adressé une requête à l'unité d'enregistrement du nom de domaine litigieux, Namebay, aux fins de vérification des éléments du litige, tels que communiqués par les Requérantes. Le même jour, l'unité d'enregistrement a transmis sa vérification au Centre confirmant l'ensemble des données du litige.

Le Centre a vérifié que la plainte répond bien aux Principes directeurs régissant le Règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine (ci-après dénommés “Principes directeurs”), aux Règles d'application des Principes directeurs (ci-après dénommées les “Règles d'application”), et aux Règles supplémentaires de l'OMPI (ci-après dénommées les “Règles supplémentaires”) pour l'application des Principes directeurs précités.

Conformément aux paragraphes 2(a) et 4(a) des Règles d'application, le 12 avril 2010, une notification de la plainte valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée à la première des Défenderesses (soit à Computing Services & Security SA). Conformément au paragraphe 5(a) des Règles d'application, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 2 mai 2010. Le 30 avril 2010, le Centre a avisé toutes les parties intéressées dans ce litige que le nouveau délai pour faire parvenir une réponse était le 7 mai 2010. SU Sens Unique SA a fait parvenir sa réponse le 7 mai 2010 (la question de la qualité pour défendre de SU Sens Unique SA est traitée ci-dessous à la fin du présent point 3).

Le 12 mai 2010, les Requérantes ont déposé au Centre des observations additionnelles concernant ce litige.

En date du 26 mai 2010, le Centre nommait dans le présent litige comme expert unique Jacques de Werra. La Commission administrative constate qu'elle a été constituée conformément aux Principes directeurs et aux Règles d'application. La Commission administrative a adressé au Centre une déclaration d'acceptation et une déclaration d'impartialité et d'indépendance, conformément au paragraphe 7 des Règles d'application.

Dans leur plainte, les Requérantes indiquent que la société Computing Services And Security SA ne constitue pas une entité juridique existant en Suisse. Toutefois, comme cela résulte des observations additionnelles des Requérantes (dont l'admissibilité dans la procédure sera traitée ci-dessous sous paragraphe 6), la raison sociale exacte de la société est Computing Services & Security SA, et pas Computing Services And Security SA, de sorte que cet argument tombe à faux (voir aussi la note de bas de page 3 ci-dessous). En outre, comme l'indique SU Sens Unique SA, dans sa réponse du 7 mai 2010, il apparaît que la société Computing Services & Security SA était son fournisseur de services informatiques et avait enregistré le Nom de Domaine en cette qualité. Il apparaît au surplus que Computing Services & Security SA a cessé ses activités suite à une procédure de faillite (comme les Requérantes le notent dans leurs observations additionnelles du 12 mai 2010), et que SU Sens Unique SA a déposé une demande de transfert du Nom de Domaine en sa faveur en date du 12 août 2009 qui est encore pendante. Il n'est toutefois pas clairement établi si l'enregistrement du Nom de Domaine qui avait été effectué par Computing Services & Security SA l'avait été en tant que fiduciaire pour le compte de SU Sens Unique SA ou en son propre nom. En tout état, dès lors que les coordonnées téléphoniques et de courrier électronique concernant le Nom de Domaine relatives à Computing Services & Security SA sont identiques à celles de SU Sens Unique SA, la Commission administrative considère que Computing Services & Security SA et SU Sens Unique SA doivent être considérées comme Défenderesses dans la présente procédure, étant noté que Computing Services & Security SA est en procédure de liquidation suite au jugement de faillite prononcé à son encontre le 25 mars 2009. Ainsi, la Commission administrative est satisfaite que SU Sens Unique SA est bien légitimée comme deuxième Défenderesse dans le cadre de la présente procédure et qu'il convient dès lors de la traiter comme une partie à celle-ci.

4. Les faits

Les Requérantes appartiennent au même groupe de sociétés, à savoir le Groupe Elite. Fondé en France en 1972, le Groupe Elite opère une agence de mannequins.

A partir du milieu des années 1990, le Groupe Elite a commencé à étendre ses activités vers des domaines connexes à son activité d'origine, à savoir notamment les domaines de la mode et des soins de beauté. En 1998, l'exploitation de ces nouvelles activités a été confiée à la première des sociétés Requérantes (soit Elite Licensing Company SA).

Désormais, les activités du Groupe Elite se divisent en trois secteurs : ELITE Model Management (qui exploite un réseau mondial d'agences de mannequins, constitué de près de quarante établissements sur les cinq continents), ELITE Licensing (qui exploite des produits dérivés portant la marque ELITE) et ELITE Model Look (qui organise un concours international de mannequins, organisé dans plus de 50 pays, lequel accueille chaque année plus de 350 000 candidates, concours qui constitue actuellement et qui a toujours constitué par le passé le principal mode de découverte de nouveaux mannequins “vedettes”).

Les Requérantes sont notamment titulaires des marques suivantes (“les Marques”)1:

- Marque bénéluxienne ELITE n° 456.109, enregistrée avec effet au 25 novembre 1988 en classes 16, 25, 35 et 41;

- Marque française semi-figurative (éléments verbaux et graphiques) ELITE – ELITE MODEL MANAGEMENT n° 1.662.492, enregistrée depuis le 25 septembre 1978 en classes 35, 41 et 42;

- Marque internationale semi-figurative (éléments verbaux et graphiques) ELITE – ELITE MODEL MANAGEMENT n° 442.385, enregistrée depuis le
6 décembre 1978 en classes 35, 41 et 42 et désignant le Benelux, l'Espagne et l'Italie;

- Marque internationale semi-figurative (éléments verbaux et graphiques) ELITE – ELITE MODEL MANAGEMENT n° 576.188, enregistrée depuis le 22 août 1991 en classes 35, 41 et 42 et désignant l'Autriche, la Bosnie-Herzégovine, la République tchèque, la Croatie, la Hongrie, le Monténégro, Monaco, le Portugal, la Russie, la Serbie, la Slovénie et la Slovaquie;

- Marque communautaire semi-figurative (éléments verbaux et graphiques) ELITE MODEL FASHION n° 345.926, enregistrée avec effets au 7 août 1996 en classes 3, 14, 16, 18, 25, 28 et 40.

Le groupe Elite exploite en outre différents sites web en lien avec ses activités (soit notamment: “www.elitmodelworld.com”, “www.elitemodel.fr”, “www.elitemodellook.ch”, “www.elitemodel-eyewear.com”, “www.elite-models-fashion.com”, et “www.elitemodelwatches.com”).

Le Nom de Domaine a été enregistré le 20 octobre 2004. Il est exploité par la seconde Défenderesse en lien avec des services d'agence d'escortes offrant “un service exclusif et personnalisé de haut standing et d'une absolue discrétion” (selon les indications figurant sur le site associé au Nom de Domaine), le site comportant des photographies sexuellement explicites quant à la nature des services offerts par les escortes.

5. Argumentation des parties

A. Requérantes

Les Requérantes indiquent que les Marques ont toutes été déposées avant le 20 octobre 2004, date de réservation du Nom de Domaine, et que ce dernier est similaire aux Marques, étant noté que même si les Marques des Requérantes sont semi-figuratives, le terme arbitraire et distinctif ELITE constitue leur élément essentiel et dominant qui est repris dans le Nom de Domaine en position d'attaque.

Par ailleurs, l'adjonction du mot “dream” aux Marques dans le Nom de Domaine, ne saurait faire disparaître la similitude qui existe entre ce dernier et les Marques. En effet, le mot anglais “dream” (“rêve” en français) ne fait que traduire ce que le public associe aux Marques des Requérantes, soit le rêve de toute jeune fille d'être mannequin.

Dès lors, la présence du mot “dream” ne saurait faire échec à la similitude existant entre les Marques antérieures des Requérantes et le Nom de Domaine. Cela a d'ailleurs déjà été décidé par une commission administrative dans Playboy Enterprises contre Movie Name Company, Litige OMPI No. D2001-1201 relatif, entre autres, aux noms de domaine <playboydream.com> et <dreamplayboy.com>. En conséquence, les signes en présence sont visuellement très similaires et, phonétiquement et intellectuellement, absolument identiques.

Les Requérantes indiquent ensuite que le Défendeur2 n'a aucun droit ni intérêt légitime sur le Nom de Domaine car ce dernier n'est pas connu sous le Nom de Domaine. De surcroît, le Défendeur ne détient aucun droit sur tout ou partie de la dénomination correspondant au Nom de Domaine litigieux. Le Défendeur ne détient en effet aucune marque correspondant au Nom de Domaine et il n'existe aucune société en Suisse dont la dénomination comprendrait les vocables “elite dreams” ou “elitedreams”. Les Requérantes n'ont en outre pas non plus donné en licence ou autorisé d'une quelconque manière le Défendeur à faire usage du Nom de Domaine. Enfin, le Défendeur ne se livre ni à un usage non commercial légitime, ni à un usage loyal du Nom de Domaine et, de surcroît, l'usage qui est fait du Nom de Domaine l'est dans le but de détourner les internautes à des fins lucratives, en créant une confusion.

Selon les Requérantes, le Défendeur tire en effet indûment avantage de la notoriété des Requérantes, notamment pour promouvoir des activités dégradantes et de nature à nuire à la réputation des Requérantes, en créant une association dans l'esprit du public entre le Défendeur et les Requérantes. Par ailleurs, les Requérantes sont notoirement connues pour avoir les plus belles femmes du monde sous contrat de sorte qu'il est évidemment tentant pour ceux qui fournissent des services d'“accompagnement de personnes en société” de chercher à bénéficier indûment de cette image, afin de tirer un avantage économique de la renommée des Requérantes. L'emploi par le Défendeur d'un vocabulaire qui fait directement allusion aux Requérantes, comme le fait par exemple de qualifier les escortes de “modèles” ou de “mannequins”, dans un domaine où l'utilisation de tels mots n'est pas chose courante, constitue une preuve supplémentaire de la volonté du Défendeur de se placer dans le sillage des Requérantes pour tirer indûment profit de leur notoriété.

Selon les Requérantes, le Nom de Domaine n'a ainsi été réservé et n'est exploité qu'en raison de la notoriété des droits des Requérantes (lesquels sont nécessairement connus du Défendeur, en raison précisément de leur notoriété et comme en atteste l'usage du logo sur le site exploité en lien avec le Nom de Domaine, qui est quasiment identique au logo notoirement connu des Requérantes), que dans le but de détourner les internautes à des fins commerciales et, enfin, que pour se livrer à des activités dégradantes.

En utilisant le Nom de Domaine, le Défendeur a sciemment tenté d'attirer les internautes vers un site web lui appartenant, à des fins lucratives, et ce en créant un risque de confusion avec les Marques des Requérantes concernant la source, le commanditaire, l'affiliation ou l'approbation du site web du Défendeur et des services qui y sont proposés.

De plus, le fait, pour le Défendeur, d'avoir enregistré un nom de domaine correspondant à une marque notoirement connue, auquel s'ajoute l'exploitation, par le Défendeur, de son activité sous un logo qui est quasiment identique au logo notoirement connu des Requérantes, démontrent clairement la mauvaise foi du Défendeur.

L'enregistrement et l'exploitation du Nom de Domaine perturbent les opérations commerciales des Requérantes, puisque les internautes qui saisissent le Nom de Domaine se voient détournés des sites des Requérantes, les activités dégradantes exercées sous le nom de domaine litigieux et en utilisant le logo, lequel est quasiment identique au logo notoirement connu des Requérantes, galvaude l'image de marque des Requérantes (image qui a été forgée au prix de longs et coûteux investissements publicitaires, commerciaux et financiers) et risque d'endommager irrémédiablement la réputation des Requérantes.

Les Requérantes indiquent en outre que le Défendeur a sciemment fourni des informations incorrectes concernant sont identité, lorsqu'il a renseigné la base de données WhoIs du Nom de Domaine au motif qu'aucune société dénommée “Computing Services and Security SA” ou plus simplement “Computing Services and Security” n'est immatriculée auprès du registre des sociétés suisse. Or, le fait de renseigner la base de données WhoIs avec une fausse identité constitue un indice de la mauvaise foi du Défendeur3.

B. Défenderesses

La Réponse a été déposée au nom de SU Sens Unique SA, la deuxième Défenderesse qui a entrepris les démarches en vue de devenir titulaire du Nom de Domaine suite à la cessation des activités de Computing Services & Security SA, et doit être admise comme partie à la procédure (comme exposé au paragraphe 3 in fine ci-dessus).

SU Sens Unique SA argumente qu'elle exploite légitimement et en toute légalité une agence d'escortes à Genève depuis 2004 qui bénéficierait d'une excellente réputation. Elle justifie le choix du terme “elite” en indiquant qu'elle s'adresse à une clientèle “élitique” (sic), à laquelle sont offerts un service de rêve (soit service limousine, accueil privilégié dans les grands hôtels, discothèques, restaurants et lieux d'exception en Suisse romande), de sorte que ces termes ont été choisis de bonne foi sans intention de bénéficier d'une quelconque notoriété. Elle indique en outre qu'elle exploite d'autres noms de domaine <elitedreams.ch> et <elite-dreams.ch>.

SU Sens Unique SA indique que son agence existe depuis 6 ans et que si l'exploitation du Nom de Domaine avait portée atteinte aux droits des Requérantes, celles-ci se seraient rendu compte plus tôt de l'existence de ses activités ou auraient été informées par leurs clientes concernant l'existence du Nom de Domaine. SU Sens Unique SA prétend en outre qu'il n'existe aucun risque de confusion entre les activités respectives des parties en indiquant que les personnes recherchant les services respectifs des parties particulièrement en utilisant des moteurs de recherche en ligne ne pourront pas se tromper ni être induites en erreur dans le cadre de ces recherches. En effet, ces personnes sauront clairement distinguer entre les services d'agence de mannequins offerts par les Requérantes et les services d'escortes offerts par la deuxième Défenderesse.

SU Sens Unique SA nie par ailleurs l'existence d'une similitude entre le graphisme utilisé pour le terme “elite” sur le site associé au Nom de domaine et les éléments graphiques des Marques en indiquant que les couleurs respectives sont différentes. Elle admet toutefois, tout en insistant sur sa bonne foi, l'existence de similitudes entre les logos respectifs, et s'engage à changer son logo en prenant un graphisme totalement différent.

6. Admissibilité des observations additionnelles des Requérantes

Le Centre a soumis à l'appréciation de la Commission administrative la question de l'admissibilité des observations additionnelles faites par les Requérantes le 12 mai 2010.

Les principes applicables en matière d'admissibilité d'observations additionnelles ont été posés dans The E.W. Scripps Company contre Sinologic Industries, Litige OMPI No. D2003-0447. Selon ces principes, des observations additionnelles ne sont admissibles que dans des circonstances exceptionnelles, particulièrement lorsqu'une partie ne pouvait pas raisonnablement avoir connaissance de l'existence ou de la pertinence de certains éléments en temps utile de sorte à pouvoir les faire valoir dans la procédure.

Ces principes sont basés sur le fondement des Principes directeurs et des Règles d'application qui visent à mettre en œuvre une procédure rapide et peu onéreuse, dans le cadre de laquelle chaque partie a le droit de faire une seule soumission. Or, la soumission d'observations additionnelles par une partie risque de provoquer la soumission de nouvelles observations additionnelles par l'autre partie, ce qui mine le principe de l'échange unique de soumissions entre les parties qui est au cœur du système voulu par les Principes directeurs et les Règles d'application.

En l'espèce, la Commission administrative relève que les observations additionnelles soumises par les Requérantes traitent de deux aspects, un aspect de procédure relatif à la qualité pour défendre de SU Sens Unique SA que les Requérantes contestent, et un aspect matériel, qui consiste dans une réplique aux arguments de fond invoqués par SU Sens Unique SA dans sa Réponse. Compte tenu des principes rappelés ci-dessus concernant l'admissibilité des observations additionnelles, la Commission administrative considère que seules celles relatives à l'aspect procédural sont admissibles dans la mesure où les Requérantes ne pouvaient pas raisonnablement avoir connaissance en temps utile de l'existence des éléments factuels relatifs à la cessation des activités de la première des Défenderesses et aux démarches de reprise du Nom de Domaine par la seconde des Défenderesses (ces questions ayant été traitées sous le point 3 ci-dessus). Par contre, il n'y a pas lieu de permettre aux Requérantes de revenir sur le fond du litige dans le cadre de telles observations additionnelles, les Requérantes étant requises selon les Principes directeurs de faire valoir leurs arguments dans le cadre de la plainte sauf circonstances exceptionnelles qui ne peuvent être retenues en l'espèce.

7. Discussion et conclusions

Conformément au paragraphe 4(a) des Principes directeurs, la Commission administrative doit déterminer si sont réunies les trois conditions posées par celui-ci, à savoir:

(i) si le Nom de Domaine est identique à une marque de produit ou de service appartenant au Requérant ou suffisamment proche pour engendrer la confusion ; et

(ii) si le Défendeur n'a pas un droit ou un intérêt légitime à l'utilisation du Nom de Domaine; et

(iii) si le Défendeur a enregistré et utilise le Nom de Domaine avec mauvaise foi.

A. Identité ou similitude prêtant à confusion

La Commission administrative constate tout d'abord que les Requérantes sont titulaires des Marques qui comportent le terme “elite” comme élément distinctif prépondérant, voire comme seul élément (pour la marque bénéluxienne semi-figurative ELITE n° 456.109, enregistrée avec effet au 25 novembre 1988 en classes 16, 25, 35 et 41).

La Commission administrative relève ensuite que le Nom de Domaine reproduit le terme “elite” accompagné du terme “dreams”. L'adjonction de ce dernier terme ne permet toutefois pas de supprimer l'existence d'une similitude prêtant à confusion entre les Marques (particulièrement la marque luxembourgeoise semi-figurative ELITE) et le Nom de Domaine. Voir par analogie, Playboy Enterprises contre Movie Name Company, Litige OMPI No. D2001-1201.

Dans ces circonstances, la Commission administrative considère que la première condition du paragraphe 4(a)(i) des Principes directeurs est remplie.

B. Droits ou légitimes intérêts

Si la charge de la preuve de l'absence de droits ou intérêts légitimes du défendeur incombe au requérant, les commissions administratives considèrent qu'il est difficile de prouver un fait négatif. Il est donc généralement admis que le requérant doit établir prima facie que le défendeur n'a pas de droit ni d'intérêt légitime sur le nom de domaine litigieux. Il incombe ensuite au défendeur d'établir le contraire. S'il n'y parvient pas, les affirmations du requérant sont réputées exactes. Voir Denios Sarl contre Telemediatique France, Litige OMPI No. D2007-0698.

La Commission administrative relève tout d'abord que, contrairement à ce que laisse entendre la deuxième Défenderesse, le fait que les Requérantes n'aient pas réagi plus tôt à l'encontre de l'enregistrement et de l'utilisation du Nom de Domaine en lien avec les services offerts sur le site associé à ce dernier ne permetde conclure à l'absence de violation des droits des Requérantes selon les principes applicables à la présente procédure. En effet, il est acquis que le simple écoulement du temps ne permet pas en soi de conduire au rejet d'une plainte et ne peut dès lors pas être retenu contre les Requérantes. Voir The Jennifer Lopez Foundation contre Jeremiah Tieman, Jennifer Lopez Net, Jennifer Lopez, Vaca Systems LLC, Litige OMPI No. D2009-0057.

La Commission administrative relève par ailleurs que la deuxième Défenderesse a admis la forte similitude graphique du terme “elite” figurant sur son site en comparaison avec les Marques des Requérantes. Elle relève en outre que cette dernière n'a pas indiqué qu'elle n'avait pas connaissance des Marques ni des services offerts par les Requérantes au moment de l'enregistrement du Nom de Domaine.

Dans cette perspective, la Commission administrative relève que l'utilisation du terme “elite” dans le Nom de Domaine ne peut pas être considérée comme ayant été faite en référence à la signification de ce terme, soit à la clientèle supposée haut de gamme de la deuxième Défenderesse, mais bien comme référence aux Marques bien connues des Requérantes. Voir, par analogie, Elite Licensing Company S.A. and Elite Model Management contre Lorena Saffarano, Litige OMPI No. D2008-1488, concernant les Requérantes et le nom de domaine <agenciaelite.com> (dans laquelle la commission administrative a nié l'existence de droit et d'intérêts légitimes de la défenderesse qui utilisait aussi le nom de domaine litigieux en lien avec des services d'escortes de luxe). Voir aussi Prada S.A. contre Whois as N/A, Litige OMPI No. D2008-0135 (utilisation d'un nom de domaine incorporant la marque bien connue PRADA en lien avec des services d'escortes ne créant pas de droit ou d'intérêts légitimes du titulaire du nom de domaine) et V&S Vin&Sprit AB contre Coreswood Limited, Litige OMPI No. D2006-059 (rendu dans des circonstances comparables à propos de la marque ABSOLUT).

La Commission administrative relève à cet égard que la renommée et la réputation des Marques des Requérantes, et particulièrement du terme “elite” ont déjà été admises dans d'autres litiges tranchés en faveur des Requérantes. Voir, p.ex., Elite Model Management, Elite Licensing Company S.A. contre WWW Enterprise Inc. Kerryweb Enterprise, Inc., Litige OMPI No. D2007-1216.

La Commission administrative note par ailleurs que même si les services respectifs offerts par les parties au litige sont clairement distincts, il n'en demeure pas moins que ceux offerts par la deuxième Défenderesse utilisent des désignations propres à ceux des Requérantes (notamment les termes d'agence et de mannequins) qui sont utilisés sur le site associé au Nom de Domaine, ce qui ne peut que conduire à des rapprochements indus entre les parties. Voir Elite Licensing Company S.A. and Elite Model Management contre Lorena Saffarano, Litige OMPI No. D2008-1488.

Dans ces circonstances, la Commission administrative estime que les Défenderesses, et particulièrement la seconde Défenderesse, n'ont pas de droit ni d'intérêt légitime sur le Nom de Domaine et que, partant, la seconde condition figurant au paragraphe 4(a)(ii) des Principes directeurs est également remplie.

C. Enregistrement et usage de mauvaise foi

Aux fins du paragraphe 4(a)(iii) des Principes directeurs, la preuve de ce que le nom de domaine a été enregistré et est utilisé de mauvaise foi peut être constituée, en particulier, pour autant que leur réalité soit constatée par la commission administrative, par les circonstances ci-après (telles que figurant au paragraphe 4(b) des Principes directeurs):

(i) les faits montrent que le titulaire du nom de domaine a enregistré ou acquis le nom de domaine essentiellement aux fins de vendre, de louer ou de céder d'une autre manière l'enregistrement de ce nom de domaine au requérant qui est le propriétaire de la marque de produits ou de services, ou à un concurrent de celui-ci, à titre onéreux et pour un prix excédant le montant des frais que vous pouvez prouver avoir déboursé en rapport direct avec ce nom de domaine ;

(ii) le titulaire du nom de domaine a enregistré le nom de domaine en vue d'empêcher le propriétaire de la marque de produits ou de services de reprendre sa marque sous forme de nom de domaine, et il est coutumier d'une telle pratique ;

(iii) le titulaire du nom de domaine a enregistré le nom de domaine essentiellement en vue de perturber les opérations commerciales d'un concurrent ; ou

(iv) en utilisant ce nom de domaine, le titulaire du nom de domaine a sciemment tenté d'attirer, à des fins lucratives, les utilisateurs de l'Internet sur un site Web ou autre espace en ligne lui appartenant, en créant une probabilité de confusion avec la marque du requérant en ce qui concerne la source, le commanditaire, l'affiliation ou l'approbation de son site ou espace Web ou d'un produit ou service qui y est proposé.

Pour ce qui concerne l'enregistrement de mauvaise foi du Nom de Domaine, la Commission administrative rappelle qu'un tel enregistrement peut être admis en cas d'enregistrement d'un nom de domaine composé de termes provenant du langage commun, comme c'est le cas en l'espèce, lorsque le titulaire du nom de domaine qui a choisi ces termes avait à l'esprit le requérant, la marque ou les produits de ce dernier au moment de l'enregistrement du nom de domaine en cause. Voir notamment World Natural Bodybuilding Federation, Inc. contre Daniel Jones TheDotCafe, Litige OMPI No. D2008-0642.

En l'occurrence, la Commission administrative considère sur la base des faits de la cause et des explications respectives fournies par les parties que le Nom de Domaine a été enregistré de mauvaise foi. En effet, l'ensemble des circonstances du cas d'espèce, et notamment l'admission par la seconde Défenderesse de la similitude graphique du terme “elite” tel que figurant en tête du site associé au Nom de Domaine d'une part et les Marques des Requérantes d'autre part ainsi que le rapprochement terminologique des termes décrivant les services offerts sur ce site par rapport à ceux des Requérantes, fait apparaître à la Commission administrative que le choix d'inclure le terme “ elite ” dans le Nom de Domaine par les Défenderesses a été opéré dans le but de se rapprocher des Requérantes et de bénéficier de l'image de prestige dont jouissent ces dernières.

La Commission administrative constate de plus que les Requérantes ont démontré les faits - qui n'ont pas été contestés par les Défenderesses - permettant de considérer que les Défenderesses ne pouvaient pas ignorer l'existence des Marques au moment de l'enregistrement du Nom de Domaine, de sorte que la Commission administrative peut en conclure que le Nom de Domaine a été enregistré de mauvaise foi par les Défenderesses.

La Commission administrative est de plus poussée à admettre que les Défenderesses utilisent le Nom de Domaine de mauvaise foi, en tentant d'attirer, à des fins lucratives, les utilisateurs de l'Internet sur un site web ou autre espace en ligne leur appartenant, en créant une probabilité de confusion avec les marque des Requérantes en ce qui concerne la source, le commanditaire, l'affiliation ou l'approbation de leur site ou espace web ou d'un produit ou service qui y est proposé au sens du paragraphe 4(b)(iv) des Principes directeurs. Voir déjà Elite Licensing Company S.A. and Elite Model Managementcontre Lorena Saffarano, Litige OMPI No. D2008-1488.

De plus, le fait que les Marques reconnues des Requérantes soient utilisées en lien avec des contenus d'ordre sexuel constitue un signe additionnel de mauvaise foi. Voir V&S Vin&Sprit AB contre Coreswood Limited, Litige OMPI No. D2006-059, Deutsche Bank Aktiengesellschaft contre New York TV Tickets Inc., Litige OMPI No. 2001-1314 et Benetton Group SpA contre Domain for Sale, Litige OMPI No. D2001-1498.

Dans ces circonstances, la Commission administrative conclut que les Défenderesses ont enregistré et utilisent de mauvaise foi le Nom de Domaine et que la troisième condition figurant au paragraphe 4(a)(iii) des Principes directeurs est ainsi remplie.

8. Décision

Pour les motifs ci-dessus exposés, la Commission administrative décide que le Nom de Domaine enregistré par les Défenderesses est similaire aux Marques dont les Requérantes sont titulaires, que les Défenderesses n'ont aucun droit ni intérêt légitime sur le Nom de Domaine, et que ce dernier a été enregistré et est utilisé de mauvaise foi par les Défenderesses.

Conformément au principe des paragraphes 4(i) des Principes directeurs et 15 des Règles d'application, la Commission administrative ordonne le transfert à la première des Requérantes (soit à Elite Licensing Company SA) du nom de domaine <elitedreams.com>.


Jacques de Werra
Expert Unique

Le 8 juin 2010


1 Etant relevé que ces marques sont la propriété soit de l'une soit de l'autre des Requérantes sans qu'il ne soit nécessaire de faire la distinction quant à la titularité respective sur ces marques dans le cadre de la présente procédure.

2 Les Requérantes ayant nié la qualité pour défendre de la seconde Défenderesse, elles dirigent leur action contre la première Défenderesse en se référant au terme de Défendeur qui est conservé ici; la question de la qualité pour défendre de la seconde Défenderesse a été traitée au paragraphe 3 ci-dessus in fine.

3 Il ressort des observations additionnelles déposées par les Requérantes que la raison sociale exacte de la première Défenderesse est Computing Services & Security SA et pas Computing Services And Security SA, de sorte que ce grief tombe à faux et qu'il n'est ainsi pas nécessaire pour la Commission administrative de le traiter.