WIPO

Centre d'arbitrage et de médiation de l'OMPI

DÉCISION DE LA COMMISSION ADMINISTRATIVE

CELIO France, SAS contre Monsieur Ken Hocini

Litige n° D2010-0444

1. Les parties

Le Requérant est CELIO France, SAS, Saint Ouen, France, représenté par le Cabinet Mandel Mergui, France.

Le Défendeur est Monsieur Ken Hocini, Boulogne, France.

2. Nom de domaine et unité d'enregistrement

Le litige concerne le nom de domaine <célio.com> [xn--clio-bpa.com].

L'unité d'enregistrement auprès de laquelle le nom de domaine est enregistré est 1&1 Internet AG.

3. Rappel de la procédure

Une plainte a été déposée par CELIO France, SAS auprès du Centre d'arbitrage et de médiation de l'Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) en date du 23 mars 2010.

En date du 24 mars 2010, le Centre a adressé une requête à l'unité d'enregistrement du nom de domaine litigieux, 1&1 Internet AG, aux fins de vérification des éléments du litige, tels que communiqués par le Requérant. Le 26 mars 2010, l'unité d'enregistrement a transmis sa vérification au Centre confirmant l'ensemble des données du litige.

Le Centre a vérifié que la plainte répond bien aux Principes directeurs régissant le Règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine (ci-après dénommés “Principes directeurs”), aux Règles d'application des Principes directeurs (ci-après dénommées les “Règles d'application”), et aux Règles supplémentaires de l'OMPI (ci-après dénommées les “Règles supplémentaires”) pour l'application des Principes directeurs précités.

Conformément aux paragraphes 2(a) et 4(a) des Règles d'application, le 30 mars 2010, une notification de la plainte valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au Défendeur. Conformément au paragraphe 5(a) des Règles d'application, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 19 avril 2010. Le Défendeur a fait parvenir sa réponse le 12 avril 2010.

En date du 19 avril 2010, le Centre nommait dans le présent litige comme expert unique Alexandre Nappey. La Commission administrative constate qu'elle a été constituée conformément aux Principes directeurs et aux Règles d'application. La Commission administrative a adressé au Centre une déclaration d'acceptation et une déclaration d'impartialité et d'indépendance, conformément au paragraphe 7 des Règles d'application.

4. Les faits

Le Requérant est CELIO France, une société par actions simplifiée de droit français, immatriculée au Registre du Commerce de Bobigny le 16 mars 1988. CELIO France est un acteur important sur le marché du prêt à porter masculin depuis plus de 20 ans, réalisant un chiffre d'affaires de près de 500 millions d'euros en France, au travers d'un réseau de plus de 400 boutiques en franchise ou succursale.

Le Requérant est titulaire de marques enregistrées en France et au plan communautaire, parmi lesquelles figurent les marques suivantes:

- Marque nominale française CELIO n° 1 584 844, enregistrée le 12 novembre 1987, dûment renouvelée et couvrant des produits et services dans les classes 18 et 25;

- Marque communautaire figurative CELIO n° 6069678, enregistrée le 4 juillet 2007 pour des produits et services dans les classes 3, 9, 14, 18, 24 et 25;

Le Requérant indique également être titulaire des droits suivants:

- Enseigne CELIO, dont l'usage est revendiqué depuis 1987;

- Nom de domaine <celio.com>, enregistré le 22 décembre 2005.

Le nom de domaine <celio.com> est exploité pour activer le site internet à partir duquel le Requérant présente ses activités et fait la promotion des collections de prêt à porter masculin présentes dans ses boutiques.

Le Défendeur a enregistré le nom de domaine <célio.com> le 3 décembre 2009.

Depuis son enregistrement, le nom de domaine en litige active une page en construction et comporte un lien hypertexte vers un formulaire de contact.

C'est dans ces circonstances que le Centre a été saisi du présent litige.

5. Argumentation des parties

A. Requérant

Le Requérant soutient que le nom de domaine <célio.com> est identique à ses droits antérieurs tant sur le plan visuel que phonétique et conceptuel. La seule différence réside dans la présence d'un accent aigu sur la lettre “e”, sans qu'il y ait aucune conséquence sur le risque de confusion engendré entre les deux signes.

Par ailleurs, le Requérant estime que le Défendeur n'a aucun droit ou intérêt légitime sur le nom de domaine qu'il n'exploite pas. Aucune offre de produits ou de services n'est réalisée par le Défendeur sous la dénomination “Célio”.

Le Requérant précise que le seul but du Défendeur est de monnayer le nom de domaine, qu'il a d'ailleurs mis en vente sur une célèbre plate-forme de courtage en ligne, tout en démarchant à plusieurs reprises des salariés du Requérant par courrier électronique.

Le Requérant sollicite le transfert du nom de domaine à son profit.

B. Défendeur

Le Défendeur a fait parvenir ses arguments le 12 avril 2010, dans le délai qui lui avait été imparti par le Centre.

Il conteste l'ensemble des allégations du Requérant et soutient tout d'abord que la dénomination “Célio” recouvre plusieurs acceptions et cite notamment le patronyme d'une famille aristocrate romaine de l'Antiquité, le prénom d'un joueur de football brésilien ou encore le diminutif du nom d'un examen médical, la coelioscopie.

Il précise encore qu'une autre société connue dans le domaine de l'ameublement exploite la dénomination “Célio”, notamment sur internet (<celio.fr>) et que ses droits sur le nom de domaine sont antérieurs à ceux du Requérant puisque le nom <celio.fr> a été déposé en 1997.

Selon le Défendeur, la présence d'un accent aigu sur le “e” dans le nom de domaine en litige constitue une différence tout à fait significative et de nature à écarter tout risque de confusion entre celui-ci et les droits du Requérant.

S'agissant d'un nom commun, il apparaît au Défendeur que l'enregistrement du terme “célio” en vue de développer un site internet ou simplement d'en tirer un bénéfice commercial est parfaitement licite.

Il invoque d'ailleurs l'existence de pourparlers avec la société d'ameublement CÉLIO en vue de la revente du nom de domaine litigieux.

Enfin, le Défendeur conteste les accusations de mauvaise foi formulées par le Requérant dans sa plainte et indique que les pourparlers entamés avec différents acquéreurs ou partenaires, dont le Requérant, justifient que le nom de domaine soit resté en construction depuis son enregistrement. Aucun montant n'a été proposé par le Défendeur pour la cession du nom de domaine litigieux.

Le Défendeur conclut au rejet de la demande.

6. Discussion et conclusions

Selon le paragraphe 4(a) des Principes directeurs, pour obtenir le transfert du nom de domaine, le Requérant doit prouver que chacun des trois éléments suivants est satisfait:

- le nom de domaine est identique ou semblable au point de prêter à confusion, à une marque de produits ou de services sur laquelle le Requérant a des droits; et

- le Défendeur n'a aucun droit sur le nom de domaine ni aucun intérêt légitime qui s'y attache; et

- le nom de domaine a été enregistré et est utilisé de mauvaise foi.

A. Identité ou similitude prêtant à confusion

Le Requérant justifie détenir des droits sur la marque CELIO, en vigueur notamment en France, où le Défendeur est également domicilié.

Le Requérant soutient que le nom de domaine est identique ou à tout le moins très fortement similaire à sa marque, ce que conteste le Défendeur qui estime que l'ajout d'un accent aigu sur la lettre “e” permet au nom de domaine litigieux de se distinguer clairement des droits du Requérant.

L'Expert estime quant à lui que le nom de domaine <célio.com> reproduit intégralement la marque du Requérant à laquelle sont simplement ajoutés un accent aigu sur la lettre “e” et l'extension “.com”.

S'agissant de la première différence, elle est mineure dans la mesure où l'aspect visuel du nom de domaine diffère très peu de la marque du Requérant.

Sur le plan phonétique surtout, l'Expert relève une stricte identité entre la marque CELIO et le nom de domaine objet du litige.

Le fait que le nom de domaine comporte un caractère non ASCII (la lettre “é”) est sans aucune influence sur le risque de confusion engendré par le nom de domaine avec la marque du Requérant.

D'ailleurs la jurisprudence applicable est unanime sur ce point. Voir notamment les décisions rendues dans les affaires suivantes: Fortuneo v. Johann Guinebert, Litige OMPI No. D2001-0781 (<fortunéo.com>, transfert): “In this case, the Panel is of the opinion that the second-level part of the Domain Name, is almost identical to the Complainant's trademark FORTUNEO, if not identical. The only disparity between the two terms being the fact that in the Domain Name, the Respondent replaced the “e” in the Complainant's “Fortuneo” trademark by an “é”. The Panel finds that the disputed Domain Name is likely to attract customers of the Complainant seeking to access the Complainant's services or information relating thereto; this fact alone is sufficient to conclude that the Domain Name is confusingly similar to Complainant's FORTUNEO trademark.”

Confédération Nationale Du Crédit Mutuel v. Equitron, Litige OMPI No. D2007-0622 (<créditmutuel.net>, transfert) :

“The domain name consists of words that are identical to the Complainant's trademark CREDIT MUTUEL except that the domain name contains the non-ASCII character “é” in place of the simple ASCII character “e”.

This Panel accepts the arguments of the Complainant, set out above in relation to the similarity of the domain name and the Complainant's trademark. The use of the non-ASCII character “é” in place of the simple ASCII character “e” has little or no significance in this case, either technical or otherwise. The difference is minute and as the Complainant has pointed out most web browsers support IDN characters.”

Voir encore pour une application récente: France Maternité v. Adlatus-of-the Day, Litige OMPI No. D2010-0239 (<bébé9.com>, transfert)

L'Expert note par ailleurs que le Défendeur reconnaît avoir cherché à revendre le nom de domaine litigieux dès son enregistrement. Pour cela, il a pris contact notamment avec des salariés du Requérant, ce qui démontre qu'il estimait lui-même que le nom de domaine était susceptible d'intéresser le Requérant. Un tel intérêt ne peut s'expliquer que par la forte similitude qui existe entre le nom de domaine <célio.com> et la marque du Requérant.

L'Expert relève que la dénomination “Célio” n'est pas un terme du langage courant, qu'elle n'est ni générique, ni descriptive. Et que s'il n'est pas exclu qu'elle soit utilisée dans le langage médical comme l'abréviation du mot “coelioscopie”, ce qui n'est toutefois pas démontré par le Défendeur, elle ne saurait l'être sous la forme retenue par le Défendeur dans le dépôt du nom de domaine litigieux.

Enfin, le fait que la dénomination “Célio” soit par ailleurs un prénom ou un patronyme ne remet aucunement en cause le fait qu'elle soit similaire au point de prêter à confusion avec les droits antérieurs du Requérant, en particulier la marque CELIO.

De sorte, que l'Expert conclut que le nom de domaine <célio.com> est similaire au point de prêter à confusion avec une ou plusieurs marques de produits ou de services sur laquelle le Requérant a des droits, conformément au paragraphe 4(a)(i) des Principes directeurs.

B. Droits ou intérêt légitime

Le Requérant affirme ensuite que le Défendeur n'a aucun droit sur le nom de domaine, ni d'intérêt légitime qui s'y attache.

Selon le paragraphe 4(c) des Principes directeurs, le Défendeur peut prouver ses droits sur un nom de domaine et l'intérêt légitime qui s'y attache en démontrant l'une des circonstances ci-après :

“(i) avant d'avoir eu connaissance du litige, vous (le Défendeur) avez utilisé le nom de domaine ou un nom correspondant au nom de domaine en relation avec une offre de bonne foi de produits ou de services, ou fait des préparatifs sérieux à cet effet;

(ii) vous (le Défendeur) (individu, entreprise ou autre organisation) êtes connu sous le nom de domaine considéré, même sans avoir acquis de droits sur une marque de produits ou de services; ou

(iii) vous (le Défendeur) faites un usage non commercial légitime ou un usage loyal du nom de domaine sans intention de détourner à des fins lucratives les consommateurs en créant une confusion ni de ternir la marque de produits ou de services en cause.”

Le Défendeur quant à lui soutient que la dénomination “Célio” est usuelle et susceptible d'être déposée par quiconque à titre de nom de domaine, fût-ce dans un but spéculatif.

C'est d'ailleurs la raison pour laquelle le nom de domaine active une page en construction à laquelle est simplement associé un formulaire de contact. Selon ses propres dires, le Défendeur semble indiquer qu'il n'a aucun droit sur la dénomination choisie à titre de nom de domaine. Il n'est pas plus connu sous le nom “Célio” et n'a jamais utilisé ce nom en relation avec une offre de bonne foi de produits ou de services.

Il s'est contenté de déposer ce nom de domaine et de rechercher des “partenaires” ou des “acquéreurs”, comme les salariés du Requérant auxquels il a transmis des offres de vente.

Le Défendeur revendique également avoir démarché une société éponyme du Requérant dans le domaine de l'ameublement, sans toutefois démontrer la réalité de cette allégation.

Aucune de ces circonstances n'entre dans le champ des dispositions du paragraphe 4(c)(i) à (iii) des Principes directeurs.

Par conséquent, l'Expert retient que le Défendeur n'a pas de droit sur le nom de domaine, ni d'intérêt légitime s'y rapportant, conformément au paragraphe 4(a)(ii) des Principes directeurs.

C. Enregistrement et usage de mauvaise foi

Le Requérant prétend que l'enregistrement et l'utilisation du nom de domaine en litige – et plus particulièrement la mise en vente du nom de domaine – sont empreints de mauvaise foi. Le Défendeur conteste ces allégations et estime que si le nom de domaine litigieux est effectivement en vente, aucun montant n'a été proposé.

Concernant l'enregistrement du nom de domaine <célio.com>, l'Expert rappelle que la dénomination choisie par le Défendeur n'a rien d'usuel ou générique. Au contraire, elle est identique ou à tout le moins similaire à la marque CELIO sur laquelle le Requérant détient des droits. Or, la relative ancienneté de cette marque et l'usage qui en est fait notamment par une communication intensive de plus de vingt ans, conduisent l'Expert à considérer qu'elle bénéficie d'une certaine renommée en France, pays dans lequel le Défendeur est également domicilié.

L'Expert considère que le Défendeur ne pouvait pas ignorer l'existence de la marque CELIO du Requérant au moment où il a enregistré le nom de domaine <célio.com>.

D'ailleurs, l'Expert observe que le Défendeur a pris contact avec les salariés du Requérant pour leur faire part de la mise en vente du nom de domaine litigieux sur la plateforme “Sedo”, dès le lendemain de son enregistrement!

De son propre aveu, le Défendeur reconnaît qu'il a déposé le nom de domaine litigieux afin d'en tirer un bénéfice commercial, ce qui explique qu'il ne l'ait pas exploité, préférant le vendre au plus offrant.

Si la spéculation sur les noms de domaine n'est pas répréhensible en tant que telle, (voir sur ce point notamment Studio Magazine SA v. Synthétique SAS, Litige OMPI No. DFR2007-0003 (<studio.fr>, rejet)), sa licéité suppose toutefois qu'elle ne soit pas exercée de mauvaise foi, notamment lorsque le nom de domaine mis en vente porte atteinte à des droits privatifs antérieurs.

C'est bien le cas en l'espèce et une telle offre de vente caractérise l'usage de mauvaise foi du nom de domaine litigieux. Voir sur ce point Alain Afflelou Franchiseur v. Artempora Artempora, Litige OMPI No. DTV2009-0005 (<afflelou.tv>, transfert) “La Commission relève en outre que le Défendeur a offert de vendre le Nom de Domaine au Requérant pour un montant de Euro 8500 selon courrier non daté reçu par le conseil du Requérant en date du 30 janvier 2009. Or, une telle offre de vente constitue précisément une preuve de l'enregistrement et de l'utilisation du Nom de Domaine de mauvaise foi en vertu du paragraphe 4(b)(i) des Principes directeurs.”

En conséquence, l'Expert considère que le nom de domaine litigieux a été enregistré et est utilisé de mauvaise foi. Le Requérant a satisfait les conditions posées par le paragraphe 4(a)(iii) des Principes directeurs.

7. Décision

Conformément aux paragraphes 4(i) des Principes directeurs et 15 des Règles d'application, l'Expert ordonne que le nom de domaine <célio.com> [xn--clio-bpa.com] soit transféré au Requérant.


Alexandre Nappey
Expert Unique

Le 4 mai 2010