Centre d’arbitrage et de médiation de l’OMPI

DÉCISION DE LA COMMISSION ADMINISTRATIVE

ARKEMA FRANCE contre Nom Anonymisé

Litige No. D2021-0474

1. Les parties

Le Requérant est ARKEMA FRANCE, France, représenté par IN CONCRETO, France.

Le Défendeur est Nom Anonymisé.1

2. Nom de domaine et unité d’enregistrement

Le nom de domaine litigieux <france-arkema.com> est enregistré auprès de Ligne Web Services SARL (ci-après désigné “l’Unité d’enregistrement”).

3. Rappel de la procédure

Une plainte a été déposée par ARKEMA FRANCE auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) en date du 16 février 2021. En date du 16 février 2021, le Centre a adressé une requête à l’Unité d’enregistrement aux fins de vérification des éléments du litige, tels que communiqués par le Requérant. Le 17 février 2021, l’Unité d’enregistrement a transmis sa vérification au Centre révélant l’identité du titulaire du nom de domaine litigieux et ses coordonnées, différentes du nom du Défendeur et des coordonnées désignés dans la plainte. Le 17 février 2021, le Centre a envoyé un courrier électronique au Requérant avec les données relatives au titulaire du nom de domaine litigieux telles que communiquées par l’Unité d’enregistrement et invitant le Requérant à soumettre un amendement à la plainte/une plainte amendée. Le Requérant a déposé une plainte amendée le 18 février 2021.

Le Centre a vérifié que la plainte et la plainte amendée soient conformes aux Principes directeurs régissant le Règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine (ci-après dénommés “Principes directeurs”), aux Règles d’application des Principes directeurs (ci-après dénommées les “Règles d’application”), et aux Règles supplémentaires de l’OMPI (ci-après dénommées les “Règles supplémentaires”) pour l’application des Principes directeurs précités.

Conformément aux paragraphes 2 et 4 des Règles d’application, le 23 février 2021, une notification de la plainte valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au Défendeur. Conformément au paragraphe 5 des Règles d’application, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 15 mars 2021. Le Défendeur n’a fait parvenir aucune réponse formelle. En date du 24 février 2021, le Centre a reçu une communication d’un tiers alléguant une situation d’usurpation d’identité. Le Centre a notifié aux parties la constitution d’une Commission administrative en date du 17 mars 2021.

En date du 25 mars 2021, le Centre nommait Michel Vivant comme expert dans le présent litige. La Commission administrative constate qu’elle a été constituée conformément aux Principes directeurs et aux Règles d’application. La Commission administrative a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément au paragraphe 7 des Règles d’application.

4. Les faits

Le Requérant est titulaire de diverses marques ARKEMA et notamment de plusieurs marques françaises dont la première a été enregistrée le 28 août 2000 sous le numéro 3048573 et européennes dont la première a été enregistrée le 9 décembre 2006 sous le numéro 004181731. Il est également titulaire de plusieurs noms de domaine utilisant la dénomination “arkema”.

Le nom de domaine litigieux <france-arkema.com> a été enregistré le 28 décembre 2020. Lors du dépôt de la Plainte, le nom de domaine litigieux pointait vers la page de l’Unité d’enregistrement indiquant que le site web a été suspendu. Le nom de domaine litigieux ne renvoie actuellement vers aucun site actif.

5. Argumentation des parties

A. Requérant

Le Requérant fait d’abord valoir que le nom de domaine litigieux <france-arkema.com> reprend à l’identique “la dénomination ARKEMA constituant les droits antérieurs de marques et de noms de domaine” qui sont les siens, que l’adjonction du terme France ne fait que renvoyer à son pays d’origine, la société Arkema France étant une société de droit français, qu’enfin “l’inversion des termes FRANCE et ARKEMA dans le nom de domaine litigieux n’a aucune incidence sur la perception des ressemblances”, d’où il ressort que le nom de domaine litigieux est bien identique ou semblable, au point de prêter à confusion, aux marques qu’il détient.

Le Requérant fait ensuite valoir que les recherches qu’il a pu mener ne font apparaître aucun droit qu’aurait le Défendeur sur l’appellation “Arkema” et qu’une interrogation sur Google “révèle des occurrences en lien exclusivement avec la société ARKEMA FRANCE”. Il observe que le Défendeur n’a jamais été en relations d’affaires avec lui. Il observe encore qu’en réalité l’obtention du nom de domaine litigieux a servi à créer une fausse adresse e-mail qui a permis de passer des commandes frauduleuses auprès de tiers. Enfin, les informations relatives au réservataire indiquées sur la fiche WhoIs du nom de domaine litigieux, apparaissent suspectes comme ne dirigeant pas sur le Défendeur tel qu’affiché dans le WhoIs. De tout cela, le Requérant conclut qu’“il est […] manifeste que le nom de domaine n’est pas utilisé en relation avec une offre de bonne foi de produits ou de services […] et qu’il n’est pas utilisé de façon légitime ou loyale”. En conséquence le défendeur n’a aucun droit sur le nom de domaine ni aucun intérêt légitime qui s’y attache.

Le Requérant fait encore valoir que le fait de réserver un nom de domaine sans droit tend à démontrer la mauvaise foi du réservataire mais qu’il en est plus encore ainsi en présence d’une marque qui, dit-il, a acquis une certaine réputation, d’autant que le terme “Arkema” dispose d’un caractère distinctif élevé. Il faut ajouter à cela que, comme il a été déjà relevé, le nom de domaine litigieux a été utilisé pour créer une fausse adresse e-mail qui a servi pour passer une fausse commande au nom du Requérant avec mention comme donneur d’ordre du nom de son directeur général délégué. L’opération ainsi menée révèle donc une double usurpation d’identité : du Défendeur d’abord dans la réservation du nom de domaine litigieux, du Requérant ensuite dans l’usage fait du nom. Ainsi le Requérant conclut-il que le nom de domaine litigieux a été enregistré et utilisé de mauvaise foi.

B. Défendeur

Le Défendeur n’a pas répondu aux arguments du Requérant.

6. Discussion et conclusions

A. Identité ou similitude prêtant à confusion

Comme il a été indiqué plus haut, le Requérant est titulaire de plusieurs marques ARKEMA.

Le nom de domaine litigieux <france-arkema.com> reprend donc dans son entièreté les marques ARKEMA du Requérant, ce qui a toujours été considéré par les commissions administratives de l’OMPI comme la manifestation d’une pratique de cybersquatting.

On ajoutera que l’adjonction du terme géographique/la localisation “France” qui ne fait que renvoyer au pays d’origine du Requérant ne saurait évidemment conduire à une autre conclusion (à propos de l’adjonction du terme “France”, voir d’ailleurs la Décision Rexel Développement SAS, Rexel France contre Laurent Sammin, Litige OMPI No. D2016-0747).

En conséquence, la Commission administrative considère que le nom de domaine litigieux est semblable ou similaire aux marques du Requérant au point de prêter à confusion, au sens du paragraphe 4(a)(i) des Principes directeurs.

B. Droits ou intérêts légitimes

Rien ne permet de rattacher le Défendeur à la dénomination “Arkema”, dénomination arbitraire qui n’est connue qu’à travers les marques du Requérant et dont le choix par le Défendeur ne peut ainsi être le fruit du hasard. La recherche Google dont fait état le Requérant ne révèle d’ailleurs que des liens avec la société Arkema France. Par ailleurs, quand le Requérant affirme que le Défendeur n’a jamais été en relations d’affaires avec lui, ce qui implique qu’il ne lui a donné aucune autorisation, il convient de rappeler qu’à défaut de démonstration contraire par le Défendeur, les affirmations du Requérant doivent être tenues pour exactes (voir par exemple Croatia Airlines d.d. c. Modern Empire Internet Ltd., Litige OMPI No. D2003-0455; ou Boursorama S.A. contre Pharpentier Gildas, Litige OMPI No. D2016-2248).

De surcroît, il apparaît que l’obtention du nom de domaine litigieux s’est faite, selon toute vraisemblance, au terme d’une usurpation d’identité, le Défendeur ayant pris l’identité d’un tiers pour procéder à la réservation de celui-ci. Cette usurpation d’identité s’est doublée d’une seconde usurpation d’identité puisque l’obtention du nom de domaine litigieux a servi à créer une fausse adresse e-mail qui a permis de passer des commandes frauduleuses auprès de tiers.

Aussi la Commission administrative estime-t-elle que le Défendeur n’a aucun droit sur le nom de domaine litigieux ni aucun intérêt légitime qui s’y rattache au sens du paragraphe 4(a)(ii) des Principes directeurs.

C. Enregistrement et usage de mauvaise foi

Comme l’observe le Requérant, le terme “Arkema” dispose indiscutablement d’un caractère distinctif élevé et il n’a donc pu être adopté par hasard par le Défendeur.

Il en va d’autant moins ainsi que l’enregistrement du nom de domaine litigieux a été l’occasion de créer une fausse adresse e-mail qui a servi pour passer une fausse commande au nom du Requérant avec mention comme donneur d’ordre du nom de son directeur général délégué. Reposant sur une vraisemblable usurpation d’identité comme il a été dit plus haut, l’enregistrement a été ainsi le support d’une seconde usurpation d’identité.

Ainsi il est manifeste que sont caractérisés l’enregistrement comme l’usage de mauvaise foi du nom de domaine litigieux au sens du paragraphe 4(a)(iii) des Principes directeurs.

7. Décision

Pour les raisons exposées ci-dessus, et conformément aux paragraphes 4(i) des Principes directeurs et 15 des Règles d’application, la Commission administrative ordonne que le nom de domaine litigieux <france-arkema.com> soit transféré au Requérant.

Michel Vivant
Expert Unique
Le 8 avril 2021


1 Est attaché à la présente décision, comme Annexe 1, l’instruction de la Commission administrative donnée à l’Unité d’enregistrement en ce qui concerne le transfert du nom de domaine litigieux, incluant le nom du Défendeur. La Commission administrative a déterminé que le nom de domaine litigieux a été enregistré par le Défendeur qui a usurpé l’identité d’un tiers. La Commission administrative a autorisé le Centre à transmettre l’Annexe 1 à l’Unité d’enregistrement comme faisant partie du dispositif dans la présente procédure mais a indiqué que l’Annexe 1 de la décision ne doit pas être publiée dû aux circonstances du litige. Voir Banco Bradesco S.A. c. FAST 12785241 à l’attention de Bradescourgente.net / Nom Anonymisé, Litige OMPI No. D2009-1788.