Centre d’arbitrage et de médiation de l’OMPI

DÉCISION DE LA COMMISSION ADMINISTRATIVE

Boursorama S.A. contre Roci Stephane

Litige No. D2020-3414

1. Les parties

Le Requérant est Boursorama S.A., France, représenté par Nameshield, France.

Le Défendeur est Roci Stephane, France.

2. Nom de domaine et unité d’enregistrement

Le nom de domaine litigieux <espaceclients-boursorama.com> est enregistré auprès de Ligne Web Services SARL (ci-après désigné “l’Unité d’enregistrement”).

3. Rappel de la procédure

Une plainte en français a été déposée par Boursorama S.A. auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) en date du 15 décembre 2020. En date du 15 décembre 2020, le Centre a adressé une requête à l’Unité d’enregistrement aux fins de vérification des éléments du litige, tels que communiqués par le Requérant. Le 16 décembre 2020, l’Unité d’enregistrement a transmis sa vérification au Centre révélant l’identité du titulaire du nom de domaine litigieux et ses coordonnées, différentes du nom du Défendeur et des coordonnées désignés dans la plainte. Le 16 décembre 2020, le Centre a envoyé un courrier électronique au Requérant avec les données relatives au titulaire du nom de domaine litigieux telles que communiquées par l’Unité d’enregistrement et invitant le Requérant à soumettre un amendement à la plainte/une plainte amendée. Le Requérant a déposé une plainte amendée en français le 16 décembre 2020.

Le Centre a vérifié que la plainte et la plainte amendée soient conformes aux Principes directeurs régissant le Règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine (ci-après dénommés “Principes directeurs”), aux Règles d’application des Principes directeurs (ci-après dénommées les “Règles d’application”), et aux Règles supplémentaires de l’OMPI (ci-après dénommées les “Règles supplémentaires”) pour l’application des Principes directeurs précités.

Conformément aux paragraphes 2 et 4 des Règles d’application, le 17 décembre 2020, une notification de la plainte valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au Défendeur. Conformément au paragraphe 5 des Règles d’application, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 6 janvier 2021. Le Défendeur n’a fait parvenir aucune réponse. En date du 7 janvier 2021, le Centre notifiait le défaut du Défendeur.

En date du 14 janvier 2021, le Centre nommait Michel Vivant comme expert dans le présent litige. La Commission administrative constate qu’elle a été constituée conformément aux Principes directeurs et aux Règles d’application. La Commission administrative a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément au paragraphe 7 des Règles d’application.

4. Les faits

Le Requérant est la société BOURSORAMA spécialisée dans le courtage en ligne, l'information financière et la banque en ligne. Il est titulaire de plusieurs marques BOURSORAMA dont une marque française No. 98723359, enregistrée le 13 mars 1998 et une marque de l’Union européenne No. 001758614, enregistrée le 13 juillet 2000. Il est également titulaire de divers noms de domaine reprenant la marque BOURSORAMA.

Le Défendeur a enregistré le nom de domaine <espaceclients-boursorama.com> le 8 décembre 2020. Le nom de domaine litigieux pointe vers une page indiquant que le site web a été suspendu.

5. Argumentation des parties

A. Requérant

Le Requérant rappelle que, pour les Commissions administratives de l’OMPI, le fait qu’une marque soit reprise dans son intégralité “peut être suffisant pour établir une forte similarité”. Il ajoute que l’ajout des termes “espace clients” et d’un tiret n’est pas suffisant pour échapper à la conclusion que le nom de domaine litigieux est semblable au point de prêter à confusion avec la marque en cause. Il conclut donc que le nom de domaine litigieux est semblable à la marque BOURSORAMA du Requérant au point de prêter à confusion.

Rappelant que le Requérant n’a qu’à rapporter la preuve prima facie que le Défendeur n’a pas de droits ou intérêts légitimes à faire valoir, le Requérant fait observer que le Défendeur n’est pas identifié dans le WhoIs sous la dénomination BOURSORAMA. Il ajoute que le Défendeur n’est pas affilié à sa société et n’a reçu aucune autorisation de sa part. Enfin, il considère que le fait que le nom de domaine litigieux pointe vers une page indiquant que le site web a été suspendu suggère l’absence d’usage légitime ou loyal du nom. Il en déduit que le Défendeur ne dispose d’aucun droit ni intérêt légitime sur le nom de domaine litigieux.

Le Requérant soutient enfin que sa marque jouit d’une notoriété importante et en France et à l’étranger, comme cela a déjà été jugé, que le terme BOURSORAMA n’a pas de sens en lui-même et que l’ajout des mots “espace clients” “ne peut être une coïncidence, puisque cela fait directement référence à l’espace client officiel du Requérant”. En conséquence, pour le Requérant, “le Défendeur, domicilié en France, ne pouvait ignorer sa marque au moment de l’enregistrement du nom de domaine litigieux”. Le Requérant ajoute que le nom de domaine litigieux pointe vers une page indiquant que le site web a été suspendu. Il conclut de ce qui précède que le Défendeur a enregistré et utilise le nom de domaine litigieux de mauvaise foi.

B. Défendeur

Le Défendeur n’a pas répondu aux arguments du Requérant.

6. Discussion et conclusions

A. Identité ou similitude prêtant à confusion

Comme il a été indiqué plus haut, le Requérant est titulaire de plusieurs marques BOURSORAMA.

Le nom de domaine litigieux <espaceclients-boursorama.com> reprend donc dans son entièreté les marques BOUSORAMA du Requérant, ce qui a toujours été considéré par les précédentes commissions administratives de l’OMPI comme la manifestation forte d’une pratique de cybersquatting.

L’adjonction des mots “espace clients” suggère une offre d’un service spécial à destination des clients. L’observation est d’autant plus justifiée que le Requérant propose à ses clients un espace client à l’adresse “www.clients.boursorama.com”.

En conséquence, la Commission administrative considère que le nom de domaine litigieux est semblable aux marques du Requérant au point de prêter à confusion, au sens du paragraphe 4(a)(i) des Principes directeurs.

B. Droits ou intérêts légitimes

Rien ne permet de rattacher le Défendeur à la dénomination BOURSORAMA qui n’est connue qu’à travers les marques du Requérant et l’on peut effectivement considérer, dans la ligne de l’argumentation du Requérant, que le fait que le Défendeur ne soit pas identifié dans le WhoIs sous la dénomination BOURSORAMA constitue un fort indice de ce qu’il n’est pas connu sous ce nom. Par ailleurs, quand le Requérant affirme que le Défendeur ne lui est pas affilié et qu’il n’a reçu aucune autorisation de sa part, à défaut de démonstration contraire par le Défendeur, ses affirmations doivent être retenues comme exactes comme cela a déjà été jugé (ainsi Croatia Airlines d.d. v. Modern Empire Internet Ltd., Litige OMPI No. D2003-0455; ou Boursorama S.A. contre Pharpentier Gildas, Litige OMPI No. D2016-2248). Enfin, le fait qu’à ce jour le nom de domaine litigieux pointe vers un site suspendu ne plaide pas en faveur de l’existence de droits ou intérêts légitimes du Défendeur sur le nom de domaine litigieux.

La Commission administrative observe en outre que, si le Défendeur avait effectivement des droits ou intérêts légitimes à faire valoir, il aurait été bien simple pour lui de ne pas faire défaut et de produire ses arguments.

Aussi la Commission administrative estime-t-elle que le Défendeur n’a aucun droit sur le nom de domaine litigieux ni aucun intérêt légitime qui s’y attache au sens du paragraphe 4(a)(ii) des Principes directeurs.

C. Enregistrement et usage de mauvaise foi

Les marques BOURSORAMA sont des marques bien connues, comme cela a d’ailleurs été jugé ainsi que le relève le Requérant (cf. Boursorama S.A. contre Pharpentier Gildas, supra). Ainsi est-il hors de doute que le Défendeur a enregistré le nom de domaine litigieux en toute connaissance de cause et en méconnaissance des droits du Requérant. L’observation vaut d’autant plus que le terme BOURSORAMA est un terme “de fantaisie” créé de toutes pièces par le Requérant, qui n’a pas de sens en lui-même.

On doit, qui plus est, suivre le Requérant quand il fait observer que l’adjonction des termes “espace clients” évoque l’espace client officiel du Requérant, sans quoi on ne verrait pas quelle signification elle pourrait avoir.

Par ailleurs, si le nom de domaine litigieux pointe aujourd’hui vers une page indiquant que le site web a été suspendu, quelle que soit la raison d’être de cette suspension, le fait est qu’on se trouve en présence d’un “usage passif”, pratique toujours condamnée, spécialement quand est incluse dans le nom de domaine litigieux une marque connue sans but apparent légitime (cf. par exemple Telstra Corporation Limited v. Nuclear Marshmallows, Litige OMPI No. D2000-0003; ou Confédération Nationale du Crédit Mutuel v. Balley Arthur, Touvet-Gestion, Litige OMPI No. D2015-2221).

Ainsi la Commission administrative juge caractérisés l’enregistrement comme l’usage de mauvaise foi du nom de domaine litigieux au sens du paragraphe 4(a)(iii) des Principes directeurs.

7. Décision

Pour les raisons exposées ci-dessus, et conformément aux paragraphes 4(i) des Principes directeurs et 15 des Règles d’application, la Commission administrative ordonne que le nom de domaine litigieux <espaceclients-boursorama.com> soit transféré au Requérant.

Michel Vivant
Expert Unique
Le 22 janvier 2021