Centre d’arbitrage et de médiation de l’OMPI

DÉCISION DE LA COMMISSION ADMINISTRATIVE

Crédit Industriel et Commercial S.A contre Obambu SARL / Marcos Marcus, High, Gérard Sympho

Litige No. D2020-3265

1. Les parties

Le Requérant est Crédit Industriel et Commercial S.A, France, représenté par MEYER & Partenaires, France.

Les Défendeurs sont Obambu SARL, France / Marcos Marcus, High, Bénin et Gérard Sympho, Bénin.

2. Noms de domaine et unités d’enregistrement

Les noms de domaine litigieux <cick-bank.com> et <finance-cic.com> sont enregistrés auprès de NameWeb BVBA NameWeb BVBA (ci-après désigné “l’Unité d’enregistrement”).

3. Rappel de la procédure

Une plainte en français a été déposée par Crédit Industriel et Commercial S.A auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) en date du 3 décembre 2020. En date du 3 décembre 2020, le Centre a adressé une requête à l’Unité d’enregistrement aux fins de vérification des éléments du litige, tels que communiqués par le Requérant. Le 8 décembre 2020, l’Unité d’enregistrement a transmis sa vérification au Centre confirmant l’ensemble des données du litige.

En outre, le Centre a envoyé une communication par courriel en français et en anglais concernant la langue de la procédure le 16 décembre 2020. Le 18 décembre 2020, le Requérant a déposé une plainte amendée en demandant que le français soit la langue de la procédure et en présentant ses arguments de consolidation des Défendeurs. Les Défendeurs n’ont pas fait de commentaires.

Le 29 décembre 2020, le Centre a noté qu’il semble qu’il y ait prima facie des arguments suffisants pour justifier l’acceptation de la plainte aux fins de la décision définitive de la Commission administrative concernant la demande de consolidation des Défendeurs.

Le Centre a vérifié que la plainte et la plainte amendée soient conformes aux Principes directeurs régissant le Règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine (ci-après dénommés “Principes directeurs”), aux Règles d’application des Principes directeurs (ci-après dénommées les “Règles d’application”), et aux Règles supplémentaires de l’OMPI (ci-après dénommées les “Règles supplémentaires”) pour l’application des Principes directeurs précités.

Conformément aux paragraphes 2 et 4 des Règles d’application, le 29 décembre 2020, une notification de la plainte valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée aux Défendeurs en français et en anglais. Conformément au paragraphe 5 des Règles d’application, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 18 janvier 2021. Les Défendeurs n’ont fait parvenir aucune réponse. En date du 20 janvier 2021, le Centre notifiait le défaut des Défendeurs.

En date du 29 janvier 2021, le Centre nommait Anne-Virginie La Spada comme expert dans le présent litige. La Commission administrative constate qu’elle a été constituée conformément aux Principes directeurs et aux Règles d’application. La Commission administrative a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément au paragraphe 7 des Règles d’application.

4. Les faits

Le Requérant est une banque de dépôts française fondée en 1859. Le Requérant compte plus de 4.7 millions de clients, parmi lesquels près de 770,000 professionnels et entreprises. Le Requérant compte plus de 2,000 agences sur le territoire français et 38 à l’étranger.

Le Requérant est titulaire de marques consistant dans ou comprenant l’acronyme “cic”. Le Requérant est notamment titulaire des marques suivantes :

- Marque française C.I.C. no 1358524 en classes 35 et 36, enregistrée le 10 juin 1986;

- Marque de l’Union Européenne CIC no. 5891411 en classes 9, 16, 35 et 36, enregistrée le 10 mars 2008;

- Marque internationale CIC BANQUES & logo no. 585099 en classes 35 et 36, enregistrée le 10 avril 1992 désignant les pays / entités suivant(e)s : Autriche, Benelux, Suisse, Chine, Allemagne, Espagne, Italie, Monaco, Portugal.

Le Requérant détient le nom de domaine <cic.fr> et exploite sous ce nom de domaine un site Internet fournissant des informations sur ses services, et permettant à ses clients d’accéder à leurs comptes bancaires pour y effectuer des opérations bancaires grâce à une interface sécurisée.

Le nom de domaine litigieux <cick-bank.com> a été enregistré le 5 octobre 2020 et le nom de domaine litigieux <finance-cic.com> a été enregistré le 16 septembre 2020.

Obambu SARL, qui apparaissait comme détenteur des noms de domaine litigieux, a informé le Requérant qu’il était le représentant des titulaires, à savoir Marcos Marcus, High pour ce qui est de <cick-bank.com> et Gérard Sympho, pour ce qui est de <finance-cic.com>. Obambu SARL a aussi informé le Requérant qu’il agissait en tant que représentant de ses clients, afin de prévenir l’affiche publique des informations dans le WhoIs. L’Unité d’enregistrement a confirmé au Centre qu’Obambu SARL était uniquement le proxy pour les noms de domaine litigieux.

Jusqu’à ce que le Requérant prenne contact avec Obambu SARL, les deux noms de domaine litigieux étaient connectés à des sites Internet de contenu quasi identique, en langue française. Ces sites étaient dédiés à une activité en ligne de services bancaires et financiers.

5. Argumentation des parties

A. Requérant

Le Requérant considère que les noms de domaine <cick-bank.com> et <finance-cic.com> sont semblables au point de prêter à confusion avec sa marque CIC. Ceux-ci sont constitués d’une partie “cic”, qui est une reproduction de la marque du Requérant, à laquelle est adjoint le terme dérivant l’activité du Requérant («bank») ou une partie de son activité (“finance”). L’adjonction de l’unique lettre “k” dans le nom de domaine litigieux <cick-bank.com> ne peut constituer à elle seule un élément distinctif effaçant tout risque de confusion. Il importe peu que le terme “bank” soit en langue anglaise, car il est très proche du terme équivalent en français.

Le Requérant soutient que les Défendeurs n’ont aucun droit ou intérêt légitime sur les noms de domaine litigieux. Il n’y a aucune relation entre le Requérant et les Défendeurs, et le Requérant n’a pas autorisé les Défendeurs à utiliser les noms de domaine litigieux. Les Défendeurs n’ont par ailleurs, selon le Requérant, utilisé les noms de domaine litigieux pour une offre de bonne foi de produits ou services. Les noms de domaine litigieux étaient en effet connectés à des sites dédiés à une activité en ligne de services bancaires et financiers, indiquant une adresse en France. Or les investigations menées par le Requérant dans divers registres n’ont pas permis de confirmer l’existence de l’éditeur du site ou des titulaires des noms de domaine litigieux.

Selon le Requérant, les Défendeurs ont volontairement reproduit sa marque dans les noms de domaine litigieux. L’association de la marque du Requérant avec des termes du domaine de la finance ne sauraient être le fruit du hasard, de sorte que les noms de domaine ont été enregistrés de mauvaise foi. Le Requérant expose également que lesdits noms de domaine ont fait l’objet d’une utilisation de mauvaise foi. Les sites auxquels menaient les noms de domaine litigieux invitaient les Internautes à saisir leur numéro de compte, mot de passe et coordonnées de contact. Cette collecte de données de connexion et coordonnées personnelles pourrait selon le Requérant aisément être assimilée à des tentatives d’hameçonnage ou du moins à des tentatives de collecte de données personnelles, vraisemblablement à des fins frauduleuses. En outre, il ne peut être exclu, selon le Requérant, que les Défendeurs fassent ou aient fait un usage non visible des noms de domaine utilisés pour des adresses de courrier électronique dans le cadre de tentatives d’hameçonnage ou de manœuvres frauduleuses.

B. Défendeur

Les Défendeurs n’ont pas répondu aux arguments du Requérant.

6. Discussion et conclusions

6.1 Consolidation

Lorsqu’une plainte est déposée contre plusieurs défendeurs, les commissions administratives examinent si (i) les noms de domaine ou les sites Internet correspondants sont soumis à un contrôle commun, et si (ii) la consolidation serait juste et équitable pour toutes les parties (Synthèse des avis des commissions administratives de l’OMPI sur certaines questions relatives aux Principes UDRP, troisième édition (“Synthèse, version 3.0”), section 4.11.2).

Les commissions administratives prennent en compte une série de facteurs, généralement présents dans une certaine combinaison, comme étant utiles pour déterminer si la consolidation est appropriée, tels que, par exemple, les similitudes relatives à l’identité des titulaires, aux informations de contact des titulaires, aux adresses IP, ou encore au contenu ou à la présentation des sites Internet correspondant aux noms de domaine litigieux (Synthèse, version 3.0, section 4.11.2).

En l’espèce, les titulaires des noms de domaine litigieux ont tous deux des adresses fictives au Bénin. Leur adresses emails respectives sont formées de la même manière, à savoir leur nom (probablement fictif) suivi du chiffre 121. Tous deux ont enregistré les noms de domaine litigieux par l’intermédiaire du même fournisseur de service proxy, Obambu SARL. Les noms de domaine litigieux étaient connectés à des sites de contenu quasi identique. La Commission administrative estime hautement probable au vu de ces éléments que les noms de domaine litigieux sont soumis à un contrôle commun, de sorte que la consolidation des Défendeurs paraît juste et équitable. Il y a donc lieu d’admettre la requête en consolidation du Requérant.

6.2. Langue de la procédure

Selon le paragraphe 11(a) des Règles d’application, “sauf convention contraire entre les parties ou stipulation contraire du contrat d’enregistrement, la langue de la procédure est la langue du contrat d’enregistrement; toutefois, la commission peut décider qu’il en sera autrement, compte tenu des circonstances de la procédure administrative.”

De plus, les paragraphes 10(b) et (c) des Règles d’application doivent être prise en considération pour apprécier les circonstances du cas d’espèce. Selon ces dispositions, la commission administrative doit veiller à ce que les parties soient traitées de façon égale et que chaque partie bénéficie d’une possibilité équitable de faire valoir ses arguments. Il est donc important d’assurer que les parties soient traitées de manière équitable tout en assurant le maintien d’une procédure rapide et peu coûteuse (Cartier International A.G. v. Zheng Jing, Litige OMPI No. D2017-0310). Enfin, la langue choisie par la commission administrative pour la procédure ne doit pas porter préjudice à l’une des parties et l’empêcher de faire valoir ses arguments (Groupe Auchan v. xmxzl, Litige OMPI No. DCC2006-0004; voir aussi la Synthèse des avis des commissions administratives de l’OMPI sur certaines questions relatives aux Principes UDRP, troisième édition (“Synthèse, version 3.0”), section 4.5).

En l’espèce, la langue du contrat d’enregistrement des noms de domaine litigieux est l’anglais. Cela dit, les Défendeurs ont indiqué deux adresses de contact et numéros de téléphone au Bénin, un pays africain francophone. De plus, la combinaison de la marque du Requérant, connue en France, avec des termes faisant référence à son secteur d’activités, implique que les Défendeurs connaissaient le Requérant (une société française), ce qui renforce la probabilité que les Défendeurs comprennent le français. A cela s’ajoute encore que les noms de domaine litigieux menaient à des sites présentant du contenu en langue française. Enfin, le Centre a adressé des notifications aux Défendeurs en français et en anglais. Ceux-ci avaient l’occasion de réclamer une procédure en anglais, ce qu’ils n’ont pas fait en s’abstenant de toute réponse.

Dans ces circonstances, il serait disproportionné d’imposer au Requérant de procéder en anglais.

Pour ces raisons, la Commission administrative estime qu’au regard des circonstances du cas d’espèce, il est justifié de s’écarter de la langue du contrat d’enregistrement et de permettre que la procédure soit menée en français.

6.3. Questions de fond

Selon le paragraphe 4(a) des Principes directeurs, afin d’obtenir gain de cause dans cette procédure et obtenir le transfert du nom de domaine litigieux, le requérant doit prouver que chacun des trois éléments suivants est satisfait:

(i) Le nom de domaine litigieux est identique ou semblable au point de prêter à confusion, à une marque de produits ou de services sur laquelle le requérant a des droits; et

(ii) Le défendeur n’a aucun droit sur le nom de domaine litigieux ni aucun intérêt légitime qui s’y attache; et

(iii) Le nom de domaine litigieux a été enregistré et est utilisé de mauvaise foi.

A. Identité ou similitude prêtant à confusion

Le Requérant détient des droits sur la marque verbale CIC.

Le nom de domaine litigieux <finance-cic.com> reproduit intégralement la marque CIC, avec l’adjonction du terme “finance”.

Selon les décisions UDRP de précédentes commissions administratives, l’adjonction d’un terme descriptif ou géographique à la marque du requérant ne suffit pas à écarter un risque de confusion lorsque la marque est reconnaissable dans le nom de domaine (voir la section 1.8 de la Synthèse, version 3.0, voir aussi DPD Dynamic Parcel Distribution GmbH & Co.KG. v. Vinod Vinod, Litige OMPI No. D2014-1808).

En l’espèce, la marque CIC du Requérant est parfaitement reconnaissable dans le nom de domaine litigieux <finance-cic.com>. L’adjonction de l’élément descriptif “finance” ne permet pas d’écarter le risque de confusion.

Ce raisonnement vaut également pour le nom de domaine litigieux <cick-bank.com>, à ceci près que la marque CIC du Requérant n’est pas reproduite à l’identique, la lettre “k” figurant à la suite des lettres “cic”. Dans la mesure où le terme “cick” ne correspond pas à un mot du langage courant et n’a pas de signification particulière, et où la lettre “k” figure à la fin du terme “cick” de sorte qu’elle est peu frappante, la marque CIC du Requérant demeure reconnaissable dans le nom de domaine litigieux.

De plus, le nom de domaine litigieux <cick-bank.com> présente une similarité forte avec la marque CIC BANQUES & logo du Requérant, dans la mesure où il combine un terme presque identique à la marque CIC au terme “bank”, qui correspond à la traduction anglaise du mot français “banque”.

Enfin, l’extension “.com” n’a pas à être prise en considération dans l’examen de la similitude entre la marque et le nom de domaine (voir la section 1.11 de la Synthèse, version 3.0).

Par conséquent, conformément au paragraphe 4(a)(i) des Principes directeurs, la Commission administrative retient que les noms de domaine litigieux sont semblables au point de prêter à confusion à la marque du Requérant.

B. Droits ou intérêts légitimes

Le Requérant soutient que les Défendeurs n’ont aucun droit sur les noms de domaine litigieux, ni d’intérêt légitime s’y rapportant.

Les Défendeurs, qui ont fait défaut, ne se sont pas prononcés.

Il n’existe aucune indication au dossier suggérant que les Défendeurs auraient des droits ou des intérêts légitimes les autorisant à utiliser les noms de domaine litigieux, ou qu’ils seraient connus sous les noms de domaine litigieux.

A teneur du paragraphe 14(b) des Règles d’application, la Commission administrative peut tirer les conséquences qu’elle juge appropriée du défaut du défendeur. En l’espèce, la Commission administrative estime que le silence des Défendeurs corrobore l’affirmation du Requérant selon laquelle les Défendeurs n’ont pas de droits ou d’intérêts légitimes sur les noms de domaine litigieux.

Par conséquent, la Commission administrative retient que les Défendeurs n’ont pas de droits sur les noms de domaine litigieux, ni d’intérêts légitimes s’y rapportant, conformément au paragraphe 4(a)(ii) des Principes directeurs.

C. Enregistrement et usage de mauvaise foi

La marque CIC du Requérant n’a pas de sens particulier, et possède un caractère distinctif.

Dans les noms de domaine litigieux, les Défendeurs ont combiné cette marque avec un terme correspondant au champ d’activités du Requérant, à savoir “finance” et “bank”.

Ces circonstances mènent la Commission administrative à estimer hautement probable que les Défendeurs avaient connaissance des marques du Requérant au moment où ils ont enregistré les noms de domaine litigieux. Par conséquent, il se justifie d’admettre que les noms de domaine litigieux ont été enregistrés de mauvaise foi.

Par ailleurs, l’utilisation des noms de domaine litigieux en lien avec des services similaires à ceux proposés par le Requérant avait selon toute vraisemblance pour but de créer la confusion dans l’esprit des utilisateurs d’Internet et de détourner, au profit des Défendeurs, les utilisateurs à la rechercher du site du Requérant. Ceci constitue un usage de mauvaise foi des noms de domaine litigieux, au sens du paragraphe 4(b)(iv) des Principes directeurs.

Enfin, compte tenu du fait que les sites connectés aux noms de domaine litigieux invitaient les Internautes à saisir leurs numéros de compte, mot de passe et coordonnées de contact, la Commission administrative estime plausible que les Défendeurs avaient l’intention d’utiliser les noms de domaine litigieux pour se faire passer pour le Requérant lors de tentatives d’hameçonnage. Cela paraît d’autant plus vraisemblable que le Requérant n’a pu obtenir confirmation de l’existence de l’éditeur de sites ou des titulaires des noms de domaine litigieux.

Au vu de ces circonstances, l’utilisation par les Défendeurs des noms de domaine litigieux constitue une utilisation de mauvaise foi en vertu du paragraphe 4(b)(iv) des Principes directeurs.

7. Décision

Pour les raisons exposées ci-dessus, et conformément aux paragraphes 4(i) des Principes directeurs et 15 des Règles d’application, la Commission administrative ordonne que les noms de domaine litigieux <cick-bank.com> et <finance-cic.com> soient transférés au Requérant.

Anne-Virginie La Spada
Expert Unique
Le 12 février 2021