Centre d’arbitrage et de médiation de l’OMPI

DÉCISION DE LA COMMISSION ADMINISTRATIVE

Gecina et Eurosic SA contre Mohamed Grassa

Litige No. D2020-3030

1. Les parties

Les Requérantes sont Gecina, France et Eurosic SA, France.

Le Défendeur est Mohamed Grassa, France.

2. Nom de domaine et unité d’enregistrement

Le nom de domaine litigieux <gestioneurosic.com> est enregistré auprès de Register SPA (ci-après désigné “l’Unité d’enregistrement”).

3. Rappel de la procédure

Une plainte a été déposée par Gecina et Eurosic SA auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) en date du 13 novembre 2020. En date du 13 novembre 2020, le Centre a adressé une requête à l’Unité d’enregistrement aux fins de vérification des éléments du litige, tels que communiqués par les Requérantes. Le 16 novembre 2020, l’Unité d’enregistrement a transmis sa vérification au Centre révélant l’identité du titulaire du nom de domaine litigieux et ses coordonnées, différentes du nom du Défendeur et des coordonnées désignés dans la plainte. Le 24 novembre 2020, le Centre a envoyé un courrier électronique aux Requérantes avec les données relatives au titulaire du nom de domaine litigieux telles que communiquées par l’Unité d’enregistrement et a mentionné que la plainte ne comportait pas de déclaration selon laquelle les Requérantes acceptaient la compétence judiciaire d'au moins un for expressément désigné, comme le prévoit le paragraphe 3(b)(xii) des Règles d'application des Principes directeurs (ci-après dénommées les “Règles d’application”) en demandant aux Requérantes de soumettre un amendement à la plainte. Les Requérantes ont déposé une plainte amendée le 24 novembre 2020.

Le Centre a vérifié que la plainte et la plainte amendée répondaient bien aux Principes directeurs régissant le Règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine (ci-après dénommés “Principes directeurs”), aux Règles d’application, et aux Règles supplémentaires de l’OMPI (ci-après dénommées les “Règles supplémentaires”) pour l’application des Principes directeurs précités.

Conformément aux paragraphes 2 et 4 des Règles d’application, le 1 décembre 2020, une notification de la plainte valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au Défendeur. Conformément au paragraphe 5 des Règles d’application, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 21 décembre 2020. Le Défendeur n’a fait parvenir aucune réponse. En date du 22 décembre 2020, le Centre notifiait le défaut du Défendeur.

En date du 4 janvier 2021, le Centre nommait Christiane Féral-Schuhl comme expert dans le présent litige. La Commission administrative constate qu’elle a été constituée conformément aux Principes directeurs et aux Règles d’application. La Commission administrative a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément au paragraphe 7 des Règles d’application.

4. Les faits

Eurosic SA est une société foncière française, filiale depuis 2017 du groupe Gecina, société d’investissement immobilier fondée en 1959 sous le nom de Groupement pour le financement de la construction et devenue Gecina en 1998. Gegina est aujourd’hui cotée sur Euronext Paris et l’un des principaux groupes immobiliers en Europe.

Eurosic SA est titulaire des marques suivantes comprenant le terme “eurosic” :

- la marque semi-figurative française n° 3781997 CONCOURS OFFICE DESIGN EUROSIC 2011 CODE enregistrée le 12 novembre 2010 dans les classes 16, 35 et 41;
- la marque semi-figurative française n° 3718815 EUROSIC APPRECIEZ LA DIFFERENCE enregistrée le 4 mars 2010 dans les classes 36 et 37;
- la marque semi-figurative française n° 3911235 CODE CONCEPT OFFICE DESIGN EUROSIC enregistrée le 5 avril 2012 dans les classes 16, 35 et 41 (ci-après la ou les marques “EUROSIC”).

Gecina est titulaire du nom de domaine <eurosic.fr> enregistré le 13 octobre 1999, qui renvoie sur le site Internet “www.gecina.fr” pour opérer des services en lien avec l’activité immobilière et foncière des Requérantes.

Le nom de domaine litigieux <gestioneurosic.com> a été enregistré le 28 octobre 2020 et renvoie au jour de cette décision, comme au jour de la plainte, vers une page Internet inactive.

5. Argumentation des parties

A. Requérantes

Les Requérantes considèrent tout d’abord que le nom de domaine litigieux est identique ou, à tout le moins, semblable, au point de prêter à confusion, aux marques EUROSIC.

Les Requérantes soulignent en effet que le nom de domaine litigieux reproduit le signe distinctif “EUROSIC”, auquel est seulement adjoint le terme “gestion”, descriptif des activités des Requérantes.

Les Requérantes soutiennent ensuite que le Défendeur n’a aucun droit sur le nom de domaine litigieux, ni aucun intérêt légitime qui s’y attache, dès lors qu’il n’est ni licencié, ni co-contractant, ni autorisé par les Requérantes à utiliser la marque EUROSIC à quelque titre que ce soit.

Les Requérantes arguent enfin que le nom de domaine litigieux a été enregistré et est utilisé de mauvaise foi.

Les Requérantes insistent à ce titre sur le fait que le Défendeur se soit servi du nom de domaine litigieux pour adresser des courriels frauduleux à leurs clients sous l’étiquette de “Gestionnaire EUROSIC”, et ce afin de leur demander de modifier les coordonnées bancaires des Requérantes dans leurs bases de données.

Les Requérantes ajoutent que le nom de domaine litigieux renvoie par ailleurs vers une page Internet inactive.

C’est au regard de l’ensemble de ces arguments que les Requérantes sollicitent le transfert du nom de domaine litigieux à l’une des Requérantes.

B. Défendeur

Le Défendeur n’a pas répondu aux arguments des Requérantes.

6. Discussion et conclusions

Selon le paragraphe 4(a) des Principes directeurs, les Requérantes doivent prouver que :

(i) le nom de domaine litigieux est identique ou semblable au point de prêter à confusion à une marque de produits ou de services sur lesquelles les Requérantes ont des droits; et

(ii) le Défendeur n’a aucun droit sur le nom de domaine litigieux ni aucun intérêt légitime qui s’y attache; et

(iii) le nom de domaine litigieux a été enregistré et est utilisé de mauvaise foi.

A. Identité ou similitude prêtant à confusion

Selon le paragraphe 4(a)(i) des Principes directeurs, les Requérantes doivent démontrer que le nom de domaine litigieux est identique ou semblable au point de prêter à confusion à une marque de produits ou de services sur laquelle les Requérantes ont des droits.

La Commission administrative estime que la Requérante Eurosic SA a fourni des éléments prouvant qu’elle est titulaire de droits sur les marques EUROSIC, antérieures à l’enregistrement du nom de domaine litigieux.

En l’espèce, le nom de domaine litigieux <gestioneurosic.com> reprend intégralement le signe distinctif EUROSIC sur lequel la Requérante Eurosic SA est titulaire de droits, et auquel a été adjoint le terme “gestion”.

De nombreuses décisions ont déjà constaté, sur le fondement des Principes directeurs, que l’incorporation d’une marque reproduite à l’identique au sein d’un nom de domaine est suffisante pour établir que le nom de domaine est identique ou semblable au point de prêter à confusion à la marque sur laquelle le requérant a des droits. Ainsi, il existe un consensus des commissions administratives qui estiment que la simple adjonction d’un mot à une marque est insuffisante pour éviter un tel risque de confusion. Dès lors, il est constant dans les précédentes décisions UDRP que le fait qu’un nom de domaine intègre la marque enregistrée par un requérant est suffisante à caractériser un risque de confusion et que la simple adjonction d’un terme est insuffisante pour éviter un tel risque (voir Hoffmann-La Roche Inc., Roche Products Limited c. Vladimir Ulyanov, Litige OMPI No. D2011-1474; Magnum Piering, Inc. c. The Mudjackers and Garwood S. Wilson, Sr., Litige OMPI No. D2000-1525; Bayerische Motoren Werke AG c. bmwcar.com, Litige OMPI No. D2002-0615; Swarovski Aktiengesellschaft c. mei xudong, Litige OMPI No. D2013-0150; RapidShare AG, Christian Schmid c. InvisibleRegistration.com, Domain Admin, Litige OMPI No. D2010-1059).

La Commission administrative considère qu’en l’occurrence, l’adjonction du terme “gestion” au signe distinctif EUROSIC compris dans le nom de domaine litigieux ne permet pas d’éviter un risque de confusion entre ce dernier et les marques EUROSIC.

Par ailleurs, la Commission administrative rappelle que l’extension “.com” n’est pas à prendre en considération dans la comparaison du nom de domaine litigieux et des marques EUROSIC, comme les décisions fondées sur les Principes directeurs l’ont établi depuis longtemps.

Par conséquent, la Commission administrative estime que la reproduction intégrale et à l’identique dans le nom de domaine litigieux du signe distinctif EUROSIC, associé au terme “gestion”, rend le nom de domaine litigieux similaire aux marques EUROSIC, au point de prêter à confusion.

La Commission administrative considère donc que le nom de domaine litigieux est similaire au point de prêter à confusion aux marques détenues par la Requérante Eurosic SA, au sens du paragraphe 4(a)(i) des Principes directeurs.

B. Droits ou intérêts légitimes

Aux termes du paragraphe 4(a)(ii) des Principes directeurs, la Requérante doit être en mesure de démontrer que le Défendeur n’a aucun droit sur le nom de domaine litigieux ni aucun intérêt légitime qui s’y attache.

Le paragraphe 4(c) des Principes directeurs détaille les circonstances suivantes qui, si elles sont considérées comme avérées, attestent des droits ou intérêts légitimes du Défendeur sur le nom de domaine litigieux :

(i) avant réception de toute notification relative au litige, l’utilisation par le Défendeur, ou des travaux de préparation pouvant être démontrés en vue de l’utilisation par le Défendeur du nom de domaine litigieux ou d’un nom correspondant au nom de domaine litigieux dans le cadre d’une offre de biens ou de services de bonne foi; ou

(ii) le fait pour le Défendeur d’être généralement connu sous le nom de domaine litigieux, même s’il n’a acquis aucun droit de propriété industrielle et commerciale; ou

(iii) le fait pour le Défendeur de faire une utilisation non commerciale légitime ou loyale du nom de domaine litigieux, sans intention d’en tirer des profits commerciaux en détournant de façon trompeuse les utilisateurs ou en ternissant l’image de la marque commerciale ou de la marque de service en question.

Si la charge de la preuve de l’absence de droit ou d’intérêt légitime du Défendeur incombe au requérant, les commissions administratives considèrent qu’il est difficile de prouver un fait négatif. Il est donc généralement admis que le requérant doit établir prima facie que le Défendeur n’a pas de droit ni d’intérêt légitime sur le nom de domaine litigieux (voir par exemple Croatia Airlines d.d. c. Modern Empire Internet Ltd., Litige OMPI No. D2003-0455). Il incombe ensuite au Défendeur de renverser cette présomption. S’il n’y parvient pas, le requérant est présumée avoir satisfait aux exigences posées par le paragraphe 4(a)(ii) des Principes directeurs (voir par exemple Denios Sarl c. Telemediatique France, Litige OMPI No. D2007-0698).

En l’espèce, les Requérantes établissent de façon générale qu’elles n’ont pas autorisé le Défendeur à utiliser la marque EUROSIC ou à enregistrer le nom de domaine litigieux, et qu’il n’a, à leur connaissance, aucun droit ni intérêt légitime sur le nom de domaine litigieux.

La Commission administrative considère ainsi que les Requérantes ont établi prima facie l’absence de droits ou d’intérêts légitimes du Défendeur sur le nom de domaine litigieux.

En outre, le nom de domaine litigieux renvoie vers une page Internet inactive et a par ailleurs été utilisé pour l’envoi de courriels frauduleux, ce qui ne correspond ni à une offre de biens ou de services de bonne foi, ni à une utilisation non commerciale légitime ou loyale du nom de domaine litigieux.

Quoiqu’il en soit, il appartenait au Défendeur de démontrer ses droits ou intérêts légitimes sur le nom de domaine litigieux, or il n’a pas répondu aux arguments des Requérantes.

Par conséquent, et conformément aux paragraphes 4(a)(ii) et 4(c) des Principes directeurs, la Commission administrative considère que le Défendeur n’a aucun droit ni intérêt légitime sur le nom de domaine litigieux.

C. Enregistrement et usage de mauvaise foi

Selon le paragraphe 4(a)(iii) des Principes directeurs, les Requérantes doivent démontrer que le nom de domaine litigieux a été enregistré et est utilisé de mauvaise foi par le Défendeur.

Le paragraphe 4(b) ajoute que la preuve de ce que le nom de domaine a été enregistré et est utilisé de mauvaise foi peut être constituée, en particulier, pour autant que leur réalité soit constatée par la Commission administrative, par les circonstances ci-après :

(i) les faits montrent que le nom de domaine a été enregistré ou acquis essentiellement aux fins de vendre, de louer ou de céder d’une autre manière l’enregistrement de ce nom de domaine au Requérant qui est propriétaire de la marque de produits ou de services, ou à un concurrent de celle‑ci, à titre onéreux et pour un prix excédant le montant des frais qu’elle peut prouver avoir déboursé en rapport direct avec ce nom de domaine;

(ii) le nom de domaine a été enregistré en vue d’empêcher le propriétaire de la marque de produits ou de services de reprendre sa marque sous forme de nom de domaine;

(iii) le nom de domaine a été enregistré essentiellement en vue de perturber les opérations commerciales d’un concurrent; ou

(iv) en utilisant le nom de domaine, le Défendeur a sciemment tenté d’attirer, à des fins lucratives, les utilisateurs de l’Internet sur un site Internet ou autre espace en ligne lui appartenant, en créant une probabilité de confusion avec la marque du Requérant en ce qui concerne la source, le commanditaire, l’affiliation ou l’approbation du site ou espace Internet ou d’un produit ou service qui y est proposé.

Tout d’abord, la Commission administrative rappelle que cette liste de circonstances devant permettre d’établir la mauvaise foi du Défendeur est non exhaustive.

En l’espèce, la Commission administrative considère qu’au regard non seulement de l’association, dans le nom de domaine litigieux, du terme “gestion” au signe distinctif EUROSIC sur lequel la Requérante Eurosic SA détient des droits, mais en plus de l’utilisation qui a été faite du nom de domaine litigieux, le Défendeur ne pouvait ignorer l’existence des marques antérieures de la Requérante EUROSIC SA au moment de l’enregistrement du nom de domaine litigieux.

En effet, le terme “gestion” que le Défendeur a adjoint au signe distinctif EUROSIC est directement lié aux activités de gestion immobilière des Requérantes, ce qui tend à prouver qu’il connaissait les Requérantes, les marques EUROSIC et leurs activités.

Plus encore, le Défendeur a utilisé le nom de domaine litigieux pour envoyer des courriels en se faisant passer pour un “Gestionnaire EUROSIC” afin de demander aux clients des Requérantes de procéder à la modification de leurs coordonnées bancaires dans leurs bases de données, ceci de toute évidence aux fins d’obtenir pour son propre compte des règlements normalement destinés aux Requérantes.

Par ailleurs, si le nom de domaine litigieux renvoie vers une page Internet inactive, la Commission administrative rappelle que la détention passive d’un nom de domaine n’empêche pas de conclure à son utilisation de mauvaise foi, et peut même au contraire la démontrer, en particulier lorsqu’un certain nombre de critères sont réunis, à savoir (i) le degré du caractère distinctif ou la réputation de la marque du requérant, (ii) l’absence de réponse du défendeur ou de preuve d’une utilisation de bonne foi, réelle ou envisagée, du nom de domaine, (iii) la dissimulation par le défendeur de son identité ou l’utilisation de fausses coordonnées (en violation de son contrat d’enregistrement), et (iv) l’invraisemblance de toute utilisation de bonne foi à laquelle le nom de domaine pourrait être soumis (voir par exemple Telstra Corporation Limited c. Nuclear Marshmallows, Litige OMPI No. D2000-0003; Jupiters Limited c. Aaron Hall, Litige OMPI No. D2000-0574; Ladbroke Group Plc c. Sonoma International LDC, Litige OMPI No. D2002-0131; Westdev Limited c. Private Data, Litige OMPI No. D2007-1903; Malayan Banking Berhad c. Beauty, Success & Truth International, Litige OMPI No. D2008-1393).

Or, la Commission administrative constate que (i) la marque EUROSIC, reprise intégralement dans le nom de domaine litigieux, est distinctive, (ii) le Défendeur n’a pas répondu à la plainte des Requérantes ayant conduit à la présente procédure, échouant donc à rapporter la preuve d’une utilisation de bonne foi, réelle ou envisagée, du nom de domaine litigieux, et (iii) que le nom de domaine litigieux renvoie vers une page Internet inactive et a par ailleurs été utilisé pour l’envoi de courriels frauduleux ayant conduit au dépôt parallèle d’une plainte pénale pour tentative d’escroquerie, ce qui ne saurait présager d’une quelconque utilisation de bonne foi du nom de domaine litigieux.

La Commission administrative considère que l’ensemble de ces éléments démontre que le Défendeur a enregistré et utilisé le nom de domaine litigieux aux fins de créer un risque de confusion avec les marques EUROSIC, et ce à des fins lucratives.

Dès lors, la Commission administrative considère établi le critère de la mauvaise foi requis aux paragraphes 4(a)(iii) et 4(b)(i) des Principes directeurs.

7. Décision

Pour les raisons exposées ci-dessus, et conformément aux paragraphes 4(i) des Principes directeurs et 15 des Règles d’application, la Commission administrative ordonne que le nom de domaine litigieux <gestioneurosic.com> soit transféré à la Requérante Eurosic SA.

Christiane Féral-Schuhl
Expert Unique
Le 18 janvier 2021