La Requérante est ArcelorMittal S.A., Luxembourg, représenté par Nameshield, France.
La Partie adverse est Expeteo Sarl, Antoine Winants, Luxembourg.
Le différend concerne le nom de domaine <arcelormittal-construction.ch>.
Le litige concerne le nom de domaine <arcelormittal-construction.ch>.
Une demande a été déposée par ArcelorMittal S.A. auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) en date du 24 septembre 2019.
En date du 24 septembre 2019, le Centre a adressé une requête au registre SWITCH, registre du .ch et du .li, aux fins de vérification des éléments du litige, tels que communiqués par la Requérante. En date du 26 septembre 2019, SWITCH a confirmé que la Partie adverse est bien le détenteur du nom de domaine et a transmis ses coordonnées.
Le Centre a vérifié que la plainte répond bien aux exigences des Dispositions relatives à la procédure de règlement des différends pour les noms de domaine .ch et .li (ci-après les “Dispositions”) adoptées par SWITCH le 1er mars 2004.
Conformément au paragraphe 14 des Dispositions, le 1er octobre 2019, une transmission de la demande valant ouverture de la présente procédure, a été adressée à la Partie adverse. Conformément au paragraphe 15(a) des Dispositions, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 21 octobre 2019.
La Partie adverse a envoyé un courrier électronique au Centre le 26 octobre 2019, indiquant qu’elle recevait les courriers du Centre en indésirables et n’avait donc pas pu prendre connaissance du dossier. Le Centre a demandé aux parties d’indiquer leur volonté de prendre part à une audience de conciliation avant le 15 novembre 2019. La Partie adverse n’ayant pas confirmé sa volonté de participer à une audience de conciliation, aucune audience de conciliation n’a eu lieu dans le délai spécifié au paragraphe 17(b) des Dispositions.
En date du 2 décembre 2019, le Centre nommait dans le présent différend comme expert Theda König Horowicz. L’Expert constate qu’elle a été désignée conformément aux Dispositions. L’Expert a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément au paragraphe 4 des Dispositions.
Par ordonnance du 7 janvier 2020, l’Expert a demandé à SWITCH de clarifier la date d’enregistrement du nom de domaine litigieux ayant constaté une différence entre l’allégué de la Requérante et l’extrait “WhoIs” d’une part, et l’information fournie par SWITCH d’autre part. Le même jour, SWITCH a confirmé que le nom de domaine litigieux était enregistré au nom de la Partie adverse depuis le 7 septembre 2019.
La Requérante est une entreprise spécialisée dans la production d’acier; elle est active dans le monde entier et réputée dans le marché de l’acier notamment pour l’automobile et la construction.
La Requérante a son siège au Luxembourg et son Groupe dispose d’une société basée en Suisse sous la raison sociale ArcelorMittal Construction Suisse SA. La Requérante est issue d’une fusion largement médiatisée, qui a eu lieu en 2006, entre les sociétés Arcelor et Mittal.
La Requérante est titulaire de la marque internationale ARCELORMITTAL No. 947686 enregistrée le 3 août 2007 qui désigne plusieurs pays, dont la Suisse, en classes internationales 6, 7, 9, 12, 19, 21 et 39 à 42. La marque de base de cet enregistrement est une marque Benelux du 18 juin 2007.
La Requérante détient également un important portefeuille de noms de domaine intégrant le nom ArcelorMittal, comme le nom de domaine <arcelormittal.com> qui a été enregistré le 27 janvier 2006 et qui est lié au site officiel de la Requérante.
Le nom de domaine litigieux a été enregistré par la Partie adverse le 7 septembre 2019. Il est redirigé à l’adresse “www.homeardenne.com”, site internet dédié à la recherche d’artisans dans le domaine de la construction. Il s’agit d’une sorte d’annuaire listant des secteurs d’activités et des professionnels dans le secteur de la construction. Le site porte la mention “2019©Home Ardenne”.
Par lettre de mise en demeure du 10 septembre 2019, la Requérante a mis la Partie adverse en demeure et sollicité le transfert du nom de domaine litigieux à son nom. Aucune réponse n’a été apportée par la Partie adverse à cette lettre.
Premièrement, la Requérante invoque sa marque internationale ARCELORMITTAL qui fait l’objet d’une protection en Suisse.
Elle considère à cet égard que l’ajout du code de pays “.ch” et du mot générique “construction” ne permet pas de distinguer le nom de domaine litigieux de sa marque, de sa raison sociale et des noms de domaines associés.
Elle conclut dès lors au fait que l’enregistrement du nom de domaine litigieux est confusément similaire à sa marque.
Deuxièmement, la Requérante estime que l’enregistrement du nom de domaine litigieux par la Partie adverse constitue une infraction à sa marque selon le droit suisse, puisque la Partie adverse connaissait la marque et l’activité de la Requérante qui est une multinationale connue dans le monde et qui est active sous son nom depuis 2006. Par ailleurs, une recherche des termes “ArcelorMittal” sur internet renvoie vers le site de la Requérante.
La Requérante invoque aussi le fait que la Partie adverse n’a pas de droit ou d’intérêt légitime sur le nom de domaine litigieux. Elle ne disposerait en particulier pas d’une marque enregistrée pour ARCELORMITTAL CONTRUCTION. La Requérante n’aurait pas non plus autorisé la Partie adverse à utiliser sa marque. La Requérante relève que la Partie adverse n’a pas répondu à sa lettre de mise en demeure.
Par ailleurs, la Requérante juge que l’enregistrement du nom de domaine litigieux est contraire aux articles 2 et 3 alinéa 1 lettre (d) de la Loi contre la concurrence déloyale (LCD). Dans ce contexte, la Requérante estime notamment que le nom de domaine litigieux ne se distinguerait pas suffisamment du signe distinctif appartenant à la Requérante.
Pour terminer, la Requérante réitère le fait que la Partie adverse n’a pas d’intérêt légitime à un tel enregistrement et que ce dernier a pour effet de bloquer l’accès de la Requérante à un nom de domaine qui correspond à la marque de la Requérante mais aussi à la raison sociale de sa filiale.
La Partie adverse n’a pas apporté de réponse substantielle à la plainte de la Requérante. Elle a adressé plusieurs emails laconiques au Centre dans lesquels elle mentionne qu’elle est prête à discuter de la revente du nom de domaine litigieux, sans fournir plus de précisions.
D’après le paragraphe 24 (c) des Dispositions, l’expert fait droit à la demande lorsque l’enregistrement ou l’utilisation du nom de domaine constitue clairement une infraction à un droit attaché à un signe distinctif attribué au requérant selon le droit de la Suisse ou du Liechtenstein.
Selon les termes du paragraphe 24 (d) des Dispositions, il y a clairement infraction à un droit en matière de propriété intellectuelle notamment lorsque :
“i. aussi bien l’existence du droit attaché à un signe distinctif invoqué que son infraction résultent clairement du texte de la loi ou d’une interprétation reconnue de la loi et des faits exposés, et qu’ils ont été prouvés par les moyens de preuve déposés ; et que
ii. la partie adverse n’a pas exposé et prouvé des raisons de défense importantes de manière concluante ; et que
iii. l’infraction, selon la demande en justice formulée, justifie le transfert ou l’extinction du nom de domaine.”
Dans le cas d’espèce, la Requérante semble plus particulièrement invoquer sa raison sociale (droit au nom) et son droit à la marque sur ARCELORMITTAL qui est l’élément central et essentiel du nom de domaine litigieux. En effet, le terme “construction” est manifestement descriptif et n’est donc pas pertinent pour la présente analyse.
La Requérante est une société créée au Luxembourg en 2006.
Elle dispose d’une filiale qui porte son nom en Suisse dont la date de fondation n’a toutefois pas été communiquée par la Requérante dans le cadre du présent différend.
L’Expert relève que cette société suisse n’est pas partie à la procédure et que sa date de création n’est en conséquence pas déterminante pour trancher le présent cas.
Au demeurant, l’article 8 de la Convention de Paris pour la protection de la propriété industrielle révisée à Stockholm le 14 juillet 1967 (ci-après, la Convention de Paris) est en vigueur pour la Suisse depuis le 26 avril 1970 et pour le Luxembourg depuis le 24 mars 1975, trouve en l’occurrence application.
Cet article dispose que “Le nom commercial sera protégé dans tous les pays de l’union sans obligation de dépôt ou d’enregistrement, qu’il fasse ou non partie d’une marque de fabrique ou de commerce”.
Dans un arrêt du 9 juin 2011 (arrêt Jetfly – 4A_92/2011), le Tribunal fédéral a rappelé que cette disposition n’offre pas une protection absolue au nom commercial. En vertu du principe national figurant à l’article 2 de la Convention de Paris, les Etats s’engagent seulement à accorder la même protection à un nom commercial étranger que celle octroyée aux noms commerciaux nationaux. Or, en droit suisse, lorsqu’une entreprise n’est pas inscrite au registre du commerce suisse, sa désignation n’est protégée qu’à la condition que son droit au nom ait été atteint (article 29 du Code Civil suisse – ci-après, CCS) ou en présence d’un acte de concurrence déloyale (ATF 114 II 106, arrêt 4A_253/2008).
La protection de la raison de commerce non inscrite est limitée au rayon de l’activité commerciale du titulaire. Le nom commercial devait être connu en Suisse lors de l’usurpation critiquée.
En l’espèce, la Requérante dispose d’une filiale en Suisse dans le secteur de la construction et déploie en conséquence une activité commerciale en Suisse.
L’Expert arrive de ce fait à la conclusion que la Requérante dispose de droits sur son nom “ArcelorMittal” en Suisse.
La Requérante détient par ailleurs un enregistrement international pour la marque ARCELORMITTAL avec une protection en Suisse.
Au vu de ce qui précède, l’Expert arrive à la conclusion que la Requérante a un droit attaché à un signe distinctif en tant que marque et nom commercial en Suisse.
Droit au nom
D’après le dossier, la Requérante est issue d’une fusion entre deux sociétés (Arcelor et Mittal) qui a eu lieu en 2006 et qui a d’ailleurs été très largement médiatisée.
La Requérante dispose donc d’un droit antérieur à celui de la Partie adverse qui a enregistré le nom de domaine litigieux le 7 septembre 2019.
Aux termes de l’article 29 CCS, celui qui est lésé par une usurpation de son nom peut intenter action pour la faire cesser. Cette disposition protège notamment le nom des personnes morales de droit privé (ATF 128 III 353).
Selon la jurisprudence Jetfly citée plus haut, l’usage du nom d’autrui ne constitue une usurpation que s’il porte atteinte à un intérêt digne de protection. Tel sera le cas lorsque l’appropriation du nom entraîne un danger de confusion, en particulier lorsqu’elle est de nature à susciter dans l’esprit du public, par une association d’idées, un rapprochement qui n’existe pas en réalité entre le titulaire du nom et le tiers qui l’usurpe sans droit. L’usurpation peut être réalisée non seulement en cas d’utilisation du nom d’autrui dans son entier, mais également lorsque la reprise de la partie principale dudit nom crée un risque de confusion (ATF 128 III 353).
La notion de risque de confusion est la même qu’en droit de la concurrence; est visé tout comportement au terme duquel le public est induit en erreur par la création d’un danger de confusion, en particulier lorsque celui-ci est mis en place pour exploiter la réputation d’un concurrent.
En l’espèce, l’Expert relève que la Requérante a manifestement un intérêt digne de protection à protéger son nom, compte tenu notamment de la réputation et de la notoriété attaché à ce dernier en Suisse et dans le monde. Cette notoriété lui confère un intérêt particulièrement digne de protection en lien avec le nom ArcelorMittal.
Par ailleurs, l’Expert constate que le nom de domaine litigieux contient non seulement le nom protégé de la Requérante, mais aussi le terme “construction”. Il est ainsi fait directement référence à l’un des domaines d’activité pour lequel la Requérante est particulièrement connue.
Une telle association du nom de la Requérante avec le terme “construction” est d’autant plus susceptible de créer un risque de confusion que le nom de domaine litigieux est utilisé pour un annuaire listant des corps de métier et des professionnels dans ce domaine de la construction.
La Partie adverse laisse ainsi entendre qu’elle et/ou les personnes citées dans cet annuaire seraient recommandées, sponsorisées ou en relation d’affaires avec la Requérante, voire que le site internet lié au nom de domaine litigieux aurait été mis en place par elle, ce qui est faux.
Au demeurant, selon une jurisprudence constante du Tribunal fédéral, le contenu ou la présentation du site internet n’est pas forcément décisif pour apprécier le risque de confusion résultant de l’enregistrement d’un nom de domaine. L’adresse qui donne accès au site peut être décisive en tant que telle (ATF 128 II 401ss; voir aussi sic!2012 page 305 ss.).
Cette jurisprudence trouve manifestement application dans le cas d’espèce au vu de la notoriété du nom “ArcelorMittal” qui est entièrement contenu dans le nom de domaine de litigieux.
Au vu de ce qui précède, le risque de confusion entre le nom de la Requérante et le nom de domaine litigieux est dès lors avéré et l’Expert arrive à la conclusion que l’enregistrement et l’utilisation du nom de domaine litigieux constitue une infraction claire au droit au nom de la Requérante.
Droit à la marque
La Requérante dispose d’une marque antérieure pour ARCELORMITTAL en Suisse, puisque l’enregistrement pour cette marque date du 3 août 2007 alors que le nom de domaine litigieux a été enregistré par la Partie adverse en 2019. Cette marque couvre notamment des produits et services liés au domaine de la construction.
L’article 13 de la Loi sur la protection des marques confère au titulaire d’une marque le droit exclusif de l’utiliser pour désigner des produits et/ou des services. Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, le risque de confusion entre une marque et un nom de domaine doit notamment être examiné à la lumière du site internet lié au nom de domaine en question.
L’Expert relève que le nom de domaine litigieux contient non seulement la marque très connue de la Requérante (il s’agit de l’élément prépondérant), mais aussi le terme descriptif et générique “construction” qui se réfère à la sphère d’activité de la Requérante. Compte tenu de la notoriété de la marque de la Requérante, cette simple association dans le nom de domaine litigieux suffirait à établir un risque de confusion.
Au demeurant, l’Expert relève que le nom de domaine litigieux est redirigé vers un site internet qui fournit une liste d’entreprises actives dans le domaine de la construction. L’utilisateur peut donc penser que les entreprises figurant sur ce site ont un lien avec la Requérante. Le risque de confusion entre le nom de domaine litigieux et la marque antérieure de la Requérante est dès lors avéré.
Dans ces circonstances, l’Expert estime que le nom de domaine litigieux porte clairement atteinte au droit de la Requérante sur sa marque.
Pour les raisons énoncées ci-dessus, et conformément au paragraphe 24 des Dispositions, l’expert ordonne le transfert du nom de domaine <arcelormittal-construction.ch> au profit de la Requérante.
Theda König Horowicz
Expert
Le 13 janvier 2020