Centre d’arbitrage et de médiation de l’OMPI

DÉCISION DE L’EXPERT

Magda Kulik et Olivier Seidler contre Julien Bouvier

Différend n° DCH2019-0009

1. Les parties

Les Requérants sont Magda Kulik et Olivier Seidler, Suisse.

La Partie adverse est Julien Bouvier, France.

2. Le nom de domaine

Le différend concerne le nom de domaine <kulikseidler.ch>.

3. Rappel de la procédure

Le litige concerne le nom de domaine <kulikseidler.ch>.

Une demande a été déposée par Magda Kulik et Olivier Seidler auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) en date du 18 juillet 2019.

En date du 18 juillet 2019, le Centre a adressé une requête au registre SWITCH, registre du “.ch” et du “.li.”, aux fins de vérification des éléments du litige, tels que communiqués par le Requérant. En date du 19 juillet 2019, SWITCH a confirmé que la partie adverse est bien le détenteur du nom de domaine et a transmis ses coordonnées.

Le Centre a vérifié que la plainte répond bien aux exigences des Dispositions relatives à la procédure de règlement des différends pour les noms de domaine “.ch” et “.li” (ci après les Dispositions) adoptées par SWITCH, le 1er mars 2004.

Le 31 juillet 2019, le Centre a invité les Requérants à produire des pièces justificatives et autres moyens de preuve concernant le droit attaché au signe distinctif “Kulik Seidler” dans un délai échéant au 5 août 2019, requête à laquelle les Requérants ont donné suite le 4 août 2019.

Conformément au paragraphe 14 des Dispositions, le 7 août 2019, une transmission de la demande valant ouverture de la présente procédure, a été adressée à la partie adverse. Conformément au paragraphe 15(a) des Dispositions, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 27 août 2019.

Aucune réponse n’a été produite dans ledit délai, et aucune audience de conciliation n’a eu lieu dans le délai spécifié au paragraphe 17(b) des Dispositions.

En date du 25 septembre 2019, le Centre a nommé dans le présent différend comme expert Philippe Gilliéron. L’expert constate qu’il a été désigné conformément aux Dispositions. L’expert a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément au paragraphe 4 des Dispositions.

4. Les faits

Les Requérants, avocats de profession, ont pratiqué durant plusieurs années sous la dénomination “Jordan Kulik”.

En début d’année 2019, les Requérants ont décidé de rompre l’association sous laquelle ils exerçaient jusqu’alors, ce dont leur associée a été informée, et décidé de poursuivre leurs activités sous la dénomination “Kulik Seidler”.

Le 3 mai 2019, Mme Kulik a informé sur les réseaux sociaux qu’elle ne pratiquerait plus désormais au sein du bureau “Jordan Kulik”, mais qu’elle s’associait à M. Seidler pour poursuivre son activité sous “Kulik Seidler”.

Le 14 mai 2019, un dénommé Stanislas Simon, prétendument domicilié à Paris, a enregistré le nom de domaine <kulikseidler.ch>. Cependant, l’adresse apparaissant sur le WhoIs est fausse. Le nom de domaine litigieux aurait ensuite été transféré à un prétendu Julien Bouvier contre lequel la présente demande est ainsi dirigée. Aucun contenu n’est associé au nom de domaine litigieux, dont l’enregistrement apparaît ainsi purement passif.

Le 8 juillet 2019, les Requérants ont informé l’hébergeur du nom de domaine litigieux des fortes suspicions qui pesaient sur le caractère abusif de cet enregistrement, motif étant notamment tiré du fait que l’adresse mentionnée initialement n’existait pas et qu’il était difficilement concevable qu’une tierce personne domiciliée en France ait eu quelque intérêt que ce soit à enregistrer le nom de domaine litigieux. Aucune suite n’a été donnée à ce courriel.

Le 1er août 2019, les Requérants ont débuté leur activité en qualité d’associés et figurent désormais à l’Ordre des Avocats de Genève comme pratiquant sous la dénomination “Kulik Seidler”, avec pour vitrine le site rattaché au nom de domaine <kulikseidler.com>.

5. Argumentation des parties

A. Requérants

Les Requérants font tout d’abord valoir le fait que leur nom respectif est protégé par l’art. 29 al. 1er du Code Civil et que, compte tenu de leur association, il était prévisible que le nom de domaine sous lequel ils entendaient pratiquer allait être <kulikseidler.ch>. Au vu de l’annonce publique faite par la Requérante sur les réseaux sociaux le 3 mai 2019 et l’enregistrement subséquent du nom de domaine litigieux quelques jours plus tard par un tiers n’ayant aucun intérêt légitime à faire valoir en relation avec cette dénomination, les Requérants en déduisent que cet enregistrement a pour seul but de leur nuire en les empêchant d’enregistrer le nom de domaine litigieux, lequel comportement contrevient de surcroît à la loi fédérale contre la concurrence déloyale.

B. Partie adverse

La Partie adverse n’a pas procédé.

6. Discussion et conclusions

Aux termes du paragraphe 24(c) des Dispositions, l’expert fait droit à la demande lorsque l’enregistrement ou l’utilisation du nom de domaine constitue clairement une infraction à un droit attaché à un signe distinctif attribué au requérant selon le droit de la Suisse ou du Liechtenstein.

Le paragraphe 24(d) des Dispositions précise qu’il y a clairement infraction à un droit en matière de propriété intellectuelle notamment lorsque:

i. aussi bien l’existence du droit attaché à un signe distinctif invoqué que son infraction résultent clairement du texte de la loi ou d’une interprétation reconnue de la loi et des faits exposés, et qu’ils ont été prouvés par les moyens de preuve déposés; et que

ii. la partie adverse n’a pas exposé et prouvé des raisons de défense importantes de manière concluante; et que

iii. l’infraction, selon la demande en justice formulée, justifie le transfert ou l’extinction du nom de domaine.

A. Le requérant a-t-il un droit attaché à un signe distinctif selon le droit de la Suisse ou du Liechtenstein ?

Les Requérants portent respectivement les noms de famille KULIK et SEIDLER. A ce titre, ils sont détenteurs d’un droit au nom sur leur nom de famille, en application de l’art. 29 al. 1er du Code Civil.

B. L’enregistrement ou l’utilisation du nom de domaine constitue-t-il clairement une infraction à un droit attaché à un signe distinctif attribué au requérant selon le droit de la Suisse ou du Liechtenstein ?

Au vu des circonstances du cas d’espèce, il ne fait aucun doute dans l’esprit de l’expert que le nom de domaine <kulikseidler.ch> a été enregistré dans le seul but d’empêcher les Requérants d’enregistrer un nom de domaine correspondant à celui sous lequel ils entendaient exercer leurs activités d’avocats.

Rien ne permet en effet d’expliquer la raison pour laquelle une personne domiciliée en France, à supposer son identité correcte, aurait enregistré un nom de domaine composé des noms de familles des Requérants quelques jours après que ces derniers ont annoncé leur intention de s’associer et de pratiquer sous la dénomination “Kulik Seidler” sur les réseaux sociaux. Rien ne permet d’expliquer cette coïncidence et la Partie adverse, qui a n’a pas procédé, doit supporter les conséquences de l’absence de toute explication à ce sujet. L’absence de quelque intérêt que ce soit de la part de la Partie adverse en relation avec le nom de domaine litigieux apparaît d’autant plus patente que ce dernier n’est rattaché à aucun site actif.

Au vu de ce qui précède, l’expert est d’avis que l’enregistrement du nom de domaine <kulikseidler.ch> constitue tant une usurpation des noms de famille des Requérants au sens de l’art. 29 al. 2 CC qu’un comportement contrevenant aux règles de la bonne foi au sens de l’art. 2 LCD, puisqu’il a pour seul objectif d’empêcher les Requérants d’enregistrer ledit nom de domaine.

7. Décision

Pour les raisons énoncées ci-dessus, et conformément au paragraphe 24 des Dispositions, l’expert ordonne le transfert du nom de domaine <kulikseidler.ch> au profit des Requérants.

Philippe Gilliéron
Expert
Le 1er octobre 2019