Le Requérant est Carrefour de Boulogne-Billancourt, France, représenté par Dreyfus & associés, France.
Le Défendeur est Reda Akhbou, Mercato de Lunel, France.
Le nom de domaine litigieux <carrefour-services-plus.com> est enregistré auprès de Gandi SAS (ci-après désigné “l’Unité d’enregistrement”).
Une plainte a été déposée par Carrefour auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) en date du 26 mars 2018. En date du 26 mars 2018, le Centre a adressé une requête à l’Unité d’enregistrement aux fins de vérification des éléments du litige, tels que communiqués par le Requérant. Le 27 mars 2018, l’Unité d’enregistrement a transmis sa vérification au Centre confirmant l’ensemble des données du litige.
Le Centre a vérifié que la plainte répondait bien aux Principes directeurs régissant le Règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine (ci-après dénommés “Principes directeurs”), aux Règles d’application des Principes directeurs (ci-après dénommées les “Règles d’application”), et aux Règles supplémentaires de l’OMPI (ci-après dénommées les “Règles supplémentaires”) pour l’application des Principes directeurs précités.
Conformément aux paragraphes 2 et 4 des Règles d’application, le 3 avril 2018, une notification de la plainte valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au Défendeur. Conformément au paragraphe 5 des Règles d’application, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 23 avril 2018. Le Défendeur n’a fait parvenir aucune réponse. En date du 24 avril 2018, le Centre notifiait le défaut du Défendeur.
En date du 14 mai 2018, le Centre nommait Emmanuelle Ragot comme expert dans le présent litige. La Commission administrative constate qu’elle a été constituée conformément aux Principes directeurs et aux Règles d’application. La Commission administrative a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément au paragraphe 7 des Règles d’application.
Le groupe Carrefour est l’un des leaders mondiaux de la distribution de référence avec une présence internationale dans plus de 30 pays et des sites d’e-commerce. Son volume d’affaires sous enseignes est de 103,7 milliards d’euros en 2016.
Le groupe Carrefour déploie aujourd’hui son activité sur trois grands marchés: l’Europe, l’Amérique latine et l’Asie et il est, le plus souvent, l’un des premiers employeurs privés des pays dans lesquels il est implanté.
Carrefour jouit d’une forte renommée auprès du public, notamment français du fait de son ancrage historique en France au tout début de la distribution et des multiples services proposés.
En outre, Carrefour est l’un des premiers distributeurs pétroliers français. A ce titre, le site Internet officiel Carrefour présente le système de stations-service de l’enseigne.
Le Requérant est titulaire d’enregistrements de marques portant sur les dénominations CARREFOUR et SERVICES FINANCIERS CARREFOUR et notamment:
- Marque française CARREFOUR n° 1487274, en date du 2 septembre 1988, dûment renouvelée, désignant des services en classe 35, 36, 37, 38, 39, 40, 41, 42;
- Marque de l’Union Européenne CARREFOUR n° 5178371, en date du 30 août 2007, dûment renouvelée, désignant des produits et services en classes 9, 35, 38;
- Marque française SERVICES FINANCIERS CARREFOUR n° 97674939 en date du 23 avril 1997, dûment renouvelée, désignant des services en classe 9, 16, 36, 38.
Le Requérant est également titulaire de plusieurs noms de domaine parmi lesquels: <carrefour.com> enregistré le 25 octobre 1995, correspondant au site officiel de Carrefour.
Le Requérant a constaté la réservation du nom de domaine <carrefour-services-plus.com> par le Défendeur.
Avant d’introduire la présente action UDRP, le Requérant a fait plusieurs tentatives pour solutionner ce différend à l’amiable.
Le Requérant constate que le nom de domaine litigieux reproduit entièrement la marque CARREFOUR à l’identique et l’associe à l’extension <services> et <plus>, qui fait à la fois écho aux différents services proposés par Carrefour et, de façon plus générale, à l’activité principale du Requérant (la vente au détail de produits dans des supermarchés, hypermarchés, minimarchés, etc.).
Le nom de domaine pointe vers une page présentant la configuration de “php”, un langage de script pour le développement web. La composition dudit nom de domaine accroît le risque de confusion car il conduit les internautes à penser qu’il appartient au Requérant, afin de les renseigner sur les services développés par Carrefour.
Le Requérant rappelle que la marque CARREFOUR a d’ores et déjà été reconnue notoire (Carrefour c. VistaPrint Technologies Ltd, Litige OMPI n° D2015-0769; Carrefour c. Park Kyeong Sook, Litige OMPI n° D2014-1425; Carrefour c. Tony Mancini, USDIET, Litige OMPI No. D2014-1277; Carrefour c. Ali Fetouh, Fasateen Litige OMPI n° D2017-0089).
Sur le fondement des Principes directeurs, de nombreuses décisions ont constaté que l’incorporation d’une marque reproduite à l’identique au sein d’un nom de domaine est suffisante pour établir que le nom de domaine est identique ou semblable au point de prêter à confusion à la marque du requérant (AREVA c. St. James Robyn Limoges, Litige OMPI n° D2010-1017; Société des Participations du Commissariat à l’Energie Atomique c. David Morton, Litige OMPI n° D2007-0679; Société AT&T Corp. c. William Gormally,Litige OMPI n° D2005-0758).
Le nom de domaine litigieux, <carrefour-services-plus.com>, reproduit à l’identique la marque CARREFOUR, qui jouit d’une renommée incontestable auprès du public français en y associant les termes génériques “services” et “plus”.
A cette marque, est associée le terme générique “services”. Ce terme correspond à l’un des domaines d’activités du Requérant. Dès lors, le risque de confusion est accru.
Le Requérant en déduit que le nom de domaine litigieux <carrefour-services-plus.com> est similaire aux marques SERVICES FINANCIERS CARREFOUR. En effet, la seule inversion des termes n’est pas suffisant pour écarter le risque de confusion entre la marque et le nom de domaine litigieux.
Le Requérant allègue que le Défendeur n’a aucun droit sur le nom de domaine litigieux ni aucun intérêt légitime qui s’y attache. Il indique que Défendeur n’est ni affilié au Requérant, ni autorisé par le Requérant à enregistrer ou à utiliser les marques CARREFOUR, SERVICES FINANCIERS CARREFOUR ou encore à demander l’enregistrement de tout nom de domaine incorporant l’une ou l’autre de ces marques, et que le Défendeur n’est pas connu sous le nom CARREFOUR. En outre, selon le Requérant, le Défendeur n’a fait aucune utilisation du nom de domaine litigieux en relation avec une offre de bonne foi de produits ou de services, ou fait des préparatifs sérieux à cet effet.
En outre, le Requérant estime qu’au moment où le Défendeur a enregistré le nom de domaine litigieux, il savait que le Requérant était titulaire des marques CARREFOUR et SERVICES FINANCIERS CARREFOUR car la marque CARREFOUR est fortement connue à travers le monde. Selon le Requérant le nom de domaine litigieux a également été enregistré et est utilisé de mauvaise foi car il est détenu passivement, le Défendeur n’a pas répondu à la lettre de mise en demeure envoyé par le Requérant, le Défendeur en tire un bénéfice résultant de sa vente, et la détention du nom de domaine litigieux par le Défendeur prive le Requérant de la possibilité de déposer des noms de domaine reprenant sa marque.
Le Défendeur n’a pas répondu aux arguments du Requérant malgré les diverses tentatives du Requérant.
Le paragraphe 15(a) des Règles d’application prévoit que “la Commission statue sur la plainte au vu des écritures et des pièces qui lui ont été soumises et conformément aux Principes directeurs aux présentes Règles et à tout principe ou règle de droit qu’elle juge applicable.”
Au demeurant, le paragraphe 4(a) des Principes directeurs impose au Requérant de prouver cumulativement que:
- Le nom de domaine litigieux est identique ou semblable au point de prêter à confusion à une marque de produit ou de service sur laquelle le Requérant a des droits.
- Le Défendeur n’a aucun droit sur le nom de domaine litigieux, ni aucun intérêt légitime qui s’y rattache.
- Le nom de domaine litigieux a été enregistré et est utilisé de mauvaise foi.
La Commission administrative constate que le nom de domaine litigieux, <carrefour-services-plus.com>, reproduit à l’identique la marque CARREFOUR, qui jouit d’une renommée incontestable auprès du public français en y associant les termes génériques “services” et “plus”.
L’incorporation d’une marque reproduite à l’identique au sein d’un nom de domaine est suffisante pour établir que le nom de domaine est identique ou semblable au point de prêter à confusion à la marque du requérant (AREVA c. St. James Robyn Limoges, Litige OMPI n° D2010-1017; Société des Participations du Commissariat à l’Energie Atomique c. David Morton, Litige OMPI n° D2007-0679; AT&T Corp. c. William Gormally, Litige OMPI n° D2005-0758).
A cette marque, est associée le terme générique “services”. Ce terme correspond à l’un des domaines d’activités du Requérant.
Dès lors, la Commission administrative considère que le nom de domaine litigieux est similaire aux marques invoquées par le Requérant au point de prêter à confusion avec celles-ci.
L’enregistrement des marques du Requérant précède largement l’enregistrement du nom de domaine litigieux. Il est dès lors difficile d’envisager que le Défendeur ait des droits ou intérêts légitimes sur le nom de domaine litigieux.
Le Défendeur n’est ni affilié au Requérant, ni autorisé par le Requérant à enregistrer ou à utiliser les marques CARREFOUR, SERVICES FINANCIERS CARREFOUR ou encore à demander l’enregistrement de tout nom de domaine incorporant l’une ou l’autre de ces marques. Le Défendeur n’est pas connu sous le nom “Carrefour”. En effet, les bases de données Whois indiquent que son nom est Reda Akhbou, Mercato. Aucune raison ne semble ainsi justifier la réservation du nom de domaine en cause par le Défendeur.
Comme le nom de domaine litigieux reprend à l’identique les marques du Requérant et notamment la marque CARREFOUR qui est très largement connue et exploitée, le Défendeur ne peut raisonnablement prétendre qu’il avait l’intention de développer une activité légitime.
L’enregistrement d’un nom de domaine correspondant à la marque renommée d’un tiers ne peut être considéré comme un usage légitime du nom de domaine (Carrefour SA contre Eric Langlois,Litige OMPI n° D2007-0067et Compagnie Gervais Danone contre Sarl Biu, Litige OMPI n° D2007-1824).
En l’absence de licence ou d’autorisation de la part du Requérant, le Défendeur ne peut prétendre qu’il comptait utiliser le nom de domaine litigieux en relation avec une offre de bonne foi de biens ou de services (LEGO Juris A/S c. DomainPark Ltd, David Smith, Above.com Domain Privacy, Transure Enterprise Ltd, Host master, Litige OMPI n° D2010-0138).
Pour les raisons citées ci-dessus, la Commission administrative estime que le second critère posé au paragraphe 4 (a)(ii) des Principes directeurs est satisfait.
Il apparait évident qu’au moment où le Défendeur a enregistré le nom de domaine litigieux, il savait que le Requérant était titulaire de la marque CARREFOUR, voire également de la marque SERVICES FINANCIERS CARREFOUR.
La marque CARREFOUR est fortement connue à travers le monde. Les Commissions administratives en ont déjà souligné la notoriété (Carrefour v. VistaPrint Technologies Ltd, Litige OMPI n° D2015-0769; Carrefour v. Park Kyeong Sook, Litige OMPI n° D2014-1425; Carrefour v. Tony Mancini, USDIET, Litige OMPI n° D2014-1277; Carrefour v. Ali Fetouh, Fasateen, Litige OMPI n° D2017-0089).
Il semble ainsi impossible que le Défendeur ait pu ignorer le Requérant et sa marque CARREFOUR au moment où il a enregistré le nom de domaine litigieux.
Il ressort de la jurisprudence constante des Commissions administratives que la connaissance de la marque au moment de l’enregistrement du nom de domaine litigieux est un indice de mauvaise foi (The Pala Band of Mission India dba Pala Casino c. Frédéric Piechon, Litige OMPI n° D2013-1432).
En tout état de cause, il incombait au réservataire préalablement à l’enregistrement du nom de domaine de vérifier qu’il ne portait pas atteinte aux droits des tiers (Nike, Inc. v. B.B. de Boer; Litige OMPI n°. D2000-1397; Carolina Herrera, Ltd. v. Alberto Rincon Garcia, Litige OMPI n° D2002-0806; Compagnie Gervais Danone contre Gueorgui Dimitrov / NETART, Litige OMPI n° D2009-0901).
Surabondamment, le Défendeur ne fait aucune utilisation dudit nom de domaine puisqu’il pointe vers une page présentant la configuration de “php”, un langage de script pour le développement web. Ceci, démontre un manque d’intérêt à l’égard du nom de domaine et suggère indubitablement la mauvaise foi du Défendeur au moment de l’enregistrement. En effet, malgré son assurance à déterminer que le nom de domaine litigieux cause ne portait pas atteinte aux droits du Requérant et donc qu’il entendait développer, en lien avec ce nom, un site pour l’un de ses clients, le Requérant note qu’aucune opération en ce sens n’a été effectivement mise en œuvre par le Défendeur.
En conséquence, toutes les circonstances mentionnées ci-dessus confirment que le nom de domaine litigieux a été enregistré de mauvaise foi.
Sur l’usage, même si le nom de domaine litigieux n’est pas exploité actuellement et fait l’objet d’une détention passive, cela n’empêche pas la reconnaissance d’un usage de mauvaise foi dudit nom de domaine au regard des Principes UDRP et de la jurisprudence des Commissions administratives.
En effet, le concept d’usage de mauvaise foi ne se limite pas à des actions positives (Telstra Corporation Limited c. Nuclear Marshmallows, Litige OMPI n° D2000-0003; Areva v. N/A, Litige OMPI n° D2008-0537; Intel Corporation c. The Pentium Group, Litige OMPI n° D2009-0273; TV Azteca, S.A.B. de C.V. c. Spiral Matrix, Litige OMPI n° D2011-0008, TV Azteca, S.A.B. de C.V. v. Spiral Matrix).
Un certain nombre d’éléments peuvent en tout état de cause être mis en avant afin de démontrer que le Défendeur utilise également le nom de domaine de mauvaise foi.
Ce nom de domaine reproduit à l’identique la marque CARREFOUR du Requérant, qui bénéficie d’une grande reconnaissance auprès du public. Il reproduit également partiellement sa marque SERVICES FINANCIERS CARREFOUR. Il ressort de la jurisprudence constante des Commissions administratives que l’’utilisation d’un nom de domaine reproduisant une marque notoire par une personne sans lien avec le titulaire de la marque ne peut que suggérer la mauvaise foi (Sanofi-aventis c. Nevis Domains LLC, Litige OMPI n° D2006-0303).
Comme évoqué dans la section B, le Défendeur ne dispose d’aucun droit ou intérêt sur le nom de domaine litigieux et en l’absence de licence ou d’autorisation de la part du Requérant, le Défendeur ne peut prétendre qu’il comptait utiliser le nom de domaine litigieux, en relation avec une offre de bonne foi de biens ou de services.
Un tel comportement a déjà été considéré comme étant un indice de mauvaise foi par des Commissions antérieures (Bayerische Motoren Werke AG c. (This Domain is For Sale) Joshuathan Investments, Inc., Litige OMPI n° D2002-0787).
En outre, le Défendeur n’a pas répondu à la lettre de mise en demeure envoyée par le Requérant ni aux deux rappels qui ont suivi.
Ce comportement constitue un indice flagrant du fait que le Défendeur a enregistré et utilisé le nom de domaine <carrefour-services-plus.com> de mauvaise foi, éventuellement dans le but d’en tirer un bénéfice résultant de sa vente, soit au Requérant soit à l’un de ses concurrents.
Le Défendeur a également mis en place serveurs de mail configurés liés au nom de domaine <carrefour-services-plus.com>. La présence de serveurs mail configurés liés à un nom de domaine peut constituer un risque réel d’hameçonnage, technique utilisée par des fraudeurs pour obtenir des renseignements personnels dans le but de perpétrer une usurpation d’identité (Accor SA v. Domain Admin, C/O ID#10760, Privacy Protection Service INC d/b/a PrivacyProtect.org / Yogesh Bhardwaj, Litige OMPI n° D2017-1225).
Enfin, la détention du nom de domaine litigieux par le Défendeur prive le Requérant de la possibilité de déposer de tels noms de domaine reprenant sa marque, ce qui ne peut être considéré comme un usage de bonne foi (L’Oréal v. Chenxiansheng, Litige OMPI n° D2009-0242,).
En application du paragraphe 4(a)(iii) des Principes directeurs, le Requérant doit non seulement démontrer que le nom de domaine est litigieux a été enregistré mais aussi utilisé de mauvaise foi.
Compte tenu de ce qui précède, la Commission administrative considère que le nom de domaine <carrefour-services-plus.com> a été enregistré et utilisé de mauvaise foi conformément au paragraphe 4(a)(iii) des Principes directeurs.
Pour les raisons exposées ci-dessus, et conformément aux paragraphes 4(i) des Principes directeurs et 15 des Règles d’application, la Commission administrative ordonne que le nom de domaine litigieux <carrefour-services-plus.com> soit transféré au Requérant.
Emmanuelle Ragot
Expert Unique
Le 15 mai 2018