Centre d’arbitrage et de médiation de l’OMPI

DÉCISION DE LA COMMISSION ADMINISTRATIVE

Société du Figaro S.A. contre Yvette Brousse

Litige n° D2015-2172

1. Les parties

Le requérant est Société du Figaro S.A. de Paris, France, représenté par Nameshield, France.

Le défendeur est Yvette Brousse de Strasbourg, France.

2. Nom de domaine et unité d’enregistrement

Le litige concerne le nom de domaine <lefigaro-groupe.com>.

L'unité d’enregistrement auprès de laquelle le nom de domaine est enregistré est Register.IT SPA.

3. Rappel de la procédure

Une plainte a été déposée par Société du Figaro S.A. auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le « Centre ») en date du 1er décembre 2015.

En date du 1er décembre 2015, le Centre a adressé une requête à l’unité d’enregistrement du nom de domaine litigieux, Register.IT SPA, aux fins de vérification des éléments du litige, tels que communiqués par le Requérant. Le 2 décembre 2015, l’unité d’enregistrement a transmis sa vérification au Centre confirmant l’ensemble des données du litige. Le 8 décembre 2015, suite à la communication du Centre, le Requérant a demandé que le français soit la langue de la procédure.

Le Centre a vérifié que la plainte répond bien aux Principes directeurs régissant le Règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine (ci-après dénommés « Principes directeurs »), aux Règles d’application des Principes directeurs (ci-après dénommées les « Règles d’application »), et aux Règles supplémentaires de l’OMPI (ci-après dénommées les « Règles supplémentaires ») pour l’application des Principes directeurs précités.

Conformément aux paragraphes 2(a) et 4(a) des Règles d’application, le 16 décembre 2015, une notification de la plainte valant ouverture de la présente procédure administrative en français et en anglais, a été adressée au Défendeur. Conformément au paragraphe 5(a) des Règles d’application, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 5 janvier 2016. Le Défendeur n’a fait parvenir aucune réponse. En date du 6 janvier 2016, le Centre notifiait le défaut du Défendeur.

En date du 20 janvier 2016, le Centre nommait dans le présent litige comme expert-unique Isabelle Leroux. La Commission administrative constate qu’elle a été constituée conformément aux Principes directeurs et aux Règles d’application. La Commission administrative a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément au paragraphe 7 des Règles d’application.

4. Les faits

Le Requérant est la société française Société du Figaro, ayant commencé son activité en 1856. Le Requérant a pour activité la publication du journal Le Figaro et tous autres journaux et publications, les prestations éditoriales et administratives à l’ensemble des sociétés du Groupe Figaro.

Le Requérant édite notamment le quotidien français « le Figaro », fondé en 1826, plus ancien quotidien de la presse française encore publié à ce jour. Le journal « Le Figaro » est le premier quotidien généraliste national avec une diffusion de plus de 300.000 exemplaires.

Le Requérant édite également d’autres publications telles que le Figaro Magazine, Madame Figaro ou encore le Figaroscope.

Le Requérant est titulaire de la marque internationale LE FIGARO n°319381 enregistrée le 26 août 1966 et dûment renouvelée, pour désigner les produits suivants en classe 16 : « papiers, livres, publications, imprimés, journaux, périodiques, revues, affiches et en général tout ce qui concerne la gestion et l’exploitation d’un journal quotidien ».

Le Requérant est également titulaire de plusieurs noms de domaine comprenant le terme « figaro » et notamment le nom de domaine <lefigaro.fr>, enregistré le 14 août 1996.

Le Défendeur a enregistré le nom de domaine <lefigaro-groupe.com> le 9 novembre 2015.

C’est dans ces conditions que le Centre a été saisi du présent litige.

5. Argumentation des parties

A. Requérant

Le Requérant indique détenir des droits de marque antérieurs à la réservation du nom de domaine litigieux, lequel est fortement similaire aux marques du Requérant, l’ajout d’un tiret, du terme générique « groupe » et du suffixe « .com » à la marque antérieure LE FIGARO n’étant pas de nature à écarter le risque de confusion entre le nom de domaine litigieux et les signes du Requérant.

Selon le Requérant, le titulaire du nom de domaine litigieux n’a aucun droit sur le nom de domaine litigieux et ne peut faire valoir aucun intérêt légitime, n’est pas connu sous le nom « Le Figaro » et ne bénéficie d’aucune licence qui lui aurait été concédée par le Requérant sur ses marques, ni d’aucune autorisation par ce dernier d’enregistrer le nom de domaine litigieux <lefigaro-groupe.com>.

Le Requérant fait encore valoir que le nom de domaine litigieux a été enregistré et est utilisé de mauvaise foi, car le site internet correspondant est inactif et que le Défendeur n’a présenté aucun projet de développement futur pour ce nom de domaine.

Le Requérant prétend encore que la mauvaise foi du Défendeur est démontrée par les autres enregistrements dont il est titulaire, constitués de la combinaison de noms de sociétés françaises avec le mot « groupe ».

Enfin, le Requérant prétend que le Défendeur aurait tenté d’usurper son identité, et de contacter son service financier en se faisant passer une personne du Groupe Le Figaro.

Compte tenu de ces éléments, le Requérant sollicite le transfert du nom de domaine litigieux <lefigaro-groupe.com> à son profit.

B. Défendeur

Le Défendeur n’a adressé aucune réponse au Centre.

6. Discussion et conclusions

Le paragraphe 4(a) des Principes directeurs impose au Requérant de prouver contre le Défendeur cumulativement que:

(i) le nom de domaine litigieux est identique ou semblable au point de prêter à confusion à une marque de produit ou de service sur laquelle le Requérant a des droits;

(ii) il n’a aucun droit sur le nom de domaine litigieux ni aucun intérêt légitime qui s’y rattache;

(iii) le nom de domaine litigieux a été enregistré et est utilisé de mauvaise foi.

En conséquence, il y a lieu de s’attacher à répondre à chacune des trois conditions prévues par le paragraphe 4(a) des Principes directeurs.

Préalablement, il convient de régler la question de la langue de la procédure, dans la mesure où la langue utilisée dans la Plainte par le Requérant n’est pas la langue du contrat d’enregistrement du nom de domaine litigieux, ainsi que la question de l’incidence du défaut de réponse du Défendeur compte tenu de faible nombre de pièces fournies par le Requérant pour démontrer la véracité des allégations formulées dans la Plainte.

A. Langue de la procédure

La langue du contrat d’enregistrement du nom de domaine litigieux est l’anglais. Conformément au paragraphe 11(a) des Règles d’application, en l’absence d’accord express entre les parties ou de dispositions spécifiques dans le contrat d’enregistrement, la langue de la procédure doit être la langue du contrat d’enregistrement, sauf à ce que la commission administrative en décidé exceptionnellement autrement, sur demande de l’une des parties ou des deux, ou à sa discrétion en fonction des éléments de la procédure.

Il ressort des éléments de la procédure que le Requérant a rédigé sa plainte en français et a demandé à ce que la langue de la procédure soit le français.

La Commission administrative a pris en compte cette demande, et notamment les éléments suivants :

a) le Défendeur est domicilié en France, ainsi qu’en témoignent les indications figurant sur la fiche WhoIs transmise par l’unité d’enregistrement;

b) le nom de domaine litigieux contient le terme français « groupe » ;

c) le Défendeur n’a pas répondu à la plainte. S’il l’avait fait, il aurait eu l’occasion de se prononcer sur la question de la langue de la procédure.

En conséquence, la Commission administrative est d’avis que la langue française peut être utilisée pour la présente procédure.

B. Incidence du défaut de réponse du Défendeur

Conformément au paragraphe 5(e) des Règles d’application, si le Défendeur ne présente pas de réponse et en l’absence de conditions exceptionnelles, la Commission administrative arbitrera le litige en se basant sur la Plainte.

Toutefois, conformément au paragraphe 4.6 de la Synthèse des avis des commissions administratives de l’OMPI sur certaines questions relative aux principes UDRP, deuxième édition (“Synthèse, version 2.0”) le défaut du Défendeur ne conduit pas automatiquement et simplement à une décision conforme à la Plainte. La Commission administrative doit examiner si les conditions relatives aux mesures de réparation demandées sont remplies, en se fondant sur les éléments apportés par le Requérant.

En l’espèce, la Commission administrative constate que le Requérant a fait de nombreuses affirmations dans sa plainte sans pour autant fournir les documents prouvant la réalité de ces affirmations. Cependant, dans la mesure où le Défendeur n’a jamais répondu à la plainte, et où aucune circonstance exceptionnelle ne justifiait le défaut de réponse du Défendeur, la Commission administrative en déduit que le Défendeur ne réfute pas les faits et affirmations énoncées par le Requérant (Reuters Limited v. Global Net 2000, Inc., WIPO Case No. D2000-0441; LCIA (London Court of International Arbitration) v. Wellsbuck Corporation, WIPO Case No. D2005-0084; Ross-Simons, Inc. v. Domain.Contac, WIPO Case No. D2003-0994). Par conséquent, les faits allégués qui ne semblent pas exagérés ou déraisonnables sont considérés comme véridiques par la Commission administrative.

Ceci étant énoncé, la Commission administrative a procédé à l’analyse des trois conditions prévues par le paragraphe 4(a) des Principes directeurs.

C. Identité ou similitude prêtant à confusion

La marque antérieure du Requérant est la marque LE FIGARO.

Le nom de domaine litigieux <lefigaro-groupe.com>, s’il n’est identique à la marque antérieure du Requérant, est en tout état de cause fortement similaire à cette dernière, au point de prêter à confusion avec elle.

En effet, le nom de domaine litigieux reproduit intégralement la marque antérieure du Requérant LE FIGARO, ce qui ne peut être fortuit dans la mesure où le terme FIGARO n’a aucune signification dans la langue française, si ce n’est la référence au nom du personnage de Beaumarchais. L’adjonction de l’adjectif « le » accentue son caractère distinctif. En outre, la marque LE FIGARO est connue pour les magazines et produits relatifs à la presse.

L’adjonction du terme “groupe” augmente encore le risque de confusion avec la marque antérieure du Requérant, apparaissant comme une déclinaison de cette dernière. La Commission administrative relève en outre que le Requérant appartient au Groupe Figaro, ces termes étant identiques à ceux utilisés dans le nom de domaine litigieux, simplement inversés.

L’ajout d’un trait d’union entre les termes “lefigaro” et “groupe” est indifférent et ne saurait écarter le risque de confusion entre le nom de domaine litigieux et la marque antérieure du Requérant, cette dernière étant intégralement reproduite dans le nom de domaine litigieux.

Enfin, conformément aux principes énoncés par de nombreux experts UDRP, l’adjonction du suffixe “.com” ne revêt pas de caractère distinctif dans le domaine des services rendus sur Internet (CBS Broadcasting Inc. c. Worldwide Webs, Inc., Litige OMPI No. D2000-0834). Dès lors, cet élément n’est pas davantage de nature à écarter le risque de confusion pouvant exister entre les signes en présence.

En conséquence, la Commission administrative considère que le nom de domaine litigieux <lefigaro-groupe.com> est similaire à la marque antérieure du Requérant au point de prêter à confusion avec cette dernière.

D. Droits ou intérêts légitimes

Selon le paragraphe 4(a)(ii) des Principes directeurs, le Requérant doit démontrer que le Défendeur n’a pas de droits ou d’intérêts légitime sur le nom de domaine litigieux.

Il ressort du paragraphe 4(c) des Principes directeurs qu’il y a lieu de reconnaître comme intérêt légitime ou droit sur le nom de domaine litigieux notamment lorsque le Défendeur apporte la preuve de ses droits sur le nom de domaine litigieux ou son intérêt légitime qui s’y attache, cette preuve pouvant être constituée par l’une des circonstances ci-après:

(i) Avant d’avoir eu connaissance du litige, le Défendeur a utilisé le nom de domaine litigieux ou un nom correspondant au nom de domaine litigieux en relation avec une offre de bonne foi de produits ou de services, ou fait des préparatifs sérieux à cet effet ;

(ii) Le Défendeur est connu sous le nom de domaine litigieux, même sans avoir acquis de droits sur une marque de produits ou de services ; ou

(iii) Le Défendeur fait un usage non commercial légitime ou un usage loyal du nom de domaine litigieux sans intention de détourner à des fins lucratives les consommateurs en créant une confusion ni de ternir la marque de produits ou de services en cause.

Le Requérant a apporté la preuve prima facie que le Défendeur n’aurait aucun droit ou intérêt légitime sur le nom de domaine litigieux. En effet, la Commission administrative relève que le Défendeur n’a enregistré aucune marque ayant un lien avec le nom de domaine litigieux dans aucun pays européen, pas plus qu’il n’a été autorisé par le Requérant à utiliser ses marques ou réserver le nom de domaine litigieux. La Commission administrative relève également que le Défendeur n’est pas connu sous le nom de domaine litigieux.

Le Défendeur n’ayant pas répondu à la plainte, il n’a apporté à la Commission administrative aucun élément de nature à démontrer qu’il détiendrait sur le nom de domaine litigieux des droits ou intérêts légitimes, ou qu’il l’utiliserait en relation avec une offre de bonne foi de produits ou de services.

En conséquence, la Commission administrative considère que le défendeur n’a pas un droit ou un intérêt légitime au nom de domaine litigieux <lefigaro-groupe.com>.

E. Enregistrement et usage de mauvaise foi

Conformément au paragraphe 4(b) des Principes directeurs, la preuve de l’enregistrement et de l’utilisation de mauvaise foi visée au paragraphe 4(a)(iii) des Principes directeurs peut être constituée “en particulier, pour autant que leur réalité soit constatée par la commission administrative, par les circonstances ci-après:

(i) les faits montrent que vous avez enregistré ou acquis le nom de domaine essentiellement aux fins de vendre, de louer ou de céder d’une autre manière l’enregistrement de ce nom de domaine au Requérant qui est le propriétaire de la marque de produits ou de services, ou à un concurrent de celui-ci, à titre onéreux et pour un prix excédant le montant des frais que vous pouvez prouver avoir déboursé en rapport direct avec ce nom de domaine,

(ii) vous avez enregistré le nom de domaine en vue d’empêcher le propriétaire de la marque de produits ou de services de reprendre sa marque sous forme de nom de domaine, et vous êtes coutumier d’une telle pratique,

(iii) vous avez enregistré le nom de domaine essentiellement en vue de perturber les opérations commerciales d’un concurrent, ou

(iv) en utilisant ce nom de domaine, vous avez sciemment tenté d’attirer, à des fins lucratives, les utilisateurs de l’Internet sur un site Web ou autre espace en ligne vous appartenant, en créant une probabilité de confusion avec la marque du Requérant en ce qui concerne la source, le commanditaire, l’affiliation ou l’approbation de votre site ou espace Web ou d’un produit ou service qui y est proposé.”

Il convient tout d’abord de préciser que les dispositions figurant au paragraphe 4(b) des Principes directeurs ne sont que des illustrations possibles de cas dans lesquels il peut être retenu que le Défendeur a agi de mauvaise foi au sens du paragraphe 4(a)(iii) des Principes directeurs.

La Commission administrative rappelle qu’il appartenait au Défendeur, avant de procéder à l’enregistrement du nom de domaine <lefigaro-groupe.com>, de vérifier que cet enregistrement ne portait pas atteinte aux droits des tiers.

En l’espèce, le nom de domaine litigieux n’est pas exploité. Il convient de déterminer si la détention passive du nom de domaine litigieux peut être qualifiée d’enregistrement et d’usage de mauvaise foi au sens des paragraphes 4(a)(iii) et (b) des Principes directeurs.

Depuis la décision Telstra Corporation Limited c. Nuclear Marshmallows, Litige OMPI No. D2000-0003, il est reconnu que la détention passive d’un nom de domaine, si elle s’accompagne d’autres circonstances, peut être considérée comme une démonstration de la mauvaise foi du Défendeur.

En l’espèce, la Commission administrative relève que:

- le Défendeur, étant domicilié en France, ne pouvait ignorer l’existence du Requérant et sa renommée, de sorte que l’enregistrement du nom de domaine litigieux, quasi identique à la marque antérieure du Requérant, ne peut être fortuite ;

- le Défendeur est titulaire de plusieurs autres noms de domaine incorporant le nom de sociétés françaises et composés de la même façon, à savoir en adjoignant à ces noms de sociétés le mot générique « groupe ».

Il en découle que l’enregistrement a bien été fait de mauvaise foi, et qu’il est impossible de concevoir un usage du nom de domaine litigieux autre qu’illégitime, par exemple pour se faire passer pour le Requérant, tromper les consommateurs ou encore créer une confusion avec les marques du Requérant.

La Commission administrative conclut que le nom de domaine litigieux <lefigaro-groupe.com> a été enregistré et utilisé de mauvaise foi par le Défendeur au sens du paragraphe 4(a)(iii) des Principes directeurs.

7. Décision

Compte tenu des conclusions qui précèdent et en application des paragraphes 4(i) des Principes directeurs et 15 des Règles d’application, la Commission administrative ordonne que le nom de domaine litigieux <lefigaro-groupe.com> soit transféré au Requérant.

Isabelle Leroux
Expert Unique
Le 5 février 2016