Le Requérant est Google Inc., Mountain View, États-Unis d'Amérique, représenté par Lovells LLP, France.
Le Défendeur est Varvunt Ben Ami / Michael Ben Ami, Dimona, Israël.
Le litige concerne le nom de domaine <gogle.fr> enregistré le 21 mai 2004.
Le prestataire Internet est la société OVH, Roubaix, France.
Une demande déposée par le Requérant auprès du Centre d'arbitrage et de médiation de l'Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) a été reçue le 29 décembre 2009, par courrier électronique et le 4 janvier 2010, par courrier postal.
Le 29 décembre 2009, le Centre a adressé à l'Association Française pour le Nommage Internet en Coopération (ci-après l'“Afnic”) une demande aux fins de vérification des éléments du litige et de gel des opérations.
Le 30 janvier 2009, l'Afnic a confirmé l'ensemble des données du litige, ainsi qu'aucune procédure administrative applicable au nom de domaine objet du litige n'est pendante.
Le Centre a vérifié que la demande répond bien au Règlement sur la procédure alternative de résolution des litiges du “.fr” et du “.re” par décision technique (ci-après le “Règlement”) en vigueur depuis le 22 juillet 2008, et applicable à l'ensemble des noms de domaine du “.fr” et du “.re” conformément à la Charte de nommage de l'Afnic applicable (ci-après la “Charte”).
Conformément à l'article 14(c) du Règlement, une notification de la demande, valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au Défendeur le 8 janvier 2010. Conformément à l'article 15(a) du Règlement, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 28 janvier 2010. Le Défendeur n'a pas fait parvenir de réponse. Le Centre a donc transmis au Défendeur une Notification d'un défaut du défendeur le 29 janvier 2009.
Le 8 février 2010, le Centre nommait Christophe Caron comme Expert dans le présent litige. L'Expert constate qu'il a été nommé conformément au Règlement. L'Expert a adressé au Centre une déclaration d'acceptation et une déclaration d'impartialité et d'indépendance, conformément à l'article 4 du Règlement. Le même jour, le Défendeur a tenté de contacter directement l'Expert qui a refusé de communiquer avec lui afin de sauvegarder le principe du contradictoire.
La société de droit américain Google Inc. exploite notamment un moteur de recherches sur l'internet. Elle est titulaire de nombreuses marques, en France et à l'étranger, qui protègent le terme “google”. Ces marques sont incontestablement très notoires. Le Requérant exploite également des noms de domaine génériques de premier niveau (“.com”) ou qui correspondent à des codes de pays (“.fr”) qui comprennent le mot “google”. Le moteur de recherches, accessibles grâce à ces noms de domaine, est un des sites internet les plus visités dans le monde.
Le Requérant s'est aperçu que le nom de domaine <gogle.fr> permettait d'accéder à un site reproduisant la marque Google, tout en imitant la page d'accueil de son propre moteur de recherches.
Il a alors contacté le Défendeur pour obtenir le transfert, à son profit, du nom de domaine <gogle.fr>. A la suite d'un échange de courriers électroniques, le Défendeur a proposé au Requérant de céder ce nom de domaine pour la somme de 150,000 dollars des États-Unis d'Amérique, ce qui a été refusé par le Requérant.
Ce dernier a alors décidé de solliciter le transfert du nom de domaine <gogle.fr> à son profit.
Le Requérant explique la très grande notoriété qui est attachée au terme “google”, créé en 1997 par les fondateurs de la société Google Inc. et qui, depuis, désigne de nombreux services disponibles sur l'Internet, et notamment le moteur de recherches le plus utilisé dans le monde.
Il apporte la preuve qu'il a différents droits sur l'expression “google”. Tout d'abord, ce terme correspond au nom commercial et à la dénomination sociale du Requérant depuis 1998. Ensuite, le mot “google” est protégé par de nombreuses marques françaises (marque GOOGLE, numéro 3469540, enregistrée le 14 décembre 2006, marque GOOGLE, n° 3469538, enregistrée le 14 décembre 2006, marque française GOOGLE, numéro 3469539, enregistrée le 14 décembre 2006), étrangères et communautaires (marque communautaire GOOGLE n° 1104306 enregistrée le 12 mars 1999, marque communautaire GOOGLE n° 4316642, enregistrée le 29 mars 2005). Le Requérant apporte la preuve que ces marques sont notoires et bénéficient, en France, de la protection élargie de l'article L. 713-5 du Code de la propriété intellectuelle. Enfin, le Requérant a enregistré de nombreux noms de domaine qui reproduisent le terme “google” en permettant d'accéder à ses sites (et notamment les noms de domaine <google.com>, enregistré le 15 septembre 1997, et <google.fr>, enregistré le 27 juillet 2000).
Le Requérant considère que le Défendeur a enregistré le nom de domaine litigieux, <gogle.fr>, afin de porter sciemment atteinte à ses droits. En effet, il considère que ce terme n'a aucune signification dans un langage courant et que le Défendeur ne justifie pas d'un droit ou d'un intérêt qui justifierait cet usage. En outre, le Requérant explique que le nom de domaine litigieux peut être aisément confondu avec le terme “google” sur lequel il atteste avoir de nombreux droits. De surcroît, le site auquel le nom de domaine litigieux permet d'accéder entretient cette confusion puisqu'il imite la page d'accueil du site du Requérant et reproduit même sa marque.
Le Requérant estime que le comportement du Défendeur est contraire aux usages loyaux en matière commerciale. Il souligne que l'utilisation qui est faite du nom de domaine litigieux est une illustration du “typosquatting” afin d'attirer les internautes qui, à la suite d'une erreur de frappe, vont accéder au site du Défendeur. Le Requérant apporte également la preuve que le Défendeur est coutumier de tels comportements, puisqu'il a enregistré plusieurs noms de domaine portant atteinte à ses intérêts.
Enfin, le Requérant remarque le Défendeur a indiqué une adresse incorrecte en France et qu'il ne pouvait donc pas, en l'absence d'un domicile professionnel habituel en France, enregistrer valablement un nom de domaine en “.fr”.
Pour ces différentes raisons, le Requérant sollicite le transfert du nom de domaine litigieux.
Le Défendeur n'a pas fait parvenir sa réponse dans le délai requis. Il a ensuite essayé, sans succès, de contacter par téléphone l'Expert.
L'Expert rappelle que, en application de l'article 1 du Règlement, une atteinte aux droits des tiers est constituée “lorsque le nom de domaine est identique ou susceptible d'être confondu avec un nom sur lequel est conféré un droit de propriété intellectuelle français ou communautaire (propriété littéraire et artistique et/ou propriété industrielle), ou est identique au nom patronymique d'une personne, sauf si le défendeur fait valoir un droit ou un intérêt légitime sur le nom de domaine et agit de bonne foi”. En application du même article, une atteinte aux règles de la concurrence désigne notamment “une violation du comportement loyal en matière commerciale en droit français ou communautaire”.
L'Expert souligne que, en application de l'article 20(c) du Règlement, il fait droit à la demande “lorsque l'enregistrement ou l'utilisation du nom de domaine par le défendeur constitue une atteinte aux droits des tiers ou aux règles de la concurrence telles que définies à l'article 1 du présent Règlement et, si la mesure de réparation demandée est la transmission du nom de domaine, lorsque le requérant a justifié de ses droits sur l'élément objet de ladite atteinte et sous réserve de sa conformité avec la Charte applicable”.
Le Requérant rapporte la preuve de ses droits sur le terme “google”. En effet, ce mot, qui n'a pas de signification dans le langage courant français, ou même anglais, est la dénomination sociale et le nom commercial de la société Google Inc. depuis 1998. De plus, il est protégé par plusieurs marques, notamment françaises et communautaires, qui sont incontestablement des marques notoires. Parmi ces marques, il est possible de relever les marques françaises GOOGLE n° 3469540 (enregistrée le 14 décembre 2006), n° 3469538 (enregistrée le 14 décembre 2006) et n° 3469539 (enregistrée le 14 décembre 2006) et, surtout, la marque communautaire n°1104306 enregistrée le 12 mars 1999, soit cinq ans avant l'enregistrement du nom de domaine litigieux <gogle.fr>. Enfin, il convient de rappeler que le terme “google” est également utilisé par le Requérant en tant que nom de domaine de premier niveau (notamment <google.com>) et également en tant que nom de domaine dans l'extension “.fr”. Il résulte de ce qui précède qu'il est avéré que le Requérant dispose de droits sur le mot “google”.
Or, le terme “google” est très proche d'un point de vue tant visuel, phonétique que conceptuel du mot “gogle” qui compose le nom de domaine litigieux <gogle.fr>. Il faut donc considérer que l'internaute d'attention moyenne est susceptible de confondre le signe “gogle” avec les marques GOOGLE du Requérant qui jouissent d'une haute renommée. Il en résulte que le nom de domaine litigieux constitue une imitation illicite du signe “google”.
C'est pourquoi l'Expert décide que le Requérant justifie de ses droits sur le terme “google”, objet de l'atteinte à ses droits par le nom de domaine <gogle.fr>.
L'enregistrement du nom de domaine litigieux a été réalisé en violation des droits du Requérant, ainsi que des règles élémentaires de concurrence et de loyauté. En effet, le mot “gogle” n'a strictement aucune signification et n'a pas pu être choisi fortuitement à une époque où la notoriété du signe “google” était déjà avérée. De plus, le Défendeur ne justifie d'aucun droit sur le mot “gogle”, ni d'aucun intérêt légitime à l'enregistrer en tant que nom de domaine. Le nom de domaine litigieux a été enregistré afin de capter illicitement les internautes qui, en voulant taper le terme “google” sur le clavier de l'ordinateur, omettent de sélectionner l'un des “o” de ce mot. Il s'agit donc d'une hypothèse caractéristique de “typosquatting” qui consiste à attirer frauduleusement les internautes vers un site qui permet de rémunérer son exploitant grâce aux recettes publicitaires.
L'utilisation du nom de domaine litigieux conforte l'hypothèse du “typosquatting” puisque l'internaute, qui pensait se connecter sur le moteur de recherches “google” est, en réalité, attiré vers un site dont la page d'accueil est une imitation de celle du site “google”. Il en résulte que l'utilisation du nom de domaine <gogle.fr> constitue une atteinte avérée aux droits du Requérant puisqu'elle cherche sciemment à provoquer une confusion avec les marques notoires de ce dernier. En outre, le Défendeur a reconnu, dans les courriers électroniques qu'il a pu envoyer au Requérant, qu'il gagnait de l'argent grâce au site <gogle.fr> et qu'il était prêt à céder ce nom de domaine pour la somme élevée de 150,000 dollars des États-Unis d'Amérique.
C'est pourquoi l'Expert décide que l'enregistrement et l'utilisation du nom de domaine litigieux <gogle.fr> portent atteinte aux droits du Requérant et constituent également une violation particulièrement caractéristique du comportement loyal en matière commerciale que toute personne qui enregistre et utilise un nom de domaine doit pourtant respecter.
Conformément aux articles 20(b) et (c) du Règlement, l'Expert ordonne la transmission au profit du Requérant du nom de domaine <gogle.fr>.
Christophe CARON
Expert
Le 16 février 2010