WIPO

Centre d'arbitrage et de médiation de l'OMPI

DÉCISION DE LA COMMISSION ADMINISTRATIVE

Orange Brands Services Ltd contre D-Clicks

Litige n° D2009-1577

1. Les parties

La Requérante est Orange Brands Services Limited, société de droit britannique, domiciliée à Bristol, Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord, représenté par Bilalian Avocats, France.

Le Défendeur est D-Clicks, Tunis, Tunisie.

2. Le nom de domaine et unité d'enregistrement

Le différend concerne le nom de domaine <orange-tunisie.com>.

L'unité d'enregistrement auprès de laquelle le nom de domaine est enregistré est Directi Internet Solutions Pvt. Ltd. d/b/a PublicDomainRegistry.com.

3. Rappel de la procédure

Une plainte été déposée par le représentant autorisé de la Requérante auprès du Centre d'arbitrage et de médiation de l'Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”), lequel l'a reçue en date du 24 novembre 2009. Cette plainte mentionnait comme Défendeur Butterfly Communication, représentée par Hedi Belkhodja, à Tunis.

En date du 25 novembre 2009, le Centre a adressé une requête à l'unité d'enregistrement, aux fins de vérification des éléments du litige, tels qu'ils avaient été communiqués par le Requérant. En date du 26 novembre 2009 l'unité d'enregistrement a confirmé que le détenteur du nom de domaine est désormais D-Clicks, représentée par Hedi Belkhodja, et a transmis ses coordonnées. La modification de l'inscription consécutive au transfert du domaine du titulaire Butterfly Communication à l'autre titulaire D-Clicks datait du 18 novembre 2009. En conséquence, la Requérante a présenté le 26 novembre 2009 encore une plainte modifiée pour tenir compte de l'enregistrement actuel du nom de domaine.

Le Centre a vérifié que la plainte répond bien aux Principes directeurs régissant le Règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine (ci-après dénommés “Principes directeurs”), aux Règles d'application des Principes directeurs (ci-après dénommées les “Règles d'application”), et aux Règles supplémentaires de l'OMPI (ci-après dénommées les “Règles supplémentaires”) pour l'application des Principes directeurs précités.

Conformément aux paragraphes 2(a) et 4(a) des Règles d'application, le 23 décembre 2009, une notification de la plainte valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au Défendeur. Conformément au paragraphe 5(a) des Règles d'application, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 12 janvier 2010. Le Défendeur n'a fait parvenir aucune réponse. En date du 14 janvier 2010, le Centre notifiait le défaut du défendeur.

En date du 26 janvier 2010, le Centre nommait dans le présent litige comme expert unique le professeur François Dessemontet. La Commission administrative constate qu'elle a été constituée conformément aux Principes directeurs et aux Règles d'application. La Commission administrative a adressé au Centre une déclaration d'acceptation et une déclaration d'impartialité et d'indépendance, conformément au paragraphe 7 des Règles d'application.

En application du paragraphe 11 des Règles d'application, la langue de la procédure est, sauf convention contraire, la langue du contrat d'enregistrement. Par exception, la Commission administrative peut décider qu'il en sera autrement, compte tenu des circonstances de la procédure administrative. En l'occurrence, le contrat d'enregistrement auprès d'un registre sis en Inde est l'anglais. Toutefois, la Requérante a requis à la Commission administrative de désigner la langue française pour régir la procédure en invoquant plusieurs motifs tenant à l'aisance de la préparation des actes de procédure par son Conseil domicilié à Paris, ainsi qu' à la réception de la langue française en Tunisie et au fait que tous les contacts préalables entre parties ont pris place en français. De surcroît, le contenu original du site litigieux a été exclusivement rédigé en français. Le Défendeur ne s'est pas opposé à cette requête du Requérant dans le délai fixé à cette fin par le Centre. S'agissant d'un défendeur domicilié en Tunisie, sa compréhension de la langue française, une langue véhiculaire dans les affaires en Tunisie, sera présumée. Le Défendeur a d'ailleurs reçu communication des fixations de délai et autres renseignements sur la procédure à suivre aussi en anglais, le Centre ayant pris la peine de transmettre toutes ses communications en deux langues. Ayant constamment fait défaut, le Défendeur ne peut naturellement se plaindre que la langue maintenant choisie par la Commission administrative l'aurait empêché d'articuler ses moyens.

4. Les faits

La Requérante fait partie du Groupe France Telecom/Orange, l'un des leaders mondiaux dans le domaine des télécommunications. Tous ses services sont généralement promus sous la marque ORANGE et le groupe s'adresse sous cette marque à deux tiers de ses clients, soit plus de 128 millions de consommateurs à travers le monde. Il en va ainsi en particulier de la France, de l'Egypte, du Sénégal, du Mali, de la Côte d'Ivoire et de Madagascar. En outre, le Gouvernement tunisien a accordé au Groupe Divona/Orange-France Telecom la troisième licence d'exploitation pour les télécommunications en juin 2009. Par l'effet de cessions intervenues le 30 octobre 2009, la Requérante est dorénavant titulaire de l'ensemble des marques “ORANGE” exploitées par le Groupe France Telecom/Orange.

La Requérante est notamment titulaire de la marque tunisienne verbale ORANGE déposée le 7 mai 2001 et enregistrée sous le No. EE01.0850 en classes 9, 16, 18, 25, 28, 35 à 39, 41 et 42. De même la Requérante est titulaire de marques française et communautaire du même contenu.

En outre, soit directement soit par l'intermédiaire de sociétés locales jouissant d'une licence, la Requérante possède de nombreux noms de domaine constitués pour l'essentiel du mot “orange”, par exemple du nom de domaine <orangetunisie.com> enregistré le 7 mai 2009.

Le premier titulaire tunisien du nom de domaine en litige l'a enregistré le lendemain de l'annonce publique par le Ministère tunisien compétent de l'attribution au groupement Divona/Orange-France Telecom de la troisième licence d'exploitation pour les télécommunications tunisiennes. Le site mentionnait alors qu'il était en vente pour le montant de 12'000 Euros équivalant à 20'000 DT. En outre, un “sondage” était organisé sur le site, portant sur la question suivante soumise au public : “Comptez-vous vous abonner aux services du troisième opérateur mobile? Enfin, l'usage des couleurs typiquement associées aux services et domaines de la Requérante se retrouvait aussi sur le site en litige.

Un échange de mails s'ensuivit entre la Requérante et M. Bahri, celui-ci désigné comme “client” par le Défendeur. Dans ce cadre, le transfert à la Requérante a été refusé au motif que “[les noms de domaine en cause sont] disponibles et vendables partant du principe premier venu premier servi” (mail de M. Bahri au Conseil de la Requérante en date du 14 octobre 2009, annexe 19 de la requête). Devant l'échec des tentatives amiables de résolution du litige, la Requérante a introduit la présente cause.

5. Argumentation des parties

A. Requérante

La Requérante soutient d'abord que le nom de domaine litigieux reproduit à l'identique la marque ORANGE. Cette marque figure au 17ème rang des marques les plus connues dans le monde, avant même la marque DISNEY. Sa notoriété renforcerait le risque de confusion. Le nom de domaine <orange-tunisie.com> sera nécessairement compris comme une “déclinaison” de la marque ORANGE. La solution du présent litige devrait donc être identique à celle qui a été apportée au litige <orangetogo.com>, Orange Personal Communications Services Limited v. Abdou Salam Drame, Litige OMPI No. D2009-0649.

Or le Défendeur n'aurait aucun droit ni aucun intérêt légitime sur le nom de domaine litigieux. Il n'exerce aucune activité sous ce nom en Tunisie et n'y a d'ailleurs jamais été autorisé par la Requérante. L'intention affichée par le Client du Défendeur, M. Bahri d'exploiter un magazine online sous le nom d'Orangé Télécom Tunisie n'est pas sérieuse. D'ailleurs le graphisme du site vise à accentuer la confusion avec la Requérante. Au demeurant, il est maintenant possible d'enregistrer des noms de domaine avec accent aigu.

Enfin, le nom de domaine litigieux a été enregistré de mauvaise foi, le 23 juin 2009, soit au lendemain de l'annonce de la concession d'une troisième licence de télécommunications au groupe Divona/Orange France Telecom. Ce nom de domaine a été mis en vente immédiatement après sa réservation, pour un prix de 20'000 DT ou 12'000 Euro dépassant de beaucoup les coûts de l'enregistrement. Le Défendeur aurait insisté à plusieurs reprises pour obtenir un paiement de la Requérante en vue d'obtenir un transfert à l'amiable. Ce comportement atteste de la mauvaise foi du Défendeur, qui se présente lui-même comme un professionnel de l'Internet.

B. Défendeur

Le Défendeur a fait défaut.

6. Discussion et conclusions

A. Identité ou similitude prêtant à confusion

L'élément caractéristique du nom de domaine <orange-tunisie.com> reproduit à l'identique l'élément unique des marques verbales ORANGE. Le nom de domaine dans son ensemble est donc similaire au point de prêter à confusion aux marques notoires de la Requérante. L'adjonction du nom “Tunisie” ne prévient pas la confusion car elle ne change pas le sens du nom de domaine, qui manifestement réfère aux produits et services de l'entreprise requérante. Au contraire, s'agissant d'une société multinationale active entre autres dans divers pays du continent africain, cette adjonction renforce l'impression que le nom de domaine litigieux regroupe les possibilités de contact de FRANCE TELECOM ORANGE en ce qui concerne la Tunisie. La Commission administrative peut donc suivre les considérants exposés à pp. 8-9 de la décision Orange Personal Communications Services Limited, supra, sous la plume du professeur Jacques de Werra sans qu'il soit nécessaire de les développer ici plus en détail.

B. Le Défendeur n'a aucun droit sur le nom de domaine litigieux, ni aucun intérêt légitime qui s'y rattache

Le Défendeur n'a aucune marque approchant le nom de domaine, et aucun droit à utiliser la marque de la Requérante à quelque titre que ce soit. Ce nom de domaine n'a jamais été utilisé par lui de bonne foi, sauf pour le proposer à la vente à un prix élevé. Le Défendeur n'a pas été autorisé à proposer les services ou les produits de la Requérante; ni lui directement ni son “Client” n'ont déployé une quelconque activité commerciale sous ce nom. Le projet très sommaire de développer un magazine on line sous le nom “Orangé” paraît inventé pour les besoins de la cause. Il ne justifierait d'ailleurs pas le dépôt du nom de domaine <orange-tunisie.com>.

C. Le nom de domaine litigieux a été enregistré et il est exploité de mauvaise foi

En l'absence de tout usage, la réservation du nom de domaine litigieux intervenue le lendemain de l'annonce publique de l'octroi de la troisième licence de télécommunications tunisienne au groupe Divona/Orange-France Telecom est constitutive de fraude équivalent à un enregistrement de mauvaise foi (voir pour l'enregistrement frauduleux d'une marque dans de telles circonstances F. Dessemontet, in La nouvelle loi fédérale sur la protection des marques, Cedidac no 27, Lausanne 1994, pp. 52-54). Il s'agit de “rançonner” le légitime titulaire de la marque (terme employé par I. Cherpillod, Le droit suisse des marques, Cedidac no 73, Lausanne 2007, p. 138). On est en présence d'un cas typique de piraterie de nom de domaine avec la volonté d'obtenir une compensation financière élevée pour transférer un nom auquel on n'a pas droit. La procédure UDRP a été instituée justement afin de contrer de pareils agissements. Les mails échangés en 2009 entre parties ne laissent aucun doute sur la volonté du Défendeur de monnayer le transfert de son nom de domaine. Le Droit ne peut protéger de tels agissements de mauvaise foi.

7. Décision

Pour les raisons énoncées ci-dessus, et conformément au paragraphe 4(i) des Principes directeurs, la Commission administrative ordonne le transfert du nom de domaine <orange-tunisie.com> à la Requérante.


Professeur François Dessemontet
Expert Unique

Le 29 janvier 2010