Centre d'arbitrage et de médiation de l'OMPI

DÉCISION DE LA COMMISSION ADMINISTRATIVE

Secalt contre David Collins

Litige n° D2009-0899

1. Les parties

Le requérant est Secalt, Pulvermuhl, Luxembourg, représenté par le cabinet Germain & Maureau, France.

Le défendeur est David Collins, Swanage, Royaume-Uni de Grande Bretagne et d'Irlande du Nord.

2. Noms de domaine et unité d'enregistrement

Le litige concerne les noms de domaine <greifzug.com> et <griphoist.com> (ci-après désignés les “Noms de Domaine”).

L'unité d'enregistrement auprès de laquelle les Noms de Domaine sont enregistrés est Network Solutions, LLC.

3. Rappel de la procédure

Une plainte a été déposée par le Requérant auprès du Centre d'arbitrage et de médiation de l'Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) en date du 6 juillet 2009.

En date du 7 juillet 2009, le Centre a adressé une requête à l'unité d'enregistrement des noms de domaine litigieux, Network Solutions, LLC, aux fins de vérification des éléments du litige, tels que communiqués par le Requérant. L'unité d'enregistrement a confirmé l'ensemble des données du litige en date du 7 juillet 2009.

Le Centre a vérifié que la plainte répond bien aux Principes directeurs régissant le Règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine (ci-après dénommés “Principes directeurs”), aux Règles d'application des Principes directeurs (ci-après dénommées les “Règles d'application”), et aux Règles supplémentaires de l'OMPI (ci-après dénommées les “Règles supplémentaires”) pour l'application des Principes directeurs précités.

Conformément aux paragraphes 2(a) et 4(a) des Règles d'application, le 17 juillet 2009, une notification de la plainte valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au Défendeur. Conformément au paragraphe 5(a) des Règles d'application, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 6 août 2009. Le Défendeur a fait parvenir une réponse en date du 27 juillet 2009.

En date du 18 août 2009, le Centre nommait dans le présent litige comme expert-unique Jacques de Werra. La Commission administrative constate qu'elle a été constituée conformément aux Principes directeurs et aux Règles d'application. La Commission administrative a adressé au Centre une déclaration d'acceptation et une déclaration d'impartialité et d'indépendance, conformément au paragraphe 7 des Règles d'application.

Dans sa réponse du 27 juillet 2009, le Défendeur a indiqué qu'il n'avait pas d'objection au transfert des Noms de Domaine qui n'ont aucune valeur pour lui. Sur cette base, le Centre a informé en date du 5 août 2009 le Requérant de la possibilité de suspendre la procédure afin de négocier un accord avec le Défendeur, faute de quoi la procédure continuerait. Le 6 août 2009, le Requérant a communiqué au Centre qu'il ne souhaitait pas déposer une requête visant à la suspension de la procédure. Dans ces circonstances, la procédure n'a pas été suspendue.

4. Les faits

Le Requérant est une société luxembourgeoise opérant des constructions d'appareils de levage et de traction.

Le Requérant est titulaire de différentes marques dont, en particulier, la marque Benelux GRIPHOIST No. 015 578 portant sur des produits en classes 7, 8, 9 et 12, la marque internationale GRIPHOIST No. R 419 740 portant sur des produits en classes 7, 9 et 12, la marque Benelux GREIFZUG No. 021 207 portant sur des produits en classe 7 et la marque internationale GREIFZUG No. R 170 675 portant sur des produits en classe 7 (ci-après désignées les “Marques”).

Le nom de domaine <greifzug.com> a été enregistré le 25 mai 1999 et le nom de domaine <griphoist.com> le 5 mai 1999.

5. Argumentation des parties

A. Requérant

Le Requérant soutient en premier lieu que les Noms de Domaine sont identiques aux Marques.

Le Requérant indique ensuite que le Défendeur n'a aucun droit ni aucun intérêt légitime sur les Noms de Domaine, le Défendeur n'ayant pas été autorisé par le Requérant à utiliser les Marques, en particulier dans les Noms de Domaine, le Défendeur n'étant au demeurant pas un distributeur ou un détaillant légitime des produits du Requérant. Le Défendeur n'a en outre pas utilisé les Noms de Domaine ou un nom leur correspondant en relation avec une offre de bonne foi de produits ou de services. Il n'est de plus pas connu sous les Noms de Domaine concernés. Il ne fait enfin pas un usage non commercial légitime ou un usage loyal du nom de domaine sans intention de détourner à des fins lucratives les consommateurs en créant une confusion ni de ternir la marque de produits ou services en cause.

Le Requérant soutient enfin que les Noms de Domaine ont été enregistrés et sont utilisés de mauvaise foi par le Défendeur. Dans ce cadre, le Requérant expose que le Défendeur est un ancien salarié du Groupement d'Intérêt Economique de Fabricants d'Appareils Tirfor auquel fait partie le Requérant. Il y a travaillé de 1987 à 2003. Le Requérant indique à cet égard que le Défendeur était de par ses fonctions informé de l'existence des droits du Requérant sur les Marques et qu'il avait néanmoins enregistré les marques en son nom propre, agissant ainsi de mauvaise foi. Le Requérant précise que les démarches tentées afin de convaincre le Défendeur de lui transférer les Noms de Domaine n'ont pas abouti de sorte que la présente procédure a dû être intentée. Le Requérant argumente ainsi que l'attitude du Défendeur aboutit à une usurpation passive des Noms de Domaine, ce qui représente un usage de mauvaise foi de ceux-ci.

B. Défendeur

Dans sa réponse du 27 juillet 2009, le Défendeur expose que la présentation des faits qui a été faite dans la plainte par le Requérant n'est pas conforme à la réalité. Il indique à cet égard avoir été mandaté à l'époque par le directeur général (CEO) du groupe auquel appartient le Requérant afin d'enregistrer différents noms de domaine parmi lesquels figuraient les Noms de Domaine, en utilisant ses propres coordonnées. En quittant le groupe, le Défendeur a remis les informations utiles au transfert de ces noms de domaine (soit les codes d'identification et les mots de passe correspondants) en partant du principe que ceux-ci seraient ensuite transférés. En décembre 2008, le Défendeur a reçu une notification concernant l'expiration prochaine (en janvier 2009) d'un de ces noms de domaine (soit <swingstage.org>) et a contacté le directeur général du Requérant par courriel du 7 décembre 2008 en lui offrant de renouveler l'enregistrement. Au lieu d'une réponse, le Défendeur a seulement été mis en copie du courriel adressé par le directeur général à un de ses subalternes comportant pour unique message “pour action”. Le Défendeur indique ainsi avoir été offusqué par ce comportement manquant de politesse, raison pour laquelle il a refusé sa coopération au transfert des Noms de Domaine, les échanges postérieurs s'étant également révélés infructueux.

En conclusion de sa réponse, il a indiqué qu'il n'avait pas d'objection au transfert des Noms de Domaine qui n'ont aucune valeur pour lui, mais qu'il voulait néanmoins faire savoir que les faits décrits par le Requérant n'étaient pas conformes à la vérité.

6. Langue de la procédure

Le paragraphe 11(a) des Règles d'application prévoit que, sauf convention contraire, la langue de la procédure entre les parties est celle du contrat d'enregistrement. Toutefois, la Commission administrative peut décider qu'il en sera autrement, compte tenu des circonstances de la procédure administrative.

En l'espèce, l'unité d'enregistrement auprès de laquelle les Noms de Domaine ont été enregistrés a informé le Centre que la langue des contrats d'enregistrement était l'anglais.

En date du 9 juillet 2009, le Centre a invité le Requérant à fournir des preuves justifiant que le français soit la langue de la procédure.

Le Requérant y a répondu le 10 juillet 2009 en indiquant, conformément à ce qu'il avait déjà mentionné dans sa plainte, qu'il avait déposé sa plainte en français et requis que la langue de la procédure soit le français compte tenu du fait que le Requérant est une société luxembourgeoise, que les Noms de Domaine pointent vers des sites accessibles en français et que le Défendeur parle et comprend le français dès lors qu'il a travaillé au Luxembourg de 1987 à 2003. Le Requérant a en outre précisé qu'il ne s'opposerait pas à ce que le Défendeur présente des observations en anglais s'il le souhaite.

Au vu des circonstances et notamment au vu du fait que le Requérant ne s'est pas opposé à la soumission d'observations en anglais par le Défendeur et que le Défendeur n'a pas fait valoir qu'il souhaitait que la langue de la procédure soit l'anglais (qui est la langue des contrats d'enregistrement relatifs aux Noms de Domaine), la Commission décide que la langue de la procédure administrative est le français.

7. Discussion et conclusions

Conformément au paragraphe 4(a) des Principes directeurs, la Commission administrative doit déterminer si sont réunies les trois conditions posées par celui-ci, à savoir:

(i) si le Nom de Domaine est identique à une marque de produit ou de service appartenant au Requérant ou suffisamment proche pour engendrer la confusion; et

(ii) si le Défendeur n'a pas un droit ou un intérêt légitime à l'utilisation du Nom de Domaine; et

(iii) si le Défendeur a enregistré et utilise le Nom de Domaine avec mauvaise foi.

Toutefois, la Commission administrative n'a pas besoin de trancher le litige sur la base des critères précités dès lors que le Requérant a demandé le transfert des Noms de Domaine et que le Défendeur a indiqué ne pas avoir d'objection audit transfert, ce qu'il a expressément indiqué dans sa réponse du 27 juillet 2009.

En effet, comme décidé par d'autres commissions administratives, l'accord unilatéral au transfert donné par le défendeur permet à la commission administrative saisie de prononcer le transfert sans nécessité d'examiner si les critères du paragraphe 4(a) des Principes directeurs sont remplis. Voir, The Cartoon Network LP, LLLP v. Mike Morgan, Litige OMPI No. D2005-1132 (“[A] genuine unilateral consent to transfer by the Respondent provides a basis for an immediate order for transfer without consideration of the paragraph 4(a) elements. Where the Complainant has sought transfer of a disputed domain name, and the Respondent consents to transfer, then pursuant to paragraph 10 of the Rules the Panel can proceed immediately to make an order for transfer.”); voir aussi Valero Energy Corporation, Valero Refining and Marketing Company v. RareNames, WebReg, Litige OMPI No. D2006-1336; Nutri/ System, IPHC, Inc. v. Texas International Property Associates, Litige OMPI No. D2007-0864; et KBC Group N.V. and KBC Bank N.V. v. Bank Dir, Bankgroup, Litige OMPI No. D2008-0446.

Certaines circonstances peuvent toutefois requérir qu'une décision soit rendue sur le fond du litige, notamment lorsqu'il est nécessaire de rendre publique une décision contre un usurpateur notoire de noms de domaine qui tenterait d'éviter un tel effet de publicité en acceptant de transférer les noms de domaine en temps opportun. Voir, Brownells, Inc. v. Texas International Property Associates, Litige OMPI No. D2007-1211 et Messe Frankfurt GmbH v. Texas International Property Associates, Litige OMPI No. D2008-0375.

En l'occurrence, la Commission administrative considère qu'il n'est pas nécessaire de rendre une décision sur le fond du litige en application des Principes directeurs, les faits de la cause ne laissant aucunement penser que le Défendeur se serait comporté de manière abusive ou qu'il serait susceptible de le faire à l'avenir. Voir, John Bowers QC v. Tom Keogan, Litige OMPI No. D2008-1720.

8. Décision

Au regard des éléments développés ci-dessus et conformément aux paragraphes 4(i) des Principes directeurs et 10 des Règles d'application, la Commission administrative ordonne que les noms de domaine <greifzug.com> et <griphoist.com> soient transférés au Requérant.


Jacques de Werra
Expert Unique

Le 1er septembre 2009