Centre d’arbitrage et de médiation de l’OMPI

DÉCISION DE LA COMMISSION ADMINISTRATIVE

Société Editions Génération - L’Etudiant c. B. L.

Litige nº D2009-0759

1. Les parties

Le Requérant est la Société Editions Génération – L’Etudiant, Paris, France, représentée par le Cabinet Schmit-Chrétien-Schihin SNC, France.

Le Défendeur est B. L., Paris, France.

2. Nom de domaine et unité d’enregistrement

Le litige concerne le nom de domaine <letudiant.org>.

L’unité d’enregistrement, auprès de laquelle le nom de domaine est enregistré, est la société américaine eNom.

3. Rappel de la procédure

Une plainte a été déposée par la Société Editions Génération – L’Etudiant auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) en date du 10 juin 2009.

En date du 10 juin 2009, le Centre a adressé une requête à l’unité d’enregistrement du nom de domaine litigieux, eNom, aux fins de vérification des éléments du litige, tels que communiqués par le Requérant. Le 10 juin 2009, l’unité d’enregistrement a transmis sa vérification au Centre. Le 15 juin 2009, le Centre a envoyé un courrier électronique au Requérant lui notifiant une irrégularité relative à la langue de la procédure et invitant le Requérant à soumettre un amendement à la plainte. Le Requérant a déposé un amendement le 18 juin 2009.

Le Centre a vérifié que la plainte répond bien aux Principes directeurs régissant le Règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine (ci-après dénommés “Principes directeurs”), aux Règles d’application des Principes directeurs (ci-après dénommées les “Règles d’application”), et aux Règles supplémentaires de l’OMPI (ci-après dénommées les “Règles supplémentaires”) pour l’application des Principes directeurs précités.

Conformément aux paragraphes 2(a) et 4(a) des Règles d’application, le 23 juin 2009, une notification de la plainte valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au défendeur. Conformément au paragraphe 5(a) des Règles d’application, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 13 juillet 2009. Le défendeur n’a fait parvenir aucune réponse. En date du 14 juillet 2009, le Centre notifiait le défaut du défendeur.

En date du 17 juillet 2009, le Centre nommait dans le présent litige comme expert unique Christiane Féral-Schuhl. La Commission administrative constate qu’elle a été constituée conformément aux Principes directeurs et aux Règles d’application. L’expert a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément au paragraphe 7 des Règles d’application.

4. Les faits

Le Requérant est la Société Editions Génération – L’Etudiant, appartenant au Groupe Express-Roularta, et ayant pour activité l’édition de revues, ouvrages et périodiques. Cette société est notamment l’éditrice de la revue L’Etudiant, titre mensuel édité depuis octobre 1985. Elle organise également, sous la marque L’Etudiant, des salons spécialisés consacrés à l’orientation professionnelle.

En marge de la publication de la revue L’Etudiant, le Requérant a développé des services complémentaires par l’intermédiaire de son site internet “www.letudiant.fr” recouvrant divers services et informations pratiques à destination du public étudiant.

Le Requérant est titulaire de plusieurs marques françaises et communautaires incluant le terme “letudiant”, régulièrement renouvelées, dont :

- la marque française semi-figurative L’ETUDIANT nº 94 535 244 du 7 septembre 1994, régulièrement renouvelée, pour désigner des produits et services des classes 9, 16, 28, 35, 36, 38, 40, 41, 42, 43, 44 et 45,

- la marque française semi-figurative L’ETUDIANT nº 94 535 243 du 7 septembre 1994, régulièrement renouvelée, pour désigner des produits et services des classes 9, 16, 28, 35, 36, 38, 40, 41, 42, 43, 44 et 45,

- la marque communautaire semi-figurative L’ETUDIANT nº 27 60 981 du 28 juin 2002, régulièrement renouvelée, pour désigner des produits et services des classes 9, 16, 28, 35, 38, 41 et 42.

Le Requérant est également titulaire de nombreux noms de domaine incluant le terme “letudiant” et notamment :

- <letudiant.fr>, réservé depuis le 19 octobre 2006,

- <letudiant.mobi>, réservé depuis le 10 octobre 2006,

- <letudiant.pro>, réservé depuis le 21 juillet 2008.

Le Requérant a constaté que le nom de domaine <letudiant.org> avait été réservé par le Défendeur, Monsieur B. L. le 1er mars 2009. Ce nom de domaine renvoyait initialement vers une page indiquant que le site était en cours de construction, puis vers une page blanche.

Estimant que cette réservation a été effectuée en fraude de ses droits, le Requérant en a averti le Défendeur par lettre recommandée avec accusé de réception du 20 mars 2009, afin d’obtenir le transfert du nom de domaine <letudiant.org>. A la suite de plusieurs échanges par courriers électroniques, le Défendeur a fait savoir, par un courrier électronique en date du 3 avril 2009, qu’il estimait que les prix du marché pour un tel nom de domaine se négociaient autour de 15 000 et 100 000 € et qu’en cas de refus du Requérant, il se tournerait vers des “collaborateurs Indiens et Chinois, plus enclins à être raisonnables” puisque ces derniers “sont férus de droit français et international, et lorgnent sur le web français avec ses larges revenues (sic) publicitaires (…)”.

Aucun accord amiable n’ayant pu être trouvé entre les parties, une procédure alternative de règlement des litiges a été engagée.

5. Argumentation des parties

A. Requérant

Le Requérant soutient que le signe L’Etudiant, exploité depuis 24 ans, et déposé à titre de marque depuis plus de 15 ans, a acquis une grande notoriété sur le territoire français grâce à la diffusion du magazine L’Etudiant, grâce au développement de services parallèles détaillés sur le site internet “www.letudiant.fr” et également parce qu’il désigne le “Salon de l’Etudiant”.

Le Requérant soutient que compte tenu de la notoriété de ses marques L’ETUDIANT, la similitude entre ses marques et le nom de domaine du défendeur <letudiant.org> sont de nature à prêter à confusion.

Le Requérant fait également valoir que l’absence d’exploitation du nom de domaine litigieux est de nature à engager la responsabilité de son titulaire. Il rappelle qu’en vertu des Règles d’application et de la jurisprudence de la commission administrative, la responsabilité du titulaire peut être engagée :

- “lorsque celui-ci n’a manifestement pas l’intention d’exploiter le site internet pour lequel il a déposé le nom de domaine”. Le Requérant soutient qu’en l’espèce le Défendeur n’a jamais démontré que la réservation sur le nom de domaine litigieux avait été effectuée afin de développer sa propre activité. Le Requérant rappelle qu’aucun acte préparatif n’a été fait pour permettre une exploitation effective du nom de domaine litigieux,

- “en raison de la notoriété du nom de domaine réservé”, notoriété alléguée par le Requérant,

- “lorsque la réservation du site est manifestement faite pour en monnayer la cession”. Or sur ce point, le Requérant fait état d’échanges intervenus entre son conseil et le défendeur dont il déduit un certain chantage du défendeur destiné à tirer des bénéfices importants de la vente du nom de domaine litigieux.

En conséquence, le Requérant demande que le nom de domaine <letudiant.org> lui soit transféré.

B. Défendeur

Le Défendeur n’a pas présenté d’observations dans le cadre de la présente procédure.

6. Discussion et conclusions

La Commission administrative constate que le Requérant invoque un enregistrement du nom de domaine <letudiant.org> par le Défendeur en violation de ses droits et sollicite en conséquence sa transmission à son profit.

Le paragraphe 15(a) des Règles d’application prévoit que “la Commission statue sur la plainte au vu des écritures et des pièces qui lui ont été soumises et conformément aux principes directeurs, aux présentes règles et à tout principe ou règle de droit qu’elle juge applicable”.

Au demeurant, le paragraphe 4(a) des Principes directeurs impose au Requérant de prouver contre le Défendeur cumulativement que :

(i) son nom de domaine est identique ou semblable au point de prêter à confusion à une marque de produit ou de service sur laquelle le Requérant a des droits; et

(ii) le Défendeur n’a aucun droit sur le nom de domaine ni aucun intérêt légitime qui s’y rattache; et

(iii) le nom de domaine a été enregistré et est utilisé de mauvaise foi par le défendeur.

En conséquence, il y a lieu de s’attacher à vérifier que chacune de ces conditions est bien remplie par le Requérant.

A. Identité ou similitude prêtant à confusion

La Commission administrative constate que le nom de domaine litigieux réservé par le Défendeur constitue la reproduction quasi identique de marques du Requérant, notamment :

- la marque française semi-figurative L’ETUDIANT nº 94 535 244,

- la marque française semi-figurative L’ETUDIANT nº 94 535 243,

- la marque communautaire semi-figurative L’ETUDIANT nº 27 60 981.

La Commission administrative constate que le Requérant produit la preuve d’une exploitation effective et importante du site “www.letudiant.fr”. Le Requérant apporte également la preuve d’une consultation importante de ce même site.

La Commission administrative estime que les marques du Requérant jouissent d’une certaine notoriété.

La Commission administrative considère qu’il existe une similitude entre le nom de domaine <letudiant.org> et les marques et noms de domaine détenus par le Requérant et que cette similitude est de nature à prêter à confusion.

L’adjonction du suffixe “.org”, non appropriable en tant que tel, n’est pas de nature à faire disparaître la reproduction de la marque (V. en ce sens Passion For Life Healthcare limited v. Euromark France, Litige OMPI No. DFR2005-0002).

Le nom de domaine litigieux <letudiant.org> ne peut donc que susciter un risque de confusion avec les marques ou noms de domaine qui appartiennent au Requérant.

Pour ces raisons, la Commission administrative considère que la première condition du paragraphe 4(a) des Principes directeurs est remplie.

B. Droits ou légitimes intérêts

La Commission administrative relève qu’aucun des éléments auxquels elle a pu avoir accès dans le cadre de la présente procédure n’est de nature à la conduire à considérer que le Défendeur disposerait de droits ou d’intérêts légitimes sur le nom de domaine litigieux.

La Commission administrative constate en effet, comme détaillé au paragraphe C. ci-dessous, que le nom de domaine litigieux n’a pas fait l’objet d’exploitation par le Défendeur.

La Commission administrative considère ainsi, prenant en compte cette absence d’exploitation, que le second critère posé au paragraphe 4(a) des Principes directeurs est rempli.

C. Enregistrement et usage de mauvaise foi

Le paragraphe 4(b)(i) des Principes directeurs admet que l’enregistrement de mauvaise foi est caractérisé dès lors que le nom de domaine a été “enregistré ou acquis […] essentiellement aux fins de vendre, de louer ou de céder d’une autre manière l’enregistrement de ce nom de domaine au requérant qui est le propriétaire de la marque de produits ou de services, ou à un concurrent de celui-ci, à titre onéreux, et pour un prix excédant le montant des frais” déboursés pour ce nom de domaine.

La Commission administrative constate qu’en l’espèce les manœuvres opérées par le Défendeur afin de vendre le nom de domaine litigieux au Requérant à un prix très élevé, ainsi que les menaces de se tourner vers des opérateurs indiens ou chinois prétendument plus offrants attestent de l’enregistrement de mauvaise foi du nom de domaine par le Défendeur, ce dernier souhaitant revendre ce nom de domaine en bénéficiant de la renommée acquise par la marque L’ETUDIANT dont est titulaire le Requérant.

En outre, le nom de domaine litigieux renvoyait initialement vers une page indiquant que le site était en cours de construction, puis vers une page blanche. À ce jour, la Commission administrative constate que le nom domaine litigieux renvoie de manière automatique vers le site du Requérant “www.letudiant.fr”.

Cette absence d’exploitation du nom de domaine par le Défendeur confirme que la réservation et l’utilisation du nom de domaine litigieux par ce dernier ont été effectuées de mauvaise foi.

Dans ces circonstances, la Commission administrative considère que le troisième et dernier critère posé au paragraphe 4(a) des Principes directeurs est rempli.

7. Décision

Au regard des éléments développés ci-dessus et conformément aux paragraphes 4(i) des Principes directeurs et 15 des Règles d’application, la Commission administrative ordonne le transfert du nom de domaine <letudiant.org> au profit du Requérant.


Christiane Féral-Schuhl
Expert unique

Le 4 aout 2009