Centre d'arbitrage et de médiation de l'OMPI

DÉCISION DE LA COMMISSION ADMINISTRATIVE

Alain Afflelou Franchiseur contre Jean Rochard

Litige n° D2009-0667

1. Les parties

Le Requérant est Alain Afflelou Franchiseur, Aubervilliers, France, représenté par Novagraaf France SA, France.

Le Défendeur est Jean Rochard, Pornichet, France.

2. Noms de domaine et unité d'enregistrement

Le litige concerne les noms de domaine suivants :

<afflelou.mobi>

<alain-afflelou.mobi>

<alainafflelou.mobi>.

L'unité d'enregistrement auprès de laquelle les noms de domaine sont enregistrés est Namebay.

3. Rappel de la procédure

Une plainte a été déposée par Alain Afflelou Franchiseur auprès du Centre d'arbitrage et de médiation de l'Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) en date du 19 mai 2009.

En date du 19 mai 2009, le Centre a adressé une requête à l'unité d'enregistrement du nom de domaine litigieux, Namebay aux fins de vérification des éléments du litige, tels que communiqués par le Requérant. Le 25 mai 2009, l'unité d'enregistrement a transmis sa vérification au Centre confirmant l'ensemble des données du litige. Le 29 mai 2009, le Centre a envoyé un courrier électronique au Requérant pour lui notifier une irrégularité formelle tenant à l'absence de déclaration selon laquelle le Requérant acceptait la compétence judiciaire d'au moins un for expressément désigné, comme le prévoit le paragraphe 3.b)xiii) des Règles d'application des principes directeurs régissant le règlement uniforme des litiges relatifs au noms de domaine (“Règles d'application”), et invitant le Requérant à soumettre un amendement à la plainte. Le Requérant a déposé un amendement les 2 et 6 juin 2009.

Le Centre a vérifié que la plainte répond bien aux Principes directeurs régissant le Règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine (ci-après dénommés “Principes directeurs”), aux Règles d'application, et aux Règles supplémentaires de l'OMPI (ci-après dénommées les “Règles supplémentaires”) pour l'application des Principes directeurs précités.

Conformément aux paragraphes 2(a) et 4(a) des Règles d'application, le 12 juin 2009, une notification de la plainte valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au Défendeur. Conformément au paragraphe 5(a) des Règles d'application, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 2 juillet 2009. Le Défendeur a fait parvenir sa réponse le 2 juillet 2009.

En date du 16 juillet 2009, le Centre nommait dans le présent litige comme expert unique Alexandre Nappey. La Commission administrative constate qu'elle a été constituée conformément aux Principes directeurs et aux Règles d'application. La Commission administrative a adressé au Centre une déclaration d'acceptation et une déclaration d'impartialité et d'indépendance, conformément au paragraphe 7 des Règles d'application.

Ayant constaté que le Défendeur n'était pas opposé au transfert des noms de domaine, la Commission administrative a rendu une ordonnance de procédure en date du 7 août 2009, invitant les parties à se rapprocher pour envisager le règlement amiable du litige.

Les parties disposaient alors d'un délai expirant le 21 août pour définir les modalités d'un tel accord et notifier le Centre.

N'ayant pas trouvé d'accord dans le délai imparti leur permettant de clore leur différend, les parties s'en remettent donc à la Commission administrative.

4. Les faits

Le Requérant est la société française Alain Afflelou Franchiseur.

Le Requérant est titulaire de marques enregistrées en France et au plan communautaire, parmi lesquelles figurent les marques suivantes :

- marque française ALAIN AFFLELOU déposée le 25 juillet 1986 pour des produits et services des classes 05, 10, 14, 18, 20, 24, 25, 35 et 38, et enregistrée sous le n°1 365 616;

- marque internationale ALAIN AFFLELOU déposée le 21 juin 1990 pour des produits de la classe 09, et enregistrée sous le n°555412A;

- marque française ALAIN AFFLELOU déposée le 29 octobre 1996 pour des produits de la classe 09, et enregistrée sous le n°96 648 390;

- marque française AFFLELOU déposée le 5 septembre 2005 pour des produits et services de la classe 09, et enregistrée sous le n°05 3 378 651.

Le Requérant est également titulaire de différents noms de domaine dont :

- <afflelou.com>,

- <afflelou.fr> (France),

- <alainafflelou.com>,

- <alainafflelou.fr> (France),

- <alain-afflelou.com>,

- <alain-afflelou.fr> (France).

Lesquels sont tous exploités pour activer les sites internet sur lesquels le Requérant présente ses activités et fait la promotion de ses produits d'optique.

Le Défendeur a enregistré les noms de domaine <afflelou.mobi> et <alainafflelou.mobi> le 8 novembre 2006, <alain-afflelou.mobi> le 25 novembre 2006.

Les noms de domaine ne sont pas actifs.

Le 25 février 2009, le Requérant a adressé une lettre de mise en demeure au Défendeur par l'intermédiaire de son Conseil en Propriété Industrielle, afin de lui rappeler l'existence de ses droits et l'enjoindre de lui transférer les noms de domaine litigeux.

Le Défendeur a répondu par courrier du 8 mars 2009 pour expliquer les raisons qui l'ont conduit à déposer les noms de domaine litigieux. Il s'est dit prêt à transférer les noms de domaine moyennant le remboursement des frais exposés pour leur dépôt et leur renouvellement.

C'est dans ces circonstances que le Centre a été saisi du présent litige.

5. Argumentation des parties

A. Requérant

Le Requérant considère tout d'abord que les noms de domaine litigieux sont identiques ou à tout le moins similaires au point de prêter à confusion avec les marques qu'il détient.

Le risque de confusion est selon lui aggravé par la notoriété et la qualité des produits recouverts par les marques.

En deuxième lieu, le Requérant déclare qu'il n'entretient aucun lien avec le Défendeur, et qu'il ne lui a donné aucune autorisation d'enregistrer les noms de domaine objets de la plainte.

Le Requérant soutient encore que le Défendeur ne bénéficie d'aucun droit sur la dénomination “Afflelou” ou “Alain Afflelou”, sous laquelle il n'est de surcroît pas connu.

Enfin, le Requérant estime que le Défendeur a enregistré et utilise les noms de domaine de mauvaise foi, essentiellement dans le but d'empêcher le Requérant de reprendre sa marque sous forme de nom de domaine, mais également de les revendre pour un prix excédant les frais exposés lors du dépôt.

En conséquence, le Requérant sollicite le transfert de propriété des noms de domaine contestés à son profit.

B. Défendeur

Dans le prolongement de sa réponse adressée le 8 mars 2009 suite à la mise en demeure du Requérant, le Défendeur précise qu'il a procédé aux enregistrements litigieux dès l'entrée en vigueur de l'extension “.mobi” afin de protéger les intérêts du Requérant, dont les services avaient selon le Défendeur omis d'effectuer ces dépôts à titre préventif.

Le Défendeur soutient qu'il est un fournisseur occasionnel de la société requérante et que son comportement ne pouvait de ce fait traduire aucune intention malveillante.

6. Discussion et conclusions

Selon le paragraphe 4(a) des Principes directeurs, pour obtenir le transfert des noms de domaine, les requérants doivent prouver que chacun des trois éléments suivants est satisfait :

- les noms de domaine sont identiques ou semblables au point de prêter à confusion, à une marque de produits ou de services sur laquelle le requérant a des droits; et

- le défendeur n'a aucun droit sur les noms de domaine ni aucun intérêt légitime qui s'y attache; et

- les noms de domaine ont été enregistrés et sont utilisés de mauvaise foi.

A. Identité ou similitude prêtant à confusion

Le Requérant justifie détenir des droits sur les marques AFFLELOU et ALAIN AFFLELOU, en vigueur notamment en France, où le Défendeur est domicilié.

La seule différence entre les noms de domaine litigieux et les marques précitées réside dans l'ajout de l'extension, en l'espèce “.mobi”, dont il est couramment admis qu'elle n'a pas à être prise en compte lors de la comparaison des signes, compte tenu de son caractère exclusivement technique et inhérent au nommage internet.

Le Défendeur ne conteste pas ces allégations.

Par conséquent, la Commission administrative retient que les noms de domaine sont identiques à une ou plusieurs marques de produits ou de services sur laquelle le Requérant a des droits, conformément au paragraphe 4(a)(i) des Principes directeurs.

B. Droits ou légitimes intérêts

Le Requérant affirme ensuite que le Défendeur n'a aucun droit sur les noms de domaine, ni d'intérêt légitime qui s'y attache.

Vu les circonstances de ce dossier, la Commission administrative retient que le Requérant à établi prima facie que le Défendeur n'a pas des droits sur les noms de domaine litigieux.

Selon le paragraphe 4(c) des Principes directeurs, le défendeur peut prouver ses droits sur un nom de domaine et l'intérêt légitime qui s'y attache en démontrant l'une des circonstances ci-après :

“(i) avant d'avoir eu connaissance du litige, vous (le défendeur) avez utilisé le nom de domaine ou un nom correspondant au nom de domaine en relation avec une offre de bonne foi de produits ou de services, ou fait des préparatifs sérieux à cet effet;

(ii) vous (le défendeur) (individu, entreprise ou autre organisation) êtes connu sous le nom de domaine considéré, même sans avoir acquis de droits sur une marque de produits ou de services; ou

(iii) vous (le défendeur) faites un usage non commercial légitime ou un usage loyal du nom de domaine sans intention de détourner à des fins lucratives les consommateurs en créant une confusion ni de ternir la marque de produits ou de services en cause.”

Le Défendeur ne nie pas qu'il ne détient aucun droit sur les dénominations Afflelou et Alain Afflelou. Tout au plus est-il selon lui un fournisseur très occasionnel du Requérant, à qui il a fourni à plusieurs reprises les cartes de vœux.

Le Défendeur n'est pas plus connu sous les dénominations “Afflelou” ou “Alain Afflelou”.

Il ne fait pas partie du réseau de franchise développé par le Requérant.

De son propre aveu, le Défendeur a déposé les noms de domaine à titre préventif, alors même qu'il existait selon lui un risque d'usurpation par des tiers mal intentionnés.

Le Défendeur soutient d'ailleurs qu'il a informé le Requérant de sa démarche par courrier électronique. Aucune trace de cette communication n'ayant été identifiée par le Requérant, une copie a été sollicitée auprès du Défendeur qui n'a jamais donné suite à cette requête.

Le nom de domaine n'ayant jamais fait l'objet d'aucune exploitation de la part du Défendeur, la Commission administrative émet des réserves sur l'existence d'un intérêt légitime de ce fait sur les noms de domaine litigieux au profit du Défendeur.

Enfin, la Commission administrative considère qu'à défaut d'avoir été expressément autorisé par le Requérant, la reprise de sa marque dans un nom de domaine, fut-il à titre préventif, ne saurait constituer un intérêt légitime au profit du Défendeur selon les principes directeurs.

Par conséquent, la Commission administrative retient que le Défendeur n'a pas de droit sur les noms de domaine, ni d'intérêt légitime s'y rapportant, conformément au paragraphe 4(a)(ii) des Principes directeurs.

C. Enregistrement et usage de mauvaise foi

Le Requérant soutient que le Défendeur a enregistré et qu'il utilise les noms de domaine litigieux de mauvaise foi.

Le Défendeur quant à lui conteste le caractère frauduleux de sa démarche.

Dans son courrier du 8 mars 2009 en réponse à la mise en demeure qui lui avait été adressée par le Requérant, le Défendeur précise qu'il est un fournisseur occasionnel du Requérant.

Il confirme cette information dans sa réponse à la plainte, indiquant qu'il a enregistré les noms de domaine litigieux justement dans le but de protéger les intérêts du Requérant.

Cela confirme que le Défendeur avait nécessairement et incontestablement connaissance des marques du Requérant puisque les enregistrements ont été effectués soi-disant pour protéger ces marques contre les cybersquatteurs.

La connaissance préalable des marques par le Défendeur est établie indépendamment de la notoriété dont ces marques sont susceptibles de bénéficier.

Il n'en demeure pas moins que le Requérant n'a pas autorisé ces enregistrements et qu'il n'a pas été informé par le Défendeur des démarches effectuées. Le Défendeur s'est montré dans l'incapacité de prouver qu'il avait prévenu le Requérant avant l'enregistrement des noms de domaine litigieux.

L'enregistrement (ou l'acquisition) d'un nom de domaine sans autorisation du titulaire de la marque peut être considéré comme une circonstance de mauvaise foi (Bjorn Kassoe Andersen v. Direction International, Litige OMPI No. D2007-0605).

De plus, lorsque le Requérant l'a mis en demeure de lui transférer les noms de domaine, le Défendeur a sollicité le remboursement des frais qu'il avait exposés, évalués à 300 €, sans justifier le montant demandé.

La Commission administrative considère que l'attitude du Défendeur révèle son intention d'enregistrer les noms de domaine essentiellement aux fins de les vendre au titulaire des marques, à titre onéreux et pour un prix excédant le montant des frais qu'il a déboursés en rapport direct avec ces noms de domaine (voir notamment WIPO Case, DHL Operations B.V. v. Karel Salovsky, Litige OMPI No. D2006-0520).

Par ailleurs, les noms de domaine n'ont vraisemblablement jamais été activés, ce que le Requérant tient pour une volonté du Défendeur de l'empêcher de reprendre ses marques sous forme de noms de domaine.

La Commission administrative observe d'une part que cette allégation n'est pas contestée par le Défendeur, et d'autre part qu'un usage de bonne foi des noms de domaine par le Défendeur est inconcevable en raison de la notoriété dont bénéficient les marques du Requérant.

En conséquence, la Commission administrative estime que les noms de domaine contestés ont été enregistrés et sont utilisés de mauvaise foi par le Défendeur. Le Requérant a satisfait les conditions posées par le paragraphe 4(a)(iii) des Principes directeurs.

7. Décision

Conformément aux paragraphes 4(i) des Principes directeurs et 15 des Règles d'application, la Commission administrative ordonne que les noms de domaine <afflelou.mobi>, <alainafflelou.mobi> et <alain-afflelou.mobi> soient transférés au Requérant.


Alexandre Nappey
Expert Unique

Le 31 août 2009