Centre d'arbitrage et de médiation de l'OMPI

DÉCISION DE LA COMMISSION ADMINISTRATIVE

Ledjo Energie SA contre Marc Robin

Litige n° D2009-0557

1. Les parties

Le requérant est la société Ledjo Energie SA, de Bourges, France, représentée en interne.

Le défendeur est Monsieur Marc Robin, de Cormoz, France, représenté par le cabinet Mizrahi Associés, France.

2. Noms de domaine et unités d'enregistrement

Le litige concerne les noms de domaine <ledjo-energie.com>, <ledjoenergie.com> et <ledjo-energy.com>.

L'unité d'enregistrement auprès de laquelle les noms de domaine sont enregistrés est Gandi SAS.

3. Rappel de la procédure

Une plainte a été déposée par Ledjo Energie SA auprès du Centre d'arbitrage et de médiation de l'Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) en date du 28 avril 2009 par courrier électronique et le 5 mai 2009 sur support papier.

En date du 28 avril 2009, le Centre a adressé une requête à l'unité d'enregistrement du nom de domaine litigieux, Gandi SAS, aux fins de vérification des éléments du litige, tels que communiqués par le requérant. Le 29 avril 2009, l'unité d'enregistrement a transmis sa vérification au Centre confirmant l'ensemble des données du litige. Le Centre a vérifié que la plainte répond bien aux Principes directeurs régissant le Règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine (ci-après dénommés “Principes directeurs”), aux Règles d'application des Principes directeurs (ci-après dénommées les “Règles d'application”), et aux Règles supplémentaires de l'OMPI (ci-après dénommées les “Règles supplémentaires”) pour l'application des Principes directeurs précités.

Conformément aux paragraphes 2(a) et 4(a) des Règles d'application, le 15 mai 2009, une notification de la plainte valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au défendeur. Conformément au paragraphe 5(a) des Règles d'application, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 4 juin 2009. Suite à une demande d'extension du délai de réponse et avec l'accord du Requérant, le défendeur a fait parvenir sa réponse le 12 juin 2009.

En date du 19 juin 2009, le Centre nommait dans le présent litige comme expert unique Christiane Féral-Schuhl. La Commission administrative constate qu'elle a été constituée conformément aux Principes directeurs et aux Règles d'application. La Commission administrative a adressé au Centre une déclaration d'acceptation et une déclaration d'impartialité et d'indépendance, conformément au paragraphe 7 des Règles d'application.

Par courrier électronique du 29 juin 2009, le requérant a adressé au Centre des documents additionnels en réponse aux arguments présentés par le défendeur dans le cadre de la procédure.

Par courrier électronique du 30 juin 2009, le défendeur a fait savoir au Centre qu'il souhaitait répondre à la nouvelle communication du requérant et a sollicité à cette fin l'octroi d'un délai jusqu'au 10 juillet 2009.

En application des paragraphes 10 et 12 des Règles d'application, la Commission administrative a décidé, par ordonnance du 1er juillet 2009, de ne pas prendre en compte les documents additionnels communiqués par le requérant et de rejeter, car sans objet, la sollicitation du défendeur de bénéficier d'un délai pour répondre au requérant.

4. Les faits

Le requérant est la société Ledjo Energie SA, société anonyme immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Bourges le 11 septembre 2007, qui a pour objet l'ingénierie et la réalisation d'études techniques dans le domaine des énergies renouvelables.

Le requérant justifie être titulaire de la marque française LEDJO (semi-figurative) n° 08/3605387, déposée le 17 octobre 2008 auprès de l'INPI pour des services de classes 35, 37, 40 et 42.

Le défendeur, Monsieur Marc Robin, a enregistré les noms de domaine litigieux le 15 mai 2007 alors qu'il effectuait un stage en qualité d'informaticien au sein de la société Ledjo, société coopérative de production (SCOP) exploitée sous forme de SARL, immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Bourges le 11 juillet 2006 (aujourd'hui en liquidation judiciaire) et qui a pour objet le conseil dans le domaine du développement durable et de l'environnement.

Les noms de domaine <ledjo-energie.com> et <ledjo-energy.com> redirigent respectivement vers les sites internet “www.ledjo-energie.com” et “www.ledjo-energy.com” qui sont à ce jour exploités par le requérant, la société Ledjo Energie SA, pour présenter son activité.

Le nom de domaine <ledjoenergie.com> redirige quant à lui vers une page d'erreur.

Par courrier du 17 avril 2009, le requérant a mis en demeure le défendeur de lui maintenir l'accès et l'usage des noms de domaine litigieux et de faciliter le transfert à son profit du nom de domaine <ledjo-energie.com>.

C'est dans ces conditions que le Centre a été saisi du présent litige.

5. Argumentation des parties

A. Requérant

Le requérant fait valoir que les noms de domaine litigieux sont identiques ou semblables à la marque LEDJO qu'il justifie avoir déposée auprès de l'INPI le 17 octobre 2008.

Il considère que le défendeur n'a manifestement pas utilisé les noms de domaine litigieux en relation avec une offre de bonne foi de produits ou de services, ni fait de préparatifs sérieux à cet effet. Le requérant estime également que le défendeur n'est pas non plus connu sous les noms de domaine litigieux et qu'il n'a pas acquis de droits sur une marque de produits ou de services liée aux noms de domaine.

Enfin le requérant considère que les noms de domaine sont fortement susceptibles d'être utilisés de mauvaise foi, dès lors que selon lui :

- les faits démontrent que le défendeur aurait l'intention de lui vendre les noms de domaine litigieux ou de les vendre à un concurrent, pour un prix excédant le montant des frais qu'il a déboursés en rapport avec ces noms de domaine;

- que l'objectif du défendeur est de l'empêcher d'utiliser sa marque sous forme de nom de domaine et de perturber ses opérations commerciales en le menaçant, par personne interposée, de l'empêcher de continuer à exploiter les noms de domaine litigieux.

B. Défendeur

En premier lieu, le défendeur admet la similitude des noms de domaine litigieux avec la marque du requérant, mais considère que cette marque ne lui est pas opposable dès lors qu'elle a été déposée postérieurement à l'enregistrement des noms de domaine litigieux.

Le défendeur considère que l'enregistrement des noms de domaine “antériorise” le dépôt de la marque LEDJO par le défendeur et estime être fondé à engager une action en nullité du dépôt de la marque devant les juridictions françaises.

En second lieu, le défendeur admet ne pas pouvoir revendiquer personnellement d'intérêt légitime dans l'enregistrement des noms de domaine litigieux.

En revanche, le défendeur explique avoir procédé aux enregistrements pour le compte de la société Ledjo SCOP SARL, alors qu'il effectuait un stage au sein de cette société, et que cette société, disposait bien, quant à elle, d'un intérêt légitime à l'enregistrement des noms de domaine litigieux.

Pour soutenir que la société Ledjo SCOP SARL disposait d'un intérêt légitime à l'enregistrement des noms de domaine litigieux, le défendeur indique que ceux-ci ont été enregistrés dans le cadre du projet de création de la société Ledjo Energie SA, projet mené en collaboration par les dirigeants de la société Ledjo SCOP SARL et un client de cette société, M. Breusse.

Le défendeur indique que la société Ledjo Energie SA a été immatriculée le 11 septembre 2007, avec pour actionnaire principal la société Ledjo SCOP SARL et pour actionnaire minoritaire le client susmentionné, puis que ce dernier a pris le contrôle de la société Ledjo Energie SA dont il est aujourd'hui le Président-Directeur Général.

En troisième lieu, le défendeur soutient que les noms de domaine litigieux ont été enregistrés et utilisés légitimement et en l'absence de toute mauvaise foi, dès lors que selon lui :

- les noms de domaine litigieux ont été enregistrés près d'un an et demi avant le dépôt de la marque LEDJO par le requérant;

- la société Ledjo SCOP SARL, immatriculée le 11 juillet 2006, exploitait le nom commercial “ledjo” et le logo associé avant le dépôt de la marque LEDJO par le requérant;

- c'est au contraire le requérant qui a procédé à un enregistrement de marque sans autorisation en vue de perturber les opérations commerciales de la société Ledjo SCOP SARL et de capter son nom et son activité.

6. Discussion et conclusions

La Commission administrative constate que les faits, les prétentions des parties et les documents communiqués par les parties démontrent que le litige soumis à la Commission administrative s'inscrit en réalité dans un contentieux commercial relatif aux conditions de création de la société Ledjo-Energie SA et aux conditions des apports réalisés par les différents actionnaires au cours de la période de constitution de la dite société.

Ainsi, le présent litige n'a pas été soumis au Centre du fait de l'existence d'une situation de cybersquatting, mais parce que la rupture des relations entre certains des actionnaires de la société Ledjo-Energie SA soulève des difficultés quant à la propriété des noms de domaine litigieux.

Or, la procédure de règlement des litiges administrée par le Centre a été avant tout élaborée pour faire face aux hypothèses de cybersquatting.

Comme cela a déjà été rappelé dans des décisions similaires (voir notamment The Thread.com, LLC v. Jeffrey S. Poploff, Litige OMPI No. D2000-1470; ITMetrixx, Inc. v. Kuzma Productions, Litige OMPI No. D2001-0668 et Linak A/S v. Elsar Ltd., Litige OMPI No. D2007-1726), la Commission n'a pas vocation à trancher tout litige au seul motif que celui-ci implique un nom de domaine. Les Principes directeurs et les Règles d'application n'ont pas été rédigés à cette fin et la Commission administrative ne dispose pas des outils nécessaires pour statuer sur des demandes aussi éloignées des hypothèses initialement envisagées par ces textes.

En application des dispositions des paragraphes 15(a) des Règles d'application et 4(a) des Principes directeurs, la Commission a pour mission de vérifier que le requérant prouve contre le défendeur, cumulativement, que :

(i) les noms de domaine sont identiques ou semblables au point de prêter à confusion à une marque de produit ou de service sur laquelle le requérant a des droits; et

(ii) le défendeur n'a aucun droit sur les noms de domaine ni aucun intérêt légitime qui s'y rattache; et

(iii) les noms de domaine ont été enregistrés et sont utilisés de mauvaise foi.

La Commission administrative considère que compte tenu des circonstances du litige, qui est pour l'essentiel un contentieux entre d'anciens associés, celui-ci ne peut pertinemment être tranché à l'issue de l'analyse de ces seuls critères.

En conséquence, la Commission administrative est d'avis que la plainte du requérant devrait être rejetée au seul motif que la procédure de règlement des litiges du Centre a été détournée de sa finalité par le requérant et ne permet pas de trancher le présent litige.

Pour s'en convaincre, il suffit de tenter d'appliquer au litige la troisième condition posée par l'article 4(a)(iii) des Principes directeurs.

Ainsi, en premier lieu, la Commission administrative constate que le requérant ne soutient pas que l'enregistrement des noms de domaine litigieux serait intervenu de mauvaise foi.

Pour cause, à la date de l'enregistrement des noms de domaine litigieux (le 15 mai 2007), le requérant n'avait pas d'existence légale (la société Ledjo Energie SA a été immatriculée au RCS de Bourges le 11 septembre 2007) et son représentant actuel était alors associé à la société Ledjo SCOP SARL (pour le compte de laquelle le défendeur dit avoir enregistré les noms de domaine) en vue de la création de la société Ledjo Energie SA.

De plus, l'enregistrement des noms de domaine litigieux n'a pas pu intervenir en violation des droits de marque du requérant, puisque la marque LEDJO n'a été déposée par le requérant que plus d'un an après l'enregistrement des noms de domaine litigieux.

En second lieu, la Commission administrative constate que le requérant ne soutient pas non plus que les noms de domaines litigieux sont utilisés de mauvaise foi.

Pour cause, au jour où la Commission administrative est saisie du litige, c'est bien le requérant qui exploite les noms de domaine litigieux, en présentant ses activités sur les sites internet vers lesquels ces noms de domaine redirigent.

Le requérant soutient uniquement que les noms de domaine litigieux “doivent être considérés comme étant fortement susceptibles d'êtres utilisés de mauvaise foi par le défendeur”.

Si le requérant évoque donc un risque de voir son exploitation des noms de domaine litigieux perturbée par d'éventuels agissements du défendeur ou de tiers, la Commission administrative ne peut pas constater de telles atteintes et ne peut donc pas retenir une utilisation de mauvaise foi des noms de domaine litigieux par le défendeur, ni par la société Ledjo SCOP SARL.

Dans ces conditions, la Commission est donc contrainte de rejeter la plainte du requérant, sans que pour autant cette décision puisse être analysée comme confortant les droits du défendeur sur les noms de domaine litigieux.

7. Décision

Conformément aux paragraphes 4(i) des Principes directeurs et 15 des Règles d'application, la Commission administrative rejette la plainte.


Christiane Féral-Schuhl
Expert Unique

Le 3 juillet 2009