WIPO

Centre d'arbitrage et de médiation de l'OMPI

DÉCISION DE L'EXPERT

Caisse Fédérale du Crédit Mutuel Océan contre Jack Van Zandt

Litige n° DFR2008-0044

1. Les parties

Le Requérant est, Caisse Fédérale du Crédit Mutuel Océan, La Roche sur Yon, France, représenté par Meyer & Partenaires, Strasbourg, France.

Le Défendeur est Jack Van Zandt, Paris, France.

2. Nom de domaine et prestataire Internet

Le litige concerne le nom de domaine <comcean.fr> enregistré le 21 juin 2007.

Le prestataire Internet est la société Euro DNS.

3. Rappel de la procédure

Une demande déposée par le Requérant auprès du Centre d'arbitrage et de médiation de l'Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) a été reçue le 10 septembre 2008, par courrier électronique et le 12 septembre 2008, par courrier postal.

Le 15 septembre 2008, le Centre a adressé à l'Association Française pour le Nommage Internet en Coopération (ci-après l'“Afnic”) une demande aux fins de vérification des éléments du litige et de gel des opérations.

Le 15 septembre 2008, l'Afnic a confirmé l'ensemble des données du litige, ainsi qu'aucune procédure administrative applicable au nom de domaine objet du litige n'est pendante et a dévoilé l'identité du titulaire du nom de domaine, lequel avait été initialement enregistré sous couvert d'anonymat.

Le Requérant a déposé une demande amendée en date du 18 septembre 2008, tenant compte de la levée d'anonymat du Défendeur.

Le Centre a vérifié que la demande répond bien au Règlement sur la procédure alternative de résolution des litiges du “.fr” et du “.re” par décision technique (ci-après le “Règlement”) en vigueur depuis le 22 juillet 2008, et applicable à l'ensemble des noms de domaine du “.fr” et du “.re” conformément à la Charte de nommage de l'Afnic applicable (ci-après la “Charte”).

Conformément à l'article 14(c) du Règlement, une notification de la demande, valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au Défendeur le 22 septembre 2008. Conformément au paragraphe 5(a) des Règles d'application, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 12 octobre 2008. Le Défendeur n'ayant pas fait parvenir sa réponse à cette date, a donc été déclaré en défaut le 13 octobre 2008.

Le 27 octobre 2008, le Centre nommait William Lobelson comme Expert dans le présent litige. L'Expert constate qu'il a été nommé conformément au Règlement. L'Expert a adressé au Centre une déclaration d'acceptation et une déclaration d'impartialité et d'indépendance, conformément à l'article 4 du Règlement.

4. Les faits

La Caisse Fédérale du Crédit Mutuel Océan, le Requérant, est le représentant du réseau bancaire Crédit Mutuel dans l'Ouest de la France.

Son site web institutionnel est accessible par le nom de domaine <cmocean.fr> depuis l'année 2002.

Le Requérant a constaté l'enregistrement sans son autorisation du nom de domaine <comcean.fr> en date du 21 juin 2007, sous couvert d'anonymat, et sa redirection vers une page web “parking” de liens sponsorisés.

Estimant qu'il était porté atteinte à ses droits sur son nom de domaine <cmocean.fr>, son sigle, sa marque et sa raison sociale, le Requérant a engagé la présente procédure, dans le double objectif d'obtenir la divulgation de l'identité du Défendeur ainsi que la transmission du nom de domaine contesté.

5. Argumentation des parties

A. Requérant

Le Requérant expose que sa raison sociale et son sigle sont respectivement CAISSE FEDERALE DU CREDIT MUTUEL OCEAN et CMO CREDIT MUTUEL OCEAN; qu'il est titulaire d'une marque enregistrée en France CREDIT MUTUEL OCEAN CMO No. 08 3 557 157 du 20 février 2008; qu'il exploite depuis près de six années le nom de domaine <cmocean.fr> en relation avec des services financiers, bancaires et d'assurance.

Il fait valoir que l'enregistrement du nom de domaine contesté <comcean.fr> d'une part et sa redirection vers une page “parking” sont des actes de nature à porter atteinte à ses droits.

B. Défendeur

Le Défendeur n'a présenté aucune observation en réponse aux allégations du Requérant.

6. Discussion

Conformément à l'article 20(c) du Règlement, “l'Expert fait droit à la demande lorsque l'enregistrement ou l'utilisation du nom de domaine par le défendeur constitue une atteinte aux droits des tiers telle que définie à l'article 1 du présent règlement et au sein de la Charte et, si la mesure de réparation demandée est la transmission du nom de domaine, lorsque le Requérant a justifié de ses droits sur l'élément objet de ladite atteinte et sous réserve de sa conformité avec la Charte”.

L'article 1 du Règlement définit l'atteinte aux droits comme :

- une atteinte aux droits des tiers, en particulier, lorsque le nom de domaine est identique ou susceptible d'être confondu avec un nom sur lequel est conféré un droit de propriété intellectuelle français ou communautaire (propriété littéraire et artistique et/ou propriété industrielle), ou est identique au nom patronymique d'une personne, sauf si le défendeur fait valoir un droit ou un intérêt légitime sur le nom de domaine et agit de bonne foi.

- une atteinte aux règles de la concurrence et du comportement loyal en matière commerciale en droit français ou communautaire.

Dès lors, il appartient en premier lieu à l'Expert de déterminer si, au regard du droit français, l'enregistrement ou l'usage du nom de domaine <comcean.fr> porte atteinte aux droits du Requérant.

En second lieu, la mesure de réparation demandée étant la transmission du nom de domaine litigieux, l'Expert doit s'assurer de l'existence des droits du Requérant sur l'élément objet de la demande, en l'espèce la dénomination “comcean”.

(i) Droits du Requérant

Les droits privatifs du Requérant sur sa raison sociale CAISSE FEDERALE DU CREDIT MUTUEL OCEAN, son sigle CMO CREDIT MUTUEL OCEAN et sa marque française No. 08 3 557 157 CREDIT MUTUEL OCEAN CMO sont établis et ne sont pas contestés par le Défendeur.

Cependant, l'Expert estime que les dénominations CAISSE FEDERALE DU CREDIT MUTUEL OCEAN, CMO CREDIT MUTUEL OCEAN et CREDIT MUTUEL OCEAN CMO ne sont pas similaires au nom de domaine contesté <comcean.fr>.

Outre le fait que le terme “ocean” n'est pas perceptible au sein du nom de domaine contesté <comcean.fr>, force est de constater que les lettres C-M-O d'une part et le terme “ocean” d'autre part, dans le sigle CMO CREDIT MUTUEL OCEAN et la marque CREDIT MUTUEL OCEAN CMO du Requérant, sont disposés de telle façon qu'ils ne sont pas susceptibles d'être rapprochés de la désinence “comcean” contestée.

L'association du nom “Credit Mutuel” aux éléments “CMO” et “ocean” non seulement fait perdre à ces derniers leur individualité dans le sigle et la marque du Requérant, mais contribue au surplus à ce qu'ils ne soient pas associés l'un à l'autre lors de la lecture ou de l'énoncé du sigle et de la marque du Requérant.

Prises dans leur ensemble, c'est-à-dire telles qu'elles seront perçues par le public, les appellations en cause ne présentent pas suffisamment de ressemblances visuelles ou phonétiques pour qu'un risque de confusion soit susceptible.

CMO CREDIT MUTUEL OCEAN CREDIT MUTUEL OCEAN CMO

COMCEAN(.FR) COMCEAN(.FR)

L'Expert observe enfin, s'agissant de la marque française No. 08 3 557 157 CREDIT MUTUEL OCEAN CMO, qu'elle a été déposée le 20 février 2008, soit postérieurement à l'enregistrement du nom de domaine contesté.

L'Expert est donc amené à conclure que les droits privatifs invoqués par le Requérant ne portent pas sur un ou plusieurs éléments identiques ou similaires au nom de domaine contesté et ne sont donc pas opposables à ce dernier.

Le Requérant invoque aussi – et surtout – les droits qu'il détient dans le nom de domaine <cmocean.fr>, du fait de l'usage de ce dernier. Il ne justifie pas en revanche de droits de propriété privatifs, reconnus par la loi, sur la dénomination “cmocean”.

La jurisprudence dominante en France, à laquelle d'ailleurs le Requérant fait abondamment référence au soutien de sa demande, ne permet pas de conclure que le simple usage d'un nom de domaine a pour effet de conférer à son auteur un droit de propriété incorporelle sur ce dernier.

Le Requérant ne peut valablement invoquer à l'appui de la présente demande que l'usage de son nom de domaine antérieur <cmocean.fr>, usage en vertu duquel il est seulement fondé à demander, en application des dispositions de l'article 1382 du Code Civil, la cessation du trouble éventuel que lui causerait l'exploitation du nom de domaine contesté <comcean.fr>.

Il y a donc lieu d'examiner si, en application de la jurisprudence applicable en l'espèce, il existe un risque de confusion entre le nom de domaine contesté et le nom de domaine antérieur invoqué par le Requérant, constitutif d'une atteinte aux règles de la concurrence ou du comportement loyal en matière de commerciale, au préjudice de ce dernier.

Les documents produits par le Requérant établissent sans contestation possible qu'il est bien le titulaire du nom de domaine <cmocean.fr>, et que ce dernier fait l'objet d'une exploitation depuis 2002 pour permettre l'accès à un site web dans lequel sont présentés les services du Crédit Mutuel, établissement financier et bancaire de notoriété nationale.

Le Requérant fait valoir que le nom de domaine contesté <comcean.fr> est visuellement et phonétiquement proche de celui <cmocean.fr>.

Sur ce point, l'Expert partage l'opinion exprimée par le Requérant. Les deux noms de domaine comparés, abstraction faite de l'extension régionale “.fr”, sont effectivement similaires, car formés des mêmes lettres dont une majorité placées dans le même ordre.

(ii) Enregistrement ou utilisation du nom de domaine litigieux en violation des droits des tiers ou des règles de la concurrence

Le Requérant considère que son nom de domaine <cmocean.fr> est opposable à celui <comcean.fr> dans la mesure où l'enregistrement et l'utilisation de ce dernier portent atteinte aux droits qu'il détient dans le nom de domaine <cmocean.fr>, et invoque cette jurisprudence désormais constante, évoquée ci-avant, selon laquelle l'usage d'un nom de domaine peut, sous certaines conditions, conférer à son titulaire le droit de s'opposer à l'exploitation d'un nom de domaine second, identique ou similaire, à la triple condition d'établir la titularité du nom de domaine opposé, son antériorité et l'existence d'un risque de confusion.

L'Expert a déjà reconnu d'une part la titularité et d'autre part l'exploitation antérieure du nom de domaine du Requérant.

Il y a lieu à présent d'examiner si l'enregistrement ou l'usage du nom de domaine contesté sont de nature à engendrer un risque de confusion avec le nom de domaine antérieur et portent ainsi atteinte aux intérêts du Requérant.

Ce dernier fait valoir successivement que :

- Le nom de domaine contesté est si proche du sien qu'il doit en être déduit que le Défendeur ne pouvait ignorer l'existence du nom de domaine antérieur invoqué ; qu'en enregistrant le nom de domaine contesté, sans prendre la peine de vérifier les droits de propriété intellectuelle du Requérant, le Défendeur a agi en fraude des droits du Requérant.

- Le Défendeur utilise le nom de domaine contesté de façon répréhensible, en le faisant pointer vers un site parking de liens sponsorisés, révélant ainsi une volonté lucrative de tirer profit de la réputation du Requérant, et en particulier vers deux liens hypertexte dans le domaine financier.

En l'absence de réponse du Défendeur aux allégations du Requérant, l'Expert doit rechercher dans les seules pièces produites par ce dernier si l'enregistrement et/ou l'utilisation du nom de domaine litigieux portent effectivement atteinte aux intérêts du Requérant.

Sur l'enregistrement du nom de domaine, l'Expert ne rejoint pas les conclusions du Requérant.

Celui-ci reproche tout d'abord au Défendeur de n'avoir pas vérifié l'existence de droits de propriété intellectuelle antérieurs.

Mais il est rappelé que le Requérant ne détient aucun droit de propriété intellectuelle sur la dénomination “comcean” contestée, et qu'il ne peut invoquer qu'un usage du nom de domaine <cmocean.fr>.

Le Requérant affirme ensuite que le Défendeur ne pouvait ignorer l'usage du nom de domaine <cmocean.fr> au moment de l'enregistrement de celui <comcean.fr>.

Là encore, l'Expert n'est nullement convaincu.

L'examen de l'annexe (C) jointe à la demande du Requérant montre que le nom de domaine <cmocean.fr> n'est utilisée que comme URL, c'est-à-dire adresse électronique d'un site web dans lequel le nom “comcean” n'est pas mis en exergue ni exploité de façon notoire.

Le site web du Requérant est tout entier consacré à l'enseigne Crédit Mutuel.

Le Requérant n'a pas fait la démonstration d'un usage public et d'envergure du seul nom “comcean”, ni d'une communication axée autour de ce dernier.

De son propre aveu, le Requérant indique avoir choisi CMOCEAN comme abréviation de son nom social complet CAISSE FEDERALE DU CREDIT MUTUEL OCEAN / CMO CREDIT MUTUEL OCEAN, difficilement transposable à titre de nom de domaine.

Le nom de domaine <cmocean.fr> a donc vocation à être principalement connu des seuls utilisateurs du site web du Requérant, c'est-à-dire ses clients.

Le Requérant représente la banque Crédit Mutuel dans l'ouest de la France.

Le Défendeur est domicilié en région parisienne, et non dans l'ouest de la France.

Le Requérant ne démontre pas que le Défendeur est son client ou est (ou a été) en relation avec lui.

Certes, le Requérant souligne le fait que le Défendeur a déjà été condamné au transfert de noms de domaine, et en particulier celui <creditmutuelnordeurope.fr>. Ceci révèle que le nom et le réseau bancaire Crédit Mutuel ne sont pas inconnus du Défendeur et peut éventuellement faire peser sur sa tête un soupçon de mauvaise foi.

Pour autant, l'Expert estime que ce seul fait ne suffit pas en soi à caractériser une démarche frauduleuse du Défendeur dans le cadre de la présente affaire, qui ne porte pas sur un nom de domaine formé de la dénomination protégée et notoire CREDIT MUTUEL.

Au vu des arguments et éléments de preuve fournis à l'appui de la demande, l'Expert n'est pas en mesure de suivre le Requérant dans son raisonnement selon lequel le Défendeur avait nécessairement connaissance de l'exploitation du nom de domaine antérieur <cmocean.fr> et a donc agi en fraude de ses droits en enregistrant le nom de domaine contesté <comcean.fr>.

Sur l'usage du nom de domaine litigieux, l'Expert ne rejoint pas non plus les conclusions du Requérant.

Il est tout d'abord constant que la seule redirection d'un nom de domaine vers un site parking de liens sponsorisés n'est pas en soi un acte répréhensible.

Il en va autrement lorsque les circonstances de l'espèce permettent de conclure que le Défendeur a manifestement pour objectif de semer la confusion dans l'esprit du public et/ou de parasiter la notoriété du Requérant.

Au cas particulier, il est tout d'abord rappelé que le Requérant, s'il établit la renommée du réseau bancaire auquel il appartient, à savoir le Crédit Mutuel, ne démontre pas en revanche quelle notoriété ou réputation est attachée au seul nom “comcean”.

L'Expert observe encore, à partir de l'annexe (L) produite par le Requérant, à savoir une image écran du site de liens sponsorisés vers lequel pointait le nom de domaine contestée à la date du 3 septembre 2008, qu'aucun des liens hypertexte affichés sur la page ne se rapporte au domaine financier, contrairement à ce qu'affirme le Requérant.

Les liens hypertexte se rapportent à des sites de rencontre, d'organisation de séminaires, de vente de véhicules et de matériel médical. Les deux liens signalés par le Requérant sont relatifs à des sites dont le contenu vise à conseiller des entrepreneurs sur des questions de salaire ou de gestion commerciale.

Il ne s'agit pas là de domaines concurrents de ceux du Crédit Mutuel, qui exerce dans le domaine de la banque, de la finance et de l'assurance.

L'annexe (K) produite par le Requérant est une image écran du site de liens sponsorisés vers lequel pointait le nom de domaine contestée à la date du 5 septembre 2008. Certains des liens ont changé, mais aucun ne se rapporte à un domaine concurrent de celui du Requérant.

L'Expert remarque enfin que tous les liens hypertexte contenus dans la page “parking” accessible par le nom de domaine litigieux se rapportent à des offres de produits ou services visant les régions de Grenoble principalement et accessoirement le quart sud-est de la France.

Or le Requérant indique lui-même en préambule de sa demande que son offre de services bancaires se limite à la région ouest de la France.

Dans ce contexte, l'Expert n'est pas convaincu de l'existence d'un risque de confusion entre le nom de domaine contesté et le nom de domaine antérieur sur lequel le Requérant fonde sa demande.

Le Défendeur n'exploite pas le nom de domaine litigieux dans un domaine concurrent de celui du Requérant, ni en relation avec des contenus illicites ou immoraux susceptibles de ternir l'image du Requérant ou dans des conditions de nature à porter préjudice à ce dernier; il ne ressort pas non plus des pièces du dossier qu'il a tenté de spéculer sur le nom de domaine au détriment du Requérant, ni qu'il prive ce dernier de la possibilité d'être visible sur le réseau Internet.

En conclusion, s'il est clairement établi que le nom de domaine litigieux <comcean.fr> est effectivement similaire à celui <cmocean.fr> exploité par le Requérant, aucune des pièces du dossier soumis à l'Expert ne lui permet d'acquérir la certitude que le Défendeur a agi de mauvaise foi en enregistrant le nom de domaine contesté, c'est-à-dire en nécessaire connaissance de l'existence du nom de domaine antérieur du Requérant, ni que le Défendeur se livre à une exploitation du nom de domaine préjudiciable aux intérêts du Requérant ou portant atteinte à ses droits protégés en France, ou en violation des règles de la concurrence et/ou du comportement loyal en matière commerciale.

7. Décision

Conformément aux articles 20(b) et (c) du Règlement, l'Expert prononce le rejet de la demande du Requérant et n'ordonne pas le transfert du nom de domaine <comcean.fr>.


William Lobelson
Expert

Date : Le 1 décembre 2008