WIPO

Centre d’arbitrage et de médiation de l’OMPI

 

DÉCISION DE LA COMMISSION ADMINISTRATIVE

Société Air France contre Constantinvest – Duarte Pierre

Litige n° D2008-0507

 

1. Les parties

Le Requérant est Société Air France, Roissy CDG, France, représenté par MEYER & Partenaires, France.

Le Défendeur est Constantinvest, Duarte Pierre, Montrouge, France.

 

2. Noms de Domaine et unités d’enregistrement

Le litige concerne les Noms de Domaine <airfrance100ans.com> et <airfrance2013.com>.

L’unité d’enregistrement auprès de laquelle les Noms de Domaine sont enregistrés est OVH.

 

3. Rappel de la procédure

Une plainte a été déposée par Société Air France auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) en date du 2 avril 2008.

En date du 3 avril 2008, le Centre a adressé une requête à l’unité d’enregistrement des noms de domaine litigieux, OVH, aux fins de vérification des éléments du litige, tels que communiqués par le Requérant. L’unité d’enregistrement a confirmé l’ensemble des données du litige en date du 4 avril 2008.

Suite à une Notification d’irrégularité de la plainte adressée par le Centre en date du 8 avril 2008, le Requérant a déposé une plainte amendée le même jour.

Le Centre a vérifié que la plainte et la plainte amendée répondent bien aux Principes directeurs régissant le Règlement uniforme des litiges relatifs aux Noms de Domaine (ci-après dénommés “Principes directeurs”), aux Règles d’application des Principes directeurs (ci-après dénommées les “Règles d’application”), et aux Règles supplémentaires de l’OMPI (ci-après dénommées les “Règles supplémentaires”) pour l’application des Principes directeurs précités.

Conformément aux paragraphes 2(a) et 4(a) des Règles d’application, le 14 avril 2008, une notification de la plainte valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au Défendeur. Conformément au paragraphe 5(a) des Règles d’application, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 4 mai 2008. Le Défendeur n’a fait parvenir aucune réponse. En date du 5 mai 2008, le Centre notifiait le défaut du Défendeur.

En date du 20 mai 2008, le Centre nommait dans le présent litige comme expert-unique Nathalie Dreyfus. La Commission administrative constate qu’elle a été constituée conformément aux Principes directeurs et aux Règles d’application. La Commission administrative a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément au paragraphe 7 des Règles d’application.

 

4. Les faits

La société Air France est une compagnie aérienne internationale basée en France dont les origines remontent à 1933. Elle est le premier groupe européen de transport depuis son rapprochement avec KLM en 2004.

Le Requérant exploite un portail web international accessible à l’adresse “ www.airfrance.com” depuis 1997. Il est également titulaire de nombreux Noms de Domaine génériques et géographiques comprenant ou consistant en la marque AIR FRANCE.

Le Requérant est titulaire de nombreuses marques à travers le monde et possède notamment les enregistrements de marques françaises AIR FRANCE n° 1 703 113 et n° 99 811 269 et l’enregistrement de marque communautaire AIR FRANCE n° 2528461.

Les Noms de Domaine <airfrance100ans.com> et <airfrance2013.com> ont été réservés le 28 avril 2007 par le Défendeur.

 

5. Argumentation des parties

A. Requérant

Le Requérant soutient que les Noms de Domaine sont semblables au point de prêter à confusion avec sa marque AIR FRANCE. Le Requérant fait valoir qu’AIR FRANCE correspond à sa dénomination sociale et à son nom commercial depuis sa création en 1933 et qu’il détient des droits de marques sur cette locution. Il fournit copie de deux de ses enregistrements de marques françaises et de l’un de ses enregistrements de marques communautaires et insiste sur la notoriété de sa marque.

Le Requérant souligne également qu’il n’a aucun lien de quelque nature que ce soit avec le Défendeur qui n’a jamais été autorisé à enregistrer ou utiliser les Noms de Domaine litigieux. Selon lui, les Noms de Domaine en cause ne sont pas et n’ont jamais été utilisés par le Défendeur dans l’intention de proposer aux internautes une offre de bonne foi de produits et services. Le Requérant indique que l’activation des Noms de Domaine en cause pour renvoyer vers une page d’accès sécurisé ne constitue pas une offre de produits et services de bonne foi. Le Requérant affirme en tout état de cause que le Défendeur ne s’est engagé dans aucune action qui indiquerait qu’il aurait un droit ou un intérêt légitime sur les Noms de Domaine litigieux.

Enfin, le Requérant met en avant l’enregistrement et l’utilisation de mauvaise foi des Noms de Domaine. Il souligne que le Défendeur, Pierre Duarte et Constaninvest sont un ressortissant français et que la société est immatriculée en France. Selon le Requérant, ils ne pouvaient donc pas ignorer la marque AIR FRANCE en raison de sa notoriété et il existe une présomption de mauvaise foi prima facie à la charge du Défendeur. Le Requérant met également en avant les activités de Pierre Duarte et de la société Constaninvest dans le secteur du tourisme. Le Requérant rappelle que la détention passive de Noms de Domaine usurpés a été considéré dans plusieurs décisions comme caractérisant la mauvaise foi dans l’usage d’un nom de domaine et cite plusieurs décisions à l’appui de son argumentation. Le Requérant soutient que dans le cadre de ses tentatives de règlement amiable de ce litige il n’a jamais reçu de justifications ou d’indications d’intention de la part du Défendeur concernant l’enregistrement et l’utilisation des Noms de Domaine en cause.

Le Requérant demande en conséquence le transfert à son profit des deux Noms de Domaine en cause.

B. Défendeur

Le Défendeur n’a pas répondu à l’argumentation dans les formes requises et est en conséquence en défaut.

 

6. Discussion et conclusions

La Commission administrative doit déterminer si les trois conditions posées par le paragraphe 4(a) des Principes directeurs sont réunies, à savoir:

(i) si les Noms de Domaine sont identiques à une marque de produit ou de service appartenant au Requérant ou suffisamment proche pour engendrer la confusion; et

(ii) si le Défendeur n’a pas un droit ou un intérêt légitime à l’utilisation des Noms de Domaine; et

(iii) si le Défendeur a enregistré et utilise les Noms de Domaine avec mauvaise foi.

A. Identité ou similitude prêtant à confusion

La Commission administrative considère que les Noms de Domaine sont similaires au point de prêter à confusion avec les marques détenus par le Requérant.

Les Noms de Domaine en cause comprennent la marque AIR FRANCE du Requérant.

L’adjonction du suffixe “.com” non appropriable en tant que tel, est inopérante à faire disparaître la reproduction de la marque du Requérant.

Les expressions “100 ans” et “2013” dans les Noms de Domaine correspondent à des indications temporelles descriptives. Elles n’atténuent pas la similitude de ces Noms de Domaine avec la marque AIR FRANCE du Requérant et ne parviennent donc pas à écarter le risque de confusion.

Dans ces circonstances, la Commission administrative considère que la première condition est remplie.

B. Droits ou légitimes intérêts

La Commission administrative relève tout d’abord que le Défendeur n’a pas contesté les affirmations du Requérant, ni fourni d’explications ou de justifications de nature à prouver un droit ou un intérêt légitime sur les Noms de Domaine.

Le Défendeur n’est pas et n’a jamais été connu sous la dénomination AIR FRANCE ou la combinaison de cette marque aux termes “100 ans” ou “2013”. Il n’existe aucune relation entre le Défendeur et le Requérant. Le Défendeur n’a jamais été autorisé à enregistrer et utiliser les Noms de Domaine par le Requérant.

Les Noms de Domaine redirigent vers une page d’accès sécurisé aux services de leur unité d’enregistrement, ce qui ne saurait s’apparenter à une offre de produits et services de bonne foi.

Dans ces circonstances, la Commission administrative considère que le Défendeur n’a ni droit, ni intérêt légitime sur les Noms de Domaine en cause et que la seconde condition est donc remplie.

C. Enregistrement et usage de mauvaise foi

La Commission administrative constate que plusieurs décisions UDRP ont reconnu la notoriété de la marque AIR FRANCE (Société Air France c. Atul Sharma, Litige OMPI No. D2008-0330; Société Air France c. Arnaud Gautier, litige OMPI n° D2003-0830).

La Commission administrative accueille les arguments du Requérant concernant l’enregistrement et l’usage des Noms de Domaine de mauvaise foi.

En raison de la notoriété de la marque AIR FRANCE, la Commission administrative estime que le Défendeur ne pouvait ignorer les droits du Requérant sur cette marque. Les activités du Défendeur dans des domaines rattachés au tourisme confortent la Commission administrative dans sa conclusion.

L’enregistrement de Noms de Domaine correspondant à une marque notoire appartenant à un tiers sans motif légitime doit être considéré comme ayant été effectué de mauvaise foi (Compagnie Gervais Danone contre SARL Biu, Litige OMPI No. D2007-1824).

Par ailleurs, l’usage passif des Noms de Domaine ne fait pas obstacle à ce que leur usage soit déclaré de mauvaise foi. L’intensité et la renommée de la marque en cause, l’absence de preuve d’un usage actuel ou futur de bonne foi, les actions entreprises par le Défendeur pour dissimuler son identité, le fait pour le Défendeur de fournir des coordonnées erronées, l’absence d’usage du nom de domaine par le Défendeur qui ne serait pas illégitime sont des éléments permettant d’établir que l’usage passif d’un nom de domaine peut être constitutif de mauvaise foi (Air Austral c. WWW Enterprise, Inc., Litige OMPI No. D2004-0765; Telstra Corporation Limited c. Nuclear Marshmallows, litige OMPI No. D2000-0003). Dans le cas présent, toutes les circonstances concourent à établir que les Noms de Domaine <airfrance100ans.com> et <airfrance2013.com> ont été enregistrés et sont utilisés de mauvaise foi. La marque AIR FRANCE est notoire, le Défendeur n’a pas participé aux débats et la Commission administrative ne voit pas comment les Noms de Domaine en cause auraient pu faire l’objet d’un enregistrement ou d’un usage de bonne foi par le Défendeur.

Dans ces circonstances, la Commission administrative considère que le Défendeur a enregistré et utilise les Noms de Domaine en cause de mauvaise foi, la troisième condition posée par les principes directeurs est donc remplie.

 

7. Décision

Au vu de ce qui précède et conformément aux principes des paragraphes 4.i) des principes directeurs et 15 des règles, la Commission administrative ordonne le transfert des Noms de Domaine <airfrance100ans.com> et <airfrance2013.com> au profit du Requérant.


Nathalie Dreyfus
Expert Unique

Le 2 juin 2008