WIPO

Centre d’arbitrage et de médiation de l’OMPI

 

DÉCISION DE L’EXPERT

7 Digital Media Limited contre Nouvelles Visions SARL

Litige no DFR2007-0060

 

1. Les parties

Le Requérant est 7 Digital Media Limited, Londres, Royaume-Uni de Grande Bretagne et d’Irlande du Nord, représenté par August et Debouzy Avocats, Paris, France.

Le Défendeur est Nouvelles Visions SARL, Angers, France.

 

2. Nom de domaine et prestataire Internet

Le litige concerne le nom de domaine <7digital.fr> enregistré le 11 juillet 2007.

Le prestataire Internet est la société 1&1 Internet AG.

 

3. Rappel de la procédure

Une demande déposée par le Requérant auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) a été reçue le 12 décembre 2007 par courrier électronique et le 14 décembre 2007 par courrier postal.

Le 14 décembre 2007, le Centre a adressé à l’Association Française pour le Nommage Internet en Coopération (ci-après l’“Afnic”) une demande aux fins de vérification des éléments du litige et de gel des opérations.

Le même jour, l’Afnic a transmis au Centre les données relatives au litige en sa possession.

Le 10 janvier 2008, le Centre a adressé au Requérant une notification d’irrégularité de la demande, le nom et l’adresse indiqués dans celle-ci ne correspondant pas aux renseignements transmis par l’Afnic.

Un amendement de la demande déposé par le Requérant auprès du Centre a été reçu le 11 janvier 2008 par courrier électronique et le 14 janvier 2008 par courrier postal.

Le Centre a vérifié que la demande répond bien au Règlement sur la procédure alternative de résolution des litiges du “.fr” et du “.re” par décision technique (ci-après le “Règlement”) en vigueur depuis le 11 mai 2004, et applicable à l’ensemble des noms de domaine du “.fr” et du “.re” conformément à la Charte de nommage de l’Afnic (ci-après la “Charte”).

Conformément à l’article 14(c) du Règlement, une notification de la demande, valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au Défendeur le 16 janvier 2008. Le Défendeur disposait jusqu’au 5 février 2008 pour faire parvenir une réponse. Une réponse déposée par le Défendeur auprès du Centre a été reçue le 1er février 2008 par courrier électronique et le 5 février 2008 par courrier postal.

Le 14 février 2008, le Centre nommait Christiane Féral-Schuhl comme Expert dans le présent litige. L’Expert constate qu’il a été nommé conformément au Règlement. L’Expert a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément à l’article 4 du Règlement.

 

4. Les faits

Le Requérant a pour activité la vente de musique en ligne. Il propose la distribution d’œuvres musicales en téléchargement via plusieurs sites Internet. Le Requérant justifie notamment avoir réservé de nombreux noms de domaines constitués de l’expression 7digital depuis le 25 mars 2000 à savoir : <7digital.at>, <7digital.be>, <7digital.ch>, <7digital.com>, <7digital.co.uk >, <7digital.cn>, <7digital.de >, <7digital.dk>, <7digital.es >, <7digital.ie > , <7digital.jp>, <7digital.li>, <7digital.lu>, <7digital.org>, <7digital.net>, <7digital.ro>, <7digital.ru>, <7digital.se>, <7digital.tv>, <7digital.com.tw>, <7digitalmedia.com>, <7digitalmedia.co.uk>, <sevendigital.eu>, <sevendigitalmedia.com>.

Le Requérant justifie être titulaire de la marque communautaire 7 DIGITAL no EM 4 377 172, déposée le 5 mai 2005 pour les classes 09, 38, 41 et 42.

Le Défendeur a pour activité l’édition, la production, la diffusion et la commercialisation d’images ainsi que l’impression sur tous supports. Il propose notamment la commercialisation pour le compte d’artistes amateurs ou professionnels de créations digitales imprimées sur toile de peintre montée sur châssis en bois.

Le 11 juillet 2007, le Défendeur a réservé le nom de domaine <7digital.fr>.

Le 9 octobre 2007, le Requérant a adressé au Défendeur une lettre recommandée dans laquelle il fait valoir ses droits de marque sur l’expression 7 DIGITAL et sollicite en conséquence le transfert à son profit du nom de domaine litigieux en contrepartie de la couverture des frais liés à cette transmission, évalués par le Requérant à un maximum de 100,00 Euros.

Le Défendeur a répondu à cette correspondance par lettre recommandée du 17 octobre 2007, dans laquelle il fournit aux Requérants des précisions sur son projet de site Internet et sur ses motivations pour la réservation du nom de domaine <7digital.fr>, pour lequel il précise par ailleurs avoir procédé aux vérifications nécessaires préalablement à sa réservation. Le Défendeur expose également dans cette correspondance qu’il ne peut envisager le transfert du nom de domaine au profit du Requérant que contre “une compensation financière (…) en rapport avec les investissements réalisés et mis en œuvre”.

Par courrier électronique du 14 novembre 2007, le Requérant a justifié auprès du Défendeur le prix proposé dans son courrier du 9 octobre 2007 en compensation des frais liés à la transmission du nom de domaine, mais a par ailleurs indiqué être prêt “à considérer votre offre de transmission du nom de domaine en des termes financiers que vous jugeriez acceptables, dans la mesure où nous ne les jugerions pas excessifs”.

Par courrier électronique du 19 novembre 2007, le Défendeur a indiqué au Requérant qu’il estimait à 50 000,00 Euros le montant de la compensation financière correspondant à son investissement et au préjudice financier en cas de cession du nom de domaine.

C’est dans ces conditions que le Centre a été saisi du présent litige.

 

5. Argumentation des parties

A. Requérant

Le Requérant fait valoir qu’il est devenu l’un des principaux acteurs de la vente de musique en ligne et a acquis une renommée certaine dans ce secteur d’activité. A l’appui de cette affirmation le Requérant fournit des statistiques de fréquentation du site Internet “www.7digital.com”, des éléments relatifs à ses investissements marketing ainsi que des extraits de publications relatifs à son activité.

Le Requérant indique avoir procédé en date du 28 février 2007 à la réservation du nom de domaine litigieux pour assurer l’implantation de son service en France, mais avoir rencontré des “problèmes purement d’ordre administratifs” ayant rendu cette réservation ineffective.

Le Requérant rapporte qu’aucun site Internet n’était originellement attaché au nom de domaine litigieux et que ce n’est que postérieurement à une demande amiable de transmission du nom de domaine qu’un site Internet a été mis en ligne à l’adresse “www.7digital.fr”.

Le Requérant considère que l’enregistrement et l’utilisation du nom de domaine litigieux ont bien été opérés en violation de ses droits dès lors :

- que le nom de domaine litigieux est exactement identique à sa marque communautaire antérieure 7 DIGITAL;

- qu’il appartenait au Défendeur de vérifier que la réservation du nom de domaine litigieux ne portait pas atteinte aux droits des tiers et qu’en l’occurrence le Défendeur ne pouvait ignorer les droits antérieurs du Requérant compte tenu de la renommée de ses activités;

- que si l’argument n’est pas essentiel, il existe néanmoins une proximité entre les activités du Défendeur et du Requérant, dès lors qu’ils réalisent tous les deux “la promotion d’artistes sur Internet et permettent la diffusion de leurs œuvres” et que cette proximité crée un risque de confusion dans l’esprit du public;

- que le Défendeur n’a aucun droit ou intérêt légitime à choisir et à utiliser la marque du Requérant.

B. Défendeur

Le Défendeur explique avoir réservé le nom de domaine <7digital.fr> uniquement en raison du fait qu’il a considéré que celui-ci désignait parfaitement son nouveau site Internet lequel a vocation à permettre à des artistes de présenter et de vendre leurs créations digitales.

Selon la conception du Défendeur, le nom de domaine <7digital.fr> doit se lire “c’est digital”. Quant au mot “digital”, il est utilisé à la fois pour désigner “ce qui a rapport aux doigts” et comme synonyme de “numérique” ce qui, pour le Défendeur, correspond tout à fait à l’objectif de son projet : allier la fabrication de toiles de peintre (aspect “manuel”) à l’univers de la création graphique numérique.

Le Défendeur fait valoir qu’il a pris soin de vérifier que la réservation du nom de domaine litigieux ne portait pas atteinte aux droits des tiers. Il indique ainsi avoir préalablement consulté le site Internet “www.icimarques.com” et avoir constaté l’existence de la marque 7 DIGITAL mais avoir considéré que ses activités ne relevaient pas des classes 09, 38, 41 et 42 dans lesquelles la marque du Requérant était enregistrée.

A ce propos, le Défendeur expose également qu’il n’avait pas connaissance de la volonté du Requérant de déposer le nom de domaine “7digital” pour un très grand nombre d’extensions. Il précise que 7 des noms de domaines correspondants à cette expression n’ont été réservé qu’en décembre 2007, qu’à la date de la réservation du nom de domaine litigieux un grand nombre d’extensions étaient donc libres et que par ailleurs le nom de domaine <7digital.eu> est proposé à la vente sur une page parking, ce dont il a déduit que le Requérant n’était pas intéressé par la réservation de la totalité des noms de domaine contenant l’expression 7digital.

Par ailleurs, le Défendeur oppose au Requérant :

- qu’il n’a fait que profiter de la règle premier arrivé, premier servi et que rien ne prouve la volonté du Requérant de réserver le nom de domaine litigieux dès le mois de février 2007;

- que la non exploitation par le Défendeur du nom de domaine litigieux ne s’explique que par le temps nécessaire à la création de son site Internet et qu’il a délibérément mis en ligne ce site de manière accélérée pour pouvoir prouver au Requérant la différence de leurs activités;

- que les correspondances qu’il a échangées avec le Requérant prouvent sa bonne foi et en particulier que le Requérant a pris l’initiative d’une compensation financière;

- que la notoriété de l’activité du Requérant n’est en rien prouvée par les éléments qu’il rapporte;

- que la notion de similitude des produits et services fournis est essentielle et qu’en l’espèce faire la promotion d’artistes des arts graphiques ne concurrence pas la promotion d’artistes musicaux, qu’il n’existe aucune similitude entre la vente de produits manufacturés et la vente de produits immatériels et qu’en conséquence il n’existe aucun risque de confusion dans l’esprit du public;

- que le Requérant exploite d’ores et déjà une version française de son site Internet à l’adresse “www.fr.7digital.com”;

- que le Requérant n’a aucun droit sur le nom de domaine <7digital.fr> dès lors qu’il ne possède aucun établissement en France.

 

6. Discussion

L’Expert constate que le Requérant invoque un enregistrement et une utilisation du nom de domaine <7digital.fr> par le Défendeur en violation de ses droits et sollicite en conséquence sa transmission à son profit.

L’Expert rappelle que, conformément à l’article 20(c) du Règlement, il “fait droit à la demande lorsque l’enregistrement ou l’utilisation du nom de domaine par le Défendeur constitue une atteinte aux droits des tiers telle que définie à l’article 1 du présent règlement et au sein de la Charte et, si la mesure de réparation demandée est la transmission du nom de domaine, lorsque le Requérant a justifié de ses droits sur l’élément objet de ladite atteinte et sous réserve de sa conformité avec la Charte”.

L’Expert rappelle également que l’article 1 du Règlement dispose que l’on entend par “atteinte aux droits des tiers, au titre de la Charte, une atteinte aux droits des tiers protégés en France et en particulier à la propriété intellectuelle (propriété littéraire et artistique et/ou propriété industrielle), aux règles de la concurrence et du comportement loyal en matière commerciale et au droit au nom, au prénom ou au pseudonyme d’une personne”.

En conséquence, l’Expert s’est attaché à vérifier, au vu des arguments et pièces soumis par les Parties, si l’enregistrement et/ou l’utilisation du nom de domaine litigieux porte atteinte aux droits de tiers et si le Requérant, sollicitant la transmission de ce nom de domaine à son profit, justifie de droits sur ce nom de domaine.

A. Enregistrement et/ou utilisation du nom de domaine litigieux en violation des droits des tiers

1. Enregistrement du nom de domaine litigieux

L’Expert constate que le nom de domaine litigieux a été enregistré par le Défendeur le 11 juillet 2007 et qu’il constitue la reproduction à l’identique de la marque communautaire 7 DIGITAL No. EM 4 377 172 dont le Requérant est titulaire depuis le 5 mai 2005.

Il appartient à l’Expert de vérifier si, malgré les vérifications auxquelles le Défendeur dit avoir procédé, l’enregistrement du nom de domaine litigieux ne porte pas atteinte aux droits du Requérant et en premier lieu aux droits de marque de celui-ci.

A ce titre, la protection conférée par le dépôt d’une marque est dominée par le principe de spécialité et il n’en va autrement qu’en présence d’une marque notoire (voir Euterpe Promotions Box Office c. Kelyo, Litige OMPI No. DFR2007-0055).

En l’espèce, si le Requérant invoque la notoriété de sa marque, les éléments qu’il produit au soutien de cette prétention ne sont pas de nature à emporter la conviction de l’Expert. Ainsi, les statistiques de fréquentation du seul site Internet “www.7digital.com”, indépendamment de toutes statistiques de fréquentation des autres sites Internet de distribution de musique en ligne, ne permettent pas d’apprécier la notoriété qu’aurait acquise ce service et par conséquent la marque qui le désigne. De même les articles de presse produits par le Requérant ne permettent pas à l’Expert de considérer que la marque 7 DIGITAL serait connue d’une partie significative du public concerné par la distribution en ligne de titre musicaux. Enfin, les investissements publicitaires invoqués par le Requérant ne sont étayés par aucune pièce et ne permettent pas, dans l’absolu, d’apprécier la renommée qu’aurait acquise la marque 7 DIGITAL.

Dans ces conditions, la protection de la marque 7 DIGITAL ne s’étend que dans la limite des produits et services versés au dépôt.

Or, il ressort de l’analyse des services et produits pour lesquels la marque 7 DIGITAL est enregistrée que l’étendue de la protection ainsi conférée ne couvre pas de produits ou services du type de ceux offerts par le Défendeur, à savoir la commercialisation et la promotion d’œuvres graphiques imprimées sur différents supports.

L’Expert est en conséquence amené à considérer que l’enregistrement du nom de domaine litigieux par le Défendeur n’a pas eu lieu en violation des droits de marque du Requérant.

En second lieu, l’Expert relève que le seul fait que les services fournis par le Requérant et le Défendeur relèvent tous deux d’un domaine artistique apparaît insuffisant pour conférer à ces services un caractère similaire. Au contraire l’Expert estime qu’il existe une réelle différence entre les services proposés par le Requérant et ceux proposés par le Défendeur de sorte qu’aucun risque de confusion n’est susceptible de naître dans l’esprit des internautes entre ces services. C’est ainsi que le Défendeur a pu estimer lors de l’enregistrement du nom de domaine litigieux que les droits antérieurs du Requérant n’étaient pas un obstacle à la réservation du nom de domaine (Voir Surprise SARL et P2P SAS c. SARL Myrique, Litige OMPI No. DFR2007-0048).

Par ailleurs, si l’Expert n’est pas persuadé qu’un internaute d’attention moyenne percevra l’expression 7digital comme signifiant “c’est digital”, il ne lui appartient pas de remettre en cause les motivations ayant pu conduire le Défendeur à enregistrer le nom de domaine litigieux en l’absence d’éléments pertinents faisant peser sur lui la volonté de tirer indûment profit de la notoriété et des efforts du Requérant.

En conséquence, l’Expert, compte tenu des éléments qui lui ont été transmis, est amené à considérer que l’enregistrement du nom de domaine litigieux par le Défendeur n’a pas eu lieu dans l’intention manifeste de créer une confusion dans l’esprit des internautes ni de tirer indument profit des investissements du Requérant et n’a pas en cela porté atteinte aux règles de la concurrence et au principe de loyauté dans les relations commerciales.

2. Utilisation du nom de domaine litigieux

L’Expert relève que les services fournis par le Défendeur et le Requérant ne sont pas concurrents et qu’il n’est pas rapporté en quoi l’utilisation du nom de domaine litigieux par le Défendeur porterait atteinte au principe d’un comportement loyal en matière commerciale.

Comme indiqué précédemment, si l’Expert n’est pas persuadé de la pertinence du choix du nom de domaine enregistré par le Défendeur pour exercer son activité, il ne lui appartient pas de remettre en cause cette motivation en l’absence d’éléments mettant à la charge du Défendeur un comportement déloyal ou parasitaire.

L’Expert considère en conséquence que l’utilisation du nom de domaine litigieux ne porte pas atteinte aux droits du Requérant.

B. Droits du Requérant sur le nom de domaine litigieux

L’Expert considère qu’en raison de l’absence de violation de droits de tiers, il n’est pas nécessaire de procéder à l’analyse des droits du Requérant sur le nom de domaine litigieux.

 

7. Décision

Conformément aux articles 20(b) et (c) du Règlement, l’Expert ordonne le rejet de la demande du Requérant relative au nom de domaine <7digital.fr>.


Christiane Féral-Schuhl
Expert

Le 28 février 2008