WIPO

 

Centre d’arbitrage et de médiation de l’OMPI

 

DÉCISION DE L’EXPERT

EMC Corporation contre Arthur Pottier

Litige n° DFR2007-0017

 

1. Les parties

Le Requérant est la société EMC Corporation dont le siège est situé à Hopkinton, Massachussetts, Etats-Unis d’Amérique, représenté par Pattishall McAuliffe Newbury Hilliard & Geraldson LLP à Chicago, Illinois, Etats-Unis d’Amérique et par SCP Duclos Thorne Mollet-Vieville & Associés à Paris, France.

Le Défendeur est Monsieur Arthur Pottier domicilié à Paris, France.

 

2. Nom de domaine et prestataire Internet

Le litige concerne le nom de domaine <documentum.fr> enregistré le 17 juillet 2006.

Le prestataire Internet est la société Gandi.

 

3. Rappel de la procédure

Une demande déposée par le Requérant auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le ”Centre”) a été reçue le 13 avril 2007, par courrier électronique et le 18 avril 2007, par courrier postal.

Le 13 avril 2007, le Centre a adressé à l’Association Française pour le Nommage Internet en Coopération (ci-après l’“Afnic”) une demande aux fins de vérification des éléments du litige et de gel des opérations.

Le 16 avril 2007, l’Afnic a confirmé l’ensemble des données du litige et a gelé le nom de domaine litigieux.

Le 19 avril 2007, le requérant a soumis un amendement à sa demande. Le Centre a vérifié que la demande et l’amendement répondent bien au Règlement sur la procédure alternative de résolution des litiges du “.fr” et du “.re” par décision technique (ci-après le ”Règlement”) en vigueur depuis le 11 mai 2004, et applicable à l’ensemble des noms de domaine du “.fr” et du “.re” conformément à la Charte de nommage de l’Afnic (ci-après la ”Charte”).

Conformément à l’article 14(c) du Règlement, une notification de la demande, valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au Défendeur le 23 avril 2007. Le Défendeur n’ayant adressé aucune réponse, le Centre lui a adressé en date du 15 mai 2007 une notification de défaut du Défendeur.

Le 23 mai 2007, le Centre nommait Stéphane Lemarchand comme Expert dans le présent litige. L’Expert constate qu’il a été nommé conformément au Règlement. L’Expert a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément à l’article 4 du Règlement.

 

4. Les faits

Le Requérant est la société de droit américain EMC Corporation, créée en 1979, qui a pour activité la fourniture de systèmes de stockage d’informations électroniques et des logiciels, réseaux et services qui s’y rattachent. Le 19 décembre 2003, le Requérant a acquis la société de droit américain Documentum Inc., ayant pour activité la fourniture de logiciels de capture automatique de données et de solutions de gestion de contenu d’entreprise.

Le Requérant est à cet égard notamment titulaire de la marque verbale française DOCUMENTUM enregistrée le 30 juin 1994 sous le numéro 94 527061 pour désigner des produits et services des classes 9, 16 et 28, ainsi que de la marque verbale américaine DOCUMENTUM déposée le 29 mars 1994 sous le numéro 74506602 pour désigner des produits et services relevant de la classe internationale 9 et des classes américaines 21, 23, 26, 36, et 38. Le Requérant détient par ailleurs plus de 50 enregistrements de marques incluant le terme “Documentum".

En outre, le Requérant a enregistré le 8 mars 1993 le nom de domaine <documentum.com> sous lequel il exploite son site Internet. Il avait également enregistré le nom de domaine <documentum.fr>, qui a expiré par inadvertance le 30 juin 2006 en raison d’une omission administrative. Le Requérant exploitait également un site Internet sous ce nom de domaine.

Le Défendeur est Monsieur Arthur Pottier. Il a enregistré le nom de domaine <documentum.fr> objet de la présente procédure le 17 juillet 2006. Ce nom de domaine est actuellement exploité par le Défendeur pour un site Internet vierge, dont le code HTML est identique au code HTML du précédent site exploité par EMC.

 

5. Argumentation des parties

A. Requérant

Le Requérant exerce dans le domaine du stockage d’informations depuis 1981 et indique être le leader mondial en matière de fourniture de systèmes de stockages d’informations électroniques et des logiciels, réseaux et services qui s’y attachent.

Le Requérant déclare avoir, le 19 décembre 2003, fait l’acquisition de la société de droit américain Documentum Inc., leader mondial en matière de fourniture de logiciels de capture automatique de données et de solutions de gestion de contenu d’entreprise. Selon le Requérant, plus de 300 partenaires exerçant dans tous les principaux secteurs créent et utilisent des applications spécialisées utilisant l’infrastructure de gestion de contenu Documentum.

Le Requérant indique avoir réalisé des investissements de plusieurs millions de dollars en vue d’assurer la publicité et la promotion des produits et marques DOCUMENTUM, et avoir vendu ou concédé en licence pour des centaines de millions de dollars des logiciels Documentum et services y afférant. Le Requérant fait donc valoir qu’il a acquis depuis plusieurs années en France, notamment sous le nom commercial de Documentum, une notoriété certaine dans ce domaine.

Le Requérant soutient que lui-même et sa filiale Documentum Inc. ont déposé, enregistré et exploité le nom de domaine <documentum.fr>. Le Requérant indique qu’en raison d’une omission administrative, l’enregistrement de ce nom de domaine a expiré par inadvertance le 30 juin 2006.

Le Requérant considère que le nom de domaine enregistré et utilisé par le Défendeur est identique aux marques verbales DOCUMENTUM détenues par EMC au point de prêter à confusion, dans la mesure où le nom de domaine litigieux reprend cette marque dans son intégralité. Cet enregistrement et cette utilisation du nom de domaine <documentum.fr>, identique aux marques verbales DOCUMENTUM sur lesquelles le Requérant détient des droits antérieurs, sont, selon le Requérant, constitutifs d’un acte de contrefaçon.

Le Requérant soutient en outre que le Défendeur n’a aucun droit ou intérêt légitime sur le nom de domaine contrefaisant, dans la mesure où il n’a pas acquis de nom commercial, de droits sur les marques DOCUMENTUM et n’a obtenu ni licence ni autorisation d’exploitation des marques DOCUMENTUM ou d’un nom de domaine contenant ce terme.

Le Requérant indique également avoir constaté que le Défendeur exploite le nom de domaine litigieux pour un site Internet vierge, dont le code HTML est pourtant identique à celui du site précédemment exploité par le Requérant. Le Requérant précise que le nom de domaine <documentum.fr> renvoie aujourd’hui encore à une version de la page Internet de EMC Documentum France sur laquelle le Défendeur utilise la même couleur bleue tant pour le texte sur la page que pour la couleur de fond, ce qui explique la raison pour laquelle cette page apparaît vierge.

Le Requérant rapporte que le Défendeur exploite de manière non nominative, non sérieuse et déloyale la marque DOCUMENTUM détenue par le Requérant et tente d’utiliser le nom de domaine litigieux en vue de perturber les activités du Requérant, ce qui constitue pour ce dernier une exploitation frauduleuse de ladite marque. Le Requérant soutient que le site attire toujours des usagers Internet intéressés par le Requérant dans la mesure où le texte HTML du site du Requérant existe toujours sur le site.

Le Requérant indique enfin que le Défendeur paraît être coutumier de ce type de pratique, puisque dans une affaire similaire ayant fait l’objet d’une décision rendue par l’OMPI le 1er février 2007, litige OMPI n° DFR2006-0011, le transfert d’un nom de domaine enregistré et exploité par le Défendeur dans des circonstances similaires a été ordonné par l’expert saisi du dossier.

B. Défendeur

Le Défendeur n’a adressé aucune réponse au Centre.

 

6. Discussion

L’Expert constate que le Requérant invoque un enregistrement et l’utilisation du nom de domaine litigieux par le Défendeur en violation de ses droits et sollicite, en conséquence, la transmission à son profit.

L’Expert rappelle que, conformément à l’article 20(c) du Règlement: “Il fait droit à la demande lorsque l’enregistrement ou l’utilisation du nom de domaine par le Défendeur constitue une atteinte aux droits des tiers tels que définis à l’article 1 du présent Règlement et au sein de la Charte et, si la mesure de réparation demandée est la transmission du nom de domaine, lorsque le Requérant a justifié de ses droits sur l’élément, objet de ladite atteinte et sous réserve de sa conformité avec la Charte”.

L’Expert rappelle également que l’article 1 du Règlement dispose que l’on entend par “atteinte aux droits des tiers”, au titre de la Charte, “une atteinte aux droits des tiers protégés en France et en particulier à la propriété intellectuelle (propriété littéraire et artistique et/ou propriété industrielle), aux règles de la concurrence et du comportement loyal en matière commerciale et aux droits au nom, au prénom ou au pseudonyme d’une personne”.

En conséquence, l’Expert s’est attaché à vérifier, au vu des arguments et pièces soumis par les parties, si l’enregistrement et/ou l’utilisation du nom de domaine litigieux portait atteinte aux droits du Requérant et, le Requérant sollicitant la transmission de ce nom de domaine à son profit, s’il justifiait de droits sur ce nom de domaine.

(i) Enregistrement du nom de domaine litigieux

L’Expert constate que le Requérant est titulaire de droits antérieurs sur la dénomination “Documentum” à titre de marques verbales et de noms de domaine.

L’Expert constate que le nom de domaine <documentum.fr> est la reproduction à l’identique de la marque française DOCUMENTUM détenue par le Requérant depuis 1994 et de la marque américaine DOCUMENTUM également détenue par le Requérant depuis 1997. Le nom de domaine litigieux est également identique au nom de domaine <documentum.com> enregistré et exploité par le Requérant depuis 1993.

La seule différence consistant en l’ajout de l’extension “.fr” n’altère en rien le risque de confusion engendré à raison de l’imitation de la marque antérieure et de l’usurpation des noms de domaine antérieurs. En effet, l’adjonction d’une extension pour le moins commune dans le domaine des services rendus sur l’Internet ne confère à l’ensemble aucun caractère distinctif permettant d’écarter tout risque de confusion.

L’Expert constate encore que le nom de domaine litigieux reproduit à l’identique le nom de domaine <documentum.com> dont est titulaire le Requérant, l’extension “.com” encore une fois ne revêtant aucun caractère distinctif.

Par ailleurs, et bien que le Requérant ait omis de joindre en annexe à sa demande un extrait de rapport Whois permettant d’attester de ce fait, l’Expert constate que le Requérant avait enregistré également le nom de domaine <documentum.fr>, et exploitait un site Internet sous ce nom de domaine, qui a expiré par inadvertance le 30 juin 2006 en raison d’une omission administrative.

A ce titre, l’Expert constate que le Défendeur a, sur le site Internet litigieux qu’il exploite, reproduit le code HTML qu’utilisait antérieurement le Requérant sur le site auquel renvoyait alors le nom de domaine <documentum.fr>. A cet égard, les pièces versées aux débats par le Requérant attestent également de la reprise de la dénomination commerciale “EMC Documentum France – Enterprise Content Management” du Requérant sur la page Internet du nom de domaine du Défendeur.

En reproduisant sur le site exploité sous le nom de domaine litigieux, non seulement le code HTML qu’utilisait antérieurement le Requérant sur le site auquel renvoyait alors le nom de domaine <documentum.fr>, mais encore la dénomination commerciale du Requérant, le Défendeur avait nécessairement connaissance des droits antérieurs du Requérant.

L’Expert considère donc que la reprise, par le Défendeur, du code HTML développé par le Requérant ainsi que de la dénomination commerciale de ce dernier, n’est nullement fortuite, et atteste bien de ce que l’enregistrement du nom de domaine <documentum.fr> a été réalisé en toute mauvaise foi par le Défendeur.

En conséquence, l’Expert considère que l’enregistrement du nom de domaine litigieux par le Défendeur est intervenu en violation des droits du Requérant.

(ii) Utilisation du nom de domaine en violation des droits des tiers

Comme précédemment exposé, l’Expert constate que le Défendeur exploite le nom de domaine <documentum.fr> pour renvoyer vers une page web vierge, mais dont le code HTML est identique à celui du précédent site du Requérant. L’Expert constate que le Défendeur utilise sur cette page web la même couleur bleue tant pour le texte que pour le fond, ce qui explique pourquoi cette page web semble vierge.

Il ressort en outre des investigations menées par l’Expert, et en particulier d’une simple manipulation de copier/coller du texte de la page web litigieuse sur une page de traitement de texte, que le texte qui apparaît sur la page web du Défendeur correspond au contenu de la page web du site précédemment exploité par le Requérant. L’Expert a même pu constater que l’affichage de la source de la page web litigieuse contient la mention expresse des droits antérieurement détenus par le Requérant sur le contenu de cette page web, en les termes suivant "Tous droit réservés © 2004 EMC Corporation”.

L’Expert considère qu’une telle utilisation par le Défendeur du nom de domaine litigieux est de nature à tromper les internautes. Tout d’abord, ceux-ci peuvent penser pouvoir trouver sur la page Internet à laquelle renvoie le nom de domaine <documentum.fr> des informations relatives au Requérant. De plus, lors de la connexion sur la page web litigieuse, l’internaute ne dispose d’aucune information de nature à lui permettre de comprendre pourquoi la page apparaît vierge. Il n’est en effet nullement précisé que le site serait en construction, ou aurait changé d’adresse. Enfin, l’internaute qui se connecte à cette page web à l’aide du nom de domaine <documentum.fr> peut également penser que le chargement de ladite page web est excessivement lent et que le site qui semble être celui du Requérant du fait de la mention de sa dénomination commerciale en haut de page est défectueux. Ainsi, l’exploitation que fait le Défendeur du nom de domaine litigieux amène les internautes à penser que le Requérant, qui est pourtant le leader dans son domaine d’activité, n’assure pas de manière adéquate la promotion de ses produits et services.

L’Expert considère en outre que l’utilisation par le Défendeur du nom de domaine litigieux sous la forme d’une page Internet apparaissant vierge, est contraire au principe de loyauté dans les relations commerciales dans la mesure où elle empêche purement et simplement le Requérant d’exploiter le nom de domaine <documentum.fr> pour assurer la promotion de la marque qu’il détient et sur laquelle il a dûment justifié de ses droits, tout comme la promotion des produits et services qu’il commercialise sous cette marque.

L’Expert fait également remarquer que le Défendeur n’a pas jugé utile de répondre aux arguments exposés par le Requérant dans sa demande et n’a donc pas contesté les faits qui lui sont reprochés.

L’Expert constate enfin que la décision rendue dans le litige OMPI n°DFR2006-0011 versée aux débats par le Requérant a été rendue dans le cadre d’une affaire toute à fait similaire à la présente espèce. En effet, dans cette affaire, le nom de domaine <transactive.fr>, jusqu’alors exploité par la société Transactive était redevenu disponible à la suite d’une erreur d’enregistrement et avait été enregistré par le Défendeur. Ce dernier avait alors exploité à cette adresse un site apparemment vide puisque seule une page blanche s’affichait. Pourtant, l’expert saisi de cette affaire a pu constater qu’étaient reproduits dans le codage de cette page les codes sources de la page d’accueil du site Internet de la société Transactive et même la mention du copyright de cette dernière. L’expert a donc considéré que la reproduction des codes sources de la société Transactive faisait la preuve que le Défendeur avait connaissance des droits de Transactive. Il a en outre considéré que la reprise par le Défendeur des codes sources du site de Transactive, en empêchant l’affichage de la page associée, ne s’expliquait que par l’intérêt du référencement du site “www.transactive.fr” en relation avec l’activité de Transactive, et était de nature à générer un risque de confusion avec Transactive. L’expert a donc, dans cette affaire, ordonné le transfert du nom de domaine <transactive.fr>.

L’Expert saisi de la présente affaire constate dès lors que la décision rendue le 1er février 2007 à l’encontre du Défendeur atteste bien de ce que ce dernier, qui déjà dans cette affaire n’avait pas jugé utile de répondre à la demande du requérant, apparaît coutumier de ce genre de pratique.

En conséquence de ce qui précède, l’Expert considère que l’utilisation du nom de domaine litigieux par le Défendeur est intervenue en violation des droits du Requérant sur les droits antérieurs dont il est titulaire et en violation du principe de loyauté dans les relations commerciales.

 

7. Décision

Conformément aux articles 20(b) et (c) du Règlement, l’Expert ordonne la transmission au profit du Requérant du nom de domaine <documentum.fr>.


Stéphane Lemarchand
Expert

Le 6 juin 2007